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21/06/2022 | FRANCE | N°19/04129

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 21 juin 2022, 19/04129


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 21 JUIN 2022



BV





N° RG 19/04129 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LEZB









[U] [N]



c/



[L] [D]

























Nature de la décision : AU FOND



























Grosse délivr

ée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 15/07112) suivant déclaration d'appel du 19 juillet 2019





APPELANT :



Maître [U] [N], ès qualité de liquidateur judicaire de la société TECORA, SAS au capital de 372.600 €, immatriculée au RCS...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 21 JUIN 2022

BV

N° RG 19/04129 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LEZB

[U] [N]

c/

[L] [D]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 1, RG : 15/07112) suivant déclaration d'appel du 19 juillet 2019

APPELANT :

Maître [U] [N], ès qualité de liquidateur judicaire de la société TECORA, SAS au capital de 372.600 €, immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n° 310 727 078, dont le siège social est [Adresse 1], désigné à cette fonction par jugement de conversion en liquidation judiciaire par le Tribunal de commerce de Créteil du 6 décembre 2017, domicilié en cette qualité [Adresse 2],

représenté par Maître Marie TASTET, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître DUCHARNE substituant Maître Eric CESAR de la SELARL LEGI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON

INTIMÉ :

[L] [D]

né le 09 Août 1947 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

représenté par Maître Emmanuel SUTRE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 mai 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Vincent BRAUD, conseiller,

Bérengère VALLEE, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

M. [L] [D], ingénieur spécialisé en ingénierie vitivinicole, a mis au point un dispositif permettant de répondre au problème de suivi en continu de la fermentation du vin, de son contrôle et de son pilotage, ce dispositif étant équipé d'une canne de prélèvement autonettoyante permettant de mesurer en continu la densité du moût d'une cuve en cours de fermentation.

Il a ainsi déposé un brevet français sous le numéro 9807052 le 2 juin 1998, l'objet de l'invention étant précisément un 'dispositif de prise d'échantillons de liquide clair, notamment de jus dans une cuve contenant du moût et chaîne associée de mesure de paramètres relatif à ce jus'. La mention de délivrance a été faite au bulletin officiel de la propriété industrielle n° 00/34 du 25 août 2000.

La société ARELCO, devenue TECORA, est un industriel spécialisé dans la fabrication et la distribution de matériel de contrôle, de mesure et systèmes d'échantillonnage.

M. [D] et la société ARELCO ont signé le 24 mars 2005 un contrat de licence d'exploitation portant sur le dispositif susvisé, dénommé 'assistant de fermentation vinicole', prévoyant la concession à la société ARELCO de la licence exclusive d'exploitation du produit 'Oenoscan' en vue de la fabrication et de la commercialisation de ce dernier.

Reprochant notamment à la société ARELCO de ne pas l'avoir informé des ventes du produit intervenues et de ne pas lui avoir versé les redevances correspondantes telles que stipulées au contrat, ni la moindre rémunération depuis sa signature, M. [D], par courrier officiel adressé par l'intermédiaire de son conseil le 15 juillet 2010, l'a mise en demeure d'avoir à lui communiquer tous les éléments pouvant justifier de l'exécution de ses obligations et de régler les sommes lui étant dues.

La societé ARELCO ayant contesté les manquements qui lui étaient reprochés par courrier du 5 août 2010, M. [D] l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux par acte d'huissier du 16 décembre 2011, aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat de licence d'exploitation conclu le 24 mars 2005 et de la voir condamner à lui payer la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts, outre 35.559 € HT au titre des redevances dues.

Parallèlement, la société RUBIS CONCEPT, installateur des matériels 'Oenoscan' vendus par la société TECORA, a assigné cette dernière devant le tribunal de commerce de Libourne, en raison de dysfonctionnements des produits fournis.

Dans le cadre de cette procédure, le juge des référés du tribunal de commerce de Libourne, par ordonnance du 4 novembre 2013, a ordonné une expertise judiciaire et désigné M. [W] pour y procéder. M. [D] a été attrait à cette procédure par la société TECORA, aux fins de lui rendre opposables les opérations d'expertise.

Par ordonnance du 12 mai 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bordeaux a fait droit à la demande de sursis à statuer de la société TECORA dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise et ordonné le retrait du rôle de l'affaire.

M. [W] a déposé son rapport le 11 mars 2015.

L'affaire a été réinscrite au rôle de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux suite aux conclusions déposées à cette fin par M. [D] le 16 juillet 2015.

Par jugement du 29 août 2017, le tribunal de commerce de Créteil a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SAS TECORA et a désigné dans ce cadre la SELARL [P] [H] en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assister l'entreprise et maître [U] [N] en qualité de mandataire judiciaire.

M. [D] a mis en cause lesdits administrateur et mandataire judiciaires selon exploit signifié les 8 et 12 décembre 2017 et la procédure correspondante a été jointe.

La société TECORA a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 6 décembre 2017. Maître [N], agissant ès qualités de liquidateur judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance par conclusions signifiées le 28 février 2018.

Par jugement du 21 mai 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- déclaré Me [U] [N], agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS TECORA, recevable en son intervention volontaire,

- débouté Me [U] [N], agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS TECORA, de sa demande de complément d'expertise,

- dit que la SAS TECORA, anciennement ARELCO, a manqué à ses obligations contractuelles dans le cadre de l'exécution du contrat de licence d'exploitation conclu avec M. [L] [D] le 24 mars 2005,

- prononcé la résiliation du contrat de licence d'exploitation conclu le 24 mars 2005 entre M. [L] [D] la SAS ARELCO, devenue TECORA,

- fixé la créance de M. [L] [D] à la procédure de liquidation judiciaire de la SAS TECORA à la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts et à celle de 35 559 € HT au titre des redevances dues en exécution du contrat de licence d'exploitation du 24 mars 2005,

- débouté Me [U] [N], agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS TECORA, de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la SAS TECORA, représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N], à payer à M. [L] [D] la somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS TECORA, représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N], aux dépens de l'instance, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- rejeté toutes autres demandes comme non fondées.

Me [U] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Tecora, a relevé appel de ce jugement par déclaration du 19 juillet 2019.

Par conclusions déposées le 23 juillet 2020, Me [N] ès qualités demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris dans sa totalité, sauf en ce qu'il a déclaré Me [N] recevable en son intervention volontaire,

Et statuant à nouveau :

1/ A titre liminaire,

- juger que les opérations d'expertise menées par M. [W] sont affectées de graves irrégularités qui rendent impossible son homologation,

- juger que ce rapport ne peut pas être pris en compte en tant que tel puisque l'expert a ostensiblement refusé de répondre au chef de mission permettant de confirmer ou infirmer la bonne validité du dispositif lors de la signature de la licence de brevet,

En conséquence,

- ordonner à tout expert de son choix, un complément de mission afin qu'il soit répondu à la question posée par le Président de Tribunal de commerce de Libourne, à savoir dire si le dispositif OENOSCAN livré par M. [D] était en tant que tel industrialisable ou non et vérifier l'existence de problèmes de conception liés au produit OENOSCAN lors de la conclusion du contrat et imputable à M. [D],

- à défaut déclarer nulle l'expertise et en conséquence l'écarter des débats,

2/ Sur le fond,

- juger qu'il résulte du contrat l'engagement de M. [D] de livrer un matériel « en vue de la fabrication et la commercialisation», « optimisé pour une fabrication industrielle » ce qui exclut par principe toute phase de recherche et développement qu'elle a été cependant contrainte de supporter, en raison des insuffisances notoires qui affectaient l'appareil entre l'année 2005 et l'année 2010,

- déclarer l'absence de tout manquement à ses obligations contractuelles,

- déclarer l'absence de preuve du préjudice excipé par M. [D],

- juger l'absence de justification à la valorisation du préjudice prétendu de M. [D],

- déclarer les frais considérables de recherche et développement engagées par la société TECORA pour finaliser le produit, objet du contrat, qui ont été reconnus par écrit par M. [D],

- juger que l'importance des frais nécessaires à la mise au point et la finalisation de l'appareil démontre l'existence d'un comportement manifestement dolosif à charge de M. [D],

- constater que M. [D] n'établit pas qu'elle aurait eu l'intention d'abandonner la créance qu'elle détient à son encontre au titre de la dette d'INOVA auprès d'OSEO ANVAR,

- juger que M. [D] en sa qualité de liquidateur amiable de la société INOVA devait provisionner la charge que représente cette dette, et qu'en ne le faisant pas il a commis une faute qui engage sa responsabilité à l'égard des créanciers, dont la société TECORA,

En conséquence,

- débouter M. [D] de l'ensemble ses demandes, fins et conclusions,

- juger que la société TECORA n'a commis aucune faute contractuelle, et qu'elle a, au

contraire été victime d'un comportement dolosif,

- le condamner d'avoir à lui verser :

* la somme de 294.157,41€ au titre du remboursement des frais de recherche et développement, outre intérêts de droit calculés au taux légal, à compter du 29/03/2012 date de dépôt des conclusions qui formalisent cette demande,

* la somme de 57.034,41€ au titre du contrat OSEO ANVAR, outre intérêts de droit calculés au taux légal, 29/03/2012 date de dépôt des conclusions qui formalisent cette demande,

A titre subsidiaire :

- déclarer que M. [D] peut seulement se prévaloir d'une perte de chance, et en titrer toutes les conséquences de droit et de fait quant au quantum de son préjudice, qui doit être chiffré à un euro dans ce cas,

En tout état de cause :

- condamner M. [L] [D] d'avoir à lui verser la somme de 8.000€ en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile

- condamner M. [L] [D] aux entiers dépens de l'instance et de ses suites, dont distraction au profit de Me Marie TASTET sur son affirmation de droit.

Par conclusions déposées le 6 février 2020, M. [D] demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a jugé que la société TECORA a manqué à ses obligations contractuelles dans le cadre de l'exécution du contrat de licence d'exploitation conclu avec Monsieur [D] le 24 mars 2005 et prononcé la résiliation de ce contrat,

- réformer le jugement et fixer la créance de Monsieur [D] à la procédure de liquidation judiciaire de la société TECORA anciennement ARELCO au montant de 500.000,00 € à titre de dommages et intérêts et de 35.559 € HT au titre des redevances dues.

- fixer également la créance de Monsieur [D] au redressement judiciaire de TECORA à la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance, et la condamner au paiement de ces sommes.

- débouter en tout état de cause Me [N], agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la société TECORA, de toutes ses demandes.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 17 mai 2022.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de complément d'expertise formée par la société Tecora

L'appelant conteste le rapport d'expertise réalisé par M. [W] et sollicite un complément d'expertise aux motifs que l'expert se serait montré partial, n'aurait pas répondu à tous les chefs de mission - notamment celui consistant à dire si le dispositif Oenoscan livré par M. [D] était en tant que tel industriable ou non -, aurait refusé de répondre au dire récapitulatif n°9 et enfin, aurait excédé la mission qui lui avait été confiée en procédant à une analyse des clauses du contrat.

Au préalable, l'intimé fait valoir à juste titre que le contrôle du déroulement des opérations d'expertise relève du seul magistrat désigné aux termes de la décision ayant ordonné la mesure d'instruction, soit en l'espèce le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de commerce de Libourne, lequel n'a jamais été saisi par l'appelant d'une quelconque difficulté relative à l'attitude de l'expert et au non respect de sa mission.

Cependant, comme le rappellent à bon droit les premiers juges, la présente juridiction reste compétente pour ordonner une expertise complémentaire si elle s'estime insuffisamment informée pour trancher le litige sur la base du rapport de M. [W].

Il convient donc d'examiner les critiques formulées à l'encontre de cette expertise.

En premier lieu et contrairement à ce qu'indique la société Tecora, l'expert n'a pas été missionné pour indiquer si 'le matériel était en tant que tel industriable ou non'. En effet, le chef de mission ajouté à la mission initiale de l'expert 'de vérifier et déterminer si la machine Oenoscan présente un ou des problèmes de conception' par ordonnance du juge des référés du 4 novembre 2013 ayant prononcé l'extension des opérations d'expertise à M. [D] après qu'il a été attrait à la procédure, portait sur 'la vérification détaillée du programme d'industrialisation par la SAS Tecora du matériel Oenoscan'.

En deuxième lieu, les opérations d'expertise se sont déroulées de décembre 2013 à mars 2015 avec la tenue de 8 réunions d'expertise en présence de l'ensemble des parties, de sorte que la société Tecora a été en mesure de faire valoir ses observations.

En troisième lieu, la lecture du rapport d'expert permet de constater que l'expert a rempli sa mission et répondu aux questions qui lui étaient posées par le juge dans le respect des dispositions de l'article 276 du code de procédure civile, en permettant aux parties de s'expliquer sur les points litigieux.

Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Tecora, l'expert a demandé à M. [D] de communiquer des pièces relatives au dossier technique du produit, M. [W] ayant procédé à une étude des plans produits ainsi qu'à l'analyse des montages de son prototype puis à des tests comparatifs.

C'est de même à tort que la société Tecora reproche à l'expert de ne pas avoir répondu à son dire récapitulatif n°9, lequel est expressément visé en page 98 du rapport définitif et a donné lieu à une réponse étayée et précise jusqu'à la page 103, soit sur 5 pages, après communication aux conseils des parties du pré-rapport de l'expert (page 95).

Enfin, l'expert s'est livré à une étude approfondie du programme et se prononce bien, contrairement à ce qu'affirme l'appelant, sur le caractère industriable du produit 'Oenoscan' puisqu'il conclut, page 106 de son rapport, que ' le modèle d'Oenoscan conçu et réalisé par M. [D] était industriable dès l'année 2005".

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la demande de complément d'expertise doit être rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les manquements contractuels reprochés à la société Tecora

Sur le manquement aux obligations découlant de l'article 7.1 du contrat de licence d'exploitation

M. [D] reproche à la société Tecora d'avoir manqué à ses obligations découlant de l'article 7.1 du contrat de licence d'exploitation, selon lequel l'appelante s'engageait pendant les trois premières années du contrat à 'assurer la maîtrise technologique du produit, fabriquer et commercialiser des produits d'un niveau de qualité et de sécurité au moins égal à celui des prototypes ayant servi à valider le concept' ainsi qu'à 'assurer régulièrement la promotion commerciale du produit notamment par le référencement à son catalogue, par un plan publicitaire et promotionnel approprié et par la diffusion au travers de son réseau commercial national et international.'

Contestant ce manquement, la société Tecora prétend que le matériel livré par M. [D] aurait dû être, dès la signature du contrat de licence, abouti et prêt à être industrialisé alors qu'elle dû engager des frais considérables de recherche et de développement pour permettre l'aboutissement du produit Oenoscan, affirmant avoir dû notamment retravailler sur l'analyseur de l'appareil du fait du manque de fiabilité de mesures. Elle conteste en outre tout manquement quant à la promotion commerciale du produit.

Les débats d'appel et les pièces soumises à la cour n'apportent aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'exacte appréciation du premier juge selon lequel le contrat prévoyait simplement la mise à disposition par M. [D] d'un prototype de produit appelé à être reproduit par la société Tecora en d'autres prototypes, devant être testés et validés sous l'assistance technique de M. [D] (article 7.2 du contrat de licence d'exploitation relatif aux engagements de M. [D]) et destinés à être industrialisés et commercialisés à grande échelle.

Contrairement à ce que soutient la société Tecora, M. [D] ne s'est en effet aucunement engagé à remettre un produit fini et prêt à être fabriqué au jour de la signature, le préambule du contrat soulignant que 'Des prototypes industriels ont été fabriqués, mis en service dans des châteaux de grande réputation pour des tests grandeur nature lors de plusieurs vendanges' et l'expert judiciaire rappelant à raison que 'le substantif 'PROTOTYPE' se définit comme un exemplaire incomplet et non définitif d'un appareil ou d'une machine destiné à expérimenter les qualités. Il sert à valider le bien fondé d'un concept. La réalisation d'un prototype est une des phases de la conception du produit (...)Le substantif 'PROTOTYPE' exclut par définition la notion de 'produit abouti ou finalisé'.

Comme le rappelle justement le tribunal, le fait que la société Arelco, devenue Tecora, ne considérait pas le produit comme abouti à la date de signature du contrat résulte de la teneur même de ses propres engagements puisque selon l'article 7.1 du contrat :

'Pendant les trois premières années du contrat, Arelco s'engage à :

7.1.1. assurer la maîtrise technologique du produit,

7.1.2. fabriquer et commercialiser des produits d'un niveau de qualité et de sécurité au moins égal à celui des prototypes ayant servi à valider le concept,

(...)

7.1.9. mettre sur le marché au plus tard 10 mois après la signature du présent contrat la version définitive mise au point par ses bureaux d'étude avec l'assistance de M. [D].'

Dès lors, la société Tecora ne peut valablement reprocher à M. [D] les frais de recherche et de développement par elle engagés pour retravailler le prototype, le montant allégué de ces frais (294.157,41 euros) n'étant au demeurant pas justifié, l'expert indiquant sur ce point que 'la société Tecora qui présentait au début des opérations d'expertise une réclamation au titre des frais engagés pour le programme de recherche et développement d'un montant de 351.191,82 euros ramené à 294.147,10 euros n'a justifié à M. [C], sapiteur expert comptable, que la somme de 17.536,27 euros' et la pièce n°3 versée par l'appelante étant dépourvue de tout caractère probant, s'agissant d'un 'listing des coûts R&D du produit Oenoscan' établi par elle, non daté et non certifié par un expert-comptable.

Il résulte en outre des conclusions de l'expert page 106 de son rapport que 'le programme d'industrialisation de l'Oenoscan par Tecora est inexistant, celle-ci n'ayant pas même été en mesure de produire le moindre compte-rendu de tests ou d'essais en laboratoire, pour une étude qui a duré 8 ans de 2005 à 2013".

L'expert explique pages 104 et suivantes de son rapport :

'- Qu'une seule personne au sein de la société Tecora, M. [Y] a mené le programme de recherche et de développement de l'Oenoscan de 2005 à 2009 jusqu'à la commercialisation par l'intermédiaire de la société Rubis Concept.

- Que ce programme qui avait pour finalité de préparer à l'industrialisation du prototype de M. [D] s'est transformé de 2005 à 2009 en une reconception de ce prototype, aux motifs avancés par Tecora que celui-ci n'était pas abouti, présentait des risques de commercialisation par ses défauts et avait un coût de production trop élevé.

- Que ces recherches et développement apparaissent comme une suite d'errements dénoncés par M. [D], dont le conseil technique a formulé des doutes sur la capacité de M. [Y] à mener à bien le projet, et dont Tecora s'est refusé à communiquer le cursus, ont abouti à la réalisation d'un produit qui présente deux vices majeurs de conception, le rendant impropre à l'usage pour lequel il est vendu.

(...)

- Que le prototype de conception et de réalisation par M. [D] dont 6 exemplaires ont été mis en service en 2004, pour tests en grandeur réelle a [Localité 5], étaient mécaniquement fonctionnel en 2014, soit 10 ans après leur installation et ne présentaient aucune défaillance mécanique tel que constaté contradictoirement et reconnu par le laboratoire CETIM intervenu à la demande de Tecora.

- Que la simplicité de conception et d'usinage, la robustesse et la fiabilité dont ont fait preuve les prototypes de ces appareils, objet du contrat d'exploitation de licence, montrent que M. [D] a totalement rempli les obligations que lui imposent le contrat, selon l'analyse technique de celui-ci, contrairement à Tecora'.

Au regard de ces éléments, le tribunal doit être approuvé lorsqu'il note que les difficultés rencontrées par la société Tecora pour mettre au point le produit Oenoscan résultent des seuls choix techniques faits par elle dans le cadre de la reconception complète du prototype de M. [D], laquelle ne s'imposait pas au vu des caractéristiques initiales du produit.

Comme le fait valoir à juste titre l'intimé, il en ressort que la société Tecora n'a pas assuré la maîtrise technologique du matériel ni la commercialisation de produits d'un niveau de qualité et de sécurité au moins égal à celui des prototypes ayant servi à valider le concept, en violation des articles 7.1.1 et 7.1.2 du contrat de licence d'exploitation.

La société Tecora ne justifie pas plus avoir assuré la promotion commerciale du produit telle que prévue à l'article 7.1.5 du contrat. En effet, les seules pièces produites à cet effet, à savoir le point préparation de la campagne 2006, dont rien n'établit qu'elle a été menée à son terme, et la lettre intitulée 'rapport de développement', ne démontrent aucunement la réalité des campagnes alléguées.

Les manquements de la société Tecora à ses obligations découlant de l'article 7.1 du contrat de licence d'exploitation sont donc établis.

Sur le manquement aux obligations découlant de l'article 8 du contrat de licence d'exploitation

M. [D] reproche encore à la société Tecora, anciennement Arelco, le non-respect de l'article 8 du contrat selon lequel 'Arelco s'engage à déclarer annuellement à M. [D] le nombre de toutes les transactions commerciales du produit réalisées en France et à l'étranger, ainsi que le chiffre d'affaires hors taxes ainsi généré, au cours du dernier exercice.

(...)

Arelco versera à M. [D] sur chaque appareil vendu une redevance de 25% du prix de vente du produit sortie usine, hors taxes, ce prix n'incluant pas les frais de port et d'emballage (...)'.

M. [D] expose qu'il n'a jamais perçu la moindre redevance, ni même la moindre rémunération depuis la signature du contrat le 24 mars 2005 alors que des ventes ont été réalisées puisqu'il a indirectement appris que la société Tecora avait vendu 26 produits 'Oenescan' au [Localité 4] pour un prix total de 66.750 euros HT et 32 produits 'Oenescan' au [Localité 6] pour un prix total de 75.486 euros HT, soit la somme globale de 142.236 euros HT.

Si la société Tecora soutient que M. [D] était parfaitement au courant des ventes réalisées, le tribunal doit être approuvé quand il relève que le fait que M. [D] ait pu avoir connaissance des ventes par l'intermédiaire de la société Rubis Concept grâce à ses relations dans le milieu viticole et par la remise de devis, bons de commande et factures par les châteaux acquéreurs de produits 'Oenescan' ne dispensait pas la société Tecora de l'informer officiellement des transactions réalisées conformément à ses obligations contractuelles, ce dont elle ne justifie pas.

De même, la société Tecora ne peut valablement opposer que M. [D], conscient du caractère inachevé de son produit et des importants frais de rechercher et développement par elle engagés, aurait renoncé à réclamer la moindre redevance alors que M. [D] l'a, dès le 15 juillet 2010, mis en demeure par courrier recommandé de lui régler les sommes dues.

La société Tecora a donc là aussi manqué à ses obligations contractuelles.

Sur les conséquences des manquements contractuels de la société Tecora

Sur la résiliation du contrat de licence d'exploitation

Aux termes de l'article 11 du contrat, en cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations découlant du présent contrat, ce dernier pourra être résilié de plein droit par l'autre partie sans qu'il soit besoin de procéder à aucune formalité judiciaire, après mise en demeure notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception non suivie d'exécution dans un délai de 30 jours.

Par courrier recommandé du 15 juillet 2010 avec accusé de réception, M. [D] a mis en demeure la société Tecora de justifier de l'exécution de ses obligations contractuelles et de lui régler les sommes dues au titre des redevances. Ce courrier n'a pas été suivi d'effet.

Dès lors, en application de l'article 1184 ancien du code civil, les manquements de la société Tecora à ses obligations contractuelles, dont la gravité est suffisamment caractérisée au vu des développements ci-avant, justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de licence d'exploitation du 24 mars 2005.

Le jugement sera confirmé de ce chef, étant observé qu'en appel, la société Tecora ne sollicite plus le report de la date d'échéance du contrat compte tenu de la liquidation judiciaire.

Sur la demande dommages et intérêts formée par M. [D]

M. [D] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé sa créance à la procédure de liquidation judiciaire de la société Tecora à la somme de 35.559 euros HT au titre des redevances impayées. Il sera fait droit à cette demande, ladite somme étant calculée par application du pourcentage de 25% stipulé à l'article 8 du contrat de licence au montant total des ventes de produits 'Oenescan' dont les conditions et prix ne sont pas contestées par l'appelante, soit la somme globale de 142.236 euros HT.

M. [D] fait en revanche grief aux premiers juges d'avoir limité sa demande de dommages et intérêts à la somme de 50.000 euros. Il invoque la perte financière subie pendant plus de six années pour un projet qui était prometteur et qui n'a pas abouti du fait de l'inertie de la société Arelco devenue Tecora ainsi que la perte de crédibilité et l'atteinte à sa réputation qui en sont résultées pour lui. Il sollicite une indemnité de 500.000 euros.

La société Tecora conclut au rejet de cette demande, soutenant que M. [D] ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'il allègue.

Sur ce point, les débats d'appel ne permettent pas de remettre en cause l'exacte analyse du premier juge qui, par des motifs particulièrement pertinents qu'il convient d'adopter, a évalué le préjudice de M. [D] à la somme de 50.000 euros. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Tecora

Sur les frais de recherche et des développement

La société Tecora demande la condamnation de M. [D] à rembourser à la liquidation judiciaire la somme de 294.157,41 euros au titre des frais de recherche et de développement par elle engagés compte tenu du caractère inachevé du produit Oenescan.

Or, ainsi qu'il a été vu ci-avant, outre que le montant des frais tel qu'annoncé par la société Tecora n'est nullement justifié, l'engagement de ces frais de recherche et de développement du prototype du produit 'Oenescan' livré par M. [D] faisait partie intégrante de ses obligations contractuelles prévues à l'article 7.1 du contrat.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le remboursement de l'aide payée à la société Oseo Anvar

La société Tecora réclame en outre la somme de 57.034,41 euros qui correspondrait à une aide versée par la société Oseo Anvar à M. [D] et dont elle aurait été contrainte de prendre en charge le remboursement.

L'appelante se borne toutefois à produire un avenant daté du 26 avril 2006 à un contrat non versé aux débats conclu entre la société Oseo Anvar, la société Arelco et la société Inova gérée par M. [D] aux termes duquel la société Oseo Anvar a accordé à la société Inova une aide à l'innovation d'un montant de 70.000 euros dont la somme de 57.034,41 euros avait déjà été versée.

Or, outre que la réalité du paiement de la somme de 57.034,41 euros par la société Arelco devenue Tecora à la société Oseo Anva n'est nullement établie, que M. [D] n'était partie à cette convention qu'en tant que gérant de la société Inova, la société Tecora ne précise pas sur quel fondement juridique la société Inova aurait été tenue de lui rembourser ladite somme.

Faute de démontrer la réalité de sa créance, l'appelante sera déboutée de sa demande et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, la société Tecora représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N], sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La société Tecora représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N] sera condamnée à payer à M. [D] la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Tecora, représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N], à payer à M. [D] la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Tecora représentée par son mandataire liquidateur Me [U] [N] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/04129
Date de la décision : 21/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-21;19.04129 ?
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