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09/06/2022 | FRANCE | N°19/00979

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 09 juin 2022, 19/00979


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------







ARRÊT DU : 09 JUIN 2022







N° RG 19/00979 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K4FN









SARL LE RENAISSANCE PROMOTION





c/



Madame [W] [S] épouse [O]

Monsieur [F] [O]



























Nature de la décision : AU FOND














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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 janvier 2019 (R.G. 18/00174) par la 7ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 20 février 2019





APPELANTE :



LE RENAISSANCE PROMOTION

S.A.R.L au capital de 1 ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 09 JUIN 2022

N° RG 19/00979 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K4FN

SARL LE RENAISSANCE PROMOTION

c/

Madame [W] [S] épouse [O]

Monsieur [F] [O]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 janvier 2019 (R.G. 18/00174) par la 7ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 20 février 2019

APPELANTE :

LE RENAISSANCE PROMOTION

S.A.R.L au capital de 1 000,00 €, immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n° 801 076 050, dont le siège social est [Adresse 3] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistée de Me Vianney LE COQ DE KERLAND de l'AARPI RIVIERE - DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[W] [S] épouse [O]

née le 15 Juin 1977 à [Localité 4]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 2]

[F] [O]

né le 03 Février 1975 à [Localité 5]

de nationalité Française,

demeurant [Localité 6]

Représentés par Me Clarisse CASANOVA de la SCP GUESPIN - CASANOVA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 avril 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Paule POIREL, Président,

Madame Catherine LEQUES, Conseiller,

Madame Isabelle LOUWERSE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique du 5 décembre 2014 établi par Me [V], notaire à [Localité 4], M. [F] [O] et Mme [W] [S] épouse [O] ont acquis en l'état futur d'achèvement de la Sarl Le Renaissance Promotion, une maison en duplex et deux places de stationnement dans un ensemble immobilier dénommé '[Localité 6]' situé [Adresse 1].

Il était contractuellement prévu que le bien devait être livré au plus tard le 31 mars 2016.

L'acte de vente contenait une clause selon laquelle le délai de livraison pouvait être suspendu en cas de force majeure ou cause légitime de suspension de ce délai.

Se plaignant de retard dans la livraison et de la non levée des réserves, M. [F] [O] a, par acte d'huissier du 18 décembre 2017, assigné la Sarl Le Renaissance Promotion devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en paiement de dommages et intérêts au titre du retard de livraison, d'un préjudice de jouissance et de réserves non levées.

Par jugement rendu le 16 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a notamment:

- constaté l'intervention volontaire de Mme [O],

- condamné la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. et Mme [O] la somme de 28.537 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'un retard de livraison de 9 mois et 12 jours,

- débouté la Sarl Le Renaissance Promotion de sa demande d'expertise judiciaire tenant à déterminer l'incidence du retard des entreprises sur la livraison des lots,

- condamné la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. et Mme [O] la somme de 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

- ordonné avant dire-droit une mesure d'expertise judiciaire,

- commis pour y procéder M. [C] [P].

[...]

Le tribunal, après avoir relevé que les défaillances devaient être antérieures à la date de livraison, a écarté les défaillances des entreprises postérieures au 31 mars 2016 pour retenir la défaillance des entreprises ECBR et ICS, comme constitutives d'une cause légitime de suspension du délai de livraison pour une durée de cinq mois ayant couru entre le 19 mai 2015 et le 19 octobre 2015, devant être doublée en application de la stipulation contractuelle, soit un total de 10 mois. Il a ensuite indemnisé M. et Mme [O] de leur préjudice constitué notamment par les frais de logement durant cette période et leur trouble de jouissance soit les sommes de 28'537 euros et 3000 euros.

Par déclaration en date du 20 février 2019, la Sarl Le Renaissance Promotion a relevé appel du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. et Mme [O] la somme de 28 537 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'un retard de livraison de 9 mois et 12 jours et la somme de 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance.

La Sarl Le Renaissance Promotion, dans ses dernières conclusions d'appelante en date du 7 octobre 2019, demande à la cour, au visa des articles 1147 (ancien) du code civil et 122 du code de procédure civile, de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 16 janvier 2019 en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. et Mme [O] la somme de 28 537 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'un retard de livraison de 9 mois et 12 jours;

- réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 16 janvier 2019 en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. et Mme [O] la somme de 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance

Et statuant à nouveau,

- confirmer que le vendeur peut se prévaloir de la clause de report de délai, et en tout état de cause d'un retard de 492 jours, ou à défaut de 10 mois au minimum,

- confirmer que quel que soit le report retenu, celui-ci sera doublé,

- débouter M. et Mme [O] de leur demande d'indemnisation au titre du retard de livraison,

-débouter M. et Mme [O] de leur demande d'indemnisation au titre du préjudice de jouissance,

- débouter M. et Mme [O] de toutes demandes incidentes,

A titre subsidiaire,

- réduire toutes les demandes indemnitaires formulées à de plus justes proportions,

- les condamner au paiement d'une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Vianney LE COQ DE KERLAND, en vertu des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M. et Mme [O], dans leurs dernières conclusions d'intimés en date du 24 mars 2022, demandent à la cour, au visa des articles 1147 ancien, 1150 ancien, 1601-1 et 1170 du code civil, de :

A titre principal,

- confirmer le jugement du 16 janvier 2019 rendu par la 7ème chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire,

- condamner le promoteur la Sarl Le Renaissance Promotion à les indemniser au prorata des 4 mois supplémentaires de retard subis par eux alors que la totalité des autres lots avaient été livrés avec les mêmes entreprises intervenantes, soit à la somme de 14 268,5 euros,

En tout état de cause,

- condamner la société Le Renaissance Promotion à la somme de 2 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- ordonner la compensation des condamnations prononcées à leur profit avec la somme de 29 200 euros actuellement consignée près la Caisse de Dépôt depuis le 10 janvier 2017 en précisant que le jugement à venir permettra la déconsignation de ladite somme au profit des demandeurs principaux à l'action sans autre formalité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2022.

Aux termes de conclusions notifiées le 8 avril 2022 postérieurement à l'ordonnance de clôture et dans lesquelles elle maintient ses prétentions, la Sarl Le Renaissance Promotion demande le rabat de l'ordonnance de clôture et à défaut, le rejet des conclusions notifiées par les intimés le 24 mars 2022.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le rabat de l'ordonnance de clôture.

Lors de l'audience des plaidoiries, avant tout débat au fond, les parties se sont entendues pour révoquer l'ordonnance de clôture avec nouvelle date de clôture à la date des plaidoiries.

La cour n'est saisie que de l'appel de la condamnation de la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. et Mme [O] la somme de 28.357 euros au titre du retard dans la livraison de 9 mois et 12 jours et de la somme 3.000 euros au titre du préjudice de jouissance, appel n'ayant pas été formée de la désignation d'un expert judiciaire en charge d'examiner les désordres allégués par M. et Mme [O].

Sur la validité de la clause de report de la livraison.

Le tribunal, retenant que le principe même de la fixation d'une date de livraison implique d'apprécier le retard de la livraison à la date contractuellement fixée, sauf à priver de toute efficacité la notion de date de livraison et qu'un délai déjà expiré ne peut faire l'objet d'une suspension, a considéré qu'il résultait de l'ensemble des éléments versés aux débats que la Sarl Le Renaissance Promotion justifie d'un retard légitime de suspension du délai de livraison entre le 19 mai 2015 et le 19 octobre 2015 du fait de la défaillance de la société ECBR pour 2 mois et demi, doublés en application du contrat, et de la défaillance de la société ICS pour la même durée, retenant ainsi un retard légitime de livraison de 10 mois et ce, après avoir écarté les défaillances des autres sociétés revendiquées par la Sarl Le Renaissance Promotion dans la mesure où elles sont postérieures à la date de livraison attendue.

La Sarl Le Renaissance Promotion, relevant que le tribunal a retenu l'existence d'un report du délai de livraison de 10 mois tout en faisant intégralement droit à la demande d'indemnisation de M. et Mme [O], sollicite la réformation du jugement en faisant valoir pour l'essentiel que M. et Mme [O] contestant à titre subsidiaire dans leurs écritures la validité de la clause de report, la jurisprudence et la commission des clauses abusives ont validé les clauses doublant les reports de livraison en matière de vente en l'état futur d'achèvement et qu'en l'espèce, l'acte de vente prévoit un report du délai de livraison en cas d'intempéries mais aussi en cas de défaillance d'entreprises. Elle se prévaut essentiellement du retard de la société ECBR, en indiquant que l'architecte relevait le 6 septembre 2016 un retard de livraison de 246 jours, outre les intempéries, pour demander à la cour de retenir un report de 492 jours correspondant au double tel que prévu par la clause de report, hors intempéries, soutenant que les causes légitimes de suspension doivent être appliquées à compter de la date initialement prévue pour la livraison en sorte que le délai est prorogé pour la même durée et qu'en l'espèce, le délai de suspension qui est de 10 mois a minima couvre le retard de livraison qui est de 9 mois et 12 jours.

M. et Mme [O] sollicitent la confirmation du jugement sur ce point. Ils font valoir en premier lieu que le raisonnement suivi par le tribunal concernant l'inapplicabilité de la clause après la date contractuelle de livraison doit être confirmé, seules les causes de suspension antérieures au délai de livraison prévue le 31 mars 2016 devant être retenues, sollicitant que soit retenu un retard de livraison de 8 mois et 12 jours jusqu'au 13 décembre 2016, fin de leur location en Airbnb . Ils estiment que la suspension du délai de livraison doit être calculée à compter du 19 mai 2015, date de la mise en demeure adressée à la société ECBR, en sorte que le retard de livraison n'est pas couvert par la défaillance des entreprises alléguée par la Sarl Le Renaissance Promotion ainsi que l'a jugé à titre le tribunal.

Ils contestent à titre subsidiaire dans leurs écritures l'opposabilité de la clause de report du délai de livraison en soutenant qu'elle doit être réputée non écrite car elle vide de sa substance l'obligation contractuelle de livraison du bien immobilier dans un délai déterminé, celle-ci leur étant inopposable et le retard de livraison de 8 mois étant imputable à la seule Sarl Le Renaissance Promotion, sans formuler de demande à ce titre dans le dispositif de leurs conclusions.

Enfin, ils soutiennent que la preuve de la défaillance des entreprises n'est pas rapportée, dans la mesure où aucun talon d'envoi ni de réception des lettres recommandées n'est produit, étant précisé que les courriers produits par la Sarl Le Renaissance Promotion n'ont jamais été portés à leur connaissance alors que cela constitue une obligation contractuelle. Ils contestent également que les défaillances des entreprises alléguées constituent des causes légitimes de suspension du délai de livraison dans la mesure où celles-ci témoignent en réalité d'une mauvaise gestion du chantier.

***

Aux termes de l'article 1601-1 du code civil, 'la vente d'immeubles à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat. Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement'.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le délai contractuel de livraison était le 31 mars 2016, la livraison ayant eu lieu le 1er décembre 2016.

Bien que M. et Mme [O] ne forment pas de demande relative à l'inopposabilité de la clause de suspension de la livraison dans le dispositif de leurs conclusions et cette argumentation n'étant soulevée qu'à titre subsidiaire, il convient, le caractère abusif d'une clause contractuelle d'ordre public pouvant être relevé d'office par la cour et étant sans intérêt de l'examiner après qu'ait été abordée la demande d'indemnisation de M. et Mme [O] pour le retard dans la livraison à laquelle s'oppose la Sarl Le Renaissance Promotion en se prévalant de l'application de cette clause, d'examiner en premier lieu la question de la validité d'une telle clause.

L'article 1170 du code civil dispose que 'toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite'. Si cette disposition légale à laquelle se réfèrent M. et Mme [O] a été introduite dans le code civil par l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, celle-ci reprend néanmoins la jurisprudence établie selon laquelle est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur.

Aux termes de l'acte de vente, la clause relative intitulée 'conditions d'exécution des travaux - tolérances - délai - causes légitime de suspension du délai de livraison' est libellée comme suit:

'...Délai :

Le vendeur s'oblige à mener les travaux de telle manière que les ouvrages et les éléments d'équipement nécessaires à l'utilisation des biens vendus soient achevés et livrés au plus tard dans le délai fixé ci-dessus sauf survenance d'un cas de force majeure ou de suspension du délai de livraison.

Causes légitimes de suspension du délai de livraison :

Pour l'application de cette disposition, sont notamment considérés comme causes légitimes de report de délai de livraison, les évènements suivants :

- intempéries

- grève générale ou partielle affectant le chantier ou les fournisseurs

- retard résultant de la liquidation des biens, l'admission au régime du règlement judiciaire, du redressement judiciaire, de la liquidation judiciaire ou la déconfiture des ou de l'une des entreprises ou de leurs sous-traitants (si la faillite ou l'admission au régime du règlement judiciaire survient dans le délai de réalisation du chantier et postérieurement à la constatation du retard, la présente clause produira quand même tous ses effets)

- retard provenant de la défaillance d'une entreprise (la justification de la défaillance pouvant être fourni par la société demanderesse à l'acquéreur, au moyen de la production du double de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par le maître d''uvre du chantier à l'entrepreneur défaillant).

- retard entraîné par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante et à l'approvisionnement du chantier par celle-ci.

- retard provenant d'anomalies du sous-sol ...

- injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou d'arrêter les travaux ...

- troubles résultant d'hostilités, cataclysmes, accidents de chantier.

- retards imputables aux compagnies cessionnaires (EDF, GDF, PTT, COMPAGNIE DES EAUX etc')

- retard de paiement de l'acquéreur tant en ce qui concerne la partie principale que les intérêts de retard et les éventuels travaux supplémentaires ou modificatifs que le vendeur auraient accepté de réaliser .

Ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leurs répercussions sur l'organisation générale du chantier.

Dans un tel cas, la justification de la survenance de l'une de ces circonstances sera apportée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du maître d''uvre.

Le tout sous réserve des dispositions des articles L.261-11 du code de la construction et de l'habitation et 1184 du Code civil.'

Il s'agit donc d'une clause comportant 12 causes de suspension, énumérées à titre indicatif puisqu'elles ne sont pas limitatives.

Il est de jurisprudence établie que la clause d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui stipule qu'en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du maître d'oeuvre, la livraison du bien vendu sera retardée d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leurs répercussions sur l'organisation générale du chantier n'a ni pour objet ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n'est pas abusive (Civ. 3ème, 23 mai 2019, n° 18-14.212).

M. et Mme [O] affirment que la clause est abusive car elle comprend 12 causes de suspension, indiquées à titre indicatif puisque la clause n'est pas limitative et qu'elle a ainsi pour effet de priver le délai de livraison de tout caractère contraignant, le vendeur pouvant invoquer n'importe quelle cause de suspension du délai, le contrat de vente étant ainsi vidé de son obligation essentielle.

Cependant, outre qu'ils ne démontrent pas en quoi la clause priverait le délai de livraison de tout effet contraignant, se contentant de l'affirmer, il apparaît que la clause ne contredit pas la clause générale relative à la date de livraison mais précise les conditions d'application du report du délai de livraison dont les causes doivent être extérieures à la société Le Renaissance Promotion devant être prouvées par une attestation du maître d''uvre ayant la direction des travaux, tiers au contrat de vente.

Il doit être observé que la clause de suspension du délai de livraison assimile les causes légitimes de suspension du délai de livraison à la force majeure, ce dont il se déduit que les causes invoquées doivent revêtir une certaine gravité et être totalement indépendantes de la volonté du vendeur, ce qui ne lui permet pas ainsi que l'affirment M. et Mme [O] d'invoquer n'importe quelle cause de suspension et d'échapper ainsi à une date impérative de livraison.

La demande tendant à voir déclarer réputée non écrite la clause susvisée doit donc être rejetée.

Sur les causes légitimes de suspension.

La Sarl Le Renaissance Promotion se prévaut comme causes légitimes de suspension du délai de livraison d'une part de la défaillance des entreprises ICS, Bruzaille, [G] et ECBR, justifiée par une lettre de l'architecte faisant état d'un report de livraison de 246 jours outre les intempéries, sollicitant ainsi en faisant application du doublement du délai que le report soit fixé à 492 jours, d'autre part du retard de paiement des acquéreurs entraînant un report de deux mois, soit après doublement un report de quatre mois et observant que contrairement à qu'a jugé le tribunal, les causes de suspension postérieures au délai de livraison doivent être prises en compte. Elle demande ainsi que le report de livraison soit fixé a minima à 10 mois, et que la livraison ayant eu lieu le 1er décembre au lieu du 31 mars 2016, le retard est couvert aucune somme n'étant due au titre du retard dans la livraison.

M. et Mme [O] contestent que la preuve de la défaillance des entreprises soit rapportée, les difficultés évoquées dans les lettres de l'architecte relevant de la gestion normale d'un chantier, soutenant notamment que les courriers de la société ECBR attestent de la mauvaise organisation du chantier et du retard dans le paiement des factures des entreprises, de même qu'ils contestent les retards de paiement allégués par la Sarl Le Renaissance Promotion.

Il appartient à la cour d'apprécier la légitimité des causes de retard invoquées par le vendeur en vente en l'état futur d'achèvement étant précisé que le vendeur en l'état futur d'achèvement ne peut faire état de la force majeure ou de la cause légitime que dans la mesure où l'origine de la suspension des travaux ne résulte pas de fautes ou négligences qui lui soient imputables.

La Sarl Le Renaissance Promotion invoque les causes de suspensions suivantes :

1) la défaillance de la société ECBR : selon une lettre du cabinet d'architecte [H], maître d'oeuvre, du 6 septembre 2016, le retard de livraison de la maison 4 correspondant à celle de M. et Mme [O] est de 225 jours, précisant que 'toutes les entreprises devant intervenir sur la maison 4 savent ce que ce qu'elles ont à faire mais aucune ne bouge malgré nos différentes relances'.

Le courrier recommandé avec accusé de réception a été adressé à cette entreprise par le cabinet d'architecte aux termes duquel il lui était demandé de mettre en 'uvre les moyens nécessaires afin d'achever les travaux de gros 'uvre le 15 juin 2015 et d'être présent à la prochaine réunion de chantier ainsi que d'exposer par retour de courrier les moyens et la méthodologie de travail qu'elle compte mettre en place pour respecter ses échéances, précisant que le retard actuel n'avait pas encore d'impact sur les autres entreprises et que ce n'est qu'à partir du 15 juin 2015 que de nombreux autres entreprises devaient intervenir.

Par un second courrier recommandé avec AR du 21 mai 2015, le cabinet d'architecte notifiait à l'entreprise ECBR que celle-ci l'avait obligé à recaler le planning des entreprises. Par courrier recommandé avec AR du 20 juillet 2015, le cabinet d'architecte lui notifiait l'application des pénalités de retard prévu au cahier des clauses générales pour 30 jours de retard. Enfin, par un courrier recommandé avec AR du 29 janvier 2016, il était fait état d'un retard de 225 jours entraînant des pénalités de retard du même montant.

L'envoi de ces différents courriers en recommandé avec avis de réception est contesté à tort par M. et Mme [O], ceux-ci produisant eux-mêmes certains courriers de réponse de l'entreprise ECBR laquelle évoque dans son courrier du 1er juin 2015 le courrier du 29 mai 2015 puis dans son courrier du 30 juillet 2015 le courrier recommandé du maître d''uvre du 22 juillet 2015 rapportant ainsi la preuve de l'envoi de ces courriers en recommandé. De nombreux échanges de courriers ont eu lieu, dans lesquels la société ECBR évoque le retard de démarrage de son chantier lequel a débuté fin février 2015 au lieu de début janvier 2015 retard dont elle conteste l'imputabilité, outre divers retards de paiement, ayant adressé une mise en demeure recommandée à la société Le Renaissance Promotion le 1er octobre 2015 pour un montant de 53'096,27 euros correspondant aux situations des 24 juillet et 21 août 2015.

Le compte-rendu de chantier du 19 mai 2016 reprend les retards reprochés aux entreprise et notamment celui imputé à ECBR de 225 jours pour l'achèvement du gros-oeuvre.

2) l'entreprise ICS : il ressort de la lettre recommandée avec AR adressée à l'entreprise ICS par le maître d'oeuvre le 28 septembre 2015 que celle-ci a été mise en demeure d'apporter une solution aux différents problèmes évoqués dans le courrier consistant en des difficultés dans l'avancée et l'exécution des travaux, le maître d'oeuvre faisant état d'un retard de 21 jours et de pénalités de retard à reporter sur la prochaine situation.

Si le retard est admis par la clause invoquée comme cause légitime de suspension du délai de livraison, celle-ci doit toutefois correspondre à une véritable défaillance de l'entreprise. Le simple retard, fut-il prolongé, ne peut être assimilé à la défaillance de l'entreprise que si celui-ci a entraîné la nécessité pour le vendeur de résilier le marché confié à cette entreprise et de rechercher une entreprise de substitution, après mise en demeure de l'entreprise concernée de terminer ses travaux. Tel n'est pas le cas en l'espèce, la société ECBR ayant été mise en demeure de poursuivre les travaux et de s'organiser de façon à résorber son retard, de même que la société ICS, mise en demeure le 13 août 2015 de 'prendre en charge ce chantier sérieusement'et menacée d'application des pénalités de retard, ces pénalités lui ayant été notifiées par courrier du 28 septembre 2015 mais un courrier du 13 novembre 2015 lui demandait à nouveau de mettre en 'uvre tous les moyens humains et matériels pour finir certaines tâches au 19 novembre 2015 sans faire état de telles pénalités. Il doit en outre être relevé que la Sarl Le Renaissance Promotion ne fournit pas le décompte général définitif qui validerait l'application de pénalités de retard et leur acceptation par l'entrepreneur, la preuve n'étant pas rapportée qu'elles ont été réellement appliquées. Il en est de même pour l'entreprise [G]

La défaillance des entreprises ECBR et ICS n'est donc pas établie en sorte que leur retard ne peuvent constituer une cause légitime de suspension du délai de livraison.

S'agissant de l'entreprise Bruzailles, une mise en demeure de reprendre le chantier qu'elle a abandonné lui a été adressée le 31 mars 2016 , une seconde mise en demeure lui notifiant la résiliation du chantier lui ayant été adressée le 5 avril 2016. Cette mise en demeure constatant la défaillance de l'entreprise est cependant postérieure à la date de livraison prévue pour le 31 mars 2016 laquelle n'a été reporté par aucune cause légitime de suspension du délai de livraison, le retard provoqué par la défaillance de cette entreprise ne pouvant être retenu comme cause légitime de suspension de la livraison.

Il en est de même pour l'entreprise [G] à qui, par courrier recommandé avec AR du 6 septembre 2016, le maître d'oeuvre demandait de terminer les ouvertures de la maison 4 ainsi qu'il lui avait été notifié le 30 mai 2016, ce courrier postérieur à la date de livraison au 31 mars 2016 ne prouvant en outre pas la défaillance de l'entreprise.

Le retard des entreprises n'est donc pas constitutif de causes légitimes de suspension du délai de livraison, le tribunal ne pouvant être suivi en ce qu'il a retenu le retard des entreprises ECBR et ICS.

- le retard de paiement des acquéreurs.

La Sarl Le Renaissance Promotion sollicite enfin comme cause légitime de suspension du délai de livraison le retard de paiement des acquéreurs, expliquant que M. et Mme [O] ont accusé plusieurs retards de paiement, tous les appels de fond ayant été payés avec au moins un mois de retard, chiffrant à deux mois le report contractuel soit après doublement un report de quatre mois.

Elle produit à cet égard une attestation d'appels de fonds en date du 8 novembre 2018 laquelle comporte les dates d'appels de fonds et les dates de règlement qui font ressortir que tous les appels de fonds ont été réglés dans un délai maximum de 26 jours, tous les règlements n'ayant pas été effectués dans les quinze jours prévus à l'acte de vente. Cependant, la preuve n'est pas rapportée par le vendeur que la réalisation des événements dont dépend l'exigibilité des fractions du prix stipulées payables à terme lui a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception tel que prévu à l'acte de vente à la clause 'les dispositions relatives aux fractions du prix payable à terme' en sorte que la SARL Le Renaissance Promotion ne peut se prévaloir d'aucun retard de paiement.

En conséquence, la preuve d'aucun événement susceptible de constituer une cause légitime de suspension du délai de livraison n'est rapportée en sorte que, le bien ayant été livré le 1er décembre 2016, avec huit mois de retard, M. et Mme [O] sont bien fondés à réclamer la réparation du préjudice qui est résulté pour eux de l'inexécution du contrat sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil.

Sur les préjudices de M. et Mme [O].

Le tribunal a fait droit à la demande de M. et Mme [O] et a condamné la Sarl Le Renaissance Promotion au paiement d'une indemnité de 28 537 euros au titre du report de livraison de leurs lots, cette somme correspondant aux loyers du logement en Air Bnb qu'ils ont été contraints de supporter dans l'attente de la livraison de leur maison, des frais de garde-meubles ainsi que des intérêts intercalaires à hauteur de 5 446 euros.

M. et Mme [O] demandent la confirmation du jugement tandis que la Sarl Le Renaissance Promotion fait valoir que la preuve n'est pas rapportée des frais de relogement et s'agissant des intérêts intercalaires, que ces intérêts sont issus d'un contrat de prêt auquel elle est étrangère, par application du principe de l'effet relatif des conventions et qu'elle n'a pas à les rembourser.

1 - sur le préjudice financier.

- sur les frais de relogement.

M. et Mme [O] produisent au soutien de leur demande des reçus à leur nom de frais de logement en AirBnb à [Localité 4] pour la période d'avril à novembre 2016, correspondant donc précisement à la période de retard de la livraison durant laquelle ils ont été dans l'obligation de se loger alors qu'ils auraient dû pouvoir s'installer dans le bien acquis, pour un montant total de 19135 euros. Aucune ambiguïté n'existe quant à ces pièces justificatives ainsi que le soutient la Sarl Le Renaissance Promotion, celles-ci étant des reçus, portant la mention 'réservé par [W] [O]' justifiant des paiements qu'ils ont effectués ne pouvant nullement être confondus avec des sommes reçues par eux. Leur demande à ce titre est donc bien fondée à hauteur de 19.135 euros.

Ils produisent ensuite des factures de frais de garde-meubles pour la même période pour un montant total de 2386,56 euros et de location de véhicule utilitaire également en lien avec le retard de livraison, soit un total de 21.521,56 euros, les frais d'abonnement à Internet qu'ils auraient dû régler de toute façon n'étant pas justifiés.

Leur demande est donc justifiée à hauteur de ce montant.

- sur les intérêts intercalaires.

Il ressort du tableau d'amortissement versé aux débats par M. et Mme [O] que des intérêts ont été comptabilisés pour la période du mois d'avril au mois de mai 2016, la première échéance de remboursement ayant été prélevée au mois de décembre 2016, c'est-à-dire une fois le bien délivré. Bien que le contrat de prêt ne soit pas produit, les explications de M. et Mme [O] selon lesquelles ils se sont acquittés d'intérêts intercalaires à compter de la signature du prêt et jusqu'à la date prévue pour la livraison c'est-à-dire au 31 mars 2016 date théorique de livraison période pour laquelle il ne réclame rien, l'amortissement du prêt ayant été décalé de neuf mois période pendant laquelle des intérêts intercalaires supplémentaires ont été payés par eux sont confirmées par le tableau d'amortissement versé au dossier qui fait ressortir que l'amortissement du prêt ne débute au mois de janvier 2017 et correspondent à la pratique en matière de vente en l'état futur d'achèvement dans laquelle les intérêts intercalaires s'appliquent jusqu'à la réception du logement.

La Sarl Le Renaissance Promotion ne conteste pas sérieusement ces explications, l'article 1150 du code civil ayant été justement écarté par le tribunal dans la mesure où, si le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, l'acte de vente faisant expressément référence au contrat de prêt et à la date de livraison, ces dommages-intérêts étaient prévisibles.

Il sera fait droit à la demande en paiement d'une somme de 5446 euros à ce titre.

La Sarl Le Renaissance Promotion sera donc condamnée au paiement de la somme totale de 26.967,56 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi par M. et Mme [O], le jugement étant infirmé en ce qu'il a fixé le montant de cette condamnation à la somme de 28'537 euros.

2 - sur le préjudice de jouissance

M. et Mme [O] ont été privés du mois d'avril au mois de décembre 2016 du bien acquis auprès de la Sarl Le Renaissance Promotion, ayant été dans l'obligation de se loger en appartement meublé, ce dont il est résulté un préjudice de jouissance que le tribunal a justement chiffré à 3000 euros. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de compensation.

M. et Mme [O] demandent que soit ordonnée la compensation des condamnations prononcées à leur profit avec la somme de 29'200 euros actuellement consignée auprès de la caisse des dépôts depuis le 10 janvier 2017 en précisant que le jugement à venir permettra la déconsignation de ladite somme à leur profit.

Il ressort de l'ordonnance de référé en date du 2 janvier 2017 aux termes de laquelle la Sarl Le Renaissance Promotion a été condamnée à livrer le bien acquis à M. et Mme [O] dans les huit jours suivant la signification de l'ordonnance, que M. et Mme [O] ont été autorisés à consigner la somme de 28'400 euros correspondant à 5 % du prix de vente sur le compte séquestre du bâtonnier de l'ordre des avocats en garantie des dommages et intérêts éventuels consécutifs au retard de livraison. Il est justifié de la consignation par la production de la déclaration de consignation pour un montant de 29200 euros, laquelle mentionne que la déconsignation sera effectuée à la levée des réserves formulées par le constructeur. Une instance étant en cours entre les parties sur les réserves formulées par M. et Mme [O], la demande de compensation n'apparaît pas justifiée et doit être rejetée.

Sur les mesures accessoires.

Partie perdante, la Sarl Le Renaissance Promotion sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à M. et Mme [O].

Par ces motifs,

Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture et fixe celle-ci au jour des plaidoiries,

Infirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a condamné la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. [F] [O] et Mme [W] [S] épouse [O] une somme de 28.537 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du retard de livraison de 9 mois et 12 jours,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. [F] [O] et Mme [W] [S] épouse [O] la somme de 26.967,56 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du retard de livraison,

Dit n'y avoir lieu à compensation,

Confirme pour le surplus des chefs déférés,

Condamne la Sarl Le Renaissance Promotion à payer à M. [F] [O] et Mme [W] [S] épouse [O] une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Sarl Le Renaissance Promotion aux dépens

La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/00979
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;19.00979 ?
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