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31/05/2022 | FRANCE | N°20/00097

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 3ème chambre famille, 31 mai 2022, 20/00097


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



TROISIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 31 MAI 2022









N° RG 20/00097 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LMW4









LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX



c/



[S] [P]



















Nature de la décision : AU FOND







10A



Grosse délivrée le :



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APPELANT :



LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX,

Palais...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 31 MAI 2022

N° RG 20/00097 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LMW4

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX

c/

[S] [P]

Nature de la décision : AU FOND

10A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 octobre 2019 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (cabinet 2, RG n° 17/1294) suivant déclaration d'appel du 07 janvier 2020

APPELANT :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX,

Palais de Justice - Place de la République - CS11385 - 33077 BORDEAUX CEDEX

représenté par Monsieur Xavier CHAVIGNE, Avoat Général

INTIMÉE :

[S] [P]

née le 16 Juillet 1997 à ANTETEZAMBARO TOAMASINA (MADAG

de nationalité Française, demeurant 375 Cours de la Somme - 33800 BORDEAUX

Représentée par Me Marie-Laure BOST, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 avril 2022 hors la présence du public, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Florence CHANVRIT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [S] [P], née [T] le 16 juillet 1997 à Toamasina (Madagascar), fille de Mme [B] [F] [R], s'est vue délivrer un certificat de nationalité française n°3116/2003 le 8 octobre 2003, par le greffier en chef du tribunal d'instance de Bordeaux, sur le fondement de l'article 18 du code civil, en raison de son lien de filiation avec M. [E] [P] né le 18 février 1960 à Bordeaux, lequel a reconnu Mme [S] [P] le 23 mai 2001 à la mairie de Talence.

Le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux a, par acte d'huissier en date du 1er février 2017, assigné Mme [P] aux fins de voir juger que le certificat de nationalité délivré à Mme [P] l'a été à tort et qu'elle n'a pas la nationalité française.

Par jugement en date du 10 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- constaté que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées,

- dit que l'action en contestation engagée par le Ministère Public n'est pas prescrite,

- rejeté la demande du Ministère Public tendant à voir dire que le certificat de nationalité n°3116/2003, délivré le 8 octobre 2003 par le greffier en chef du tribunal d'instance de BORDEAUX l'a été à tort,

- rejeté toutes autres demandes,

- ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- dit que les dépens seront à la charge de l'Etat.

Procédure d'appel:

Par déclaration en date du 9 janvier 2020, le Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bordeaux a formé appel du jugement en ce qu'il a notamment rejeté la demande du Ministère Public tendant à voir dire que le certificat de nationalité délivré à Mme [P] l'a été à tort.

Selon dernières conclusions en date du 6 avril 2020, le Procureur Général demande à la cour de:

- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

- infirmer le jugement de première instance,

- dire que le certificat de nationalité française n°3116/2003 délivré par le tribunal d'instance de Bordeaux le 8 octobre 2003 l'a été à tort, estimant que l'acte de naissance de Mme [P] est apocryphe,

- dire que Mme [P] se disant née le 16 juillet 1997 à Toamasina (Madagascar) n'est pas française,

- ordonner la mention prévue par les articles 28 du code civil, 1059 du code de procédure civile, et le décret n°65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central au ministère des affaires étrangères.

Selon dernières conclusions en date du 30 juin 2020, Mme [P] demande à la cour de:

- confirmer le jugement dont appel :

- rejeter la demande du Ministère Public tendant à voir dire que le certificat de nationalité n°3116/2003 délivré le 8 octobre 2003 par le greffier en chef du tribunal d'instance de Bordeaux l'a été à tort,

- ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil,

- condamner M. le Procureur Général près la Cour d'appel de Bordeaux au paiement de la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2022. L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 12 avril 2022 et mise en délibéré au 31 mai 2022.

MOTIVATION

Il est précisé à titre liminaire que les formalités prescrites par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées, le Ministère public indiquant que le récépissé a été délivré le 27 mai 2020.

Sur la contestation du certificat de nationalité :

En application des dispositions de l'article 18 du Code civil, est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.

En application des dispositions de l'article 30 alinéa 2 du Code civil, la charge de la preuve incombe au Ministère Public qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

Aux termes de l'article 31-2 du Code civil, le certificat de nationalité délivré par le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire fait foi jusqu'à preuve du contraire.

Il appartient en conséquence au Ministère Public de rapporter la preuve que le certificat de nationalité délivré à à Mme [P] le 8 otobre 2003 l'a été à tort.

L'article 47 du Code civil précise que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

En l'espèce, le Ministère Public prétend que l'acte de naissance de Mme [P] est un acte apocryphe en raison des contradictions constatées entre le courrier du 19 mai 2006 de l'officier de l'état civil de la commune d'Antetezambaro adressé au Consulat Général de France et les attestations établies en 2016, produites par l'intimée comme émanant de l'officier d'état civil de la mairie d'Antetezambaro.

En effet, le Ministère Public fait valoir que l'attestation du 18 juillet 2016 produite en premier lieu par l'intimée indique que le registre devant contenir l'acte de naissance de Mme [P] a été détruit par une catastrophe, sans préciser sa date, et l'attestation du 8 janvier 2016, produite en second lieu, indique que l'acte de naissance a été détruit par le cyclone Kenisy du 11 mai 2002, sans préciser le numéro ni la date de l'acte, alors que le courrier du 19 mai 2006 de l'officier de l'état civil de la commune d'Antetezambaro indiquait que l'acte de naissance n°426 de l'année 1997 n'existe pas dans le livre de l'état civil.

Le Ministère Public relève en outre des discordances dans la présentation des entêtes des deux attestations alors qu'elles émanent à quelques mois d'intervalle du même officier d'état civil.

Le Procureur Général fait valoir par ailleurs que le jugement du 19 octobre 2016 ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance de Mme [P] n'est pas opposable en France du fait de sa contrariété à l'ordre public, en ce qu'il ne mentionne pas que le Ministère Public aurait eu connaissance de la cause ; que le jugement du 20 février 2019 présenté comme jugement rectificatif du jugement du 19 octobre 2016, vise dans son dispositif un jugement du 19 octobre 2018 et que cette erreur empêche nécessairement sa transcription, que Mme [P] ne justifie pas du caractère définitif du jugement rectificatif et qu'en outre, le jugement de reconstitution ne mentionne pas sur quel registre et en marge de quels actes il doit être mentionné.

Enfin, le Ministère Public prétend que l'acte de naissance reconstitué comporte des indications supplémentaires par rapport au dispositif du jugement, de sorte que les conditions de sa transcription sont douteuses.

En réplique, Mme [P] soutient que son acte de naissance a bien existé mais a été détruit lors d'une catastrophe naturelle en 2002, ce qui est confirmé par les deux attestations qu'elle attribue à l'officier de l'état civil de la mairie d'Antetezambaro. Elle estime également que l'absence de précisions notamment sur la date de l'évènement et l'absence de référence au cyclone dans le courrier adressé au Consulat de France ainsi que le changement de présentation des entêtes ne sont pas de nature à remettre en cause l'authenticité de ces attestations.

En outre, Mme [P] fait valoir que rien ne s'oppose à l'application en France du jugement du 19 octobre 2016 puisque aucun appel n'a été interjeté, qu'elle a obtenu un jugement rectificatif en y incluant le visa du Ministère Public, qu'elle est dans l'attente de la rectification matérielle dans le dispositif et du certificat de non-appel et qu'en outre, le jugement précise bien sur quel registre et en marge de quels actes il doit être mentionné.

Enfin, Mme [P] précise que l'acte de naissance reprend bien le dispositif du jugement en y ajoutant uniquement le lien de filiation maternelle.

Il convient toutefois de relever que, dans le cadre des vérifications opérées par le Consulat général de France relatives à une demande de transcription en 2005, celui-ci a sollicité auprès de la mairie de la commune rurale d'Antetezambaro la copie de l'acte de naissance n°426 de l'année 1997. En réponse, l'officier d'état civil de la mairie d'Antetezambaro a indiqué dans un courrier du 19 mai 2006 que l'acte de naissance n°426 de l'année 1997 n'existait pas. Le Consulat Général de France a donc refusé de transcrire l'acte de naissance de Mme [P], comme l'indique le courrier du 25 janvier 2016 adressé au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nantes.

Ainsi, les contradictions relevées entre le courrier officiel du 19 mai 2006 et les attestations du 8 janvier 2016 et du 18 juillet 2016, au-delà des différences constatées quant au contenu et à l'entête des attestations, interrogent la cour sur l'authenticité de leur auteur et sont suffisantes à remettre en cause la valeur probante de celles-ci.

Il en résulte que l'acte de naissance de Mme [P], sur la base duquel a été délivré le certificat de nationalité, ne peut avoir force probante au sens de l'article 47 du code civil.

Mme [P] oppose ensuite avoir formé une requête en reconstitution de son acte d'état civil auquel il a été fait droit, suivant jugement rendu le 19 octobre 2016 par le tribunal de première instance de Toamasina.

En application de l'article 49 de la loi malgache du 9 octobre 1961 relative aux actes de l'état civil et de l'article 39 bis du code de procédure civile malgache, la requête en reconstitution des actes d'état civil doit être communiquée au ministère public.

Par ailleurs, la convention franco-malgache du 4 juin 1973 relative à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires prévoit que les expéditions des décisions des tribunaux malgaches sont admises en France sans légalisation sous réserve notamment de ne pas être contraire à l'ordre public français et de ne pas avoir fait l'objet d'un recours.

En application de l'article 462 du Code de procédure civile, la décision rectificative a, quant aux voies de recours, le même caractère et est soumise aux mêmes règles que la décision rectifiée.

En l'espèce, l'absence de mention relative au Ministère Public a été rectifiée par jugement rectificatif du 20 février 2019.

Cependant, si Mme [P] produit un certificat de non-recours concernant le jugement du 19 octobre 2016, elle n'en produit aucun concernant le jugement rectificatif du 20 février 2019 et ne produit pas davantage une nouvelle expédition du jugement rectifié et sa transcription sur l'acte de naissance reconstitué.

Faute de justifier du caractère définitif du jugement, la cour ne peut que relever la contradiction du jugement à l'ordre public procédural français pour écarter la reconnaissance en France de cette décision judiciaire.

De surcroît, la loi du 9 octobre 1961 relative aux actes de l'état civil en matière de reconstitution dispose que le dispositif du jugement doit préciser sur quel registre et en marge de quels actes il devra être mentionné.

Le dispositif du jugement du 19 octobre 2016 indique uniquement que l'acte de naissance devra être inscrit dans un registre d'état civil tenu par la commune rurale d'Antetezambaro, sans préciser en marge de quels actes le jugement devra être mentionné.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le jugement du 19 octobre 2016 et l'acte de naissance reconstitué du 14 février 2017, en ce qu'ils contreviennent aux dispositions susvisées, ne peuvent pas produire effet en France, sans qu'il soit utile d'examiner davantage le contenu de l'acte de naissance reconstitué ni de répondre aux moyens invoqués par Mme [P] relatifs à l'établissement de sa filiation paternelle à l'égard de M. [P].

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement rendu le 10 octobre 2019 par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a rejeté la demande du Ministère Public et, statuant à nouveau, de :

- dire que le certificat de nationalité délivré le 8 octobre 2003 par le tribunal d'instance de Bordeaux à Mme [P], l'a été à tort,

- dire que Mme [S] [P], se disant née le 16 juillet 1997 à Toamasina (Madagascar) n'est pas française,

- ordonner qu'il soit fait mention de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 28 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

En application de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

Mme [P] qui succombe est condamnée aux entiers dépens de l'appel, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Mme [P] est en outre déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

RAPPELLE que les formalités prescrites par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées, ;

INFIRME le jugement en date du 10 octobre 2019 rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a rejeté la demande du Ministère Public tendant à voir dire que le certificat de nationalité n°3116/2003, délivré le 8 octobre 2003 par le greffier en chef du tribunal d'instance de Bordeaux, l'a été à tort ;

Statuant à nouveau,

DIT que le certificat de nationalité française n°3116/2003 délivré à Mme [P] par le tribunal d'instance de Bordeaux le 8 octobre 2003 l'a été à tort ;

DIT que Mme [S] [P], se disant née [T] le 16 juillet 1997 à Toamasina (Madagascar), n'est pas française ;

ORDONNE qu'il soit fait mention de la présente décision conformément aux dispositions de l'article 28 du code civil ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [P] aux dépens de l'appel, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

DEBOUTE Mme [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Hélène MORNET, Présidente de chambre et par Florence CHANVRIT, Adjointe Administrative principale faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 20/00097
Date de la décision : 31/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-31;20.00097 ?
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