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26/11/2020 | FRANCE | N°18/03707

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 26 novembre 2020, 18/03707


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



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ARRÊT DU : 26 NOVEMBRE 2020



(Rédacteur : Monsieur Hervé Ballereau, conseiller)



SÉCURITÉ SOCIALE



N° RG 18/03707 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KQEH





















Monsieur [E] [N]



c/

Société VEOLIA PROPRETE AQUITAINE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE








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Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Gre...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 26 NOVEMBRE 2020

(Rédacteur : Monsieur Hervé Ballereau, conseiller)

SÉCURITÉ SOCIALE

N° RG 18/03707 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KQEH

Monsieur [E] [N]

c/

Société VEOLIA PROPRETE AQUITAINE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 mai 2018 (R.G. n°20141583) par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GIRONDE, suivant déclaration d'appel du 26 juin 2018,

APPELANT :

Monsieur [E] [N]

né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 5], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON - MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

Société VEOLIA PROPRETE AQUITAINE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentée par Me MOUTEL substituant Me Emmanuelle SAPENE, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE, prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 3]

représentée par Me BANQUY substituant Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 7 octobre 2020 en audience publique, devant Madame Marie-Luce Grandemange, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Monsieur Hervé Ballereau, conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Luce Grandemange, présidente,

Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère

Monsieur Hervé Ballereau, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La société Veolia Propreté Aquitaine a employé M. [N] en qualité de manutentionnaire.

Le 11 juin 2010, la société Veolia Propreté Aquitaine a établi une déclaration d'accident du travail, survenu le jour même, dans les termes suivants : 'M. [N] a reçu un morceau de ferraille au niveau du visage et du corps entraînant une plaie importante à la tête et des douleurs au thorax'.

Le certificat médical initial, établi le 12 juin 2010, mentionnait un 'traumatisme crânien sévère avec hématome extradural et sous dural'.

Par décision du 8 juillet 2010, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.

Le 19 août 2014, M. [N] a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Gironde aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société Veolia Propreté Aquitaine dans la survenance de son accident du travail.

L'état de santé de M. [N] a été déclaré consolidé au 7 mai 2016, avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 20% et d'une rente trimestrielle de 575,86 euros.

Par décision du 9 décembre 2016, le tribunal du contentieux de l'incapacité a déclaré le taux d'incapacité permanente partielle de 20% inopposable à la société Veolia Propreté Service.

Par jugement mixte du 15 décembre 2016, le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Gironde a :

jugé que l'accident du travail dont M. [N] a été victime le 11 juin 2010 est dû à la faute inexcusable de la société Veolia Propreté Aquitaine,

jugé que la rente servie par la caisse en application de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale sera majorée à son montant maximum et que la majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué,

avant dire droit, sur la liquidation des préjudices subis par M. [N], ordonné une expertise médicale et désigné pour y procéder le Dr [R],

jugé que la caisse fera l'avance des frais d'expertise,

alloué à M. [N] une provision d'un montant de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

jugé que la caisse versera directement à M. [N] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation complémentaire,

jugé que la caisse pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, de la provision et du capital représentatif de la majoration de la rente accordés à M. [N] à l'encontre de la société Veolia Propreté Aquitaine et condamné cette dernière à ce titre ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise,

condamné la société Veolia Propreté Aquitaine à verser à M. [N] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

jugé n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.

Le Dr [R] a remis son rapport le 11 juillet 2017.

Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Gironde a :

fixé l'indemnisation complémentaire de M. [N] comme suit :

35 000 euros au titre des souffrances endurées,

7 500 euros au titre du préjudice esthétique,

9 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

41 177,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

19 908 euros au titre de l'assistance par une tierce personne,

15 000 euros au titre du préjudice sexuel,

1 915 euros au titre des frais d'assistance à expertise,

rejeté la demande formulée par M. [N] au titre d'un préjudice d'établissement,

jugé que la caisse versera directement à M. [N] les sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire, après avoir déduit la provision de 10 000 euros allouée par jugement du 15 décembre 2016,

condamné la société Veolia Propreté Aquitaine à rembourser à la caisse les sommes avancées au titre de l'indemnisation complémentaire,

condamné la société Veolia Propreté Aquitaine à payer à M. [N] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

jugé n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.

Par déclaration du 21 juin 2018, la société Veolia Propreté Aquitaine a relevé appel 'total' de ce jugement.

Par déclaration du 26 juin 2018, M. [N] a régulièrement relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

condamné la société Veolia Propreté Aquitaine au paiement de la somme de 19.908 euros au titre de l'assistance tierce personne,

rejeté sa demande formulée au titre d'un préjudice d'établissement.

Par décision du 6 septembre 2018, la cour a prononcé la jonction des affaires.

Par ses dernières conclusions enregistrées le 23 septembre 2020, M. [N] demande à la cour

d'infirmer le jugement déféré sur le montant fixé au titre de l'assistance par une tierce personne, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, du préjudice d'agrément, du préjudice esthétique permanent et en ce qu'il a rejeté sa demande relative au préjudice d'établissement,

de confirmer les autres sommes allouées par le tribunal des affaires de sécurité sociale le 15 mai 2018 ;

de fixer son indemnisation au titre des préjudices résultant de la faute inexcusable de la société Veolia Propreté Aquitaine dans la survenance de l'accident du travail dont il a été victime le 11 juin 2010 aux sommes suivantes :

1 915 euros au titre des frais d'assistance par un médecin conseil,

34 839 euros au titre de l'assistance tierce personne temporaire,

41 177,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

50 000 euros au titre des souffrances endurées,

12 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,

30 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

15 000 euros au titre du préjudice sexuel,

8 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

20 000 euros au titre du préjudice d'établissement,

de juger que la caisse devra faire l'avance des ces sommes, après déduction de la provision d'un montant de 10 000 euros, ,

de juger que la caisse récupérera les sommes qu'elle aura avancées, y compris les frais d'expertise, auprès de la société Veolia Propreté Aquitaine,

de débouter la société Veolia Propreté Aquitaine de ses demandes,

de condamner la société Veolia Propreté Aquitaine au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale

condamner la société Veolia Propreté Aquitaine au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour d'appel,

condamner la société Veolia Propreté Aquitaine aux entiers dépens et frais éventuels d'exécution.

Aux termes de ses dernières conclusions du 30 septembre 2020, la société Veolia Propreté Aquitaine sollicite de la cour qu'elle :

infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande formulée par M. [N] au titre du préjudice d'établissement,

ramène les prétentions de M. [N] au titre du déficit fonctionnel temporaire, des frais de tierce personne avant consolidation, des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent à de plus justes proportions,

déboute M. [N] de ses demandes au titre du préjudice esthétique temporaire, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement,

déduise des sommes allouées la somme de 10.000 euros accordée par le jugement rendu par le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Gironde le 15 décembre 2016,

juge que la caisse devra faire l'avance de l'ensemble des préjudices le cas échéant alloués à M. [N], qu'ils relèvent ou non du livre IV du code de la sécurité sociale,

condamne M. [N] aux dépens.

Par ses dernières conclusions du 14 mai 2020, la caisse demande à la cour de :

confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

condamner la société Veolia Propreté Aquitaine au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la date de prononcé de l'arrêt a été fixée au 26 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la demande d'indemnisation des préjudices non pris en charge par la rente:

L'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

En vertu des articles L. 452-2 et L. 452-3 du même code, la victime d'un accident du travail résultant de la faute inexcusable de l'employeur perçoit des indemnisations spécifiques limitativement énumérées consistant dans une majoration de rente et la réparation des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément et de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.

Enfin, aux termes des dispositions de l'article L. 452-4 alinéa 2 du même code, l'auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci.

Il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de l'article L 452-3 du Code de la sécurité sociale ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il est constant qu'en cas de faute inexcusable de son employeur, la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :

- le déficit fonctionnel permanent (couvert par L.431-1, L.434-1 et L.452-2),

- les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L.431-1 et suivants, L.434-2 et suivants),

- l'incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l'allocation d'un capital ou d'une rente d'accident du travail (L.431-1 et L.434-1) et par sa majoration (L.452-2),

- les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.

En revanche, la victime peut notamment prétendre à l'indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale:

- du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire,

- des dépenses liées à la réduction de l'autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, à l'exception de l'assistance d'une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L.434-2 alinéa 3),

- du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d'agrément.

A- Sur les préjudices patrimoniaux:

1- Sur les frais d'assistance à expertise par un médecin conseil:

L'assistance de Monsieur [N] lors des opérations d'expertise judiciaire par un médecin expert indépendant, est une conséquence de la faute inexcusable de l'employeur et dès lors, les honoraires de ce praticien doivent être intégralement remboursés sur production de la note d'honoraires, sauf abus.

En l'espèce, Monsieur [N] a produit deux notes d'honoraires du Docteur [M], en date des 21 avril 2017 et 22 mars 2017 pour un montant total de 1.915 euros.

Contrairement à ce que soutient la société Veolia Propreté Aquitaine et peu important le fait qu'une seule réunion d'expertise judiciaire ait eu lieu, il est justifié par le libellé des factures versées aux débats de ce que celles-ci correspondent, d'une part à une consultation préalable à l'expertise judiciaire et d'autre part, aux frais de préparation du dossier et d'assistance à la réunion d'expertise organisée par le docteur [R], expert désigné par le tribunal.

Il ne résulte de ces factures aucun abus sanctionnable par une réduction des frais exposés.

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu les frais médicaux d'assistance à expertise pour la somme susvisée de 1.915 euros.

2- Sur l'assistance par une tierce-personne avant consolidation:

Il s'agit d'indemniser les dépenses liées à la réduction d'autonomie entre le dommage et la consolidation ; l'évaluation doit se faire au regard de l'expertise médicale et de la justification des besoins et non au regard de la justification de la dépense, afin d'indemniser la solidarité familiale.

L'indemnisation de ce poste de préjudice n'est donc pas subordonnée à la production de

justificatifs et n'est pas réduite en cas d'assistance bénévole par un membre de la famille

En l'espèce, l'expert judiciaire a retenu le fait qu'après son hospitalisation au Centre de rééducation fonctionnelle, la reprise de son autonomie par Monsieur [N] a été altérée par son impossibilité de se rendre seul aux différents rendez-vous nécessités par son état de santé ; sa mère a ainsi dû l'accompagner dans ses différentes démarches.

L'expert observe que l'impossibilité pour la victime de tourner la tête, doublée d'une forte appréhension et de la prise d'un traitement psychotrope, constituaient autant d'éléments qui l'empêchaient de conduire.

Le principe susvisé d'indemnisation de l'aide apportée au titre de la solidarité familiale, ne permet pas d'écarter ou d'amoindrir, comme le soutient la société Veolia, l'indemnisation demandée.

Par ailleurs, la validation d'un permis de conduire adapté au sortir de la période d'hospitalisation ne permet pas d'affirmer, au vu des constatations faites par l'expert judiciaire sur l'incapacité objective dans laquelle se trouvait la victime de pouvoir conduire, que Monsieur [N] n'ait eu besoin d'aucune aide pour effectué différentes démarches et rendez-vous extérieurs.

En outre, l'aide nécessaire ne se limitait pas à la conduite, puisqu'elle comprenait également une aide à la stimulation et au soutien, ainsi qu'une aide à domicile.

Enfin, l'employeur qui s'appuie sur l'avis de son propre expert, ne produit aucun élément objectif et vérifiable, de nature à remettre en cause le nombre d'heures d'assistance tel qu'a pu le déterminer l'expert judiciaire au vu de l'état de santé du patient durant la période de déficit fonctionnel temporaire.

Le taux horaire de 21 euros proposé apparaît excessif eu égard à la réalité du coût moyen d'assistance par une tierce personne active, à la nature de l'incapacité et au degré minimum de spécialisation requis pour assumer une telle tâche.

C'est en revanche par une juste appréciation des éléments de fait qui lui étaient soumis et qui sont de nouveau soumis à la cour en cause d'appel, que les premiers juges ont estimé le taux horaire de 12 euros adapté aux éléments de la cause.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a alloué de ce chef à Monsieur [N] la somme de 19.908 euros pour 1.659 heures d'aide par tierce personne avant consolidation.

B- Sur les préjudices extra-patrimoniaux:

1- Sur le déficit fonctionnel temporaire:

Ce poste vise à indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire.

Il s'agit de l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle subie par la victime jusqu'à sa consolidation.

Il inclut la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément ainsi que, le cas échéant, le préjudice sexuel temporaire.

Au cas d'espèce, l'expert a retenu:

- Déficit fonctionnel temporaire total du 11 juin 2010 au 12 septembre 2011 (date de sortie du centre de rééducation)

- Déficit fonctionnel temporaire à 50% du 13 septembre 2011 au 3 décembre 2014

- Déficit fonctionnel temporaire à 25% du 4 décembre 2014 au 7 mai 2016 (date de consolidation).

La base de calcul journalière retenue par le tribunal à hauteur de 35 euros apparaît excessive et sera réduite à hauteur de 25 € qui peut raisonnablement être retenue pour réparer la gêne subie dans les actes de la vie courante.

Le calcul est le suivant:

-458 jours x 25 euros = 11 450,00 euros

-1177 jours x 25 euros x 50% = 14712,50 euros

-520 jours x 25 euros x 25% = 3250,00 euros

TOTAL = 29 412,50 euros

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et il sera alloué à Monsieur [N] la somme de 29.412,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.

2- Sur les souffrances endurées:

Ce poste vise à indemniser ici toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu'à la consolidation.

L'expert a proposé de retenir à ce titre un taux de 5/7 en prenant en compte les éléments suivants: la durée des hospitalisations avec intervention chirurgicale sur le rachis cervical, suivie d'une période d'hospitalisation supérieure à un an en centre de rééducation fonctionnelle, puis une intervention secondaire pour réfection du plancher de l'orbite du côté gauche, plusieurs hospitalisations en milieu psychiatrique pour stress post-traumatique, complications veineuses thrombo-emboliques à répétition ayant nécessité un traitement anti-coagulant.

Le rapport d'expertise met également en évidence l'importance des lésions subies du fait de l'accident du travail avec de multiples fractures au niveau du crâne, ainsi qu'au niveau costal et la survenance d'un pneumothorax.

La fracture cervicale nécessitait le port d'un collier cervical pendant six semaines, puis, lors de la période de rééducation, le port d'un collier en mousse durant la nuit et les trajets en voiture.

Survenait également une amnésie post-traumatique.

La persistance des douleurs entraînant troubles du sommeil et cervicalgies, nécessitait un traitement adapté et justifiait de nombreux arrêts de travail.

Doivent enfin être prises en compte les nombreuses séances de kinésithérapie et d'ostéopathie qu'a dû subir Monsieur [N].

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal a fait une juste appréciation de l'indemnisation du dommage en allouant à Monsieur [N] la somme de 35.000 euros au titre des souffrances endurées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

3- Sur le préjudice esthétique temporaire:

La victime peut subir, pendant la maladie traumatique, et notamment pendant l'hospitalisation, une altération de son apparence physique, même temporaire, justifiant une indemnisation.

L'expert ne s'est prononcé que sur l'existence d'un préjudice esthétique définitif du fait de la présence de cicatrices au niveau du scalp et de la persistance d'une énophtalmie.

Le tribunal a néanmoins alloué à la victime une indemnité au titre du préjudice esthétique temporaire en considération du jeune âge de Monsieur [N], de la fracture de la voûte du crâne, des hématomes et plaies qui étaient visibles pendant la période post traumatique précédant la consolidation.

La société Veolia conteste cette indemnisation au motif pris de ce que l'expert n'a pas retenu l'existence d'un préjudice esthétique temporaire.

Toutefois, la lecture du rapport d'expertise et la description des blessures et de leur évolution pendant et après les hospitalisations de Monsieur [N], met clairement en évidence l'existence d'un préjudice esthétique avant consolidation, pour lequel la cour dispose des éléments d'appréciation nécessaires, sans que puisse lui être opposé utilement la carence sur ce point du rapport d'expertise judiciaire.

A cet égard, outre l'immobilisation du cou pendant six semaines qui a nécessairement impacté l'apparence de la victime, les nombreuses plaies et hématomes au niveau du visage caractérisent l'existence d'un tel préjudice.

Le tribunal a fait une juste appréciation des éléments de l'espèce en allouant de ce chef la somme de 3.500 euros à Monsieur [N], lequel n'apporte pas d'éléments de nature à justifier la réévaluation de cette indemnité à hauteur de 12.000 euros.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

4- Sur le préjudice d'agrément:

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

L'indemnisation du préjudice d'agrément ne se limite pas à l'impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l'accident, mais elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités ainsi que l'impossibilité psychologique de les pratiquer.

L'appréciation se fait in concreto, en fonction des justificatifs, de l'âge ou encore du niveau sportif.

L'expert note que la pratique du surf est fortement déconseillée du fait de l'arthrodèse cervicale.

Il ajoute que la pratique du vélo présente des risques de chute dangereuses pour le rachis cervical.

Il note, dans les doléances du patient, le fait que celui-ci indique ne plus pouvoir sortir et voir des personnes à l'extérieur de son domicile.

Monsieur [N] produit des attestations de témoins qui indiquent que l'intéressé pratiquait régulièrement le surf avant son accident et qu'il s'entraînait quotidiennement à la course cycliste.

Ces mêmes témoins évoquent l'installation chez la victime d'un matériel de musculation.

Bien que l'expert indique qu'il n'existe pas de contre-indication à la pratique de la musculation, il en va différemment pour le surf et le vélo de course qui sont fortement contre-indiqués et donc en pratique exclus du champ des activités de loisir de Monsieur [N], tandis qu'il apparaît établi que celui-ci avait développé une activité physique et sportive régulière dans ces deux derniers domaines.

Le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice d'agrément subi en l'indemnisant à hauteur de 9.000 euros et il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

5- Sur le préjudice sexuel:

Ce préjudice recouvre trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : l'aspect morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel (libido, perte de capacité physique, frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction).

L'expert a considéré qu'il n'existait pas de préjudice sexuel.

Monsieur [N] sollicite de ce chef une indemnité d'un montant de 15.000 euros en invoquant une importante perte de libido.

Toutefois, aucun élément dans le rapport d'expertise ne permet d'accréditer cette affirmation, tandis qu'il n'est produit aucun autre élément de preuve, tel qu'un avis médical spécialisé, de nature à accréditer le lien entre le fait dommageable et la survenance d'un préjudice de nature sexuelle.

Dans ces conditions, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a alloué de ce chef une indemnité à Monsieur [N], lequel sera débouté de sa demande.

6- Sur le préjudice esthétique permanent:

L'expert retient l'existence d'un préjudice esthétique définitif qu'il propose d'évaluer à 2/7, du fait de la présence de cicatrices au niveau du scalp et de la persistance d'une énophtalmie.

Le tribunal a fait une juste appréciation des éléments de l'espèce en allouant de ce chef à Monsieur [N] la somme de 3.500 euros et le jugement sera dès lors confirmé sur ce point.

7- Sur le préjudice d'établissement:

Ce poste de préjudice indemnise la perte d'espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

L'évaluation est personnalisée notamment en fonction de l'âge.

Le préjudice d'établissement ne peut être confondu, ni avec le préjudice d'agrément, ni avec le préjudice sexuel.

Monsieur [N] fait valoir qu'il venait d'être père lorsque l'accident est survenu et qu'il a eu un second enfant né à la fin de l'année 2015.

Il soutient être incapable de s'occuper seul de ses enfants, de suivre leur scolarité et d'entretenir une relation père/enfants normale.

Ainsi qu'a pu le noter l'expert en page 11 de son rapport, retraçant les conclusions du bilan neuropsychologique effectué le 13 avril 2017, Monsieur [N] présente des séquelles cognitives en lien avec l'accident dont il a été victime le 11 juin 2010, avec de grandes difficultés à gérer des sollicitations simultanées et à exécuter un contrôle conscient lors d'activités non-automatiques.

Il éprouve des difficultés à raisonner, à avoir une réaction appropriée et est très lent dans le traitement de l'information.

S'il ne peut être mis en doute le fait que ces répercussions de l'accident ont des conséquences sur la vie familiale de la victime, en revanche, il n'est pas démontré l'impossibilité de fonder un foyer et de conduire un projet de vie, étant en outre rappelé que la rente versée par la CPAM de la Gironde, comprend le déficit fonctionnel partiel permanent qui lui-même intègre l'indemnisation des troubles subis par la victime dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales).

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté Monsieur [N] de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice d'établissement et le jugement sera là-encore confirmé sur ce point.

II- Sur les dépens et frais irrépétibles:

Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Veolia Propreté Aquitaine, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande en outre de condamner la société Veolia Propreté Aquitaine à payer à Monsieur [N] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, sans qu'il soit justifié de remettre en cause l'indemnité allouée à ce même titre par les premiers juges.

Il n'est en revanche pas inéquitable de laisser la CPAM de la Gironde supporter la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qui concerne l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire et l'allocation d'une indemnité au titre d'un préjudice sexuel ;

Statuant à nouveau,

Fixe l'indemnisation complémentaire de Monsieur [E] [N] au titre du déficit fonctionnel temporaire à hauteur de la somme de 29.412,50 euros ;

Déboute Monsieur [E] [N] de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice sexuel ;

Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;

Condamne la Société Veolia Propreté Aquitaine à payer à Monsieur [E] [N] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Déboute la CPAM de la Gironde de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Veolia Propreté Aquitaine aux dépens d'appel.

Signé par madame Marie-Luce Grandemange, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps ML. Grandemange


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 18/03707
Date de la décision : 26/11/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°18/03707 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-26;18.03707 ?
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