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12/11/2020 | FRANCE | N°18/01791

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 12 novembre 2020, 18/01791


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 12 NOVEMBRE 2020



(Rédacteur : Monsieur Eric Veyssière, président)



PRUD'HOMMES



N° RG 18/01791 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KLLF

















Monsieur [M] [O]



c/

Monsieur [B] [H]

SELARL EKIP

Association C.G.E.A. DE [Localité 6]

















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Nature de la décision : AU FOND









Grosse délivrée aux avocats le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 février 2018 (R.G. n°14/03001) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 12 NOVEMBRE 2020

(Rédacteur : Monsieur Eric Veyssière, président)

PRUD'HOMMES

N° RG 18/01791 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KLLF

Monsieur [M] [O]

c/

Monsieur [B] [H]

SELARL EKIP

Association C.G.E.A. DE [Localité 6]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 février 2018 (R.G. n°14/03001) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 28 mars 2018,

APPELANT :

[M] [O]

né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 9]

de nationalité Française

Profession : Commerçant (e), demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Hugo Tahar JALAIN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[B] [H]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 7]

de nationalité Française

Profession : Cuisinier, demeurant [Adresse 5]

Assisté et représenté par Me Valérie PELLENC-GUIRAGOSSIAN, avocat au barreau de BORDEAUX

SELARL EKIP, venant aux droits de la SELARL [Z] [S], es qualité de liquidateur judiciaire de la société MMS PAGA, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social [Adresse 3]

Assistée et représentée par Me MANERA substituant Me Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

Association C.G.E.A. DE [Localité 6] prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 8]

Représentée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 24 septembre 2020 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère

Monsieur Hervé Ballereau, conseiller

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée du 8 janvier 1990, M. [L], exploitant du restaurant 'Chez [C]', a engagé M. [H] en qualité de cuisinier.

Le 12 août 2004, M. [L] a cédé le fonds de commerce du restaurant à M. [O].

Le contrat de travail de M. [H] a alors été transféré à ce dernier.

A compter du mois de mars 2013, M. [O] a donné son fonds en location-gérance à la société MMS Paga à qui le contrat de M. [H] a été transféré.

Par jugement en date du 10 septembre 2014, le tribunal de commerce de [Localité 6] a prononcé la liquidation judiciaire de la société MMS Paga et a nommé la Selarl [Z] [S] es-qualité de liquidateur judiciaire.

Par courrier du 15 septembre 2014, la Selarl [Z] [S] a convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 19 septembre 2014.

Par lettre du 15 septembre 2014, la Selarl [Z] [S] a notifié la résiliation du contrat de location-gérance à M. [O] et l'a convoqué pour restitution du fonds de commerce le 22 septembre 2014.

Par courrier en date du 23 septembre 2014, M. [H] a été licencié pour motif économique à titre conservatoire.

Par courrier du 2 octobre 2014, la Selarl [Z] [S] a confirmé la situation à M. [H], lui précisant que M. [O] est son employeur depuis le 22 septembre 2014.

Le 31 octobre 2014, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 6] d'une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail et aux fins de :

à titre principal

voir condamner M. [O] au paiement des sommes suivantes :

34 320 euros à titre de dommages et intérêts,

2 860 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 286 euros au titre des congés payés afférents,

11 159 euros à titre d'indemnité de licenciement calculée du 8 janvier 1990 au 3 mars 2015,

les congés payés restants au jour du jugement,

7 228,10 euros à titre de rappel de salaire du mois d'octobre 2014 au 3 mars 2015,

à titre subsidiaire, si le conseil estime qu'il n'y a pas eu reprise du fonds par M. [O],

inscrire au passif de la société MMS Paga les sommes de :

34 320 euros à titre de dommages et intérêts,

2 860 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 286 euros au titre des congés payés afférents,

11 159 euros d'indemnité légale de licenciement,

1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre reconventionnel, la Selarl [S] a sollicité la condamnation de M. [H] au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre reconventionnel, M. [O] a sollicité la condamnation de M. [H] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 3 mars 2015, M. [H] a notifié à M. [O] et à la Selarl [Z] [S] la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, modifiant en conséquence sa demande devant le conseil de prud'hommes.

Par jugement de départage du 20 février 2018, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

jugé que le contrat de travail de M. [H] a été transféré à M. [O] ;

dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [H] en date du 3 mars 2015 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

condamné M. [O] à payer à M. [H] les sommes de :

7 855,27 euros à titre de rappels de salaire du 22 septembre 2014 au 3 mars 2015,

1 382,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

2 860 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

286 euros au titre des congés payés afférents,

11 115,13 euros d'indemnité légale de licenciement,

20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

rappelé que l'exécution provisoire est de droit le paiement de somme au titre des salaires, des indemnités de congés payés, de préavis et de licenciement dans la limite maximum de neuf mois de salaire, soit 14 234,40 euros, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit 1 581,60 euros ;

condamné M. [O] à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [O] aux dépens ;

dit n'y avoir lieu à ordonner l'opposabilité du jugement au CGEA ;

rejeté les autres demandes plus amples ou contraires.

Par jugement du 7 juin 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a déclaré les opérations de liquidation judiciaire de la société MMS Paga clôturées pour insuffisance d'actif et a désigné la Selarl EKIP en qualité de mandataire ad'hoc.

Par déclaration du 28 mars 2018, M. [O] a relevé appel du jugement en ce qu'il :

- a jugé que le contrat de travail lui a été transféré ;

- a jugé que la prise d'acte de la rupture s'analysait comme un licenciement alors que le salarié avait été licencié par Me [S] ;

- l'a condamné au paiement des sommes visées dans le dispositif ;

- a déclaré le jugement inopposable au CGEA.

Par ses dernières conclusions remises au greffe le 21 janvier 2020, M. [O] sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau :

dise et juge qu'à la date de restitution du fonds le 23 octobre 2014, le fonds de commerce n'était plus exploitable pour être tombé en ruine ;

donne plein effet au licenciement pour motif économique de la Selarl [Z] [S] en date du 23 septembre 2014 ;

dise et juge que la prise d'acte du salarié postérieure en date du 3 mars 2015 est sans effet ;

déboute M. [H] de toutes ses demandes à son encontre ;

fixe au passif de la société MMS Paga les sommes à allouer au salarié au titre du licenciement intervenu le 23 septembre 2014 prononcé par la Selarl EKIP, venant aux droits de la Selarl [Z] [S] ;

dise que les condamnations seront jugées opposables au CGEA ;

condamne M. [H] à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 18 septembre 2018, M. [H] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris ;

dire et juger bien fondée la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail ;

en conséquence,

condamner M. [O] à lui régler :

2 860 euros à titre d'indemnité de préavis outre 286 euros au titre des congés payés afférents,

11 159 euros à titre d'indemnité légale de licenciement calculée du 8 janvier 1990 au 3 mars 2015,

les congés payés restant impayés au jour du jugement,

7 228,10 euros à titre de rappel de salaire du mois d'octobre 2014 au 3 mars 2015,

réformer le quantum des dommages et intérêts et condamner M. [O] à régler la somme de 34 320 euros à titre de dommages et intérêts ;

à titre subsidiaire, si la cour estime qu'il n'y a pas eu reprise du fonds par M. [O],

inscrire au passif de la société MMS Paga les sommes de :

34 320 euros à titre de dommages et intérêts,

2 860 euros à titre d'indemnité de préavis outre 286 euros au titre des congés payés afférents,

11 159 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

les congés payés restant impayés au jour du jugement,

à titre infiniment subsidiaire,

fixer au passif de la société MMS Paga la somme de 34 320 euros à titre de dommages et intérêts ;

dire que le jugement sera opposable au CGEA ;

condamner la partie succombante à lui régler la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions remises au greffe le 13 janvier 2020, la Selarl EKIP, venant aux droits de la Selarl [Z] [S], es-qualité de mandataire ad'hoc de la société MMS Paga, demande à la cour de :

la recevoir, venant aux droits de la Selarl [Z] [S], ès qualité de mandataire ad'hoc de la société MMS Paga ;

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que le contrat de travail de M. [H] a été transféré à M. [O] ;

débouter en conséquence M. [H] de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre ;

à titre reconventionnel, condamner M. [H] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire, si la cour ne devait pas constater le transfert du contrat de travail à M. [O],

dire bien fondé le licenciement pour motif économique intervenu le 23 septembre 2014 ;

débouter M. [H] de ses demandes de dommages-intérêts dirigées à l'encontre de la Selarl EKIP, es-qualité de mandataire ad'hoc de la société MMS Paga ;

statuer ce que de droit sur les demandes de M. [H] relatives au paiement d'indemnités de préavis, congés payés sur préavis, indemnité légale de licenciement et indemnité compensatrice de congés payés ;

débouter M. [H] de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 21 janvier 2020, l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande à la cour de :

à titre principal,

juger que le fonds de commerce mis en location gérance par M. [O] a été exploité jusqu'à la liquidation judiciaire par la société MMS Paga et a conservé tous les éléments incorporels et corporels susceptibles de permettre la poursuite d'exploitation par le propriétaire du fonds ;

en conséquence, juger que le contrat de travail de M. [H] a été transféré à M. [O] au 22 septembre 2014 ;

débouter M. [O] de ses prétentions ;

déclarer irrecevable et mal fondée l'action de M. [H] à l'encontre de la société MMS Paga prise en la personne de son mandataire ad'hoc au titre du rappel de salaire sur la période du 22 septembre 2014 au 3 mars 2015 et au titre des indemnités de rupture et des dommages et intérêts ;

à titre infiniment subsidiaire, en cas de disparition du fonds retenue par la cour,

juger que M. [H] a été valablement licencié par la Selarl [Z] [S], ès-qualité de mandataire-liquidateur de la société MMS Paga, locataire-gérant, le 23 septembre 2014 et que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse tenant à la cessation d'activité de son employeur ;

débouter M. [H] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et de toutes autres prétentions ;

fixer la créance de M. [H] aux sommes suivantes :

481,80 euros à titre de congés payés acquis,

2 860 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

286 euros à titre de congés payés sur préavis,

10 656,12 euros à titre d'indemnité de licenciement,

dire et juger que l'arrêt à intervenir ne lui sera opposable que dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut l'astreinte, l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre encore plus subsidiaire, en cas extraordinaire de rupture fixée au 3 mars 2015 à l'égard de la société MMS Paga,

dire et juger que les salaires alloués du 25 septembre 2014 jusqu'au 3 mars 2015 ne sont pas garantis par l'AGS ainsi que toutes autres demandes indemnitaires afférentes à cette période ;

dire et juger que les indemnités de la rupture, intervenue plus de 15 jours après la liquidation judiciaire, ne sont pas garanties par l'AGS ainsi que les dommages et intérêts sollicités au titre de la rupture ;

exclure de la garantie l'astreinte et l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2020.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement pour motif économique

M. [O] fait valoir que le motif économique du licenciement dont il a été informé par courrier du mandataire liquidateur du 23 septembre 2014 était caractérisé en raison de la liquidation judiciaire de la société MMS Pagua et de la cessation d'activité totale du restaurant qui ne permettait pas une reprise du fonds du commerce qui, privé de toute trésorerie et d'une partie du matériel et du stock de vin qui avait été dérobé, présentait un état de ruine de sorte que le transfert du contrat de travail de M. [H] n'était plus possible et que, dés lors, le licenciement constitue la seule cause valable de la rupture du contrat de travail et le CGEA doit assurer sa garantie des salaires.

Pour permettre la mise en oeuvre de l'assurance relative à la garantie des salaires, le mandataire liquidateur doit, en application de l'article L 3253-8 al 2 du code du travail, procéder au licenciement pour motif économique des salariés d'une entreprise placée en liquidation judiciaire dans un délai de 15 jours à compter du jugement prononçant cette mesure.

En l'espèce, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société MMS Paga le 10 septembre 2014. Le mandataire liquidateur a engagé, le 15 septembre 2014, la procédure de licenciement de M. [H] par un courrier de convocation à un entretien préalable et lui a notifié son licenciement pour motif économique, le 23 septembre 2014. Ce faisant, le mandataire liquidateur a respecté ses obligations résultant des dispositions légales sus-visées.

Toutefois, parallèlement à cette procédure, le mandataire liquidateur a, dés le 15 septembre 2014, notifié à M. [O] la résiliation du contrat de location gérance du fonds de commerce lui appartenant et, par courrier du 20 octobre 2014, il a rappelé à M. [O] que la restitution du fonds de commerce impliquait le transfert du contrat de travail de M. [H] et qu'il convenait soit de poursuivre la relation de travail, soit de verser les indemnités de licenciement.

M. [O] a répondu, par un courrier de son avocat du 8 octobre 2014, que le fonds n'était plus exploitable et, le 18 octobre, il a informé le salarié que son contrat de travail ne pouvait être repris en vue d'une poursuite de l'activité.

Selon la règle applicable, lorsque la résiliation d'un contrat gérance entraîne le retour du fonds loué au bailleur, le contrat de travail qui lui est attaché se poursuit avec ce dernier, conformément aux dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail, si le fonds n'est pas inexploitable au jour de sa restitution, en sorte qu'un licenciement pour motif économique prononcé à cette occasion est dépourvu d'effet.

Avant de constater que le licenciement pour motif économique de M. [H], bien que régulier en la forme, comme en conviennent les parties et contrairement à ce que le premier juge a retenu, est dépourvu d'effet en raison de la résiliation du contrat de location gérance, il convient de vérifier si le fonds de commerce était inexploitable ou se trouvait en état de ruine comme le prétend M. [O], faisant ainsi obstacle à un transfert du contrat de travail du salarié.

Il convient d'observer, au préalable, que la charge de la preuve de l'état de ruine du fonds de commerce repose sur M. [O].

Il résulte des pièces du dossier que la liquidation judiciaire de la société a été prononcée à la suite d'une action de M. [O] devant le tribunal de commerce par laquelle il sollicitait l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire en raison de l'inexécution de la part de la société MMS Paga d'une ordonnance du juge des référés ayant condamné cette dernière à payer à M. [O] la somme de 22.884,46 euros pour défaut de paiement des loyers et de la redevance dus au titre du contrat de location gérance.

Selon les énonciations du jugement du tribunal de commerce, la société, reconnaissant à l'audience son état de cessation des paiements et la créance de M. [O], a accepté d'être placée sous le régime de la liquidation judiciaire.

Aux termes du contrat de location gérance, le fonds de commerce de restaurant comprenait la clientèle et l'achalandage, l'enseigne et le nom commercial, le matériel et le mobilier commercial servant à l'exploitation du fonds selon inventaire annexé, le droit à l'occupation des locaux, le droit à la jouissance de la licence IV.

Les intimés prétendent que M. [O] était en capacité de poursuivre l'activité du restaurant dans la mesure où d'une part, il l'avait exploitée avec succès toute l'année avant de souscrire le contrat de location gérance en mars 2013 et d'autre part, il avait encore la jouissance des locaux et de la licence IV et le restaurant avait accueilli des clients jusqu'au jour du prononcé de la liquidation.

Mais, ainsi que l'a précisé le mandataire liquidateur dans la lettre de licenciement et que le confirme par attestation le voisin du fonds, le restaurant n'avait plus d'activité et plus de clientèle à la date de la liquidation, en septembre 2014, c'est à dire à une période correspondant à la fin de la saison estivale. Les parties conviennent, à cet égard, que la faillite du fonds du commerce était due à la gestion calamiteuse du locataire gérant qui souffrait d'un alcoolisme chronique et qui avait fait fuir la clientèle.

M. [O] se trouvait donc dans la situation de devoir reprendre l'exploitation du restaurant dont l'activité avait cessé alors que la station balnéaire du Verdon entrait dans la saison basse et que le fonds de commerce avait périclité en pleine saison haute.

Contrairement à ce que soutiennent les intimés, aucune pièce du dossier ne démontre que le restaurant fonctionnait au même rythme toute l'année. En outre, le seul fait de détenir encore une licence IV ne constitue pas une garantie de la poursuite d'activité. Le mandataire liquidateur à qui M. [O] avait légitimement demandé de lui fournir les éléments relatifs à l'actif du fonds de commerce et l'inventaire du matériel ne produit pas aux débats ces éléments, la copie du courrier du mandataire liquidateur annonçant leur transmission n'est pas suffisamment probante pour en établir la réalité.

M. [O] justifie, par ailleurs, que le locataire gérant ne versait plus les loyers et la redevance depuis le 1er novembre 2013 et que sa créance à l'égard de ce dernier d'un montant de 36.884,36 euros n'a pas été recouvrée alors que lui-même était redevable de son côté d'un loyer mensuel de 1500 euros versé au propriétaire des murs, Mme [C] [N]. Une transaction est, d'ailleurs, intervenue en mars 2015 entre celle-ci et M. [O], aux fins de restitution des locaux pour défaut de paiement des loyers. Dans ce contexte, les intimés ne peuvent valablement soutenir que la caution de 25.000 euros détenue par M. [O] constituait une trésorerie suffisante pour permettre une reprise de l'activité.

Il découle de ces éléments que le fonds de commerce était, à la date de la liquidation, ruiné à la suite de la perte de la clientèle qui avait déserté le restaurant et que M. [O] n'était plus en mesure de poursuivre l'activité en l'absence de toute trésorerie permettant de conserver les locaux et ce alors que la reprise intervenait en saison basse.

Dés lors, il convient de retenir que cet état de ruine rendait impossible le transfert du contrat de travail de M. [H] et que la rupture du contrat de travail résulte du licenciement pour motif économique et non de la prise d'acte de la rupture.

Cette cause de la rupture du contrat de travail ouvre droit au versement au salarié d'une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 2860 euros et les congés payés afférents dont le montant n'est pas contesté.

S'agissant de l'indemnité légale de licenciement à laquelle M. [H] peut prétendre, son montant sera fixé non pas à la date de la prise d'acte de la rupture comme soutenu par le salarié mais à la date du licenciement. Il lui sera donc alloué à ce titre la somme de 10.656,12 euros telle que calculée justement par le CGEA.

En ce qui concerne les dix jours de congés payés restant dus au salarié à la date du licenciement, le montant de l'indemnité compensatrice s'élève à la somme de 481,80 euros.

M. [H] sera, en revanche, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dés lors qu'il ne conteste pas la régularité et le bien fondé du licenciement. De même, pour les mêmes motifs, sa demande de rappel de salaires postérieurs au licenciement sera rejetée.

M. [H] qui n'a pu bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle inhérent à un licenciement pour motif économique en raison du refus du mandataire liquidateur qui est revenu sur sa décision initiale quant à la cause de la rupture a subi un préjudice de ce fait qui sera réparé par une somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.

Ces sommes seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les autres demandes

L'équité commande d'allouer à M. [H] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Le présent arrêt sera déclaré opposable au CGEA de [Localité 6] dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris

statuant à nouveau

Dit que la rupture du contrat de travail de M. [H] résulte du licenciement pour motif économique notifié par le mandataire liquidateur

Fixe les créances de M. [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société MMS Paga aux sommes suivantes :

- 2860 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

- 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect des dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle

- 10.656,12 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 481,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés

- 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute M. [H] du surplus de ses demandes

Déclare le présent arrêt opposable au CGEA de [Localité 6] dans la limite légale de sa garantie

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 18/01791
Date de la décision : 12/11/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°18/01791 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-12;18.01791 ?
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