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29/07/2020 | FRANCE | N°17/01334

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 3ème chambre famille, 29 juillet 2020, 17/01334


COUR D'APPEL DE BORDEAUX





TROISIÈME CHAMBRE CIVILE





--------------------------











ARRÊT DU : 29 JUILLET 2020





(Rédacteur : Danièle PUYDEBAT, Conseiller)








N° RG 17/01334 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-JWVH














F... X...


T... B...





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K... X... épouse S...





















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Nature de la décision : AU FOND











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Grosse délivrée le :





aux avocats


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 février 2017 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (cabinet 1, RG n° 14/01673) suivant déclaration d'appel du 02 mars 2017





APPELANTE...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 29 JUILLET 2020

(Rédacteur : Danièle PUYDEBAT, Conseiller)

N° RG 17/01334 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-JWVH

F... X...

T... B...

c/

K... X... épouse S...

Nature de la décision : AU FOND

28A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 février 2017 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (cabinet 1, RG n° 14/01673) suivant déclaration d'appel du 02 mars 2017

APPELANTES :

F... X...

née le [...] à BRUGES (33)

de nationalité Française, demeurant [...]

T... B... agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure P... X... née le [...] ,

demeurant [...]

Représentées par Me Luc BOYREAU de la SCP LUC BOYREAU, avocat au barreau de BORDEAUX et Me Jean-françois DACHARRY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

K... X... épouse S...

née le [...] à BORDEAUX (33)

de nationalité Française, demeurant [...]

Représentée par Me Pierre GARREAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

Président : Danièle PUYDEBAT

Conseiller: Françoise ROQUES

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

L'ordonnance de clôture été prévue pour le 26 mai 2020 et l'audience fixée au 09 juin 2020.

Cette audience n'a pas eu lieu en raison de l'état d'urgence sanitaire . Il a été statué par procédure sans audience , sans opposition des parties , conformément aux dispositions de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 et de l'article 8 de l'ordonnance n°304-2020 du 25 mars 2020 .

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.

Mme V... J... veuve X... est décédée le [...] à Bordeaux (33) laissant pour lui succéder :

- sa fille, K... X... épouse S...,

- son fils prédécédé, O... X... représenté par sa fille issue d'une première union, F... X..., et sa fille issue d'une seconde union, P... X..., elle-même représentée, eu égard à sa minorité, par sa mère, T... B....

Mme J... avait établi le 1er juillet 1999 un testament reçu par Me E... W..., notaire à Bordeaux, et rédigé le 28 décembre 2003 un codicille, aux termes desquels elle répartissait ses biens de façon quasiment égale entre ses deux enfants.

Aux termes d'un testament olographe en date du 4 février 2004, elle a révoqué toutes dispositions testamentaires antérieures et institué sa fille K... pour sa légataire universelle en pleine propriété de l'ensemble de ses biens meubles et immeubles à charge pour elle d'indemniser les héritiers de son fils O... décédé le 2 février 2004 de leur réserve légale soit 1/3.

Par acte en date du 31 mars 2004, dressé par Me W..., Mme J... a fait donation par préciput et hors part à sa fille K... d'un appartement de type 4B, d'un cellier et d'une place de parking situés dans la résidence du '[...]', [...] .

Suivant acte d'huisser en date du 24 janvier 2014, F... et P... X..., représentée par sa mère, T... B..., ont assigné K... X... en partage judiciaire.

Selon jugement en date du 2 février 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme V... J... veuve X..., décédée le 24 novembre 2012 à Bordeaux,

- désigné pour y procéder le président de la chambre des notaires de la Gironde avec faculté de délégation à tout notaire de son ressort, à l'exception de ceux faisant partie de la SCP 'C... W..., E... W..., I... G... et D... W...', notaires associés à Bordeaux, vainement intervenus dans le cadre amiable,

- dit qu'en cas d'empêchement du notaire délégué, le président de la chambre des notaires de la Gironde procédera lui-même à son remplacement par ordonnance rendue à la requête de la partie la plus diligente,

- dit que le notaire devra achever ses opérations dans le délai d'un an suivant sa désignation par le président de la chambre des notaires de la Gironde, sauf suspension prévue par l'article 1369 du code de procédure civile ou délai supplémentaire sollicité dans les conditions de l'article 1370 du code de procédure civile,

- commis le juge de la mise en état de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux en qualité de juge-commissaire pour surveiller les opérations à accomplir,

- débouté Mme F... X... et Melle P... X... représentée par sa mère, Mme T... B..., de leur demande tendant à la nullité du testament olographe en date du 4 février 2004 et de la donation en date du 31 mars 2004,

- débouté Mme F... X... et Melle P... X... représentée par sa mère, Mme T... B..., de leur demande tendant à priver Mme K... S... de ses droits successoraux sur l'immeuble situé [...] pour recel successoral,

- débouté Mme F... X... et Melle P... X... représentée par sa mère,

Mme T... B..., de leurs demandes tendant au rapport à la succession de diverses indemnités,

- condamné in solidum Mme F... X... et Melle P... X... représentée par sa mère, Mme T... B..., à payer à Mme K... S... la somme de 1.500 € sur 1e fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de la présente instance seront employés en frais privilégiés de liquidation et partage de la succession de Madame J... veuve X...,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,

- rejeté toutes autres demandes comme non fondées.

Procédure d'appel

Suivant déclaration enregistrée le 2 mars 2017, F... et P... X... représentée par sa mère, T... B..., ont interjeté appel dudit jugement, dont l'objet était de ' faire droit à toutes exceptions de procédure, annuler, sinon infirmer et à tout le moins, réformer la décision déférée'.

Selon arrêt rendu le 12 février 2019, la cour d'appel de Bordeaux a, avant dire-droit, ordonné à Monsieur le directeur des Archives Nationales la transmission du dossier relatif à la tutelle ouverte pour la protection de Mme J... auprès du juge des tutelles du tribunal d'instance de Bordeaux et sursis à statuer sur les demandes.

Le dossier, après rappel de la cour, a été adressé au greffe et réceptionné le 17 octobre 2019, les parties étant invitées à venir le consulter le 30 octobre 2019.

Selon dernières conclusions en date du 15 novembre 2019, F... et P... X... représentée par sa mère, T... B..., demandent à la cour de :

- réformer le jugement du 2 février 2017 dans les limites de leur appel,

Et statuant à nouveau :

- prononcer la nullité du testament manuscrit établi le 4 février 2004 par Mme V... J... ainsi que l'acte au rapport de Me E... W... notaire associé à Bordeaux en date du 31 mars 2004, portant donation par Mme J... à sa fille des biens immobiliers situés [...] ,

- dire et juger que K... X... sera, dans la succession de sa mère, privée de ses droits sur ledit immeuble, en sanction du recel successoral dont elle s'est rendue coupable,

- dire et juger que K... X... devra rapporter à l'indivision successorale une indemnité correspondant à l'occupation de l'appartement litigieux depuis le mois de décembre 2012 et jusqu'au règlement de la succession, qui sera évaluée à 1.000 € par mois d'occupation, ainsi que le montant des loyers commerciaux échus,

- condamner K... X... à payer, à chacune des deux demanderesses, une indemnité de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner K... X... aux entiers dépens, cette condamnation profitant à Me Jean-François Dacharry, avocat, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Selon dernières conclusions en date du 23 décembre 2019, K... X... demande à la cour de :

- confirmer l'intégralité du jugement rendu par la première chambre civile du tribunal de grande instance de Bordeaux du 2 février 2017,

- débouter les appelantes du surplus de leurs demandes,

- condamner les appelantes à lui payer une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les appelantes aux entiers dépens, cette condamnation profitant à Me Pierre Gareau, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens.

L'audience a été fixée au 9 juin 2020 avec clôture prévue au 26 mai 2020.

Cette audience n'a pas eu lieu à la date prévue en raison de l'état d'urgence sanitaire. Il a été statué par procédure sans audience, sans opposition des parties, conformément aux dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et l'article 8 de l'ordonnance n° 304-2020 du 24 mars 2020.

La clôture de la procédure est fixée à la date de l'audience initialement prévue, soit le 9 juin 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité du testament olographe du 4 février 2004 et de la donation du 31 mars 2004

Relevant que si Mme J... avait effectivement été placée sous tutelle en janvier 2005, il ressortait cependant des éléments versés aux débats, et notamment du certificat médical établi par le médecin traitant de cette dernière, qu'elle disposait des facultés de discernement nécessaires lors de l'établissement en 2004 du testament olographe et de la donation contestés, et qu'au surplus l'affection qui l'unissait à sa fille était de nature à expliquer qu'elle ait voulu l'avantager, le tribunal a rejeté la demande en nullité desdits actes formée par les petites-filles de la défunte.

Les appelantes critiquent le jugement sur ce point faisant valoir que lors de l'établissement des deux actes litigieux, Mme J... était affectée depuis plusieurs années d'une maladie neurologique dégénérative dont l'évolution l'avait par la suite conduite à être placée sous tutelle. Elles invoquent également le fait que les actes ont été rédigés alors que Mme J... ne pouvait qu'être troublée venant de perdre brutalement son fils dont elle était très proche. A cet égard, les appelantes soulignent qu'il ne fait pas sens que Mme J... ait voulu avantager sa fille au détriment de ses petites-filles qui venaient de perdre leur père, et ce d'autant plus qu'elle avait eu par le passé la volonté de transmettre une partie de son patrimoine à ses petits-enfants tel qu'il ressort notamment du testament qu'elle avait initialement rédigé le 1er juillet 1999.

Les appelantes soutiennent qu'en réalité leur tante a profité de la situation de faiblesse dans laquelle se trouvait sa mère pour se voir octroyer des libéralités. Elles ne s'expliquent pas la décision du premier juge qui, selon elles, a éludé les conclusions d'expertise du Dr A... pour ne s'attacher qu'à l'apparence de cohérence que Mme J... avait laissé transparaître au jour de la signature des libéralités contestées, et ce alors même qu'il est notoire que les symptômes de la maladie d'Alzheimer se manifestent de manière irrégulière pouvant parfois tromper sur l'état de conscience réelle de la personne.

L'intimée explique que sa mère a souhaité l'instituer légataire universelle à titre de reconnaissance et de remerciement pour le temps et l'affection qu'elle a su lui octroyer depuis le décès de son époux survenu en 1995, et aux fins d'anticiper les éventuelles difficultés de sa succession en suite de la perte soudaine de son fils O....

L'intimée fait ainsi valoir que les appelantes, qui remettent en question la validité du testament du 4 février 2004 et de la donation du 31 mars 2004, établis tous deux par devant notaire, ne contestent cependant pas celle du codicille rédigé le 28 décembre 2003, soit quelques semaines auparavant. Et pour cause, aux termes de celui-ci les appelantes y sont désignées comme légataires. A cet égard, l'intimée souligne que sa mère n'a effectivement jamais souhaité déshériter ses petites-filles et que c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle a précisé dans son testament que sa fille devrait les indemniser.

Elle conteste également le caractère contradictoire et l'objectivité des certificats médicaux produits par les appelantes arguant que ceux-ci ont été établis par des docteurs choisis uniquement par ces dernières, à savoir notamment le Dr H... et le Dr A.... Elle invoque également le fait que les examens ont été pratiqués seulement quelques semaines après le décès de son frère et dans des circonstances non détaillées.

L'intimée allègue que quoi qu'il en soit il ressort de ces certificats, et en particulier de celui établi par le médecin traitant de sa mère que celle-ci était saine d'esprit, et qu'au demeurant, les appelantes ne prouvent pas qu'elle ne l'était pas au moment de la rédaction des actes contestés.

Sur ce,

Conformément aux dispositions de l'ancien article 489 du code civil, en vigueur pour les actes accomplis avant le 1er janvier 2009, pour faire un acte valable il faut être sain d'esprit.

Selon l'ancien article 503 du code civil, applicable aux actes juridiques conclus avant le 1er janvier 2009, les actes antérieurs pourront être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où ils ont été faits.

Il en résulte une double condition, à savoir : l'existence et la notoriété, à l'époque de l'acte litigieux, de la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle.

En l'espèce, il est établi, par la production de quatre certificats médicaux, et en particulier par celui communiqué par l'intimée elle-même et dressé par le Dr Q..., médecin traitant de Mme J... veuve X... de 1997 à 2009 ( pièce 15) , que celle-ci était atteinte d'un 'trouble cognitif évoluant depuis 1999 de type Alzheimer', avec l'apparition en 2004 de 'troubles mnésiques' nécessitant la prise du traitement médicamenteux Aricept. Au surplus, les deux psychiatres experts qui ont examiné Mme J... veuve X..., le 29 mars 2004, soit deux jours seulement avant la donation litigieuse, et le 30 août 2004, ont également relevé qu'elle présentait 'un trouble pathologique de la mémoire' ainsi qu' 'un affaiblissement intellectuel et un appauvrissement mental en rapport avec la maladie d'Alzheimer', ses 'facultés d'analyse, de synthèse, d'abstraction et de déduction' étant 'altérées', son état l'ayant empêchée et l'empêchant toujours 'de gérer ses affaires de manière pertinente en continue' ( dossier de tutelle).

En outre, la lecture des pièces versées aux débats laisse apparaître :

- que Madame J... a établi le 1er juillet 1999 un testament par devant notaire aux termes duquel elle entendait procéder à un partage égalitaire de sa succession entre ses deux enfants et gratifier ses petits-enfants ( pièce 2 appelantes)

- que le 2 février 2004, son fils, O..., est tragiquement décédé dans un accident de la circulation et qu'en suite de cet événement, K... X... s'est installée au domicile de sa mère,

- qu'à compter de ce moment, Mme J... a cessé de voir son entourage qu'elle cotôyait de manière régulière et notamment son amie de trente ans, sa petite-fille F... et la dame de compagnie qu'elle avait employée en 2003,

- que deux jours seulement après la perte soudaine de son fils, Mme J... a rédigé un testament olographe modifiant ses dispositions testamentaires précédemment prises et instituant légataire générale et universelle sa fille, K.... A cet égard, il est à relever que Mme J..., qui avait rédigé et fait enregistrer son premier testament par devant notaire, n'a pas effectué les mêmes diligences pour le testament querellé, celui-ci n'ayant été déposé au rang des minutes du notaire que postérieurement à son décès.

Il est encore à noter :

- que par acte du 31 mars 2004, Mme J... a donné à K..., par préciput, hors part et avec dispense de rapport, la pleine propriété de l'ensemble immobilier situé [...] qui, à cette époque, constituait encore son domicile,

- et que le mandataire spécial désigné par le juge des tutelles suivant ordonnance du 31 mars 2004 a relevé, qu'entre février et mars 2004, avaient eu lieu, sans raison apparente, des modifications dans le patrimoine de la personne protégée ainsi que des mouvements suspects sur les comptes bancaires de la défunte sur lesquels K... X... avait procuration.

Il est également établi que O... X... a eu, de son vivant, l'intention d'engager une procédure de mise sous protection de sa mère laquelle a finalement été initiée par F... X... suivant requête en date du 22 mars 2004. Une ordonnance de mise sous sauvegarde de justice a alors été rendue le 31 mars suivant. K... X... a d'ailleurs relevé appel de cette décision pour finalement se désister de son action, en suite de quoi, Mme J... a été placée sous tutelle par ordonnance du 21 janvier 2005. Ladite décision n'a en revanche fait l'objet d'aucun recours.

Enfin, il est à relever que dans son audition par devant le juge des tutelles, Mme J... a manifesté d'importants troubles de la mémoire et une perte de repères spacio-temporels, reconnaissant ne plus se souvenir si elle avait donné ou non à sa fille son appartement.

En conséquence, au regard de l'ensemble de ces éléments, force est de constater que la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle, à savoir l'état confuso-démentiel plaçant Mme J... dans l'impossibité de sauvegarder ses intérêts, existait déjà au jour des actes litigieux, cette dernière se trouvant indéniablement, à cette époque, dans une situation de vulnérabilité psychologique, de deuil et d'emprise morale certaine.

Quant à l'élément de notoriété, il se déduit du fait que K... X... avait parfaitement connaissance de la situation de faiblesse dans laquelle se trouvait sa mère, puisqu'elle a d'ailleurs jugé nécessaire d'être quotidiennement présente à ses côtés en s'installant à son domicile. Elle n'était pas non plus sans ignorer la maladie d'Alzheimer dont était atteinte sa mère, le diagnostic ayant été établi cinq ans auparavant, et au surplus, elle avait reconnu, lors de son audition devant le juge des tutelles, qu'elle savait déjà au jour de l'enterrement de son frère qu'il existait une demande de mise sous tutelle de sa mère.

Dès lors, sans remettre en question le lien d'affection qui unissait K... X... à sa mère et toute l'attention qu'elle lui a consacrée, il y a cependant lieu de prononcer l'annulation du testament du 4 février 2004 et de l'acte de donation établi le 31 mars 2004, les conditions de l'article 503 du code civil étant réunies. Le jugement entrepris sera donc réformé sur ce point.

Sur le recel successoral

Le tribunal, retenant que la donation du 31 mars 2004 était valide et qu'aucune preuve d'une dissimulation, fraude ou détournement n'était rapportée, a considéré que le recel successoral n'était pas constitué.

Les appelantes contestent ce raisonnement faisant valoir que K... X... a souhaité porter atteinte à l'égalité entre les cohéritiers, notamment en manipulant sa mère aux fins qu'elle modifie ses dispositions testamentaires et lui fasse donation de la pleine propriété d'un ensemble immobilier au sein duquel elle a d'ailleurs fait faire des travaux qui ont été réglés au moyen de fonds appartenant à la défunte, et où elle demeure gratuitement depuis 2004.

Les appelantes allèguent également que l'intimée a dissimulé, dans la déclaration de succession, l'existence du droit au bail et du loyer commercial qu'elle était censée verser à sa mère, éléments qui auraient du figurer à l'actif successoral.

L'intimée rétorque que les éléments matériel et intentionnel du recel successoral ne sont pas constitués, elle-même n'ayant dissimulé aucun acte et n'ayant pas eu l'intention de rompre l'égalité d'un partage entre les cohéritiers. A ce titre, elle fait valoir qu'il est bien mentionné dans la déclaration de succession la donation dont elle a été bénéficiaire.

Elle rappelle également qu'elle avait sollicité l'autorisation du juge des tutelles pour le renouvellement du bail commercial et ajoute que, de toute façon, les appelantes ne démontrent pas qu'elle n'a pas versé les loyers dont s'agit. Elle affirme que le produit de la vente des deux appartements appartenant à sa mère n'a pas servi à financer les travaux évoqués par les appelantes.

De manière générale, elle fait valoir qu'elle s'est occupée seule de sa mère depuis le décès de son frère, au détriment de sa propre vie de famille, et que c'est donc en toute légitimité, que sa mère a souhaité la gratifier par retour.

Sur ce,

Il résulte de l'article 778 du code civil que l'héritier receleur ne peut prétendre à aucune part dans les biens ou les droits 'détournés' ou recelés. Le recel successoral suppose l'existence d'un élément matériel, qui s'entend comme toute fraude ayant pour but de rompre l'égalité du partage entre cohéritiers, et un élément intentionnel lequel est caractérisé par une mauvaise foi ou une intention frauduleuse.

En l'espèce, l'élément matériel réside dans les actes litigieux conclus au détriment des petites-filles de Mme J..., héritières par représentation de leur père prédécédé, et considérés comme nuls par la cour.

En effet, il est indéniable que la teneur de ces actes, qui avaient vocation à instituer K... X... légataire générale et universelle en pleine propriété de l'ensemble des biens composant la succession de sa mère, et à lui donner hors part successoral, avec dispense de rapport, la pleine propriété d'un bien immobilier dans lequel la donatrice continuait de résider, était en contradiction totale avec l'esprit du testament initialement rédigé par Mme J... le 1er juillet 1999, et de nature à rompre toute égalité entre les héritiers.

S'agissant de l'intention frauduleuse, elle est caractérisée par le fait que K... X... avait parfaitement connaissance de la situation de vulnérabilité et de faiblesse dans laquelle se trouvait sa mère et qu'elle en a largement profité pour notamment tenter de divertir de la succession l'ensemble immobilier situé [...] .

En conséquence, il y a lieu de constater que l'infraction de recel successoral est constituée. K... X... sera donc privée de ses droits dans l'ensemble immobilier situé [...] .

Sur le rapport des indemnités

Le tribunal, considérant comme valide la donation du 31 mars 2004, a retenu que K... X... ne devait aucune indemnité à la succession, celle-ci occupant légitimement le bien objet de ladite donation, pas plus qu'elle ne devait verser le montant des loyers commerciaux dus au titre du bail commercial que lui avait consenti sa mère, la preuve du fait qu'elle ne s'en serait pas acquittée n'étant pas rapportée.

Les appelantes sollicitent la réformation du jugement sur ces points et demandent à ce que l'intimée soit condamnée à verser à la succession une indemnité de 1 000 euros par mois, à compter de décembre 2012 et ce jusqu'au règlement de la succession, pour l'occupation de l'appartement litigieux, ainsi que le montant des loyers commerciaux. A cet égard, elles font valoir que le premier juge a renversé la charge de la preuve et que c'est au débiteur d'une obligation, soit à l'intimée, de prouver qu'elle s'est bien acquittée desdits loyers.

L'intimée fait valoir qu'elle a quitté son logement familial pour habiter avec sa mère aux fins de lui apporter un soutien moral et psychologique et assurer l'entretien du bien. Elle explique avoir sacrifié sa vie de couple au profit de sa mère et avoir été la seule à lui apporter une aide. Elle allègue que sa présence dans la maison ne peut lui être facturée sans tenir compte de son investissement auprès de sa mère et fait valoir à ce titre le mécanisme des compensations. Elle considère que c'est aux appelantes de démontrer que les loyers commerciaux n'ont pas été réglés, invoquant que c'est à celui qui demande l'exécution d'une obligation de la prouver, sans compter que le droit au bail n'est pas au nom personnel de l'intimée, mais au nom de la société Sarl Cod Shoes.

- Sur l'indemnité d'occupation

Conformément aux dispositions de l'article 815-9 du code civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité. Cette jouissance doit être privative c'est-à-dire qu'elle suppose l'impossibilité pour les autres indivisaires d'user de la chose.

Or, en l'espèce, il n'est nullement démontré par les appelantes, sur qui la charge de la preuve repose, qu'elles n'étaient pas en mesure d'accéder à l'appartement indivis, et que par conséquent, K... X... bénéficiait d'une jouissance privative dudit bien.

Les appelantes seront donc déboutées de leur demande d'indemnité d'occupation.

- Sur les loyers commerciaux

Il résulte de l'article 1353 du code civil que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Or, en l'espèce, si par la production du contrat de bail commercial, les appelantes justifient de l'existence d'une obligation, à savoir le versement d'un loyer de 653 euros par mois, et qu'il appartient donc à celui tenu par cette obligation de prouver qu'il l'a exécutée, la lecture dudit contrat laisse cependant apparaître que c'est bien la société Sarl Cod Shoes qui est redevable dudit loyer.

Dès lors, la demande formée à ce titre à l'encontre de K... X... sera rejetée, celle-ci n'étant pas personnellement débitrice desdits loyers.

Sur les dépens et l'article 700 du code procédure civile

L'issue du litige commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conséquent, K... X..., partie succombante, sera condamnée à verser aux appelantes une indemnité de 1 500 euros chacune, soit 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, dans les limites de l'appel ;

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté F... X... et P... X... représentée par sa mère T... B... de leur demande tendant à la nullité du testament olographe en date du 4 février 2004 et de la donation en date du 31 mars 2004 et de leur demande visant à priver K... X... de ses droits successoraux dans l'immeuble objet de ladite donation,

CONFIRME pour le surplus,

Satuant à nouveau des chefs infirmés,

Annule le testament olographe en date du 4 février 2004 attribué à Mme J... veuve X..., décédée le 24 novembre 2012, et déposé au rang des minutes de Me E... W..., notaire à Bordeaux (Gironde), le 19 avril 2013,

Annule l'acte de donation en date du 31 mars 2004 conclu par Mme J... veuve X..., décédée le 24 novembre 2012, au profit de K... X... par devant Me E... W..., notaire à Bordeaux (Gironde),

Dit que K... X... s'est rendue coupable de recel successoral,

Dit qu'en conséquence K... X... sera privée de ses droits successoraux dans l'immeuble, objet de la donation déclarée nulle, dénommé [...] , à Bordeaux,

Renvoie les parties devant le notaire désigné pour dresser l'acte de partage de la succession de Mme J... veuve X... suivant les dispositions du présent arrêt,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne K... X... à verser à F... X... et P... X..., représentée par sa mère T... B..., une indemnité de 1 500 euros (mille cinq cents euros) à chacune au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne K... X... aux dépens d'appel dont distraction sera faite au profit de Me Jean-François Dacharry, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Signé par Madame Danièle PUYDEBAT, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Florence Chanvrit Adjoint Adjoint Principale faisant fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 17/01334
Date de la décision : 29/07/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 06, arrêt n°17/01334 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-29;17.01334 ?
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