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25/06/2020 | FRANCE | N°19/05085

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 25 juin 2020, 19/05085


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------







ARRÊT DU : 25 JUIN 2020



(Rédacteur : Madame Marie-Jeanne LAVERGNE-CONTAL, Président)





N° RG 19/05085 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LHSN









Madame [R] [X]

Madame [H] [T]

Monsieur [F] [T]





c/



Monsieur [U] [J]

Monsieur [Z] [B]



























Nat

ure de la décision : AU FOND



























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 12 septembre 2019 (Pourvoi n° T 18-18.626)par la troisième chambre civile de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 0...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 25 JUIN 2020

(Rédacteur : Madame Marie-Jeanne LAVERGNE-CONTAL, Président)

N° RG 19/05085 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LHSN

Madame [R] [X]

Madame [H] [T]

Monsieur [F] [T]

c/

Monsieur [U] [J]

Monsieur [Z] [B]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 12 septembre 2019 (Pourvoi n° T 18-18.626)par la troisième chambre civile de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 03 avril 2018 ( RG : 16/225) par la première Chambre Civile de la Cour d'Appel de POITIERS en suite d'un jugement rendu le 14 décembre 2015 (R.G. 13/00847) par le Tribunal de Grande Instance de POITIERS suivant déclaration d'appel du 25 septembre 2019

APPELANTS :

[R] [X]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 24]

[H] [T]

née le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 26] ([Localité 26])

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

[F] [T]

né le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 28] ([Localité 28])

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

Représentés par Me Pascal SZEWCZYK, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[U] [J]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 30]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

[Z] [B]

né le [Date naissance 5] 1936 à [Localité 27]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Représentés par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistés de Me François CARRÉ de la SCP BCJ

BROSSIER-CARRE-JOLY avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Marie-Jeanne LAVERGNE-CONTAL, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Madame Catherine LEQUES , Conseiller,

qui en ont délibéré.

L'affaire a été fixée à l'audience du 12 Mai 2020 conformément aux dispositions des articles 905 et 1037-1 du code de procédure civile.

Cette audience n'a pas eu lieu à la date prévue en raison de l'état d'urgence sanitaire. Il a été statué par procédure sans audience, sans opposition des parties, conformément aux dispositions de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 et de l'article 8 de l'ordonnance n°304-2020 du 25 mars 2020 .

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour

FAITS ET PROCÉDURE

En mars 1979, les époux [K] ont acquis des consorts [L] diverses parcelles sur lesquelles une maison a été édifiée avec une cour correspondant à la parcelle D [Cadastre 13] et un terrain D [Cadastre 17]. Il est mentionné à l'acte de vente que cette parcelle D [Cadastre 13] est grevée de divers droits de passage et qu'en conséquence, la cour ne doit en aucun cas être clôturée.

En 2007, les époux [K] ont fait installer un portail sur la parcelle [Cadastre 13] à usage de cour limitant le passage aux piétons.

M. et Mme [T] propriétaires de parcelles cadastrées D [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 22], acquises le 12 novembre 2006 des époux [G] et Mme [X], propriétaire des parcelles cadastrées D [Cadastre 23], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 14] acquises le 10 octobre 1997 de la SCI [Adresse 25], faisant valoir qu'ils accédaient à leurs propriétés respectives par la cour, parcelle [Cadastre 13], ont saisi le juge des référés qui, par ordonnance en date du 14 septembre 2011, a ordonné une mesure d'expertise.

L'expert a déposé son rapport le 26 janvier 2012.

Les époux [K] ont vendu leur propriété le 10 septembre 2012 à M.M. [J] et [B] selon acte contenant (page 21) l'information qu'un litige avec les propriétaires voisins a eu lieu concernant des droits de passage pouvant grever les parcelles, objet des présentes. Il était précisé qu'aucune procédure judiciaire n'avait été entamée par aucune des parties suite à la remise du rapport par l'expert. Cet acte rappelait également (page 22) que figurait à l'acte de la vente antérieure du 3 mars 1979 interdiction de clore la cour grevée de divers droits de passage et (page 23) qu'aux termes d'un acte reçu du 24 octobre 1992, une servitude, à titre purement gratuit et pour régulariser une situation de fait existante déjà depuis de très nombreuses années, avait été constituée sur le terrain sur une autre parcelle D[Cadastre 17].

Le 19 février 2013, M. et Mme [T] et Mme [X] ont assigné MM [O] devant le Tribunal de grande instance de Poitiers pour qu'il soit jugé que la parcelle cadastrée section D [Cadastre 13] était grevée d'une servitude de passage et d'une servitude non aedificandi au profit des parcelles D [Cadastre 19] et D[Cadastre 22] (appartenant aux époux [T]) et D [Cadastre 14], D [Cadastre 23], D [Cadastre 7], D [Cadastre 8], D [Cadastre 9] et D [Cadastre 20] (appartenant à Mme [X]) et que les défendeurs soient condamnés sous astreinte à supprimer le pilier du portail et les blocs de pierre empiétant sur la parcelle D [Cadastre 14] et à supprimer tous obstacles empêchant de passage sur l'assiette de la servitude et de la servitude non aedificandi dont leurs fonds bénéficient.

Par jugement du 14 décembre 2015, le tribunal a débouté les consorts [M] de leurs demandes.

Par arrêt du 3 avril 2018, la cour d'appel de Poitiers a confirmé le jugement.

M. et Mme [T] et Mme [X] ont formé un pourvoi.

Par un arrêt en date du 12 septembre 2019, la cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyés devant la cour d'appel de Bordeaux, condamnant MM. [J] et [B] aux dépens.

LA COUR

Vu la déclaration de reprise d'instance par M. et Mme [T] et Mme [X] ;

Vu les conclusions du 27 avril 2020 de M. et Mme [T] et de Mme [X] aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de POITIERS du 14.12.2015 en ce qu'il les a déboutés de leur demande de reconnaissance de servitudes de passage et d'un empiétement ainsi que de leurs demandes subséquentes :

Par conséquent,

- dire que la parcelle cadastrée section D [Cadastre 13] (consorts [J]/[B]) est grevée d'une servitude de passage conventionnelle au profit, d'une part, des parcelles D [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 22] (époux [T]), d'autre part, des parcelles D [Cadastre 14], [Cadastre 23], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 20] (Mme [X]) ;

- à défaut, constater la situation d'enclave des parcelles D [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 22] (époux [T]), d'autre part des parcelles D [Cadastre 23], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 20] (Mme [X]) et dire qu'elles bénéficient en conséquence d'une servitude de passage légale sur la parcelle cadastrée section D [Cadastre 13] afin d'accéder à la [Adresse 29].

- à titre subsidiaire, ordonner une mesure d'expertise permettant à la Cour de vérifier la matérialité des lieux, les signes apparents constitutifs d'une servitude par destination du père de famille, la situation d'enclave, confier à tel expert qu'il plaira qui se fera remettre tout document utile à sa mission et prendra notamment en considération le document d'arpentage de 1958.

- dire que la parcelle cadastrée section D [Cadastre 13] (consorts [J]/[B]) est grevée d'une servitude « non aedificandi », au profit, d'une part, des parcelles D [Cadastre 18], [Cadastre 19] et [Cadastre 22] (époux [T]), d'autre part, des parcelles D [Cadastre 23], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 20] (Mme [X]) ;

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] à supprimer le portail et les blocs de pierre mis en 'uvre sur l'assiette de la servitude de passage et en contravention de la servitude non aedificandi, sous astreinte de 100,00 € par jour de retard courant à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- constater l'empiétement sur la parcelle D [Cadastre 14] des blocs de pierre posés sur la limite divisoire avec la parcelle D [Cadastre 13].

- à titre subsidiaire, ordonner une mesure d'expertise permettant à la Cour de vérifier l'empiétement sur la propriété de Mme [X], au regard notamment des documents d'arpentage de 1958.

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] à supprimer le pilier ainsi que les blocs de pierre mises en 'uvre en empiétement sur la parcelle D [Cadastre 14], sous astreinte de 100,00 € par jour de retard courant à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] au paiement d'une somme de 3.500,00 € à titre de dommages intérêts, d'une part, à M. et Mme [T], d'autre part, à Mme [X], en indemnisation du préjudice de jouissance subi.

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] au paiement d'une somme de 2.500,00 € à titre de dommages intérêts, d'une part, à M. et Mme [T], d'autre part, à Mme [X], en indemnisation du préjudice moral subi.

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] au paiement d'une somme de 6.400,00 € à titre de dommages intérêts à M. et Mme [T] et Mme [X], chacun, en indemnisation du préjudice de moral subi.

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [J] et M. [B] de leur demande de suppression de la fosse aux frais exclusifs de M. et Mme [T].

- réformer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens.

- condamner solidairement M. [J] et M. [B] au paiement d'une indemnité de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;

- les condamner solidairement aux entiers dépens concernant ceux d'instance ayant donné lieu à l'arrêt cassé ainsi que ceux de la présente procédure conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions de M. [J] et M. [B] en date du 23 avril 2020 dans lesquelles ils demandent à la cour de :

- déclarer irrecevable la saisine de la Cour d'appel de renvoi au visa des dispositions de l'article 1037-1 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Poitiers en ce qu'il a déclaré recevable les demandes de Mme [X] ;

- confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de POITIERS en ce qu'il a débouté les consorts [X] et [T] de l'intégralité de leurs demandes,

Pour le surplus, statuant de nouveau,

- à titre reconventionnel, constater l'extinction de la servitude d'usage sur une fosse septique située sur la parcelle D [Cadastre 17] au profit des anciennes parcelles cadastrées D [Cadastre 22] et D [Cadastre 11] appartenant désormais aux consorts [T].

- en conséquence, condamner les consorts [T] à procéder à l'enlèvement de la fosse et de tous ses accessoires, à remettre les lieux en l'état après enlèvement, et ce à leurs frais, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard un mois après la signification de la décision à intervenir.

- en tout état de cause, condamner Mme [X], M. et Mme [T] au paiement de la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance, d'appel et de la présente instance ;

Il a été statué par procédure sans audience, sans opposition des parties, conformément aux dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et de l'article 8 de l'ordonnance n° 304-2020 du 25 mars 2020.

La clôture de la procédure est fixée à la date de l'audience initialement prévue, soit le 12 mai 2020.

SUR CE

Sur la caducité de la saisine de la Cour d'appel de renvoi

Les consorts [J]/[B] invoquent les dispositions de l'article 1037-1 du code de procédure civile et soutiennent que la déclaration de saisine ne leur a pas été signifiée et que seul l'accusé de réception de ladite déclaration a été notifié à leur avocat en violation des dispositions du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour de déclarer irrecevable la saisine de la cour de renvoi.

Les époux [T] et Mme [X] concluent au débouté de cette demande rappelant que seule la caducité serait encourue et non l'irrecevabilité de la déclaration d'appel comme sollicitée par les intimés. Ils indiquent également que la caducité est relevée d'office par le Président de chambre ou le magistrat délégué par le premier Président ce qui n'est pas en cas en l'espèce. Enfin ils font valoir que les intimés avaient constitué avocat avant l'avis de fixation et que dans ces conditions, la notification de la déclaration d'appel à l'avocat constitué respectait l'esprit de la loi.

Aux termes de l'article 1037-1 du code de procédure civile, en cas de renvoi devant la cour d'appel, lorsque l'affaire relevait de la procédure ordinaire, celle-ci est fixée à bref délai dans les conditions de l'article 905. En ce cas, les dispositions de l'article 1036 ne sont pas applicables.

La déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les dix jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation. Ce délai est prescrit à peine de caducité de la déclaration, relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président.

L'obligation faite à l'appelant, par l'article 1037-1 du code de procédure civile, de signifier cette déclaration de saisine à l'intimé tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite de l'avis du greffe, en vue de garantir le respect du principe de la contradiction, exigeant que l'intimé ne puisse être jugé qu'après avoir été entendu ou appelé.

Or en l'espèce, M. [J] et M. [B] se sont constitués devant la cour de renvoi par acte du 30 octobre 2019 soit avant l'avis de fixation du greffe en date du 12 novembre 2019.

D'autre part, le conseil de M. et Mme [T] et de Mme [X] a dénoncé la déclaration de saisine en date du 25 septembre 2019 via le RPVA au conseil des intimés le 14 novembre 2019 soit dans les 10 jours de l'avis de fixation adressé par le greffe.

En conséquence, outre le fait que la sanction d'un manquement à cette obligation serait la caducité de la saisine de la déclaration et non son irrecevabilité, il apparaît que les époux [T] et Mme [X] ont respecté l'obligation qui pesait sur eux.

Il y a lieu de débouter M. [J] et M. [B] de ce chef de demande.

Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme [X]

M. [J] et M. [B] soutiennent que Mme [X] dispose d'un accès direct sur la voie publique de telle sorte qu'elle est mal venue à solliciter la reconnaissance d'une servitude de passage sur la parcelle D[Cadastre 13] qui leur appartient. Ils affirment que Mme [X] est dépourvue de tout intérêt à agir et que d'autre part, l'expertise ordonnée a démontré que le portail litigieux a bien été édifié sur la limite entre la parcelle D[Cadastre 14] appartenant à Mme [X] et la parcelle D [Cadastre 13] leur appartenant.

Cependant Mme [X] fondant sa demande sur l'existence d'une servitude non aedificandi grevant la parcelle D[Cadastre 13], elle justifie d'un intérêt à agir nonobstant le fait qu'elle disposerait d'un accès direct à la voie publique.

Il y a lieu de débouter M. [J] et M. [B] de cette fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme [X].

Sur le fond

Les époux [T] et Mme [X] invoquent tout d'abord l'existence d'une servitude conventionnelle de passage par titres et subsidiairement la constitution de la servitude par destination du père de famille rappelant que la parcelle litigieuse D474 provient de la division d'un seul et unique fond à l'origine à savoir une parcelle D[Cadastre 21].

M. [J] et M. [B] contestent qu'il résulterait des différents titres la démonstration de l'existence d'une servitude conventionnelle. De même, ils soutiennent que les conditions d'acquisition de la servitude par destination du père de famille ne sont nullement établies.

Une servitude conventionnelle, droit réel immobilier, est une charge consentie par le propriétaire du fonds servant pour l'usage et l'utilité du fonds dominant ainsi que cela résulte des dispositions de l'article 637 du code civil. L'établissement des servitudes conventionnelles, les modifications qu'elles peuvent ultérieurement subir, ainsi que celles qui, éventuellement, seraient apportées aux servitudes naturelles et aux servitudes légales d'intérêt privé trouvent leur source : en un titre ou dans la prescription ou encore dans la destination du père de famille.

L'article 692 du code civil dispose que la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes.

L'article 693 du code civil précise qu'il n'y a destination du père famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

Enfin l'article 694 stipule que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.

La destination de père de famille se caractérise ainsi par l'intervention d'un propriétaire, d'un bien immobilier, qui pour favoriser sa destination, aménage les parties de ce bien situé sur un fonds unique ou aménage ce fonds ou une partie de celui-ci à l'usage ou à l'utilité d'un autre fonds lui appartenant ou d'une partie de cet autre fonds, de telle sorte que l'aménagement existant entre eux résultant de l'exercice du droit de propriété, devient lors de la division par l'effet de la loi et sous certaines conditions, une servitude.

Ainsi plusieurs conditions doivent être réunies pour que l'existence d'une servitude par destination du père de famille soit reconnue à savoir:

- identité de propriétaire : il doit être prouvé que les deux fonds actuellement séparés ont appartenu initialement au même propriétaire sans qu'il soit exigé que ces deux fonds aient toujours été distincts.

- auteur de l'aménagement : il doit être établi que c'est par ce propriétaire ou par son auteur que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

- maintien de l'aménagement lors de la division : il faut que l'aménagement constitutif de la servitude prétendue ait encore existé au moment de la division des fonds et ait été maintenu.

- absence de volonté contraire : il faut, enfin, que ne se soit pas manifestée, expressément ou tacitement, aucune volonté contraire à la présomption légale de constitution de servitude attachée à l'état de fait observé. Il n'y a servitude que si, de l'état de fait créé par l'auteur commun, résulte l'intention de celui-ci d'assujettir définitivement une parcelle ou une partie

d'un fonds à un service au profit d'une autre parcelle ou partie d'un même fonds.

En l'espèce, il est établi et non contesté que les différentes parcelles, propriétés aujourd'hui de M. et Mme [T], de Mme [X] et de Messieurs [J] et [B] dont la parcelle litigieuse D[Cadastre 13], appartenaient à un seul et même auteur, les consorts [I], et constituaient la parcelle D[Cadastre 21] sur laquelle se trouvait une cour desservant l'ensemble des bâtiments et parcelles jusqu'à leur première division les 20 et 25 septembre 1958 en deux parcelles D[Cadastre 10](M. [L]) et D[Cadastre 11]( M. [P]).

Il convient de relever que dans cet acte des 20 et 25 septembre 1958 concernant la vente au profit de M. [L], il était mentionné s'agissant de la parcelle [Cadastre 10] notamment une 'cour devant grevée de divers droits de passage'.

Cette parcelle [Cadastre 10] a par la suite été à nouveau divisée pour constituer les parcelles actuelles D[Cadastre 13] (parcelle litigieuse propriété actuelle de M. [J] et M. [B]) et la parcelle D[Cadastre 14] (propriété actuelle de Mme [X]).

Dans l'acte de vente du 3 mars 1979, les consorts [L] ont vendu aux époux [K] les parcelles D[Cadastre 16], D[Cadastre 17], D[Cadastre 12] et la parcelle D[Cadastre 13],objet du présent litige. Cet acte précisait au chapitre SERVITUDES que la parcelle cadastrée D[Cadastre 13] représentant la cour est grevée de divers droits de passage et qu'en conséquence, la cour ne doit en aucun cas être clôturée par l'ACQUEREUR.

Par acte notarié en date du 24 octobre 1992, les époux [G] ont acquis la parcelle D[Cadastre 11] et D[Cadastre 22] de M. [P] venant aux droits de son père. Cet acte précisait dans la désignation des biens vendus l'existence d'une petite cour sur le devant grevée de divers droits de passage.

Par acte en date du 12 décembre 2006, les époux [G] ont vendu à M. et Mme [T] les parcelles D[Cadastre 18], D [Cadastre 19] et D[Cadastre 22] avec la mention suivante : Etant observé que dans l'acte de vente de Monsieur [D] [P] au profit de Monsieur et Madame [W], du 24 octobre 1992, ci après rapporté, il a été stipulé ce qui suit littéralement rapporté :

'Les immeubles vendus bénéficient apparemment, et sans que cela ne soit constaté dans les actes, de droits de passage sur divers pour rejoindre la voie publique, et qu'en contre-partie et de la même manière, ils supporteront au profit de divers, des droits de passage leur permettant de rejoindre cette même voie publique.'

Enfin par acte du 10 septembre 2012, les époux [K] ont vendu à M. [J] et M. [B] les parcelles D [Cadastre 15], D [Cadastre 16], D [Cadastre 17], D[Cadastre 12] et D[Cadastre 13]. Cet acte fait référence (page 21) à l'existence d'un litige avec les propriétaires voisins concernant des droits de passage pouvant grever les parcelles objets de la vente. Au chapitre SERVITUDES, il est mentionné: Aux termes d'un acte reçu par Me [S] notaire à [Localité 31] le 3 mars 1979, il a été mentionné ce qui suit littéralement rapporté : 'Il est fait observer que la parcelle cadastrée D[Cadastre 13] représentant la cour est grevée de divers droits de passage et qu'en conséquence, la cour ne doit en aucun cas être clôturée par l'ACQUEREUR'

Il ressort de l'examen de l'ensemble de ces actes que le propriétaire initial a eu la volonté d'établir une servitude de passage sur la cour à savoir la parcelle D [Cadastre 13] au profit de l'ensemble des bâtiments entourant cette cour. L'aménagement des lieux montre clairement l'existence d'une servitude apparente. Cette servitude est née de la séparation des fonds en vertu de la destination du père de famille, l'acte de division ne contenant aucune convention contraire à la servitude mais bien au contraire mentionnant la nécessité de ne pas clôturée la cour pour permettre les différents droits de passage. S'agissant d'une servitude conventionnelle, il importe peu que les bénéficiaires de cette servitude ne soient pas enclavés ou qu'ils bénéficient d'un accès à la voie publique.

Sur l'assiette de cette servitude, il convient de relever qu'en interdisant que la cour litigieuse puisse être clôturée, le propriétaire initial a entendu permettre un libre accès à l'ensemble des parcelles entourant cette cour. Au surplus, il ressort de nombreuses attestations que la cour était utilisée depuis plus de trente ans pour desservir la propriété des époux [T] tant à pied qu'en voiture.

En conséquence, en application des dispositions de l'article 701 du code civil, Messieurs [J] et [B] ne peuvent rien faire qui tende à diminuer l'usage ou rendre plus incommode la servitude.

Il y a lieu de condamner M. [J] et M. [B] à supprimer le portail et ses piliers ainsi que les blocs de pierre posés en limite de la parcelle D474 qui empêchent l'exercice normal de la servitude conventionnelle.

Les époux [T] et Mme [X] demandent une mesure d'astreinte de 100 euros par jour de retard.

Il convient de faire droit à cette demande et en conséquence de prononcer une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé un délai de six mois après la signification du présent arrêt et pour une durée de six mois.

Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme [X] visant à voir ordonner la démolition du pilier sud et la suppression des blocs de pierre en raison d'un empiétement sur

sa propriété.

L'impossibilité pour les époux [T] et Mme [X] de pouvoir utiliser la servitude de passage sur la parcelle D [Cadastre 13] a généré un préjudice certain qu'il convient d'évaluer à la somme de 1.000 euros pour Mme [X] et 1.000 euros pour M. et Mme [T].

M. et Mme [T] et Mme [X] sollicitent en outre de dommages et intérêts en invoquant un préjudice moral résultant notamment de propos tenus par les consorts [J]/[B] à leur encontre.

Cependant les seuls propos démontrés résultant des conclusions des intimés n'excédent pas la liberté d'expression de l'avocat. D'autre part, ils ne justifient de l'existence d'un tel préjudice.

Il convient de débouter M. et Mme [T] et Mme [X] de leur demande en dommages et intérêts.

Sur la demande reconventionnelle de Messieurs [J] et [B]

Les consorts [J]/[B] indiquent que dans de vente du 24 octobre 1992, leurs auteurs, les époux [K], ont constitué un droit d'usage sur une fosse d'assainissement située sur la parcelle D[Cadastre 17] leur appartenant au profit des parcelles cadastrées D [Cadastre 22] et D [Cadastre 11] [...] et ce jusqu'à la desserte du secteur urbain par le futur réseau public d'assainissement.

Ils soutiennent que depuis les années 1999/2000, le réseau public d'assainissement est en place et qu'en conséquence, la dite servitude n'a plus de raison d'être. Ils demandent l'enlèvement de cette fosse aux frais des époux [T] avec remise en état des lieux et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard après signification de la décision à intervenir.

M. et Mme [T] soutiennent que cette fosse n'était pas pour leur unique usage et qu'elle était utilisée également pour partie par les époux [K] puis les consorts [J]/[B].

C'est par une exacte appréciation des faits de la cause que la cour adopte que le premier juge a relevé que seul un droit d'usage avait été consenti par les époux [K] sur la fosse d'assainissement qui leur appartenait. Seuls les frais d'entretien de cette fosse ont été mis à la charge des époux [G] puis des époux [T].

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [J]/[B] de leur demande visant à voir condamner M. et Mme [T] à enlever la fosse d'assainissement à leurs frais.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la saisine de la Cour d'appel de renvoi.

Infirme le jugement déféré.

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Mme [X].

Dit que la parcelle D [Cadastre 13] appartenant à Messieurs [J] et [B] est grevée d'une servitude de passage au profit de la propriété de M. et Mme [T] et de la propriété de Mme [X].

Condamne solidairement M. [J] et M. [B] à supprimer le portail et les blocs de pierre mis en oeuvre sur l'assiette de la servitude de passage sous astreinte de 50 euros par jour de retard commençant à courir six mois après la signification de la présente décision et pour une durée de six mois.

Condamne solidairement M. [J] et M. [B] à payer une somme de 1.000 euros à Mme [X] ainsi qu'à M. et Mme [T].

Déboute M. et Mme [T] et Mme [X] de leurs demandes en dommages et intérêts pour préjudice moral.

Déboute M. [J] et M. [B] de leur demande reconventionnelle.

Condamne M. [J] et M. [B] à verser à M. et Mme [T] et à Mme [X] une somme totale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [J] et M. [B] aux entiers dépens d'instance et d'appel en ce compris les dépens de l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 3 avril 2018.

L'arrêt a été signé par Marie-Jeanne LAVERGNE-CONTAL, Président et par Annie BLAZEVIC, Greffier auquel il a remis la minute signée de la décision.

Le Greffier Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/05085
Date de la décision : 25/06/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 1B, arrêt n°19/05085 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-25;19.05085 ?
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