La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/02/2020 | FRANCE | N°18/01002

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 12 février 2020, 18/01002


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 12 FÉVRIER 2020



(Rédacteur : Madame Nathalie Pignon, présidente)



PRUD'HOMMES



N° RG 18/01002 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KJK4













Madame [T] [E] veuve [I]



c/



Maître [W] [R], ès qualités de mandataire liquidateur de Monsieur [U]

[O]



CGEA DE [Localité 3], mandataire de l'AGS DU SUD-OUEST













Nature de la décision : AU FOND





Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 12 FÉVRIER 2020

(Rédacteur : Madame Nathalie Pignon, présidente)

PRUD'HOMMES

N° RG 18/01002 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KJK4

Madame [T] [E] veuve [I]

c/

Maître [W] [R], ès qualités de mandataire liquidateur de Monsieur [U]

[O]

CGEA DE [Localité 3], mandataire de l'AGS DU SUD-OUEST

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 30 juin 2015 (RG n° F14/00185) par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de LIBOURNE, section Industrie, suivant déclaration d'appel du 02 novembre 2015,

APPELANTE :

Madame [T] [E] veuve [I], née le [Date naissance 1]

1956 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant [Adresse 4],

représentée par Maître Pierre IRIART, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉS :

Maître [W] [R], ès qualités de mandataire liquidateur de Monsieur [U] [O] domicilié [Adresse 2],

CGEA DE [Localité 3], mandataire de l'AGS DU SUD-OUEST, pris en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 5],

représentés par Maître Axelle MOURGUES de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocate au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 4 juin 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie Pignon, présidente chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Nathalie Pignon, présidente

Madame Annie Cautres, conseillère

Monsieur Jean-François Franco, conseiller

Greffière lors des débats : Anne-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

- prorogé au 12 février 2020 en raison de la charge de travail de la cour

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [T] [E] a travaillé dans la pâtisserie de Monsieur [U] [O] à compter du 2 avril 2002 en qualité de vendeuse.

Le 1er septembre 2014, Madame [T] [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 3 novembre 2014, le tribunal de commerce de Libourne a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Monsieur [O] et a désigné la SELARL [R] en qualité de liquidateur judiciaire.

Madame [T] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Libourne aux fins d'obtenir diverses sommes afférentes à l'exécution de son contrat de travail.

Suivant jugement du 30 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Libourne a :

- fixé la créance de Madame [T] [E] au passif de la liquidation judiciaire de Monsieur [U] [O] comme suit :

- salaire des mois de juin à août 2014 : 7.435,95 euros bruts,

- congés payés y afférent : 743,59 euros

- indemnité de préavis : 506,07 euros

- indemnité de rupture : 2.168,88 euros

- débouté Madame [T] [E] du surplus de ses demandes,

- dit le jugement opposable au CGEA de [Localité 3] dans les limites de sa garantie légale fixées par les articles L3253-2 et suivants du code du travail,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés dans la liquidation judiciaire de Monsieur [U] [O].

Par déclaration en date du 2 novembre 2015, Madame [T] [E] a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.

Suivant ordonnance en date du 8 juin 2016, la Cour d'appel de Bordeaux a prononcé la radiation de l'affaire.

Le 22 février 2018, le greffe de la Cour d'appel de Bordeaux a délivré un avis de réinscription au rôle sur les conclusions de Madame [T] [E].

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de ses dernières écritures de remise au rôle transmises au greffe le 23 mai 2019 et développées oralement à l'audience, Madame [T] [E] demande à la cour de :

- juger qu'elle a bien été employée entre le 2 avril 2002 et le 1er septembre 2014, par Monsieur [U] [O],

- condamner Monsieur [U] [O] à lui verser les sommes suivantes :

- l'intégralité des salaires de janvier 2012 à août 2014, soit 45.589,20 euros, outre 4.558,92 euros au titre des congés payés afférents,

- 6.937,40 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 4.336 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 433,60 euros de congés payés sur préavis,

- 52.032 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rendre opposable le jugement à intervenir au CGEA de Bordeaux.

A l'appui de ses prétentions, l'appelante fait valoir :

- qu'elle a effectivement été salariée du 2 avril 2002 au 1er septembre 2014 sans discontinuité et qu'à ce titre elle a droit au paiement des salaires non reçus,

- que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse eu égard aux fautes commises par son employeur (absence de fourniture de travail, défaut de rémunération),

- que la cour doit prendre en considération l'intégralité de son ancienneté (2002 à 2014).

Aux termes de ses dernières écritures transmises au greffe le 23 mai 2019 et développées oralement à l'audience, Me [R], ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [O], conclut à la confirmation du jugement de première instance et ce faisant, demande à la cour de :

- dire que Madame [E] ne peut prétendre à la qualité de salariée qu'à compter du 1er mai 2014,

- la débouter de sa demande de rappel de salaire de janvier 2012 à août 2014,

- dire que Madame [E] comptait une ancienneté de 4 mois lors de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,

- la débouter de sa demande au titre du préavis et des congés payés sur préavis, et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 52.032 euros.

A l'appui de ses prétentions, Me [R] soutient :

- que Madame [E] ne démontre l'existence d'aucun lien de subordination et ne peut revendiquer la qualité de salariée qu'à compter du 31 mai 2014.

Aux termes de ses dernières écritures transmises au Greffe le 23 mai 2019 et développées oralement à l'audience, le CGEA de [Localité 3] demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance et ce faisant, de :

- dire que Madame [E] ne peut prétendre à la qualité de salariée qu'à compter du 1er mai 2014,

- la débouter de sa demande de rappel de salaire de janvier 2012 à août 2014,

- dire que Madame [E] comptait une ancienneté de 4 mois lors de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,

- la débouter de sa demande au titre du préavis et des congés payés sur préavis, et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 52.032 euros,

- dire que les dépens ne pourront, en aucun cas, être laissés à la charge de l'AGS,

- dire que l'arrêt à intervenir ne sera opposable à l'AGS que dans la limite légale de sa garantie, en l'espèce le plafond 4, laquelle exclut l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, le CGEA soutient que Madame [E] ne s'est aucunement comportée comme une salariée, ne démontre pas qu'elle recevait quotidiennement des instructions d'un supérieur hiérarchique qui était par ailleurs son compagnon, pas plus qu'elle ne prouve avoir travaillé sous les ordres et directives de Monsieur [O].

MOTIFS

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. S'il appartient à celui qui s'en prévaut de prouver l'existence du contrat de travail, en revanche, en présence d'un contrat

apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

La seule fourniture de bulletins de salaires ne suffit pas à elle seule à justifier de la réalité de la qualité de salarié.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que :

- Madame [E] a travaillé comme vendeuse à compter du 2 avril 2002 dans la pâtisserie de Monsieur [O], dont elle a été la concubine, de 2006 à 2014,

- aucun contrat de travail écrit n'a été formalisé entre les parties,

- Madame [E] était présente quotidiennement dans l'établissement en qualité de vendeuse, ainsi que le révèlent les attestations de plusieurs clientes (Mmes [J], [F], [H], [S])

- elle a assuré au moins pour partie les tâches administratives et comptables, envoyé un certain nombre de correspondances aux interlocuteurs de l'entreprise, et notamment les cabinets comptables, y compris depuis son adresse mail personnelle,

- elle a contribué à l'exploitation de la pâtisserie en réglant les frais courants et en injectant plusieurs sommes d'argent sous forme de prêts en vue de reconstituer la trésorerie, ce qui caractérise une immixtion dans la gestion de l'entreprise,

- elle a donné des instructions au cabinet comptable en ce qui concerne la rédaction d'un bulletin de salaire (M. [Y]), et en lui demandant de faire une étude de salaire concernant la réduction de ses horaires de travail, précisant, sous sa propre signature : "Je n'accepterai aucun changement sans avoir pris connaissance de ces documents",

- elle avait des contacts directs avec l'assureur de Monsieur [O], lequel indique : "Je vous confirme par la présente que lorsqu'il s'agissait des paiements des contrats d'assurance, les négociations et discussions se sont faites avec Madame [E].

J'ai eu le plaisir de rencontrer Madame [E] plusieurs fois. Elle m'a interrogé à plusieurs occasions sur la gestion de la pâtisserie et il est évident, au vu de ces conversations, qu'elle assurait seule la gestion administrative et financière de la pâtisserie.

Dès que Madame [E] a vécu avec Monsieur [O], elle a immédiatement pris en charge les responsabilités décrites ci-dessus.'

Lorsque les difficultés sont apparues dans cette entreprise, j'ai été amené à lui donner quelques conseils généraux de gestion et il est certain qu'elle décidait seule de son salaire et, malgré l'insistance de son expert-comptable et de moi-même, elle n'a jamais accepté de revoir sa façon de gérer l'entreprise, ni même son salaire."

- un seul document, dactylographié, non signé et non daté mentionne des instructions en ce qui concerne les horaires de travail de Mme [E].

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le conseil de prud'hommes a fait une exacte application des éléments de fait et de droit en considérant que Madame [E] ne démontrait pas avoir été soumise à un horaire de travail, ni qu'elle recevait des directives précises pour organiser son travail, ni qu'elle obéissait aux ordres donnés par Monsieur [U] [O], ni que celui-ci était en mesure de la sanctionner, pour en conclure que la preuve d'un contrat de travail n'était pas rapportée jusqu'au 1er juin 2014, date à laquelle le liquidateur admet qu'un contrat de travail a été formé entre les parties, après la rupture des relations de concubinage entre Madame [E] et Monsieur [O].

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais aussi constituer des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur et rendant impossible le maintien du contrat de travail.

Le salarié qui prend acte de la rupture en raison de manquement de l'employeur à ses obligations doit établir les manquements qu'il avance. En cas de doute la rupture produit les effets d'une démission.

Le paiement des salaires est une obligation essentielle de l'employeur.

Madame [E] soutient à juste titre que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse aux motifs de non fourniture de travail à son retour de congé le 29 août 2014 et non-paiement des salaires, dès lors qu'il est constant que le salaire du mois de mai 2014 lui a été payé avec retard, que celui de juin 2014 ne lui avait pas été réglé à la date à laquelle elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail, et qu'à la reprise de son travail après ses congés du mois d'août 2014, elle n'a pu pénétrer dans l'établissement, alors qu'aucune procédure de licenciement n'avait alors été initiée.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Libourne qui a requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [E].

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Compte tenu du nombre de salariés dans l'entreprise, inférieur à 11 salariés, de l'ancienneté de Mme [E] au moment de son licenciement, supérieure à deux ans, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, tels qu'ils résultent des pièces et explications fournies, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Libourne en ce qu'il a alloué une somme de 2.168,88 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée l'indemnité de préavis.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la décision intervenue, les dépens d'appel seront laissés à la charge de Mme [E].

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la liquidation judiciaire les frais exposés et non compris dans les dépens.

Sur l'opposabilité du présent arrêt à l'AGS-CGEA de [Localité 3]

Le présent arrêt doit être déclaré opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 3], dans la limite légale de sa garantie telle qu'énoncée à l'article L.3253-17 du code du travail.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de LIBOURNE en date du 30 juin 2015 en toutes ses dispositions ;

Déclare le présent arrêt opposable au CGEA dans la limite légale de sa garantie ;

Y ajoutant,

Condamne Madame [T] [E] aux entiers dépens d'appel.

Signé par Madame Nathalie Pignon, présidente et par Anne-Marie Lacour-Rivière, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Anne-Marie Lacour-Rivière Nathalie Pignon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 18/01002
Date de la décision : 12/02/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°18/01002 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-12;18.01002 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award