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14/11/2019 | FRANCE | N°17/02713

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 14 novembre 2019, 17/02713


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------







ARRÊT DU : 14 NOVEMBRE 2019



(Rédacteur : Monsieur Eric VEYSSIERE, Président)



PRUD'HOMMES



N° RG 17/02713 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J2CZ







Monsieur [E] [Z]





c/



SNC INTERDIS

















Nature de la décision : AU FOND

jonction du n° RG 17/6096 au n° RG 17/2713



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Grosse délivrée aux avocats le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 avril 2017 (R.G. n°F 13/02423) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 mai 2017

(...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 14 NOVEMBRE 2019

(Rédacteur : Monsieur Eric VEYSSIERE, Président)

PRUD'HOMMES

N° RG 17/02713 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J2CZ

Monsieur [E] [Z]

c/

SNC INTERDIS

Nature de la décision : AU FOND

jonction du n° RG 17/6096 au n° RG 17/2713

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 avril 2017 (R.G. n°F 13/02423) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 mai 2017

(Jonction par mention au dossier du RG n°17/2833)

APPELANT et appelant sur jugement du 11 octobre 2017 dans l'affaire RG 17/6096

Monsieur [E] [Z]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 2]

de nationalité Française

Profession : Sans emploi, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Ingrid DESRUMAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

assisté de par Me Cédric SEGUIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE et intimée sur jugement du 11 octobre 2017 dans l'affaire RG 17/6096

SNC INTERDIS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

N° SIRET : B 4 21 437 591

représentée par Me Pierre-Louis DUCORPS de la SCP KPDB, avocat au barreau de BORDEAUX

assistée de Me PROVEAU, cabinet Walter Billet, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 octobre 2019 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d'instruire l'affaire et madame Catherine Mailhes, conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président

Madame Catherine Mailhes, conseillère

Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 5 septembre 1983, la société Promodes a engagé M. [Z] en qualité de manutentionnaire.

La société Promodes a fusionné avec le groupe Carrefour. Le contrat de travail de M. [Z] a été transféré au groupe Carrefour puis à la société Interdis détenue à 100% par le groupe.

Au dernier état de la relation de travail, M. [Z] était employé en qualité de 'directeur prodis boissons', statut cadre dirigeant. Il exerçait, en outre, un mandat social en qualité de président de la société Maison Johanes Boubee (MJB), chargée de l'achat et de la distribution du vin au sein du groupe Carrefour.

Le 19 septembre 2011, la société Interdis a convoqué M. [Z] à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé le 30 septembre 2011.

Le 6 octobre 2011, la société Interdis a licencié M. [Z] pour faute.

Le 3 septembre 2012, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de:

voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

voir condamner la société Interdis au paiement des sommes suivantes :

368 300 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

110 490 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire,

129 532 euros à titre de rappel de salaire au titre du statut SD3,

36 380 euros au titre du bonus non versé pour 2011,

24 612 euros au titre du bonus non versé pour 2009,

7 000 euros à titre de prime Incentive Achat 2011,

36 145 euros à titre de rappel de salaire sur indemnité conventionnelle de licenciement,

58 344 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice subi du fait de la perte des options et actions d'entreprise,

5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

voir prononcer les intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation,

se voir remettre les documents légaux conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

voir ordonner la publication du jugement dans trois magazines de presse professionnelle choisis par lui aux frais de la société Interdis et son affichage pendant trois mois dans les établissements des sociétés MJB et Interdis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard par société.

Par jugement de départage du 11 avril 2017, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a:

jugé que le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse,

condamné la société Interdis au paiement des sommes suivantes :

861,73 euros à titre de solde bonus pour l'année 2019,

25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier des stock-options et actions Carrefour,

2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté les demandes formulées par M. [Z] au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre d'un licenciement vexatoire, au titre d'un solde de bonus pour l'année 2011, au titre de la prime Incentive Achat 2011 et au titre de l'affichage et de la publication du jugement,

avant dire droit, sur les demandes au titre du rappel de salaire sur la base de la classification SD3, au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement et au titre de la remise de documents, ordonné la réouverture des débats, pour production par M. [Z] d'un nouveau calcul prenant en compte la rémunération de base conforme au statut SD3 ainsi que la rémunération variable recalculée sur cette base et de l'indemnité conventionnelle de licenciement calculée sur ces mêmes bases.

Par déclaration du 3 mai 2017, M. [Z] a régulièrement relevé appel de ce jugement. Cette instance a été enrôlée sous le n°17/2713 et portait sur les chefs de jugement suivants :

en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

en ce qu'il a rejeté ses demandes tendant à voir condamner la société Interdis au paiement des sommes suivantes :

368 300 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

110 490 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire,

36 380 euros au titre du bonus non versé pour 2011,

24 612 euros au titre du bonus non versé pour 2009,

en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à voir ordonner la publication du jugement dans trois magazines de presse professionnelle choisis par lui aux frais de la société Interdis et son affichage pendant trois mois dans les établissements des sociétés MJB et Interdis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard par société

Par déclaration du 5 mai 2017, la société Interdis a régulièrement relevé appel du jugement. Cette instance a été enrôlée sous le n°17/2833 portait sur le chef de jugement suivant : en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier des stock-options et actions.

Par jugement de départage du 11 octobre 2017, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

jugé que M. [Z] a été classé SD3 depuis le 13 mars 2017,

ordonné la remise à M. [Z] par la société Interdis de bulletins de salaire depuis le 11 mars 2007 et d'un certificat de travail rectifié portant la mention de la classification SD3 sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de dix jours passé la notification du jugement, pendant trente jour passé lequel délai il pourra à nouveau être fait droit,

rejeté les demandes formulées par M. [Z] au titre de rappels de salaire fixe et variable et au titre du solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,

condamné la société Interdis aux dépens.

Par déclaration du 30 octobre 2017, M. [Z] a régulièrement relevé appel de ce jugement. Cette instance a été enrôlée sous le n°17/6096 et portait sur les chefs de jugement suivants :

en ce qu'il a rejeté sa demande formulée au titre de rappels de salaire fixe et variable et celle formulée au titre du solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,

en ce qu'il a jugé n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 11 avril 2019, le conseiller de la mise en état a notifié aux parties un avis de jonction des affaires enrôlées sous les n°17/2713 et 17/2833, sous le n°17/2713.

Par ses dernières conclusions notifiées au titre de l'affaire enrôlée sous le n°17/2713 le 27 août 2019, M. [Z] sollicite de la cour qu'elle :

confirme partiellement le jugement dont appel en ce qu'il a jugé M. [Z] bien fondé à obtenir une indemnisation au titre de la perte de chance,

l'infirme partiellement en ce qu'il lui a octroyé la somme de 25 000 euros et a rejeté ses autres demandes et, statuant à nouveau :

condamne la société Interdis au paiement des sommes suivantes :

368 300 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 110 490 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire,

- 70 525 euros au titre du bonus non versé pour l'année 2009 et de la dissimulation du statut SD3 et de ses effets,

- 355 035 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice subi du fait de la perte des stock-options et de la dissimulation du statut SD3 et de ses effets,

- 744 056 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice subi du fait de la perte des actions gratuites d'entreprise et de la dissimulation du statut SD3 et de ses effets,

124 242 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice subis du fait de la perte du droit aux dividendes sur les actions gratuites d'entreprise et de la dissimulation du statut SD3 et de ses effets,

condamne la société Interdis aux intérêts à taux légal sur toutes les sommes sollicitées à compter de la date de récpetion par la partie demanderesse de la convention devant le bureau de conciliation, avec capitalisation des intérêts,

ordonne la remise des documents légaux conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

ordonne la publication du jugement dans trois magazines de presse professionnelle choisis par lui aux frais de la société Interdis et son affichage pendant trois mois dans les établissements des sociétés MJB et Interdis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard par société

condamne la société Interdis au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées au titre de l'affaire enrôlée sous le n°17/2713 9 août 2019, la société Interdis sollicite de la cour qu'elle :

confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

jugé que le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse,

jugé que le licenciement de M. [Z] est exempt de caractère vexatoire,

jugé que M. [Z] était dûment rempli de ses droit à bonus 2009,

jugé que M. [Z] était dûment rempli de ses droit à bonus 2011,

jugé que M. [Z] ne peut se prévaloir du bénéfice de la prime achat 2011,

infirme le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier des stock-options et actions Carrefour,

rejette l'ensemble des demandes formulées par M. [Z],

à titre subsidiaire, si la cour considérait un grief de M. [Z] fondé :

limite les dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 74 500 euros,

limite les dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement vexatoire à la somme de 3 000 euros,

limite les dommages et intérêts sollicités au titre de la perte de droits à stock-options à la somme de 10 000 euros,

limite le rappel de salaire au titre du bonus 2009 à la somme de 861,73 euros bruts,

limite le rappel de salaire au titre du bonus 2011 à la somme de 13 229 euros bruts,

en tout état de cause, condamne M. [Z] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 27 août 2019 au titre de l'affaire enrôlée sous le n°17/6096, M. [Z] sollicite de la cour qu'elle :

fixe son salaire à la somme de 34 833 euros bruts mensuels,

condamne la société Interdis au paiement des sommes suivantes :

570 804 euros à titre de rappels de salaires sur la base de la classification SD3,

311 776 euros à titre de rappels de rémunérations variables sur la base de la classification SD3,

215 795 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement sur la base de la classification SD3,

condamne la société Interdis aux intérêts légaux à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation avec capitalisation des intérêts,

condamner la société Interdis à lui remettre les deux médailles du travail qui lui sont dues et à lui payer les primes correspondantes pour un montant de 3 910 euros conformément à l'article 21 du statut collectif Interdis,

ordonne la remise des documents légaux et des bulletins de salaires conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

ordonne la publication du jugement dans trois magazines de presse professionnelle choisis par lui aux frais de la société Interdis et son affichage pendant trois mois dans les établissements des sociétés MJB et Interdis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard par établissement,

condamne la société Interdis à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ses dernières conclusions notifiées le 13 avril 2018 au titre de l'affaire enrôlée sous le n°17/6096, la société Interdis demande à la cour de :

rejeter l'ensemble des demandes formulées par M. [Z],

condamner M. [Z] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par ordonnances du 4 septembre 2019, le magistrat chargé de la mise en état a fixé la date de clôture au jour de l'audience pour chacune des deux affaires.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction des instances

Dans le souci d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction des instances enrôlées sous les numéros 17/02713 et 17/06096 qui concernent un litige né de l'exécution d'un même contrat de travail.

Sur le licenciement

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à M. [Z] un management par la terreur créant un climat de tension délétère, d'abord, dénoncé par l'ensemble des organisations syndicales à la suite du décès de M. [M], directeur de l'établissement de [Localité 3], le 21 juillet 2011, circonstance dans laquelle il n'a marqué aucune empathie vis à vis des équipes endeuillées, puis confirmé par les témoignages des collaborateurs entendus par la direction des ressources humaines du groupe, ce malgré le fait que son attention avait été auparavant attirée sur ses pratiques managériales anormales. Outre ce management par la tension, il est fait grief au salarié d'avoir supprimé des réunions formelles du comité de direction et d'avoir eu une attitude de mépris envers les partenaires sociaux.

M. [Z] conteste la réalité des griefs et fait valoir :

- qu'il a effectué toute sa carrière au sein du groupe Carrefour où il a débuté comme manutentionnaire et a été rapidement promu à des postes de responsabilité mobilisant des compétences de management

- que tout au long de cette carrière de plus de 20 ans, il n'a jamais fait l'objet de reproches sur ses méthodes de management hormis l'existence d'une lettre anonyme le dénigrant sur laquelle il s'était expliqué avec la DRH du groupe qui lui avait déconseillé de porter plainte pour diffamation

-qu'il justifie par les pièces du dossier et, notamment, par ses évaluations professionnelles, du soutien qu'il apportait à ses collaborateurs et de sa capacité à mobiliser les équipes

- que la lettre de dénonciation qu'un représentant syndical a adressé à la direction du groupe pour critiquer ses méthodes de management est mensongère et ne reflète pas l'avis des autres collaborateurs ou organisations syndicales

- qu'une enquête de satisfaction du personnel au sein de la société MJB réalisée en 2010 avait révélé un excellent climat social chez les cadres

- qu'il était devenu un gêneur au sein du groupe car il n'a eu de cesse de se battre contre la direction du groupe qui avait omis d'intégrer les cadres de la filiale qu'il dirigeait dans le plan d'attribution des stocks option ou qui ne respectait ses propres normes salariales dans le cadre des NAO ou qui souhaitait céder la filiale contre l'avis des cadres supérieurs de Prodis

- que lors du décès du directeur du site de [Localité 3] victime d'un accident de la circulation après une journée de travail de 14 heures, il a reçu les collaborateurs individuellement, a rédigé un résumé des entretiens et a pris toutes les mesures utiles pour soutenir les salariés du site

- que le juge départiteur n'a pris en compte que les aspects négatifs des attestations produites par l'employeur dont certaines sont mensongères et alors que celles-ci contiennent par ailleurs des éléments très favorables pour M. [Z]

- que les courriels visés par le juge départiteur et dans lesquels il rappelle à l'ordre ses collaborateurs étaient justifiés par des dysfonctionnements graves au sein de l'entreprise qui commandaient des réactions immédiates de la part des équipes vis à vis des clients

- que la véritable cause du licenciement est la volonté de le désigner comme bouc émissaire à la suite du décès du directeur du site de [Localité 3] alors que les dysfonctionnements à l'origine du malaise social dans cet établissement étaient imputables au groupe Carrefour

Il résulte des pièces du dossier que les manquements reprochés à M. [Z] ont été mis en évidence par une lettre ouverte qui lui a été adressée en sa qualité de président de la société MJB, le 25 juillet 2011, avec copie à la direction des ressources humaines du groupe et au comité d'éthique, par les représentants des organisations syndicales CGT, SNEC, FO et CFDT.

Ce document est ainsi rédigé : ' Mr[M]n[M]e, notre directeur, nous a quittés le 21 juillet, victime d'un accident de la route. Il venait de quitter l'entreprise à 22h, après 14h de travail quasi quotidien sans interruption. Tous les salariés sont sous le choc et garderont en mémoire, un homme honnête, généreux et respectueux des engagements, un homme impliqué et engagé dans l'entreprise prêt à se sacrifier, un homme aimant la vie, père de famille venant juste d'être grand-père, aimé de sa famille. Nous nous trouvons orphelins d'un homme vrai que nous apprécions tous.

NOUS ACCUSONS

une société tournée exclusivement vers le résultat financier et ses profits

une société détournée de l'homme et du sens de l'humain

un management dans la plus haute sphère, votre management, par la terreur, le mépris et le chantage

une pression sans cesse répétée sur le résultat à tout prix sans coût rajouté

une priorité toujours exclusive du résultat dans une volonté d'oublier les métiers et leurs arts

le sacrifice de l'homme sur l'autel de l'entreprise.

Pour que nos enfants ne perdent plus leurs pères, nous demandons votre sortie et avec vous votre management primaire, archaïque et terroriste.'

La décision de rédiger cette lettre ouverte a été prise dans le cadre d'une réunion extraordinaire du comité d'entreprise de l'établissement de [Localité 3] tenue le 25 juillet 2011, quatre jours après le décès de M. [M]. Le compte rendu de cette réunion rapporte l'entretien que le secrétaire du comité d'entreprise, M. [W], a eu, le jour même, avec M. [Z], en ces termes : ' M. [W] précise que M. [Z] est présent dans l'entreprise depuis ce matin. Il s'est installé porte fermée dans la salle de réunion au premier étage et personne ne l'a vu sur le terrain. Vers 10h30, je me suis permis de pousser la porte pour donner à M. [Z] une invitation à la réunion extraordinaire du comité d'établissement qui se tenait ce jour à 13h. Il n'a pas souhaité donner de réponse mais m'a interpellé pour que nous ayons immédiatement un entretien. L'échange a duré plus de 1h30. J'ai exprimé mes inquiétudes sur la méthode de management, la pression très forte sur les salariés qui les poussent au départ ou à la dépression ainsi que sa volonté presque despotique tournée exclusivement vers le résultat financier. Je lui ai fait remarquer l'augmentation de plus de 50% du CA et des volumes sur les 2 dernières années avec un effectif quasi constant. Je lui ai dit aussi que sa méthode vidait l'entreprise de toutes ses richesses sans qu'elle puisse avoir une valeur ajoutée et que cette démarche n'était pas pérenne pour l'entreprise, les salariés ou le groupe. Malgré tous mes efforts pour lui faire comprendre, il me semble qu'il n'a pas entendu ce que je lui disais. M. [Z] considérait que j'avais une vision erronée des faits et essayait de me dire comment je devais percevoir les événements et mon environnement...'

Selon le compte rendu du comité d'entreprise de l'établissement de [Localité 3] en date du 21 juillet 2011, M. [M] s'est absenté précipitamment de la réunion pour joindre M. [Z] qui le réclamait immédiatement au téléphone. A son retour, après 30 minutes d'absence, le procès- verbal relève que 'M. [M] ne relance pas immédiatement la réunion, un long silence s'installe, celui-ci semble absent, sa voix est bloquée'.

Ce contexte de tension au sein de l'établissement de [Localité 3] provoqué par le management brutal de M. [Z] a été attesté de manière plus large par les témoignages des plus proches collaborateurs de l'intéressé recueillis par la direction du groupe lorsqu'elle a reçu la lettre ouverte du 25 juillet 2011.

Ainsi, Mme [B], responsable du site de [Localité 1], atteste que lors des réunions mensuelles, la journée ne se passait pas sans que l'un des collaborateurs ne soit pris pour cible par M. [Z] et qu'en 12 ans de présence dans le groupe Carrefour, elle n'avait jamais encore connu un tel type de management basé sur l'autoritarisme et le dénigrement systématique au point de provoquer une souffrance psychique à chaque fois qu'elle devait être en contact avec lui.

M. [F], directeur qualité et développement durable au sein de la société MJB, déclare par attestation que si M. [Z] a apporté à la société son expertise et sa rigueur et a fait beaucoup évoluer ses collaborateurs, il a aussi créé une rupture forte avec ceux qui n'évoluaient pas à son rythme de sorte que son intransigeance, sa posture ferme et rigide, ne cédant rien, avaient conduit les équipes dans une position d'opposition et non d'adhésion. Le témoin précise que M. [Z] faisait peser en permanence une épée de Damocles sur les équipes en leur disant que tout était possible, qu'il ne s'interdisait rien, ajoutant que ce dernier était incapable de se remettre en cause lorsqu'il lui était rapporté que ses collaborateurs avaient peur de lui et qu'en définitive, il était totalement dénué d'humanité, traitant les salariés comme des fournisseurs.

C'est ainsi que lors de la première réunion de comité de direction, il avait dit aux membres de la direction qu'il avait carte blanche du groupe Carrefour pour se séparer d'eux et qu'ils devaient à son aimable volonté d'être encore dans l'entreprise.

M. [K], directeur administratif et financier, témoigne de ce qu'il n'avait pas assisté à des violences verbales de la part de M. [Z] lequel restait respectueux tout en précisant, cependant, que, instaurant en permanence un rapport de force avec autrui et une relation de dominant à dominé, il engendrait du stress et de la peur chez les collaborateurs qui ne le côtoyaient pas au quotidien, son niveau d'exigence étant disproportionné au regard des enjeux humains. S'agissant du décès de M. [M], le témoin relate que celui-ci s'était effondré en pleurs quelques heures avant son décès en raison de difficultés qu'il avait rencontrées et d'un mail qu'il avait reçu de M. [Z] dans la journée lequel n'avait pas réagi lorsqu'il lui avait rapporté cette scène le lendemain du décès.

Mme [N], directrice des ressources humaines de la société MJB, confirme, par attestation, que les relations avec M. [Z] étaient très difficiles et relate que ce dernier l'avait convoquée le 14 juin 2011 pour lui demander si les reproches que lui avait fait la DRH du groupe sur ses méthodes brutales de management étaient justifiés. Elle avait alors répondu que son attitude pouvait être perçue comme violente dans ses propos et déstabilisait des collaborateurs au point de devoir suivre un traitement médical, ne supportant plus la pression qu'ils subissaient. Selon elle, il inspirait une véritable peur aux responsables de site qui n'osaient s'exprimer en sa présence, ce qui impactait fortement le climat de l'entreprise. En ce qui la concerne, elle indique que, en l'absence de manifestation de confiance, la relation de travail ne lui convenait pas et elle l'avait, d'ailleurs, dit à M. [Z] qui, n'admettant aucun avis contraire, n'en avait pas tenu compte. Celui-ci avait interdit aux membres du comité de direction de prononcer les mots stress et pénibilité et fixait aux équipes des objectifs déraisonnables en leur faisant comprendre qu'en cas de manque de résultats, il y aurait des suites pour les personnes concernées puisqu'il avait carte blanche du groupe pour le faire. Dans ce contexte de pression, de chantage, de rapport de force, Mme [N] conclut qu'aucun dialogue social de qualité n'a pu être engagé avec les représentants du personnel envers qui M. [Z] avait un profond mépris.

Son dogmatisme et son comportement de domination ont, déclare-t-elle, 'largement contribué à nous inscrire dans une relation de soumission, d'obéissance et de complète infantilisation qui m'était devenue insupportable'. Mme [N] poursuit son témoignage en ces termes : Cette absence totale d'empathie et d'intérêt pour les autres s'est vérifiée lors du décès de [M] [M], directeur du site de [Localité 3], au mois de juillet 2011. A aucun moment, malgré le traumatisme et la très grande émotion suscitée par le décès brutal de notre collègue, il n'a pris la peine d'évoquer avec moi ou avec mes collègues du comité de direction ce dramatique accident. Nous n'avons obtenu aucune écoute, aucun accompagnement de sa part. Sa relation individuelle avec [M] était tellement dégradée que Mme [M] a refusé qu'il soit présent aux obsèques...

Cet événement tragique a achevé de consacrer la rupture entre lui et les autres personnes de l'entreprise....'

M. [I], responsable de site, atteste que M. [Z] a sciemment tendu les relations sociales, notamment, en lui imposant à faire constater par huissier un retard du trésorier du CE pour la présentation des comptes et en donnant des proportions démesurées à un simple incident avec un délégué syndical pour qui il éprouvait une véritable animosité.

M. [Y], directeur opérationnel de la société MJB, relate que Mme [M] lui a confié le lendemain du décès de son mari qu'elle refusait la présence de M. [Z] aux obsèques car son époux lui rapportait régulièrement qu'il ne supportait plus la pression que lui infligeait celui-ci, qu'il allait travailler la boule au ventre et que la veille au soir de son décès il lui avait dit qu'il était au bout du rouleau, qu'il allait péter les plombs. Le témoin précise à cet égard que les collaborateurs du site de [Localité 3] lui avaient rapporté que [M] [M] avait reçu le 21 juillet 2011 un mail de M. [Z] puis un appel téléphonique qui l'avaient profondément affecté et qui l'avaient décidé à quitter l'entreprise à son retour de congés. Qualifiant les méthodes de management de M. [Z] de dévastatrices, M. [Y] confirme que ce dernier diabolisait les partenaires sociaux et tétanisait les responsables de sites qui s'en étaient tous ouverts auprès d'un consultant lors d'un séminaire de formation.

Le compte rendu de ce séminaire dont les extraits ('je suis tétanisé, j'ai peur, en repartant de la réunion, je me suis demandé si je serai là encore le lendemain...') rédigés par le consultant lui-même sont produits aux débats corrobore, en tous points, le climat de crainte et de défiance exprimé par les responsables de sites et suscité par le comportement de M. [Z] à leur égard.

M. [Z] ne peut valablement prétendre que ces témoignages contiennent des appréciations positives sur son management. En effet, si ses collaborateurs ne contestent pas ses qualités professionnelles en dehors du management, ils mettent tous en cause une attitude totalement déshumanisée vis à vis des salariés de l'entreprise qui a revêtu une dimension tragique lors du décès de M. [M] permettant au groupe Carrefour de mesurer pleinement les effets délétères de la gouvernance tyrannique de l'intéressé, ce que l'employeur avait pressenti peu de temps auparavant puisque la directrice des ressources humaines du groupe avait alerté M. [Z], sur des violences verbales dont il était accusé par une lettre de dénonciation anonyme.

Si comme il le justifie, M. [Z] envoyait ponctuellement à des salariés des courriels de félicitations et d'encouragement, il pouvait tout aussi bien s'adresser à eux en des termes agressifs, moqueurs ou menaçants ainsi qu'en attestent les pièces du dossier.

De même, s'il est exact que M. [Z] a plaidé auprès de la direction du groupe pour que le plan d'option d'achat d'actions s'applique aux directeurs de la société MJB qui en avaient été écartés, cela ne l'a pas empêché de faire comprendre à ces mêmes directeurs, dés son arrivée dans l'entreprise, qu'il avait carte blanche pour se séparer d'eux et de leur rappeler régulièrement cette prérogative lors des comités de direction, peu important qu'il n'ait pas, en définitive, mis ses menaces à exécution.

Les appréciations positives résultant de l'entretien annuel de M. [Z] pour l'année 2009 sur sa capacité à fédérer les équipes ont été faites par la direction du groupe Carrefour avant le décès de M. [M]. Or, cette circonstance a été manifestement un révélateur du caractère inacceptable du comportement de M. [Z] qui avait su jusque là instaurer une forme de résignation, voire de soumission comme l'a décrit Mme [N], chez ses proches collaborateurs.

Contrairement à ce qu'il prétend, M. [Z] s'est montré indifférent aux conséquences du décès de M. [M] sur le climat de l'entreprise et n'a nullement accompagné les salariés qui lui avaient pourtant demandé expressément d'intervenir, notamment à l'occasion de la réunion du comité d'entreprise extraordinaire. Ce manque d'empathie a suscité la réprobation de l'ensemble des organisations représentatives du personnel et de ses proches collaborateurs qui ont, par ailleurs, fait un lien, certes indirect et hypothétique, entre le management destructeur pratiqué par M. [Z] et le décès de M. [M] qui a été tué dans un accident de voiture alors qu'il venait de quitter l'entreprise dans un état de fatigue et de stress tel qu'il avait confié à son supérieur hiérarchique immédiat que, ne supportant plus la pression qu'exerçait sur lui M. [Z], il envisageait de partir de l'entreprise.

Il découle de l'ensemble de ces éléments précis et concordants, que l'employeur, tenu à une obligation de sécurité, était fondé, après avoir recueilli les témoignages des membres de la direction de la société MJB et d'avoir fait entendre M. [Z] par le comité d'éthique du groupe, à prendre une mesure de licenciement dont les motifs sont justifiés. Les arguments du salarié relatifs à une autre cause de rupture sont inopérants dés lors que l'intéressé avait obtenu d'excellents résultats opérationnels qui lui valaient la confiance du groupe comme il ne manque pas de le souligner dans ses conclusions à l'appui de ses demandes de rappels de bonus.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a dit le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse et a débouté la salarié de ses demandes indemitaires liées à la rupture.

Sur la demande de rappel de rémunération au titre du bonus pour 2009

Le contrat de travail de M. [Z] prévoyait une prime sur objectifs déterminée annuellement avec son responsable hiérarchique et les résultats de l'entreprise et précisait qu'elle n'était pas due en principe en cas de rupture du contrat mais qu'une fraction de cette prime pourra toutefois être versée en fonction du degré de réalisation des objectifs à la date de la rupture du contrat de travail.

Pour l'exercice 2009, le salarié soutient que l'employeur a validé les objectifs annuels qu'il avait proposés et qu'il aurait du, en conséquence, percevoir un bonus de 61.788 euros au lieu de la somme de 37.167 euros qui lui a été versée.

Il résulte des courriels échangés avec la direction du groupe en 2010 que M. [Z] a contesté dés 2010 le montant du bonus qui lui avait été alloué en s'appuyant sur les objectifs assignés à l'entreprise et les performances réalisées. Il n'avait alors reçu aucune réponse à ces observations.

La société sur qui repose la charge de la preuve ne démontre pas comme elle le prétend que les propositions d'objectifs formulées à l'époque par M. [Z] n'ont pas été validées par le direction du groupe.

Le salarié justifie, de son côté, avoir adressé en 2009 à la direction ses objectifs qui n'ont suscité aucune remarque de la part de sa hiérarchie comme tel avait été le cas en 2008. De même, il établit que les objectifs ainsi déterminés ont bien été atteints.

En outre, la société ne donne aucune indication sur le calcul du bonus versé au salarié et ne critique pas utilement le montant de celui qu'il réclame.

Il sera, en conséquence, fait droit à la demande de rappel de bonus d'un montant de 24.612 euros qui tient compte de la somme déjà versée.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur la demande de rappel de rémunération au titre du bonus pour 2011

Sur l'exercice 2011, le salarié considère que la clause de l'avenant à son contrat de travail relative au non paiement de la prime en cas de rupture du contrat de travail est illicite en raison de son caractère potestatif et réclame la somme de 72.800 euros (36.978 euros compte tenu des sommes déjà versée et du montant proratisé en fonction de la date du départ de l'entreprise) correspondant à 50 % de son salaire annuel conformément aux règles de fixation du bonus au sein du groupe établies depuis 2007, étant observé que l'employeur ne lui avait pas fixé d'objectifs en 2011.

Ainsi que l'a retenu à bon droit le juge départiteur, la clause qui subordonne le versement d'une rémunération à l'aléa d'un licenciement résultant de la seule décision unilatérale de l'employeur est potestative et donc illicite. Il convient, dés lors, de se référer aux dispositions contractuelles qui prévoient le versement d'un bonus tenant compte des performances du salarié en fonction d'objectifs fixés chaque année.

En l'espèce, l'employeur n'a pas fixé d'objectifs à M. [Z] pour l'exercice 2011. La société, bien que l'admettant, considère que le calcul du bonus doit être réalisé sur la base d'un objectif cible et non d'un bonus maximal comme le prétend le salarié. Mais, en l'absence d'objectifs négociés entre les parties, l'employeur est dans l'incapacité de déterminer l'objectif cible pour 2011. Il ne justifie d'ailleurs pas le calcul du bonus de 17.472 euros versé à M. [Z] pour cet exercice.

Il en résulte que le salarié peut prétendre au versement d'un bonus correspondant à 50% du salaire conformément aux directives du groupe de 2007 dont rien ne justifie qu'elles n'étaient pas encore en vigueur en 2011.

Il sera, en conséquence, fait droit à la demande de rappel de bonus pour 2011 d'un montant de 36.978 euros qui tient compte du nombre de jours de présence du salarié dans l'entreprise en 2011 et de la somme déjà versée sur le bulletin de paie d'avril 2012 de l'intéressé.

La société remettra à M. [Z] un bulletin de salaire rectifié conformément à cette décision.

Sur la demande au titre de la prime Incentive achat

Le juge départiteur a rejeté cette demande qui n'a pas été renouvelée en cause d'appel.

De ce chef, le jugement sera donc confirmé.

Sur la demande de rappel de salaires, de rémunération variable et d'indemnité conventionnelle de licenciement au titre de la classification SD3

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

M. [Z] qui était rémunéré sur la base de la classification Senior directeur niveau 1 (SD1) attribué aux cadres dirigeants du groupe Carrefour prétend à la classification SD3.

En l'espèce, ni la convention collective d'entreprise du groupe Carrefour, ni celle de la société Interdis ne prévoient une classification des rémunérations des cadres dirigeants lesquelles sont, en conséquence, déterminées suivant les dispositions du contrat de travail, peu important qu'un document interne et confidentiel de l'entreprise établi en 2000 et dénué de toute valeur juridique indique l'existence d'un mode rémunération des salariés selon les responsabilités exercées. De même, la note d'information interne du groupe adressée en 2007 au salarié procédant à une actualisation du statut des cadres dirigeants est dénuée de portée juridique dés lors que ces dispositions sont indicatives et qu'au sein de ce statut, les rémunérations de ces cadres font l'objet de négociations individuelles.

Dés lors, ce sont d'une part, les dispositions du contrat de travail fixant la rémunération de M. [Z] au niveau hors classe HC1 et d'autre part, la note du groupe du 29 novembre 2007 le nommant cadre dirigeant, niveau SD1 qui s'appliquent, étant observé que ce dernier ne conteste pas utilement que cette classification correspond bien à la fonction de cadre dirigeant au sein du groupe Carrefour et qu'il était le seul cadre rémunéré à ce niveau dans la société Interdis.

Le jugement sera réformé sur ce point et l'intéressé sera débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires fondées sur une classification de son emploi au niveau SD3.

Sur la demande d'indemnité au titre de la perte des options et actions entreprise

Faisant valoir que son licenciement l'a privé de la possibilité de bénéficier du plan de stock-options de 2010 et du plan d'attribution d'actions gratuites de 2010, M. [Z] sollicite une indemnité de 139.208 euros à titre de dommages et intérêts tenant compte de son statut de SD3.

À titre principal, la société Interdis objecte que dans la mesure où le licenciement de M. [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse, ce dernier ne peut se voir allouer des dommages et intérêts en raison de la perte de chance liée aux stock-options et des actions.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que la demande de M. [Z] d'indemnisation de son préjudice de la perte de chance liée aux actions et stock-options est surévaluée.

Il est de principe que le maintien des stock-options et des actions attribuées gratuitement au salarié peut être subordonné à la présence de ce dernier dans l'entreprise. Les clauses de présence sont valides si elles se réfèrent uniquement et généralement au licenciement pour motif personnel sans en préciser la nature de la faute. Toutefois, la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne peut être prévue par le plan de stock-options ou le plan d'attribution gratuite d'actions.

Dans l'hypothèse d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, si le salarié ne peut plus exercer son droit d'option, il peut, néanmoins, prétendre à des dommages et intérêts au titre de la perte de chance d'avoir pu exercer son droit d'option. En revanche, dans le cas d'un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, le salarié ne peut revendiquer l'indemnisation d'une telle perte de chance.

En l'espèce, M. [Z] a bénéficié en 2010 de deux plans, l'un au titre d'une attribution d'actions gratuites, l'autre au titre de stock-options.

Selon l'article 5.1 du Plan Actions Gratuites 2010 du groupe, « la propriété des actions sera transférée aux bénéficiaires à la date du transfert de propriété des actions pour autant que la condition de présence applicable à chaque bénéficiaire soit satisfaite ». L'article 14 du dit plan définit la « condition de présence » comme la « condition subordonnant le transfert de propriété des actions attribuées à la présence du bénéficiaire dans le groupe au terme de laquelle, sauf décision contraire du conseil d'administration, le bénéficiaire doit avoir conservé sans interruption la qualité de salarié du groupe Carrefour entre la date d'attribution et la date de transfert de propriété des actions ».

L'article 5 du Plan Stock-Options 2010 dispose : « les Options non exerçables dans les conditions prévues à l'article 4 .2 à la date de la cessation du contrat de travail ou du mandat social du bénéficiaire avec l'une des entités du Groupe Carrefour seront caduques de plein droit à cette date, et ce quel que soit le motif de la rupture du contrat de travail ou du mandat social, sauf décision contraire prise par le Conseil d'Administration ».

En outre, un courrier adressé à M. [Z], daté du 16 juillet 2010, précise que le bénéfice de 2 500 options d'achat d'actions Carrefour est subordonné à une condition de présence.

Les clauses de présence prévues par le Plan Action Gratuite 2010 et le Plan Stock-Options se réfèrent généralement à la rupture du contrat de travail, sans viser par exemple l'hypothèse d'un licenciement pour faute grave. Ces clauses qui subordonnent la présence de M. [Z] au sein de l'entreprise Carrefour, afin que celui-ci puisse bénéficier des stock-options et des actions qui en découlent, sont donc valides.

Dans la mesure où M. [Z] a été licencié le 6 octobre 2011, il ne pouvait plus lever ses options ou bénéficier des actions distribuée gratuitement à partir de cette date, la condition de présence faisant défaut.

En outre, le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, M. [Z] ne saurait faire valoir une perte de chance d'avoir pu exercer son droit d'option.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Interdis à payer à M. [Z] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des stock-options et actions Carrefour. La demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur la publication du jugement dans la presse

Cette demande était justifiée par le préjudice résultant d'une rupture abusive et vexatoire du contrat de travail. La cour ayant retenu que le licenciement était motivé par une cause réelle et sérieuse , il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la remise de médailles du travail

Si le statut collectif de la société Interdis prévoit qu'une gratification est accordée au titulaire d'une médaille du travail, encore faut-il que cette distinction ait été accordée au cours de l'exécution du contrat de travail. Or, en l'espèce, M. [Z] n'a pas pris l'initiative d'en réclamer le bénéfice pendant la relation de travail comme il en avait le faculté, sachant que l'attribution de la médaille n'a pas un caractère automatique.

Il sera, en conséquence, débouté de ses demandes de gratification au titre de la médaille du travail présentées pour la première fois en cause d'appel.

Sur l'article 700 de code de procédure civile

L'équité commande d'allouer à M. [Z] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Sur les dépens

La société Interdis qui succombe en partie dans ses prétentions supportera la charge des dépens.

Sur les intérêts

Les sommes allouées produiront des intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2012, date de la première audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes.

Les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les numéros 17/02713 et 17/06096

Confirme le jugement rendu le 11 avril 2017 par le conseil de prud'hommes statuant en formation de départage en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [Z] était fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes indemnitaires consécutives à la rupture du contrat de travail et de sa demande au titre de la prime Incentive achat

Le réforme pour le surplus

et statuant à nouveau dans cette limite

Condamne la société Interdis à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 24.612 euros à titre de rappel de bonus pour 2009

- 36.978 euros à titre de rappel de bonus pour 2011

Dit que ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2012, date de la première audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes et qu'ils seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Ordonne à la société Interdis de remettre à M. [Z] un bulletin de salaire rectifié conformément à cette décision.

Déboute M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte des options et actions de l'entreprise

Infirme le jugement rendu 11 octobre 2017 par le conseil de prud'hommes statuant en formation de départage

statuant à nouveau

Déboute M. [Z] de sa demande de classification au niveau SD3 et de rappel de rémunération afférente

y ajoutant

Déboute M. [Z] de sa demande de remise de médaille du travail et des gratifications en résultant

Condamne la société Interdis à payer à M. [Z] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Interdis aux dépens.

Signé par Monsieur Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Sylvaine Déchamps Eric Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 17/02713
Date de la décision : 14/11/2019

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°17/02713 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-11-14;17.02713 ?
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