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03/10/2019 | FRANCE | N°17/04363

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 03 octobre 2019, 17/04363


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------







ARRÊT DU : 03 OCTOBRE 2019



(Rédacteur : Madame Catherine Mailhes, conseillère)



PRUD'HOMMES



N° RG 17/04363 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J6C2







SAS ETABLISSEMENTS BURGUET





c/





Madame [T] [T]

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 2017 (R.G. n°F16/00049) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULEME, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 18 juillet 2017,





APPELANTE :

SAS ETABLISSEMENTS BURG...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 03 OCTOBRE 2019

(Rédacteur : Madame Catherine Mailhes, conseillère)

PRUD'HOMMES

N° RG 17/04363 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J6C2

SAS ETABLISSEMENTS BURGUET

c/

Madame [T] [T]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 2017 (R.G. n°F16/00049) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULEME, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 18 juillet 2017,

APPELANTE :

SAS ETABLISSEMENTS BURGUET, agissant en la personne de son

représentant légal domiciliée en cette qualité au siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 651 820 227

assistée et représentée par Me Emmanuelle JAVELLO-FAURY de la SELARL JURICA, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

Madame [T] [T]

née le [Date naissance 1] 1974 à ANGOULEME (16000), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

assistée et représentée par Me TALBOT substituant Me Frédérique BERTRAND, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 juillet 2019 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Catherine Mailhes, conseillère,

Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE:

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 31 octobre 1994, la société Etablissements Burguet a engagé Mme [T] en qualité d'ouvrière de fabrication.

Le 29 octobre 2015, la société Etablissements Burguet a mis à pied Mme [T] à titre disciplinaire avec retenue de salaire, pour trois jours.

Le 3 novembre 2015, la société Etablissements Burguet a mis à pied Mme [T] à titre disciplinaire avec retenue de salaire, pour trois jours.

Le 13 janvier 2016, la société Etablissements Burguet a mis à pied Mme [T] à titre disciplinaire avec retenue de salaire, pour cinq jours.

Le 15 septembre 2016, la société Etablissements Burguet a averti Mme [T].

Au cours des années 2015 et 2016, Mme [T] a été placée en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif à trois reprises.

Le 23 février 2016, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angoulême aux fins de :

voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,

voir juger que cette résiliation s'analyse en un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

voir annuler les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre,

voir condamner la société Etablissements Burguet au paiement des sommes suivantes :

- 59 185,44 euros nets à titre d'indemnité de licenciement nul, sous subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 288,08 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre 328,80 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 9 955,57 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 1 351,21 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 766,15 euros bruts au titre de l'annulation des sanctions disciplinaires,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

voir ordonner la remise, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, d'une attestation Pôle emploi, d'un certificat de travail et d'un reçu pour solde de tout compte.

Par jugement du 23 juin 2017, le conseil de prud'hommes d'Angoulême a :

prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur au 23 juin 2017,

jugé que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

jugé que Mme [T] a été victime de mesure discriminatoire par rapport aux jours de fractionnement, journée de pont travaillée et autorisation d'absences non-rémunérées,

jugé que Mme [T] n'a pas subi de harcèlement moral,

annulé les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre de Mme [T],

condamné la société Etablissements Burguet au paiement des sommes suivantes:

- 9 864,24 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 288,08 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre 328,80 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 9 955,57 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 1 351,21 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 766,15 euros bruts au titre de l'annulation des sanctions disciplinaires,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

ordonné à la société Etablissements Burguet la remise d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un reçu pour solde de tout compte conformes au jugement,

jugé n'y avoir lieu à fixation d'une astreinte quant à la délivrance des documents,

fixé la moyenne des salaires à la somme de 1 644,04 euros bruts,

ordonné l' exécution provisoire de la résiliation judiciaire du contrat de travail,

rejeté le surplus des demandes formulées par les parties.

Par déclaration du 18 juillet 2017, la société Etablissements Burguet a régulièrement relevé appel du jugement.

Par ses dernières conclusions du 20 novembre 2018, la société Etablissements Burguet sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau :

rejette l'ensemble des demandes formulées par Mme [T],

condamne Mme [T] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Pour contester le jugement entrepris, la société Etablissement Burguet soutient que les manquements invoqués par Mme [T] ne sont pas constitutifs de manquements de sa part car :

d'une part sa désignation personnelle, la privation du choix de poser des congés pour convenance personnelles, le non bénéfice des journées de pont et le travail seule certains jours, à la différence des autres salariés résultent des seules conséquences du choix de Mme [T] de ne pas avoir renoncé aux congés payés de fractionnement, choix sur lequel elle n'est pas revenue malgré la possibilité qui lui était donné de changer d'avis lorsque l'employeur a décidé de faire application du nouvel accord atypique à l'immense majorité des salariés qui avaient consenti à la modification de l'organisation initiale des congés ;

d'autre part les modifications des horaires de travail s'intègrent dans le cadre d'un accord d'annualisation du temps de travail avec des périodes de forte et de faible activité au cours de l'année ne prévoyant le respect d'un délai de prévenance de 7 jours qu'en cas de changement de période et plus particulièrement en cas de passage d'une modulation basse à une modulation haute et aucunement en cas de passage à 35 h, et en cours ou maintien de période basse ou de période haute ; les dispositions de l'article L. 3122-2 du code du travail (dans sa version en vigueur lors des faits) n'a vocation à s'appliquer qu'aux accords conclus postérieurement au 22 août 2008 ; or cet accord date de 2002 et il a été prévu par la loi du 20 août 2008 abrogeant le délai de prévenance de 7 jours prévu par l'article L.212-8 que les accords conclus antérieurement demeuraient en vigueur.

Elle estime à tout le moins que le non-respect d'un éventuel délai de prévenance de 7 jours ne caractérise pas un manquement d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat.

Elle soutient que les sanctions disciplinaires infligées sont toutes justifiées et dénie tout harcèlement moral.

Aux termes de ses dernières conclusions du 4 juin 2019, Mme [T], faisant appel incident, sollicite de la cour qu'elle:

confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté ses demandes au titre du harcèlement moral et sur le montant alloué au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau sur ces points :

- juge qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- condamne la société Etablissements Burguet au paiement de la somme de 59 185,44 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

condamne la société Etablissements Burguet au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Mme [T] conteste le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu le harcèlement moral qu'elle invoquait et reprend l'ensemble de ses moyens et arguments au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, à savoir :

- les manquements de l'employeur à son obligation de loyauté constitués par :

le non-respect du délai de prévenance de 7 jours prévu par l'accord d'entreprise de 2002, dans les modifications incessantes des horaires et jours de travail, la mettant dans l'impossibilité de s'organiser dans sa vie personnelle; elle précise que l'inspection du travail alertée sur ce point par un délégué du personnel a rappelé à l'entreprise qu'elle était tenue de respecter ce délai de prévenance de 7 jours ;

la proratisation de la prime d'ancienneté en fonction des heures de travail des salariés et les retenues abusives effectuées sur sa prime d'ancienneté, non conformes à la convention collective nationale alors même que la société Etablissement Burguet a été condamnée à ce titre par la cour dans un arrêt du 1er février 2018 à l'encontre de M. [F] ;

- les sanctions injustifiées dès lors que ses absences sont justifiées par le non respect par l'employeur du délai de prévenance ;

- le non respect de l'employeur à son obligation de sécurité en exposant la salariée à des facteurs de risques psycho-sociaux, notamment en ne prenant pas en considération les alertes de Mme [T] concernant les retentissements sur sa vie privée des changements incessants de jour et d'horaire de travail, à l'origine de sa souffrance au travail et de son stress quotidien de devoir gérer vie professionnelle et vie privée ;

- le harcèlement moral dont elle a fait l'objet par l'accumulation de sanctions disciplinaires injustifiées (refus de se rendre à un entretien formel avec le dirigeant de l'entreprise- refus d'effectuer des heures supplémentaires- retenue sur salaire pour ses heures d'absence en octobre 2014 constitutive d'une sanction illégale), par le dénigrement, la mise à l'écart et les sanctions pécuniaires injustifiées émanant de l'employeur, une politique inégalitaire à son égard en ne la rémunérant pas de ses absences au contraire des autres salariés, en ne lui permettant pas de bénéficier de ponts ou de journées de congés pour convenance personnelle en 2015 (seule pour le pont du 14 juillet dans l'usine) et pour les congés payés de l'année 2016/2017 ; l'employeur n'avançant aucune raison objective pour justifier ces différences de traitement.

Mme [T] soutient par ailleurs qu'elle est dans l'incapacité de poursuivre le contrat de travail du fait de la dégradation de son état de santé, qui s'est manifesté par l'apparition d'un syndrome anxio-dépressif, lié au comportement de l'employeur à son encontre.

Elle estime que les manquements de l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et que la résiliation doit produire les effets d'un licenciement nul dès lors que le harcèlement moral est retenu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 juin 2019.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

1/ Sur les modifications des horaires sans délai de prévenance

Aux termes de l'accord d'entreprise du 12 mars 2002, sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, il est prévu des délais de prévenance pour les modifications de la durée collective hebdomadaire de travail par rapport à la programmation indicative de la manière suivante :

Le délai de prévenance en cas de passage à un horaire hebdomadaire supérieur à 35 h est de 7 jours ouvrés. Ce délai de prévenance sera réduit à 3 jours ouvrés avec en contrepartie, une limitation de l'augmentation des horaires pour la semaine c'est-à-dire : passage à 37h30/ semaine maximum.

Le délai de prévenance en cas de passage à un horaire hebdomadaire inférieur à 35 h est de 7 jours ouvrés. Ce délai de prévenance sera réduit à 3 jours ouvrés, avec en contrepartie, une limitation de la diminution des horaires pour la semaine suivante, c'est-à-dire : passage à 28h/semaine maximun.

L'accord d'entreprise n'a aucunement réglé le cas des modifications de l'horaire de travail pendant chacune des périodes de travail.

Aussi face à ce vide, il sera fait application des dispositions de l'article L.3122-2 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits qui prévoit que sauf stipulations contraires d'un accord d'entreprise ou d'un établissement ou, à défaut, d'une convention ou d'un accord de branche, le délai de prévenance en cas de changement de durée ou d'horaires est fixé à sept jours.

Il ressort des pièces versées aux débats que l'organisation des semaines 49 et 50 de l'année 2014 était effectuée au regard de la note de service du 28 novembre 2014, un à deux jours auparavant, de simples précisions étant données le vendredi pour le lundi avec la mention qu'il pourra être fait appel au personnel non prévu dans cette note. Il en a été de même en 2015 pour l'organisation à tout le moins partielle des semaines 28, 29, 35, 36, 42, 43, 44, 46, 47 et en 2016 pour l'organisation des semaines 1, 2, 8, 9, 10, 11, 15, 16, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30,35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42. Aussi en ne respectant pas le délai de prévenance de 7 jours, l'employeur a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a constaté l'existence de manquements de l'employeur en ce qui concerne le non-respect des délais de prévenance lors de la modulation des horaires de travail.

2/ Sur la proratisation de la prime d'ancienneté

Il ressort des bulletins de salaire versés aux débats qu'en février et mars 2016, l'employeur a opéré une retenue sur la prime d'ancienneté versée à Mme [T] en raison de son absence.

Aux termes de l'article 61 de la convention collective nationale applicable au litige, 'une prime d'ancienneté est accordée aux ouvriers de fabrication et d'entretien, aux employés, techniciens et agents de maître. Elle correspond à un barème national conventionnel pour chaque coefficient correspondant à la classification de l'intéressé. Son montant est conforme à un barème dit barème forfaitaire de la prime d'ancienneté.'

En l'absence de disposition conventionnelle prévoyant de la possibilité de faire varier le montant de la prime d'ancienneté en fonction du temps de travail ou en présence du salarié, la prime d'ancienneté présente un caractère forfaire.

L'inspection du travail avait d'ailleurs par courrier des 12 mars 2013 et 16 mars 2015, notifié à Mme [T] le caractère forfaitaire de cette prime et par arrêt du 1er février 2018, la cour avait retenu le caractère forfaitaire de la prime d'ancienneté pour faire droit aux demandes de rappel de prime réclamé par le salarié M. [F].

Il s'ensuit qu'en opérant une retenue sur salaire en février et mars 2016, l'employeur a manqué à son obligation de loyauté.

Sur la demande d'annulation des sanctions

Selon les articles L. 1333-1 et suivants du contrat, en cas de litige, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'elle estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

-a- la mise à pied du 29 octobre 2015

Le 29 octobre 2015, Mme [T] a été sanctionnée d'une mise à pied de trois jours les 17, 18 et 19 novembre 2015 pour avoir refusé d'obtempérer à la demande du président transmise par son agent de maîtrise afin qu'elle se rendre dans son bureau pour un bref entretien. Il est précisé qu'il s'agit d'un ordre donné à plusieurs reprises qu'elle a refusé d'exécuter constituant une insubordination intolérable.

Il est constant que Mme [T] a refusé de se rendre dans le bureau du président de la société pour un entretien au temps et au lieu du travail, en sorte que les faits d'insubordination sont établis. Toutefois, au regard de l'absence de tout passé disciplinaire en 21 ans de service au sein de cette même entreprise, la sanction est disproportionnée par rapport aux faits reprochés et sera annulée.

-b- la mise à pied du 3 novembre 2015

Le 3 novembre 2015, Mme [T] a fait l'objet d'une nouvelle sanction de mise à pied d'une durée de trois jours les 24, 25 et 26 novembre 2015, pour avoir refusé de travailler une heure de plus du mercredi 14 au vendredi 16 octobre 2015 prévue entre 12h30 et 13h30.

Mme [T] a toujours expliqué qu'elle avait refusé de réaliser ces heures modifiant son planning en raison du délai de prévenance non respecté. Il ressort effectivement de la lettre de sanction que la salariée n'avait été informée que la veille par l'agent de maîtrise la supervisant, en sorte que le délai de prévenance de sept jours n'avait été respecté et que la sanction est injustifiée et sera annulée.

-c- sur la mise à pied du 13 janvier 2016

Le 13 janvier 2016, Mme [T] a été sanctionnée d'une mise à pied de cinq jours prenant effet les 25, 26, 29 janvier 2016 et les 1er et 2 février 2016 pour ne pas s'être présentée à son travail du mercredi 4 au vendredi 6 novembre 2015 à l'horaire prévu à 12h30 pour réaliser une heure supplémentaire par jour, malgré ma note de service affichée à la pointeuse et reçue par mail dès le 23 octobre annonçant ces heures.

Aux termes de la note de service, du 23 octobre 2015 il était notifié aux salariés que pour la semaine 45 du 2 au 6 novembre 2015, des arrêts étaient à prévoir mais qu'ils poursuivraient certainement la modulation haute pour les postes : déroulage, séchage et triage avec une heure de plus par jour à 12h30 (ou 16h30 au choix) au moins en début de semaine et peut-être sur d'autres postes, que des précisions leur seraient données le vendredi 30 octobre 2015.

A la lecture de cette note Mme [T] n'avait aucune certitude de devoir faire des heures supplémentaires en dehors du début de semaine et ce n'est que cinq jours avant qu'elle a eu les informations concernant les heures à compter du mercredi, en sorte que le délai de prévenance de 7 jours n'était pas respecté. Aussi la sanction est injustifiée et sera annulée.

-d- sur l'avertissement du 15 septembre 2016

Mme [T] a fait l'objet d'un avertissement le 15 septembre 2016 pour avoir le 12 juillet 2016 vers 8 h du matin, à son poste de travail, lors d'une distribution de croissants et pains au chocolats offerts à tous les salariés par la direction, tourné la tête a craché par terre lorsque le salarié en charge de la distribution lui a répondu que c'était le patron qui payait cela, assimilable à une insulte envers le patron.

Aux termes de son attestation, M. [E] indique que lorsqu'il est arrivé au poste de triage de Mme [T] le 12 juillet 2016 pour distribuer les croissants, cette dernière a, à sa réponse, 'c'est le patron', tourné la tête et craché par terre. Or compte tenu d'une part des dénégations de Mme [T] dès le courrier du 18 août tout en reconnaissant avoir effectivement refusé le croissant et s'être tourné sur le côté en répondant 'pff' et d'autre part du parti pris de ce témoin, délégué et personnel, en faveur de la direction lorsqu'elle l'avait interpellé sur les congés payés, un doute existe.

Aussi l'avertissement sera également annulé.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a annulé les dites sanctions et condamné la société Etablissement Burguet à verser à Mme [T] le salaire retenu pendant les journées de mise à pied soit la somme de 766,15 euros bruts.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte de l'article L. 1152-3 du code du travail que le licenciement intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1152-1 est nul.

Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est établi que la salariée a fait l'objet en l'espace de quatre mois, fin 2015-début 2016, d'une série de trois sanctions de mise à pied puis six mois après d'une quatrième sanction, alors même qu'elle n'avait aucun passé disciplinaire depuis son entrée dans l'entreprise vingt-deux années auparavant et que toute ces sanctions ont été annulées. Ces sanctions ont été prononcées dans un contexte de conflit, dans lequel l'employeur a convoqué à maintes reprises Mme [T] et dans lequel Mme [T] lui a régulièrement répondu par courrier pour lui expliquer son point de vue, lui reprochant de ne pas respecter le délai de prévenance lorsqu'elle est prévenue avec le personnel la veille pour le lendemain, au mépris de sa vie familiale, et expliquant qu'à défaut d'être écoutée, elle n'avait trouvé que ce moyen pour être entendue, toujours dans des termes corrects et mesurés, ce d'autant que tous n'étaient pas traité de la même façon dans l'entreprise, faisant également état du conflit concernant les congés payés et les deux jours de fractionnements

Il est également établi que :

- dans la note de service du 2 avril 2015, l'employeur a expressément désigné Mme [T] et M. [F] comme étant les deux seuls salariés ayant refusé de renoncer à leurs jours de fractionnement, pour expliquer que l'organisation des congés annuels et leur répartition au cours de l'année était modifiée, retirant tout bénéfice des ponts envisagés et jour de congé choisi selon la convenance personnelle des salariés ;

- Mme [T] était la seule à travailler dans l'entreprise le lundi 13 juillet 2013, comme mentionné dans la note de service du 15 juillet 2015, tous les salariés étant en congé sauf Mme [T] ; le lundi 16 mai 2016 était également chômé pour l'ensemble des salariés à l'exception de Mme [T] désignée dans la note du 12 mai 2016 ;

- deux systèmes d'organisation des congés payés étaient mis en place selon note du 19 mai 2016 pour l'année 2016/2017, à savoir un pour les personnes ayant renoncé aux jours de fractionnement correspondant aux congés prévu par l'accord signé avec les délégués du personnel du 31 mars 2016 et un autre pour les personnes n'ayant pas renoncé aux jours de fractionnement, avec le retrait du bénéfice des ponts sauf le 31 octobre 2016 et le retrait de la journée de convenance personnelle ; Mme [T] qui a toujours refusé de renoncer aux jours de fractionnement a ainsi fait l'objet d'un traitement différencié et a été mise à l'index par rapport aux autres salariés, désignée comme la responsable de l'échec de l'application de l'accord atypique concernant l'organisation des congés payés de l'année 2015/2016.

Un simple désaccord ne laisse pas nécessairement présumer de harcèlement. Toutefois, la multiplication des sanctions disciplinaires sur le motif de l'absence pendant l'heure en plus de 12h30 à 13h30, alors même que l'employeur ne respectait pas le délai de prévenance et que la salariée n'a eu pour seul objectif que de faire respecter ses droits laisse présumer de harcèlement moral.

Dans ce contexte, le refus de la salariée d'accepter le système des congés payés proposé par accord atypique en renonçant aux jours de fractionnement n'est pas significatif d'une volonté de nuire de cette dernière à l'organisation mise en place, même si elle y avait adhéré les deux années précédentes.

L'ensemble des faits ci-dessus énoncés, pris dans leur ensemble laissent présumer de harcèlement moral.

Si les sanctions disciplinaires sont l'expression de l'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur, en l'occurrence, le rapport de force engagé entre l'employeur et la salariée à la fin de l'année 2015 n'est pas exempt de harcèlement moral dès lors que l'employeur ne pouvait pas imposer à sa salarié de modifier ses horaires sans respecter le délai de prévenance. La dernière sanction de septembre 2016 qui s'inscrit également dans cette logique de rapport de force et qui a été annulée n'est pas plus exempt de harcèlement moral.

Pour expliquer que Mme [T] se retrouvait seule à travailler certains jours et qu'elle ne bénéficiait pas du même régime des congés payés, l'employeur soutient d'une part que cela résulte du propre choix de Mme [T] de ne pas renoncer aux jours de fractionnement et que d'autre part, il se devait pour les congés 2015/2016 expliquer à l'ensemble du personnel les raisons de l'absence d'application de l'accord atypique puisque pour qu'il soit appliqué, en l'absence de délégué syndical dans l'entreprise, il devait obtenir l'adhésion individuelle de chaque salarié et que ne pas indiquer l'identité des personnes ayant refusé de renoncer aux congés de fractionnement aurait été source de suspicion et même susceptible de remettre en cause la bonne foi de l'employeur.

L'accord du 25 mars 2015 prévoyait que : 'Cet accord n'ayant pas de valeur juridique, chaque salarié sera individuellement consulté pour renoncer aux jours de fractionnement en contrepartie des avantages que présente cette répartition des congés, au lieu d'une fermeture de 4 semaine l'été. En cas de désaccord d'un salarié, la direction décidera unilatéralement d'une nouvelle répartition des congés prévoyant quatre semaines de fermeture l'été et la répartition des 25 jours de congés.'

L'explication donnée par l'employeur pour justifier la désignation de Mme [T] dans la note de service du 2 avril 2015 ne caractérise pas un élément objectif justifiant que sa démarche était exempte de harcèlement moral. En effet une formulation plus vague sans désignation des salariés était tout à fait possible et si les salariés avaient souhaité avoir des explications sur les raison de la non-application du système proposé dans l'accord, il n'en tenait qu'aux salariés et à leurs délégués de demander des précisions, sans que l'employeur ait à devancer cette éventuelle demande.

L'année suivante, l'accord étant le même, par l'application de deux organisations différentes des congés payés, dont une spécifique à Mme [T], l'employeur s'est situé en dehors de l'application de l'accord conclu avec les délégués du personnel et ne saurait en conséquence considérer que la situation dans laquelle se retrouve Mme [T] résulte des seuls choix de cette dernière. La différence de traitement subie n'est donc pas expliquée par des éléments objectifs exempts de tout harcèlement moral.

Ces faits répétés, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les suivants, ont dégradé les conditions de travail de Mme [T], qui a développé un syndrome anxio-dépressif réactionnel à compter de la fin novembre 2015 avec des arrêts de travail récurrents au cours de l'année 2016, même si elle a été déclarée apte à son poste de travail à l'issue de la visite médicale du 8 mars 2017. Il est ainsi établi que Mme [T] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande tendant à voir reconnaître l'existence d'un harcèlement moral.

Sur la résiliation du contrat de travail

Sur le fondement de l'article 1184 devenu 1217 du code civil et de l'article L.1231-1 du code du travail, le salarié peut saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat à raison des manquements de l'employeur aux obligations découlant du contrat de travail.

Les manquements doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Si la résiliation judiciaire est prononcée, elle prend effet à la date de la décision judiciaire la prononçant, sauf si la rupture du contrat de travail est intervenue entre temps pour autre cause, auquel cas elle prend effet à la date de la rupture effective.

Il est établi que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté et a fait subir à sa salariée un harcèlement moral, qui a débuté dans les mois précédents la saisine du conseil de prud'hommes en février 2016 et qui s'est poursuivi par la suite, caractérisant des manquements suffisamment graves pour prononcer la résiliation du contrat aux torts de l'employeur.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé cette résiliation aux torts de l'employeur au jour de la décision le 23 juin 2017.

Sur les conséquences de la résiliation

La résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur le harcèlement moral de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que la résiliation produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

1/ Sur l'indemnité de préavis et les congés payés afférents

Mme [T] ayant une ancienneté de plus de deux ans, a droit à un préavis d'une durée de 2 mois et c'est à bon droit que les premiers juges lui ont alloué la somme de 3.288,08 euros brut au titre de l'indemnité de préavis et 328,8 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente calculés sur la base du salaire de 1.644,04 euros bruts. Le jugement entrepris sera confirmé sur ces chefs.

2/ Sur l'indemnité légale de licenciement

Mme [T] avait une ancienneté de 22 ans, 7 mois et jours au jour de la rupture du contrat de travail.

Sollicitant une indemnité de licenciement calculée sur 22 ans et 2 mois d'ancienneté, il sera fait droit à sa demande, moindre que celle à laquelle elle aurait pu prétendre. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Etablissement Burguet à lui régler la somme de 9.955,57 euros nette.

3/ Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

Les parties ne font valoir aucun argument sur le montant retenu par le conseil de prud'hommes au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés calculé comme sollicité par la salariée à la somme de 1351,21 euros bruts, en prenant en compte 9 jours de congés payés restants dus et 10,40 jours acquis, soit 19,40 jours de congés payés, un salaire brut horaire de 9,95 euros, 7 heures par jour et 35 heures par semaine. Le jugement entrepris sera donc confirmé.

4/ Sur l'indemnité pour licenciement nul

Mme [T] dont la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul a droit à une indemnité à raison du préjudice résultant de la rupture qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au regard de son ancienneté de plus de 22 ans, de son âge de 43 ans au moment de la rupture, a subi un préjudice intégrant le préjudice moral lié au harcèlement, qui sera entièrement réparé par une indemnité de 15.000 euros nets compte tenu de l'absence d'éléments sur sa situation actuelle.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a fixé cette indemnité à la somme de 9.864,24 euros nets.

Sur les dépens et l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile

La société Etablissement Burguet succombant sera condamnée aux entiers dépens de l'appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire bénéficier Mme [T] de ces mêmes dispositions et de condamner à la société Etablissement Burguet à lui verser une indemnité complémentaire de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Mme [T] n'avait pas été victime de harcèlement moral, en ce qu'il a dit que la résiliation produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société Etablissement Burguet au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 9.864,24 euros nets ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que Mme [T] a été victime de harcèlement moral ;

Dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée le 23 juin 2017 produit les effet d'un licenciement nul ;

Condamne la société Etablissement Burguet à verser à Mme [T] une indemnité pour licenciement nul de 15.000 euros nets ;

Confirme le jugement entrepris sur le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la société Etablissement Burguet à verser à Mme [T] une indemnité complémentaire de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Etablissement Burguet de toutes autres demandes ;

Condamne la société Etablissement Burguet aux entiers dépens de l'appel.

Signé par Monsieur Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Sylvaine Déchamps Eric Veyssière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 17/04363
Date de la décision : 03/10/2019

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°17/04363 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-03;17.04363 ?
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