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30/04/2019 | FRANCE | N°16/07189

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 30 avril 2019, 16/07189


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 30 AVRIL 2019



(Rédacteur : Madame Annie CAUTRES, Conseiller)



PRUD'HOMMES



N° RG 16/07189 - N° Portalis DBVJ-V-B7A-JSAK









Madame [Q] [N]



c/



EARL Vignobles BOSSUET Hubert

















Nature de la décision : AU FOND














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Grosse délivrée le :



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Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 novembre 2016 (R.G. n°F16/00041) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Agriculture, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2016,





APPELANTE :

Madame [Q] [N]

née le...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 30 AVRIL 2019

(Rédacteur : Madame Annie CAUTRES, Conseiller)

PRUD'HOMMES

N° RG 16/07189 - N° Portalis DBVJ-V-B7A-JSAK

Madame [Q] [N]

c/

EARL Vignobles BOSSUET Hubert

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 novembre 2016 (R.G. n°F16/00041) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Agriculture, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2016,

APPELANTE :

Madame [Q] [N]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1] de nationalité Française, Profession : Ouvrière agricole, demeurant [Adresse 1]

assistée et représentée par Me Jean-Philippe POUSSET de la SCP LAVALETTE avocats conseils, avocat au barreau de CHARENTE

INTIMÉE :

EARL Vignobles Bossuet Hubert, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 342 933 330

assistée de Me Catherine CARMOUSE, avocat au barreau de BORDEAUX

représentée par Me Serge CALLEGARI, avocat au barreau de SAINTES,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 février 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Annie Cautres, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Annie Cautres, conseillère faisant fonction de présidente

Madame Sylvie Heras de Pedro, conseillère

Monsieur Jean-François Sabard, conseiller

Greffier lors des débats : Madame A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [Q] [N] a été embauchée par l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert (l'entreprise) à compter du 25 septembre 2006 suivant contrat de travail intermittent à durée indéterminée en qualité de prix-faiteur à façons.

Par courrier du 22 mai 2015, la salariée a informé l'employeur ne plus pouvoir travailler dans les conditions actuelles, préférant partir.

Par courrier du 3 juin 2015, l'employeur a pris acte de l'abandon de poste immédiat de la salariée.

Le 14 mars 2016, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de solliciter la requalification de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 24 novembre 2016, le conseil de prud'hommes de Libourne a analysé la rupture du contrat de travail de Mme [N] en date du 22 mai 2015 en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné l'entreprise à verser à la salariée les sommes suivantes :

- 4 376,85 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1 458,94 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 1 458,94 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 145,89 euros bruts au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Le conseil a également ordonné à la salariée de reverser à l'entreprise la somme de 903,12 euros au titre du trop perçu sur les salaires.

Par déclaration en date du 6 décembre 2016, Mme [N] a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 22 juin 2017 auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [N] sollicite la réformation partielle du jugement entrepris, la condamnation de l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert à lui verser les sommes suivantes :

- 3 125 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 3 472,22 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 347,22 euros au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 10 417 euros au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive ;

- 1 141,62 euros bruts au titre de rappel de salaire pour le mois de mai 2015 ;

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outres les entiers dépens.

Elle demande également la réformation du jugement précité en ce qu'il l'a condamnée à verser à l'entreprise la somme de 903,12 euros et que les sommes retenues par l'huissier éventuellement saisi de l'exécution soient supportées par le débiteur.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 28 avril 2017 auxquelles la cour se réfère expressément, l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la salariée au remboursement de la somme de 903,12 euros indus et sa réformation pour le surplus, que la salarié soit déboutée de l'intégralité de ses demandes et qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 1 600 euros au titre des dommages et intérêts pour non respect du préavis et de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture des débats a été ordonnée le 10 janvier 2019 et le conseiller de la mise en état a fixé l'affaire à l'audience de la cour le 12 février 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La démission du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans évoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines de son départ, qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de son employeur.

En l'espèce, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 22 mai 2015, Mme [N] écrit à son employeur : 'je pars du château parce que les vignes sont sales, ça fait déjà longtemps, je ne peux plus travailler dans des conditions pareilles. Moi je veux travailler dans des vignes propres mais maintenant je préfère partir, trouvez quelqu'un pour finir les façons, je pars à ce jour, 22/05/15".

La salariée fait valoir que son départ est le résultat d'une dégradation de ses conditions de travail et des manquements de son employeur dans l'entretien des vignes.

Il résulte de ces éléments que la démission de Mme [N] est équivoque dans la mesure où la salariée impute son départ à des manquements de son employeur.

En conséquence, la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture par Mme [N].

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

En cas de prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, au contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur, l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, ne fixe pas les limites du litige.

Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans un écrit.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, le manquement de l'employeur allégué par Mme [N] est le manque d'entretien des vignes.

La salariée s'était plainte de ce manque d'entretien par lettre recommandée du 8 juin 2014, restée sans réponse : 'je ne peux pas travailler dans l'herbe, c'est plus des vignes, c'est de la chaume', 'c'est une honte des vignes comme ça'.

La salariée soutient que l'employeur réalisait des économies en n'entretenant pas ses vignes (amas d'herbes dépassant parfois un mètre de hauteur), que le personnel travaillait dans des conditions déplorables, impactant le rendement des salariés et donc leur rémunération.

En ce sens, M. [Y] atteste que les vignes ont toujours de l'herbe jusqu'en haut des fils releveur, qu'il faut travailler en bottes hiver comme été, qu'il faut tout le temps réclamer que quelqu'un vienne faucher les vignes pour travailler correctement.

M. [V] indique la présence d'herbe dont la hauteur atteignait minimum un mètre.

Le château Peybonhomme dans lequel Mme [N] travaille depuis huit années bénéficie du label BIO et fait de la culture biologique depuis l'année 2000 ; les herbicides y sont donc interdits, les vignes doivent être enherbées tout au long de l'année dans l'objectif de maintenir un couvert végétal.

De ce fait, les modes de culture et de production sont soumis à un cahier des charges rigoureux, soumis à des contrôles réguliers.

Les rapports d'inspection, versés aux débats par l'employeur, réalisés en juin 2014, octobre 2015 et mars 2016 ne font état d'aucune non conformité, que ce soit au titre de l'entretien des sols ou du respect des règles d'enherbement et de désherbage et qu'il n'y a pas de vigne abandonnée.

Par ailleurs, M. [R] indique que les adventices prennent souvent le dessus les années pluvieuses sans impacter la santé des salariés et que ce mode de culture est respectueux de l'environnement.

Mme [X] atteste travailler normalement et dans de bonnes conditions.

Enfin, les délégués du personnel n'ont jamais fait de remarques à ce sujet.

En outre, Mme [N] ne bénéficie pas d'une rémunération au rendement, aussi elle ne peut soutenir que le manque d'entretien des vignes a impacté son rendement et donc sa rémunération.

En l'état des explications et pièces fournies, aucun manquement de l'employeur n'est caractérisé et n'est donc suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier une prise d'acte pour manquements de l'employeur.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [N] ne peut produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur ; elle produit en conséquence les effets d'une démisison. Mme [N] sera donc déboutée de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes

* Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect du préavis

Le salarié démissionnaire qui estime que la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur doit une indemnité de non respect du préavis si l'employeur n'est pas déclaré responsable de cette rupture.

Le salarié est alors redevable de l'indemnité correspondant au préavis qu'il n'a pas exécuté. Cette indemnité est due dès lors que l'employeur en réclame le paiement, même en l'absence d'un quelconque préjudice.

Toutefois, cette indemnité accordée à l'employeur ne peut pas ouvrir droit à son profit à une indemnité correspondant aux congés payés afférents.

Par courrier du 22 mai 2015, Mme [N] écrit à l'entreprise partir ce jour, 22 mai 2015.

Ainsi, il est constant que la salariée n'a pas exécuté le mois de préavis imposé par la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde.

Aussi, l'employeur sollicite la somme de 1 600 euros au titre des dommages et intérêts pour non respect du préavis, somme non contestée dans son montant par Mme [N].

Mme [N] sera en conséquence condamnée à verser à l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert la somme de 1 600 euros au titre des dommages et intérêts pour non respect du préavis.

* Sur le remboursement de la somme de 903,12 euros

L'EARL des vignobles Bossuet Hubert sollicite la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Libourne du 24 novembre 2016, soutenant que la salariée est redevable d'une somme de 903,12 euros nets versés indûment et correspondant à la différence entre les salaires qui lui ont été versés et les travaux effectivement réalisés.

L'employeur ne rapporte aucune preuve à l'appui de ses prétentions, il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement entrepris infirmé sur ce point.

* Sur la demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2015

La salariée sollicite 1 141,62 euros bruts au titre d'un rappel de salaire pour le mois de mai 2015 estimant que cette somme a été indûment prélevée.

La salariée ne rapporte aucun preuve à l'appui de ses prétentions, elle sera donc débouté de sa demande de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il apparaît équitable en l'espèce de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens.

PAR CES MOTFS

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Libourne du 24 novembre 2016 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la démission de Madame [Q] [N] s'analyse en une prise d'acte devant produire les effets d'une démission ;

Condamne Madame [Q] [N] à payer à l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert la somme de 1 600 euros au titre des dommages et intérêts pour non respect du préavis ;

Déboute l'EARL des vignobles Bossuet-Hubert de sa demande de remboursement de la somme de 903,12 euros par Madame [Q] [N] ;

Déboute Madame [Q] [N] de sa demande de rappel de salaire pour le mois de mai 2015 ;

Condamne Madame [Q] [N] aux entiers dépens ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Madame Annie Cautres, conseillère faisant fonction de présidente en l'empêchement de la présidente de chambre et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Annie Cautres


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 16/07189
Date de la décision : 30/04/2019

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°16/07189 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-30;16.07189 ?
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