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30/05/2018 | FRANCE | N°16/01796

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 30 mai 2018, 16/01796


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 30 MAI 2018



(Rédacteur : Madame Catherine D..., Présidente)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 16/01796







SAS CASTORAMA FRANCE



c/



Monsieur Franck E...

















Nature de la décision : AU FOND













Notifié par LRAR le :



L

RAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 février...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 30 MAI 2018

(Rédacteur : Madame Catherine D..., Présidente)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 16/01796

SAS CASTORAMA FRANCE

c/

Monsieur Franck E...

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 février 2016 (R.G. n°F 14/01241) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 14 mars 2016,

APPELANTE :

SAS Castorama France, agissant en la personne de son représentant légal domicilié [...]

N° SIRET : 451 678 973 00012

assistée de Me Etienne F... de la SCP F... & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉ :

Monsieur Franck E...

né le [...] à BAYONNE (64100), de nationalité Française, demeurant [...]

représenté par Me Doriane X..., avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue 19 février 2018 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine D..., présidente

Madame Nathalie Pignon, présidente

Madame Annie Cautres, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie G...,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

- prorogé au 30 mai 2018 en raison de la charge de travail de la cour.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur Franck E... a été engagé par la SAS CASTORAMA, suivant contrat de travail à durée indéterminée, le 5 octobre 1994, en qualité de stagiaire chef de rayon.

Le 15 janvier 2007, il accédait au statut cadre et occupait, au sein de différents établissements, les fonctions de chef de rayon, chef des ventes, chef de secteur -statut cadre, échelon 2, coefficient 350, de la convention collective nationale du bricolage, outre la convention d'entreprise Castorama du 23 novembre 1999, modifiée par avenant du 28 novembre 2000-. Il était également soumis à une convention de forfait en jours.

Le 1er juin 2011, il était chef de secteur Commerce au sein de l'établissement Castorama Lormont, dont il faisait l'ouverture en septembre 2011.

Le 10 mars 2014, par courrier remis en main propre, il était convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle mesure de licenciement et une mesure de mise à pied à titre conservatoire lui était notifiée.

Le 28 mars 2014 il était licencié pour faute grave au motif d'un harcèlement moral managérial.

Le 5 mai 2014, M. E... a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux, aux fins de voir :

- juger son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- juger que le contrat de travail a fait l'objet d'une exécution déloyale et que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la convention de forfait en jours,

- condamner son ex-employeur à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité ainsi que de dommages et intérêts.

Par jugement du 29 février 2016, le conseil de prud'hommes de Bordeaux, section encadrement,

- juge le licenciement de M. E... dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamne la SAS Castorama à lui verser les sommes de :

- 65.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour déloyauté et manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

- 2.362,01 € bruts à titre de rappel de salaire, outre 236.30 € bruts à titre de congés payés afférents,

- 9.600 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 960 € à titre de congés payés afférents,

- 27.780,77 € bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- rappelle que l'exécution provisoire est de droit, dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois dernier mois soit 3.723,83 €,

- dit que toutes ces sommes portent intérêts au taux légal à compter de la date de l'acte introductif d'instance fait par M. E...,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- ordonne d'office le remboursement par la SAS Castorama à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. E... du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- ordonne l'exécution provisoire pour le surplus de la décision,

- déboute la SAS Castorama de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Castorama a interjeté appel de cette décision le 16 mars 2016.

Par ordonnance de référé du 30 juin 2016, le Président de chambre à la cour d'appel de Bordeaux, désigné par le Premier président :

- déboute la SAS Castorama France de sa demande de l'arrêt de l'exécution provisoire,

- condamne la SAS Castorama France à payer à M. Lopez Y... la somme de 1.000 €, outre les dépens.

Par conclusions déposées le 23 octobre 2017 et développées oralement à l'audience, la SAS CASTORAMA conclut à la réformation du jugement attaqué et demande à la Cour de juger que :

- le licenciement de M. E... repose sur une faute grave, à titre subsidiaire, qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse,

- elle a exécuté de manière loyale la convention de forfait en jours et le contrat de travail.

En conséquence, elle demande à la cour de débouter M. E... de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 15 décembre 2017 et développées oralement à l'audience, M. E... conclut à la confirmation du jugement attaqué, sous réserve de son appel incident, limité au montant de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et des dommages et intérêts alloués au titre de l'article 1235-3 du code du travail.

Sur ces trois chefs, il demande respectivement le versement des sommes de 10.656,21 euros, 1.065,62 euros et 75.000 euros.

Enfin, il demande à la cour de condamner la Sas Castorama à lui verser la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

DÉCISION

Sur le licenciement

Le licenciement pour faute grave est de nature disciplinaire et conformément aux dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Des faits non prescrits permettent toutefois de se référer à des faits plus anciens, en cas de comportement persistant et réitéré rendant impossible le maintien du salarié dans son emploi.

En outre, en application de l'article L1235-1 du code du travail , il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et en cas de doute, il profite au salarié.

En revanche, la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur seul, et tel est le cas en l'espèce .

Il convient sur ce point de rappeler que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La lettre de licenciement du 28 mars 2014, faisant suite à l'engagement de la procédure disciplinaire par une convocation du 10 mars 2014 à l'entretien préalable, et à une mise à pied conservatoire prononcée à la même date, est notamment rédigée comme suit :

«... Il vous appartient de développer une communication efficace favorisant l'échange et la confiance au sein de votre équipe, définir les plans d'action pour votre secteur et en contrôler la réalisation .

Or, de nombreux collaborateurs du magasin de Lormont, nous ont fait part de propos et attitudes de votre part, qui vont à l'encontre de ces principes et portent atteinte à leur santé morale.

Il a ainsi été fait état à votre encontre, d'une communication et de comportements inappropriés et dénigrants envers vos équipes, ainsi que d'un manque d'organisation du travail au sein de votre secteur.

En effet, vos équipes se sont plaintes de plus en plus régulièrement de vos propos désobligeants et dévalorisants.

Ainsi vous communiquez quasi exclusivement par mail avec vos collaborateurs et lors de vos échanges verbaux avec eux vous utilisez des propos dévalorisants du type 'on ne se mélange pas avec le petit personnel',' un chef de rayon ne touche pas aux palettes'' tu fais honte à l'image du magasin.'

Lors de vos réunions de secteur, vos collaborateurs et les chefs de rayon se sentent dévalorisés, ne peuvent pas avoir d'écoute, sont dans l'impossibilité d'échanger avec vous et disent être écrasés.

Leur point de vue vous importe peu et vous faites preuve d'autoritarisme et de manque de respect notamment en leur répétant l'expression « c'est moi qui décide, c'est moi votre chef » « C'est comme cela et pas autrement ».

Lors de vos entretiens et entretiens d'évaluation vous avez eu un discours négatif inconvenant et dénigrant vis-à-vis de l'ensemble des collaborateurs du pôle projet. Par exemple : « arrête de prendre les gens de haut ma petite », 'vous n'êtes qu'une gamine», 'vous n'évoluerez jamais avec votre comportement ». Vous faites de plus ressentir des inégalités de traitement entre les hommes et les femmes de votre secteur, en refusant toute attention facilitant la conciliation vie privée, vie professionnelle.

Ainsi, vous refusez de prendre en compte les soucis liés aux enfants (garde d'enfants, problèmes à l'école').

Lorsque vos collaboratrices vous font part de leurs difficultés de port de certaines charges lourdes vous leur dites ne rien vouloir savoir et qu'elles se débrouillent seules pour la mise en rayon. Ces dernières ressentent un sentiment de mépris de votre part.

Vous avez par ailleurs refusé des vacances à une collaboratrice sur septembre dernier l'informant que sur cette période cela ne serait pas possible. Peu de temps après vous avez pourtant accordé cette semaine à l'un de ses collègues.

Cette collaboratrice a ressenti à juste titre une profonde injustice. Lorsqu'on vous a fait remarquer cette injustice, vous avez nié.

Vos collaborateurs nous ont également rapporté à plusieurs reprisent une absence totale d'organisation des tâches de travail.

Les nouveaux venus que vous avez pu intégrer se sont sentis totalement délaissés, livrés à eux-mêmes et méprisés quant à leur fonction.

'

À titre d'exemple un de vos collaborateurs a mis en place une tête de gondole de Storage comme convenu selon votre demande auprès du chef de rayon, qui l'a félicité sur la réalisation.

Les jours de repos de ce chef de rayon, vous avez demandé aux équipes de tout défaire en le dévalorisant publiquement et lui indiquant que c'était de la merde.

Ce comportement crée des difficultés d'organisation dans votre secteur et génère des incompréhensions de la part des équipes, notamment un sentiment de mal être de la part des chefs de rayons qui se sentent mis à l'écart.

Vous rabaissez également leur travail'

Vous vous énervez auprès d'une collaboratrice dans les rayons devant les clients, vous menacez un collaborateur qui allait avoir sa lettre si les choses ne sont pas faites en temps et en heure selon vos exigences

' Tout ceci rend particulièrement difficile les conditions de travail de vos équipes et leur met « une pression mentale et morale ».

Il est arrivé à plusieurs reprises que certaines de vos collaboratrices pleurent suite à leur échange avec vous.

Ces éléments rapportés par vos collaborateurs ont été corroborés par l'un de nos délégués du personnel qui a porté à notre connaissance en réunion de mars une question particulièrement alarmante sur votre secteur : « de nombreux collaborateurs sont venus me rencontrer afin de me faire part de l'ambiance particulière qu'il rencontre, au quotidien, dans leur secteur ( amena) : en résumé, démotivation rime actuellement avec démission' »

Vos agissements ont amené certains collaborateurs à demander des changements de secteur, de magasin ou à démissionner.

'

Ces derniers ont exprimé leur désarroi, lassitude, parfois dégoût de venir travailler suite à ces pressions répétées. Il est fait mention de harcèlement moral par vos équipes.

Or vos fonctions de cadre nécessitent que vous assuriez la sécurité et la protection, la santé physique et mentale de vos collaborateurs.

Il s'agit d'une obligation de sécurité de résultat qui engage votre responsabilité ainsi que celle de votre employeur.

Pourtant, nous vous avons déjà sensibilisé à plusieurs reprises sur ce point.

'

Votre comportement a engendré des conséquences sur le fonctionnement de votre secteur qui se trouvait de fait impacté par votre comportement managérial et votre manque de cohésion dans l'équipe.

Votre comportement porte également atteinte à l'image de l'entreprise dans la mesure où vous vous exprimez de cette manière auprès de vos collaborateurs en présence de clients.

'

En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

' »

Pour juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a notamment retenu que la lettre de licenciement ne permettait pas de déterminer le nom des collaborateurs concernés pas plus qu'elle n'indiquait comment les propos et attitudes de M. E... ont pu porter atteint à la santé morale des salariés. Il ajoutait qu'aucune des pièces fournies par la SAS Castorama n'impliquait personnellement M. E... et que les agissements de harcèlement moral imputés à celui-ci n'étaient pas établis, a fortiori les agissements répétés imposés par la cour de cassation.

En ce qui concerne une pétition du 25 février 2014, le conseil de prud'hommes observait qu'on ignorait par qui elle avait été dactylographiée, à quelle date, dans quelles conditions et qu'aucune attestation des six salariés plaignants n'était produite.

Le conseil de prud'hommes notait également que M. E..., en 20 ans de carrière, n'avait reçu aucun rappel à l'ordre ou avertissement de la part de sa hiérarchie concernant des faits de harcèlement, que celui-ci regrettait qu'aucune enquête contradictoire n'ait été réalisée dans son service, lui donnant la possibilité de s'expliquer sur les accusations portées à son encontre et qu'il versait aux débats des attestations de plusieurs salariés ayant travaillé sous ses ordres, témoignant en sa faveur.

Devant la cour, la SAS Castorama procède à un rappel des obligations d'un collaborateur et des principes applicables en matière d'obligation de sécurité des salariés, et d'obligation de sécurité de l'employeur, lui imposant une nécessaire réactivité dès lors que des manquements commis par un salarié sont portés à sa connaissance.

Il est certes incontestable que dès lors que la preuve est rapportée de la réalité d'un comportement et de sa gravité, il appartient à l'employeur de le sanctionner et à défaut, il est susceptible d'engager lui-même sa responsabilité à l'égard des salariés victimes.

La question toutefois en l'espèce porte sur la suffisance ou l'insuffisance de la caractérisation du comportement reproché à M. E... en ce sens que les faits allégués comme constitutifs d'un harcèlement doivent être précis et vérifiables, d'autant plus qu'ils sont contestés par le salarié.

Certes, la lettre de licenciement relate des propos qui auraient été tenus mais les personnes susceptibles d'en avoir été victimes ne sont pas identifiées de façon précise. La lettre de licenciement ne permet pas davantage de savoir de quelle façon l'employeur a pu se convaincre des faits reprochés, si des salariés en ont fait directement état, en qualité de victimes ou s'il s'agit de propos rapportés à des personnes qui les ont elles-mêmes rapportés.

Or, quand bien même le harcèlement managérial comporterait une dimension collective, puisqu'il prend sa source dans une technique de management utilisée par le supérieur hiérarchique à l'égard de tous les salariés, il faut néanmoins que ces méthodes aient pu conduire, pour un ou plusieurs salariés déterminés, à produire les effets du harcèlement moral.

En l'espèce, la Sas Castorama produit un échange de mail du mois de mars 2013, soit environ un an avant le licenciement, concernant le magasin de Lormont, sans autre précision, selon lequel un délégué syndical CFTC du magasin d'Antibes aurait alerté sur 'la situation des salariés sur le magasin de Lormont' dans lequel il y aurait un risque d'épuisement professionnel, de burn out, et de risques psychosociaux, au vu d'un mail reçu de la part d'un salarié, sans davantage de précision non plus. Le rédacteur du mail sollicitait en conséquence, de toute urgence, l'ouverture d'une enquête en collaboration avec le CHSCT du magasin mais il n'apparaît pas qu'à cette époque une suite quelconque y ait été donnée.

Si une enquête contradictoire menée par le CHSCT ne revêt pas un caractère nécessaire, elle permet néanmoins de fournir des éléments d'appréciation plus explicites.

Au mois de mars 2014, une réunion extraordinaire du CHSCT a cependant été organisée à la suite d'une lettre adressée au DRH de la région, signée par six salariés du secteur aménagement ayant pour responsable M. E.... Selon le procès-verbal de la réunion, l'ensemble des membres du CHSCT ont pris connaissance de ce courrier et il a été décidé d'une part que ce courrier, annexé au procès-verbal, ne serait pas affiché compte tenu de la 'confidentialité des points remontés par les collaborateurs' et d'autre part que la présidente du CHSCT et les responsables des ressources humaines de la direction régionale Atlantique se concerteraient pour décider des mesures appropriées.

Trois questionnaires d'enquête à en tête de la direction régionale Atlantique des ressources humaines, sont produits par la SAS Castorama, faisant ressortir le fait que M. E... 'génère auprès de ses équipes une pression car il demande plein de choses à la fois. .. Il ne gère pas correctement les bonnes priorités et donne des ordres dans tous les sens'(M. H...), qu'un autre salarié, M. Nicolas Z..., aurait été destinataire d'une réflexion blessante, ' tu fais honte à l'image du magasin 'le samedi 8 mars alors qu'il était malade, a le sentiment d'être livré à lui-même lors de son intégration, sans cadre et mission précise, a le sentiment de ne pas être écouté et de ne pas pouvoir exprimer des propositions, et enfin que M. Benoît A... ' se sent délaissé depuis sa prise de fonction... Reçoit des ordres et contre ordres en permanence... Les idées, les initiatives ne sont pas les bienvenus. Certains comportements de la part de M. E... l'ont choqué, comme par exemple renverser des têtes de gondole qui ne lui plaisent pas et des propos tels que ' on ne se mélange pas avec le petit personnel, un CR ne touche pas aux palettes'.

Ces documents, signés des collaborateurs concernés, viennent ainsi corroborer de façon identifiée les énonciations de la lettre de licenciement.

De même, devant la cour, la Sas Castorama produit une attestation de M. Arnaud B..., l'un des signataires du courrier ou de la pétition du 25 février 2014, qui relate un incident qui s'est déroulé sur la surface de vente, en présence de clients, au cours duquel le ton avec M. E... est monté. Ce dernier lui aurait laissé entendre qu'il faisait mal son travail, qu'il était un menteur et un fainéant et pour conclure la conversation, et il lui a indiqué ' continue et tu vas recevoir ta lettre'. M. B... ajoute qu'antérieurement, il a déjà été confronté à des situations similaires et les clients, à plusieurs reprises, lui auraient indiqué' vous avez bien du courage'. Enfin, il indique que lors de la mise en place de têtes de gondole, il est déjà arrivé que M. E... fasse sous-entendre que ' c'était de la merde' alors qu'il les avait félicité deux jours avant pour la même tête de gondole.

Ici encore, ce témoignage, certes nouveau devant la cour, vient néanmoins corroborer les éléments avancés par l'employeur.

Dans ce contexte, et même si la médecine du travail n'a pas été saisie pas plus qu'aucun salarié n'a produit un certificat médical, il est toutefois établi que M. E... a fait preuve d'un management inapproprié générant, au moins pour les collaborateurs qui ont signé le courrier du 25 février 2014 et ceux dont les attestations ou les documents d'enquête sont produits, le désarroi, la lassitude et parfois même le dégoût évoqués dans le courrier du 25 février et dans la lettre de licenciement.

Au vu des entretiens annuels de M. E..., l'attention de celui-ci avait été attirée par l'employeur sur la nécessité de trouver de la flexibilité et de l'adaptabilité, sur la nécessité, pour gagner en légitimité, de s'impliquer encore plus sur le terrain, de faire tomber les barrières de la hiérarchie et d'aller ' plus naturellement vers son équipe : simplicité managériale' et en dernier lieu, le 24 février 2014, de ' travailler sur lui pour assouplir son style de management et entretenir un climat de confiance avec son équipe.'

Quant aux résultats de l'enquête Gallup, s'ils contiennent peu d'éléments critiques à l'égard du chef de secteur, ils ne seront pas retenus comme déterminants au vu de l'attestation de Monsieur C..., produite par l'employeur, qui, après avoir énoncé sa qualité de délégué du personnel ayant collecté à ce titre différents témoignages relatifs au comportement de M. E... à l'occasion de cette enquête, relate que ce dernier aurait sciemment 'tronqué' le questionnaire et aurait tenu à faire passer personnellement tous ses collaborateurs en tête-à-tête alors que les autres chefs de secteur avaient fait passer le questionnaire par l'équipe RH, ce qui lui aurait permis d'influencer les réponses.

C'est donc à juste titre que la SAS Castorama a retenu à l'encontre de M. E... un comportement managérial défaillant, créateur de tensions et de stress dans son équipe et d'une souffrance au travail ressentie au moins par une partie de celle-ci, même si M. E... produit les attestations d'autres salariés de cette même équipe qui n'ont pas ressenti de façon négative son management, même qualifié d'exigeant.

Toutefois, il résulte des éléments ci-dessus indiqués que la faute grave n'est pas démontrée et en particulier, la nécessité de faire cesser immédiatement la situation par une rupture du contrat de travail avec mise à pied conservatoire et sans préavis.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement est intervenu sans cause réelle et sérieuse et seule la faute grave ne sera pas retenue par la cour.

L'infirmation concernera également la somme de 65'000 € accordée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En revanche, le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé dans le principe et le montant de ses dispositions relatives à l'indemnité conventionnelle de licenciement et à l'annulation de la mise à pied conservatoire avec paiement du salaire correspondant et des congés payés sur ce salaire, lesquelles ne sont pas discutées en elles-mêmes devant la cour.

En ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, M. E... relève une erreur de calcul du conseil de prud'hommes qui n'aurait pris en considération que le seul salaire de base et pas le salaire mensuel moyen, incluant le salaire fixe et le salaire variable, ce qui n'est pas contesté par la SAS Castorama.

Il sera donc accordé à M. E... de ce chef la somme de 10'656,21 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis de trois mois et la somme de 1065,62 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le remboursement d'office à Pôle Emploi

Dans la mesure où le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé en ce qu'il a ordonné un remboursement d'office, à la charge de la SAS Castorama, par application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail.

Sur la convention de forfait en jours

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé dans son principe en ce qu'il a retenu que si M. E... a bien signé le 15 janvier 2007 une convention de forfait en jours, le régime défini par la convention collective et l'accord Castorama du 23 novembre 1999, modifié par avenant du 28 novembre 2000, sans être lui-même en cause, impose notamment d'établir un décompte des heures de travail effectif effectuées par chaque cadre, par un système d'enregistrement informatique ou manuel fiable et infalsifiable et la mise en place d'un système de surveillance. Or il est effectif que la SAS Castorama ne communique pas le décompte des heures de travail du salarié et ne fournit pas d'indication sur le système de suivi d'activité du cadre mis en place à cet égard. Seuls sont produits devant la cour des tableaux comportant apparemment pour les années 2011, 2012 et 2013 le nombre de jours travaillés, à l'exclusion de tout contrôle du temps de travail.

En outre, la société Castorama ne justifie pas davantage d'entretiens annuels individuels permettant d'évaluer notamment la charge de travail de M. E..., l'organisation du travail dans l'entreprise et l'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale, dans les termes de l'article L 3121-46 du code du travail. Les deux seuls documents produits font état d'un entretien du 9 février 2013 puis d'un entretien du 25 octobre 2013, ce qui ne démontre pas le caractère régulier de ces entretiens.

Enfin, les entretiens relatifs à la charge de travail doivent être spécifiques et ne se confondent pas avec les entretiens d'évaluation annuels.

Dès lors, la convention de forfait en jours est privée d'effet à l'égard de M. E....

En ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, la Sas Castorama n'a formulé aucune critique.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc également confirmé sur l'appréciation du préjudice de M. E....

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La SAS Castorama et M. E... échouent pour partie de leurs prétentions devant la cour.

Les dépens seront donc partagés par moitié et chaque partie sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 29 février 2016 sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de M. Frank E... est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la SAS Castorama à verser la somme de 65'000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la Sas Castorama à verser la somme de 9600 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 960 € bruts au titre des congés payés afférents au préavis et en ce qu'il a ordonné d'office le remboursement par la SAS Castorama à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. Frank E..., en application de l'article L 1235-4 du code du travail, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. Frank E... est fondé sur une cause réelle et sérieuse, à l'exclusion de toute faute grave,

Condamne la SAS Castorama à verser à M. Frank E... la somme de 10'656,21 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 1065,62 euros au titre des congés payés afférents,

Déboute M. Frank E... de sa demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Partage les dépens de la procédure d'appel par moitié entre la SAS Castorama d'une part et M. Frank E... d'autre part.

Signé par Madame Catherine D..., présidente et par Anne-Marie G..., greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Anne-Marie G... Catherine D...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 16/01796
Date de la décision : 30/05/2018

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°16/01796 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-30;16.01796 ?
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