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29/11/2017 | FRANCE | N°15/04587

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 novembre 2017, 15/04587


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 NOVEMBRE 2017



(Rédacteur : Madame Catherine DUPOUY DE GORDON, Présidente)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 15/04587







SA JOUVE



c/



Madame [K] [H]

















Nature de la décision : AU FOND













Notifié par LRAR le :



LR

AR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 201...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 NOVEMBRE 2017

(Rédacteur : Madame Catherine DUPOUY DE GORDON, Présidente)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 15/04587

SA JOUVE

c/

Madame [K] [H]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 juin 2015 (R.G. n°F 13/03301) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 17 juillet 2015,

APPELANTE et intimée

SA Jouve, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général en exercice Monsieur [Y] [N] domicilié en cette qualité en son siège [Adresse 1]

N° SIRET : 582 131 264

représentée par Me Isabelle DUPRE-GOAZEMPIS de la SCP PICHARD & ASSOCIES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE ouparis

INTIMÉE et appelante suivant déclaration d'appel du 21 juillet 2015

Madame [K] [H]

née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

assistée de Me Eric VISSERON de la SELARL VISSERON, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 octobre 2017 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine DUPOUY DE GORDON, Présidente chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine Dupouy de Gordon, présidente

Madame Isabelle Lauqué, conseillère

Madame Annie Cautres, conseillère

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [K] [H] a été embauchée par la SA Océ-France à compter du 28 mars 1994, selon contrat à durée indéterminée, à temps complet, en qualité de gestionnaire d'appels, statut employée.

Elle occupera successivement différentes fonctions au sein de l'entreprise et, à compter du 1er décembre 2008, elle intègre la SA Océ Business Services (OBS), en qualité de responsable d'unité, sur le site OBS-Cofinoga à [Localité 2], avec la classification employée niveau V échelon 2 coefficient 335, en application de la convention collective des industries métallurgiques et connexes et reprise de l'ancienneté fixée au 28 mars 1994.

Au cours du premier semestre 2011, la SA Océ Business Services (OBS) a décidé de céder l'activité OBS-Cofinoga.

Dans un contexte de tensions provoquées par le projet de cession, le comité d'entreprise commun de l'UES Océ a émis, le 27 septembre 2011, un avis très défavorable à la reprise de l'activité par la société Jouve.

Le 28 septembre 2011, le comité d'entreprise de la SA Jouve a émis un avis favorable au projet de reprise du marché Cofinoga jusqu'alors traité par OBS.

Le contrat de travail des salariés concernés, dont Mme [K] [H], a été transféré à la SA Jouve le 28 novembre 2011, par application de l'article L 1224-1 du code du travail.

À compter du 3 juillet 2012, Mme [K] [H] est en arrêt de maladie et les arrêts de travail seront reconduits jusqu'au mois de décembre 2012.

Le 10 décembre 2012, Mme [K] [H] a été examinée, dans le cadre d'une visite de préreprise, par le médecin du travail qui a indiqué 'en arrêt de travail ce jour, à revoir lors de la reprise après l'étude de poste et des conditions de travail, inaptitude probable'.

Le 7 janvier 2013, Mme [H] a de nouveau été examinée par le médecin du travail qui a conclu de la façon suivante 'inaptitude définitive à son poste selon l'article 4624-31 du code du travail : une visite de préreprise faite le 10 décembre 2012, une étude de poste et des conditions de travail le 17 décembre 2012.'

Par lettre recommandée du 22 février 2013, la SA Jouve a envoyé à Mme [H] des propositions de reclassement que celle-ci a refusées par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mars 2013.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 mars 2013, Mme [H] a alors été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement dont la date a été fixée au 9 avril suivant.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 12 avril 2013, la SA Jouve a notifié à Mme [H] son licenciement pour inaptitude définitive au poste de travail et impossibilité de reclassement.

Le 21 novembre 2013, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux d'une contestation de son licenciement et d'une demande en paiement de diverses indemnités et dommages intérêts.

Par jugement du 23 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Bordeaux, section encadrement, a dit que le harcèlement moral dont Mme [H] a été victime est établi, a jugé que le licenciement prononcé pour inaptitude est nul, eu égard aux faits antérieurs de harcèlement moral, a condamné la SA Jouve à verser à Mme [H] une somme de 40'000 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement ainsi qu'une somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté Mme [H] du surplus de ses demandes, a débouté la SA Jouve de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles et a condamné cette dernière aux entiers dépens.

La SA Jouve a relevé appel le 20 juillet 2015 puis Mme [H] a également relevé appel le 21 juillet 2015 de sorte que les dossiers ont été joints sous le numéro de rôle le plus ancien.

Par conclusions du 16 octobre 2017 déposées au greffe et développées oralement à l'audience, la SA Jouve demande à la cour d'infirmer le jugement rendu le 23 juin 2015, de débouter Mme [H] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions n°2 du 16 octobre 2017, déposées au greffe et développées oralement à l'audience, Mme [H] demande quant à elle à la cour, au vu de l'article 1152-1 du code du travail, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait été victime de harcèlement moral et en ce qu'il a prononcé la nullité du licenciement pour inaptitude, de condamner la SA Jouve à lui verser une somme de 30'000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, ainsi qu'une somme de 78'968 € nets de cotisations sociales et Csg/Crds à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le licenciement nul correspondant à 24 mois de salaire sur la base d'un salaire moyen de 3290,75 euros et une somme de 9872,26 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 987,22 euros au titre des congés payés afférents.

Subsidiairement, elle demande à la cour de dire que l'employeur n'a pas respecté son obligation de rechercher sérieusement son reclassement, que le licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SA Jouve à lui verser une somme de 78'968 € nets de cotisations sociales et Csg/Crds à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre les intérêts au taux légal à compter de la décision et une somme de 9872,26 euros au titre du préavis outre la somme de 987,22 euros au titre des congés payés afférents.

En tout état de cause, elle demande à la cour de dire que l'employeur a été déloyal dans l'exécution du contrat de travail, de le condamner à lui verser la somme de 14'621,91 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de le condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L 1152-2 du même code, aucun salarié ne peut notamment être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoirs relatés.

En vertu de l'article L 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions ci-dessus est nulle.

Enfin, conformément aux dispositions de l'article 1152-4, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En cas de litige, le salarié concerné, conformément aux dispositions de l'article L 1154-1 du code du travail, doit établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [H] soutient que l'employeur a clairement oeuvré afin de la déstabiliser ce qui a conduit à sa dépression.

Au titre du mobile du harcèlement, elle estime qu'il s'agit de son engagement dans le conflit collectif et dans la défense des droits de l'équipe OBS dont les contrats de travail ont été transférés à la SA Jouve. Le responsable du site Jouve aurait alors remis en cause l'autorité et la légitimité de l'équipe d'encadrement dont elle faisait partie et l'employeur aurait entretenu des agissements 'ciblés' de harcèlement moral.

Elle ajoute que non seulement l'employeur ne justifie pas avoir mis en oeuvre des actions de formation et d'information pour prévenir le harcèlement moral mais encore, que sa réaction face aux agissements qui lui ont été dénoncés a été très tardive puisque ce n'est que le 12 décembre 2012 qu'une commission d'enquête a été organisée alors que l'employeur a été informé à partir du mois de mars 2012.

Le résultat des faits de harcèlement aurait été la dégradation de son état de santé constatée par le médecin du travail ainsi que par la psychologue du service de médecine du travail.

Pour étayer ses affirmations, Mme [H] produit notamment une copie de son dossier médical faisant apparaître en particulier les mentions suivantes : dépression caractérisée, syndrome dépressif suite à des problèmes de restructuration au travail, pression au travail, allègue des défiances, ambiance tendue, syndrome anxio-dépressif dû aux problèmes liés au travail, situation conflictuelle avec sa hiérarchie, sur mode d'organisation, stress et risques psychosociaux à évaluer dans cette entreprise.

Elle produit également le courrier d'une psychologue du service de médecine du travail du pôle santé public du CHU de [Localité 3] qui a reçu Mme [H] après son licenciement pour inaptitude définitive. Elle relate que celle-ci a fait état lors de l'entretien d'une dégradation des conditions de travail faisant suite au rachat de l'entreprise ce qui aurait entraîné une scission entre les équipes et l'encadrement de sorte que certains salariés auraient formulé à l'encontre de Mme [H] des propos décrédibilisants, remettant en question ses compétences et ses méthodes managériales auprès de la direction. La fouille de son bureau aurait été un événement source d'une décompensation psychologique ayant nécessité un arrêt maladie.

Mme [H] produit en outre les documents justifiant de son engagement dans le cadre du conflit collectif ayant opposé les salariés d'OBS à cette société à l'occasion du projet de reprise d'une partie de l'activité par la SA Jouve.

Mme [H] produit enfin différentes attestations relatant également l'historique du conflit au moment de la cession de l'activité Cofinoga ainsi que la scission de l'équipe d'encadrement et les comportements qui en sont résultés en particulier à l'égard de Mme [K] [H] qui était l'une des responsables d'unité. Ainsi, une encadrante aurait sciemment mené 'un travail de sape', entraînant dans son sillage une partie des intérimaires, se serait livrée à un dénigrement, aurait émis des jugements ou des sous-entendus sur les modes de fonctionnement notamment de Mme [H], aurait semé la zizanie et créé la suspicion, cherchant à diviser pour mieux régner, produisant un état de malaise, se donnant, aux yeux des intérimaires, un niveau de décision qu'elle n'avait pas, sortant de son rôle de responsable d'unité par des comportements de favoritisme, perturbant le fonctionnement de la production et agissant sur le moral et la motivation des équipes.

De plus, la messagerie de Mme [H] aurait été utilisée à son insu et ses affaires personnelles auraient été fouillées.

Mme [H] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur fait quant à lui valoir que s'il a eu connaissance du conflit collectif se déroulant au sein de la société OBS lors du projet de cession, il n'a eu connaissance du détail du conflit et de l'engagement que Mme [H] revendique elle-même que lors de la production des pièces de la demanderesse en première instance. Il observe qu'au vu de ces documents, Mme [H] a elle-même adopté une attitude d'opposition au transfert de son contrat de travail, dans ses rapports avec la société OBS, mais qu'il est parfaitement inexact que la société Jouve aurait mis en place une quelconque stratégie de représailles.

La société Jouve ajoute avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour permettre à Mme [H] d'exécuter son contrat de travail dans les meilleures conditions et que celle-ci a été reçue le 17 septembre 2012 par le directeur du développement des ressources humaines, à la suite de la prolongation de son arrêt de travail au cours de l'été 2012 et de ses échanges avec le représentant syndical au comité d'entreprise et membre du CHSCT. De plus, une commission d'enquête aurait été réunie le 12 septembre 2012 afin de faire la lumière sur les accusations de harcèlement portées par un certain nombre de salariés du site Jouve [Localité 2] à l'encontre de Madame [C] [D] et de Mme [D] [B]. Or les auditions et témoignages n'auraient pas permis de déterminer le moindre fait relevant du harcèlement moral notamment au préjudice de Mme [H] mais plutôt un antagonisme collectif d'un groupe de salariés contre un autre, chacun apportant ses témoignages contradictoires.

La SA Jouve produit différentes attestations en faveur de Mme [C] [D], relevant ses qualités professionnelles et humaines ayant conduit à sa promotion au poste de responsable d'unité, relevant également 'des réflexions courantes et des injustices régulières' ou ' l'acharnement' de personnes ayant un poste à responsabilité.

Une dégradation des relations de travail s'est effectivement produite après la cession de l'activité Cofinoga à la SA Jouve.

Au vu notamment de l'avis de la psychologue du service de médecine du travail, Mme [H] a exprimé un sentiment d'incompréhension et d'injustice au vu de l'investissement fourni lors du rachat de l'entreprise et de la cohésion qui existait à l'époque lors de la mobilisation générale à l'occasion d'une grève de plusieurs jours.

Il est certain que Mme [H] s'est engagée à cette époque, avec le groupe de salariés du site OBS-Cofinoga, mais les revendications étaient dirigées à l'encontre de la SA OBS et elles étaient portées par l'ensemble du personnel concerné au vu en particulier du protocole de fin de conflit signé le 15 avril 2011 par Mme [K] [H] mais aussi par Mme [I] [T], responsable d'exploitation, M. [U] [R], responsable d'unité, Mme [C] [D] et Mme [D] [B], plus particulièrement mises en cause au titre des faits de harcèlement moral.

Différentes dispositions ont été arrêtées d'un commun accord à la suite des négociations intervenues entre les participants au mouvement de grève et les représentants de la direction générale d'OBS. Dans ce cadre, Mme [K] [H] a signé le 29 novembre 2011 un protocole d'accord transactionnel confirmant à nouveau son accord sur les termes du protocole signé entre OBS et l'ensemble des salariés le 15 avril 2011, renonçant en particulier à contester le transfert de son contrat de travail, à solliciter en justice sa réintégration au sein de la société OBS et/ou du groupe auquel elle appartient et plus généralement à toute revendication mentionnée dans le cahier en date du 1er avril 2011 en contrepartie du versement de l'indemnité de 10'000 € convenue. Cette indemnité a été réglée par chèque établi à l'ordre de Mme [H] le jour de la signature de la transaction.

La situation de conflit provoquée par le projet de cession avait déjà entraîné, avant la réalisation effective de celui-ci, un état de stress professionnel constaté par le service de santé au travail le 22 août 2011, stress à l'origine de plusieurs pathologies cardiologiques, digestives et psychiatriques de sorte que le médecin du travail avait demandé à l'employeur OBS d'informer les salariés le plus rapidement possible pour éviter la dégradation de leur état de santé.

Dans ce contexte, Mme [K] [H], pour éviter son transfert à la SA Jouve, avait sollicité sa mutation sur un poste de responsable d'unité au sein d'OBS, pour le contrat EDF Blaye, compte tenu de son inquiétude relative à son avenir chez Jouve.

Toutefois, par un courrier du 24 novembre 2011, la société OBS a informé Mme [H] de ce que son contrat de travail serait automatiquement transféré à la SA Jouve le 28 novembre 2011 par application des dispositions légales en la matière.

Le 29 novembre 2011, Mme [H], dans un courrier adressé à OBS a alors contesté le texte de l'accord transactionnel par elle signé le même jour, faisant valoir 'je suis à ce jour effectivement transférée et participe dès à présent au transfert de compétences. Je suis amenée à signer ce protocole d'accord transactionnel dans un contexte de transfert et d'urgence à la fois pour des raisons d'ordre personnel et face à l'incertitude de la pérennité de mon contrat de travail et des conditions d'exécution de celui-ci qui peuvent être modifiées, je n'ai pas d'autre choix ni alternative et suis donc contrainte de le signer. Ces mêmes craintes m'ont amenée à postuler par lettre recommandée pour l'ouverture du site EDF-Blaye, lettres qui sont à ce jour restées sans réponse.'

La société OBS a répondu à Mme [H] par un courrier du 21 décembre 2011 lui indiquant qu'en son temps sa candidature au poste de responsable d'unité pour le contrat EDF-Blaye, à compter du 2 janvier 2012, avait bien été notée et que depuis le 28 novembre 2011, son contrat de travail avait été transféré à la société Jouve par l'effet de la loi et que dès lors il ne pouvait être donné suite à sa candidature. En ce qui concerne le protocole proposé, la société OBS observait que Mme [H] l'avait accepté sans la moindre contrainte.

Des échanges de courriers ont continué à avoir lieu entre Mme [H] et son ancien employeur jusqu'au 28 février 2012, au vu des pièces produites.

À cette date, la SA OBS a notamment confirmé à Mme [H] que les conditions d'applicabilité de l'article L 1224-1 du code du travail, relatives au transfert des contrats de travail à la Sa Jouve, étaient totalement remplies.

Mme [H] a ultérieurement saisi la RH Jouve, de mars à juin 2012, de demandes tendant à la rectification des bulletins de salaire de décembre 2011 à février 2012 lesquels ne seraient pas conformes au transfert ainsi que d'une demande de rectification concernant un paragraphe 'prime conventionnelle'. Les messages faisaient état des attentes de 'l'équipe' et du ' personnel Jouve [Localité 2]'.

Puis Mme [H] a été en congé de maladie à compter du 3 juillet 2012.

Jusqu'à cette date, il n'est produit aucun document justifiant de ce que Mme [H] aurait avisé son employeur ou sa hiérarchie directe de ce qu'elle subirait des actes de harcèlement moral de la part d'autres membres du personnel.

Son premier courrier à ce sujet est daté du 26 septembre 2012 à la suite de l'entretien du 17 septembre dans les locaux de la société Jouve à [Localité 4] dont le but était de l'entendre sur son arrêt de travail depuis le 3 juillet précédent.

Il ne peut qu'être relevé que Mme [H] indique d'emblée avoir informé son interlocuteur, qui lui rappelait l'importance de ne pas trop parler du passé, que son état de santé (dépression) depuis le 3 juillet 2012 était précisément dû à ce passé, plus précisément depuis le transfert de son contrat de travail chez Jouve, et que tous ces événements passés l'avaient affectée tant sur le plan mental que physique.

Mme [H] ajoute qu'elle avait informé sa hiérarchie de son mal-être au sein de la société en mars 2012 en présence de Mme [I] [T] et de son collègue M. [U] [R]. Il ne peut qu'être noté que Mme [H] ne relie pas ce mal-être à des faits de harcèlement en cours de la part d'autres collègues.

Le seul fait qu'elle cite concerne l'intention manifestée par une opératrice, Mme [B], intention dont elle aurait été informée par une intérimaire, de faire circuler une pétition auprès de l'ensemble de l'équipe afin d'incriminer son mode de management car elle aurait demandé d'accélérer la cadence.

Mme [H] relate ensuite que le 4 juin 2012 alors qu'elle-même revenait de quatre semaines de congés, Mme [C] [D], responsable d'unité, avait fait parvenir un arrêt de maladie de 15 jours à la suite duquel plusieurs opératrices auraient manifesté leur soutien à Mme [D] et auraient manifesté un étonnement de recevoir des ordres de sa part. Mme [H] a donc sollicité un entretien auprès de son supérieur hiérarchique ce qu'elle a obtenu le 6 juin 2012 et il a été décidé qu'au retour du congé de maladie de Madame [C] [D], une réunion entre encadrants serait organisée afin de clarifier les rôles de chacun. Mme [H] observe qu'au 2 juillet 2012, date de son dernier jour de présence avant son arrêt de travail, elle n'a été ni convoquée dans ce sens ni informée de la tenue de tels entretiens. Mme [H] a toutefois été en arrêt de travail deux semaines au plus après le retour de Mme [D].

Mme [H] poursuit son courrier en indiquant que la discussion a ensuite évolué vers son intention de reprendre son activité professionnelle au plus tôt et sur les modalités envisageables. Mme [H] conclut en indiquant avoir toujours eu de très bons résultats grâce à sa pugnacité, son volume de travail et son sérieux, ce que ses précédents managers pourraient si besoin confirmer, que son souhait est de travailler dans de bonnes conditions et que ces événements qui compromettent sa santé et la discréditent dans son travail cessent.

Si ce courrier révèle l'existence de dissensions en particulier entre Mme [H], responsable d'unité, et Mme [D], également responsable d'unité mais moins ancienne, et si les autres pièces du dossier, à savoir les attestations produites d'une part par Mme [H] et d'autre part par la SA Jouve, démontrent que certains employés avaient pris parti pour l'une et d'autres employés pour l'autre, il apparaît qu'à aucun moment, dans ce courrier du 26 septembre 2012, Mme [H] ne dénonce des faits de harcèlement moral dont elle serait l'objet.

Il y a lieu de rappeler à cet égard que les dissensions professionnelles ou les situations de conflit ne sont pas par elles-mêmes des situations de harcèlement lequel ne survient que si un ou plusieurs salariés font l'objet de comportements abusifs, de menaces ou d'humiliations répétées et délibérées, témoignant d'une certaine volonté d'acharnement à leur encontre.

En ce qui concerne l'utilisation de la messagerie de Mme [H] à son insu, il résulte des attestations produites par cette dernière à ce sujet que les faits se seraient produits le 3 juillet 2012, soit après son départ en congé de maladie et l'identité de la personne susceptible d'avoir ouvert sa messagerie en son absence n'est aucunement mentionnée ni a fortiori établie.

En ce qui concerne la fouille dans les affaires personnelles de Mme [H], au vu notamment de l'attestation de Mme [T], il s'agirait de faits remontant à plusieurs mois sans davantage de précision. Mme [T] termine d'ailleurs son attestation en indiquant: 'J'ai le sentiment que l'intégrité, le sérieux professionnel et l'engagement dont nous avons fait preuve ([U] [R], [K] [H] et moi-même) durant toutes ces années de collaboration chez OBS et plus précisément sur ce site, depuis son ouverture, n'ont pas été pris en compte, en comparaison avec l'écoute et le soutien qu'a obtenu [C] [D], cette dernière ayant sans doute essayé, dès le départ, de se placer auprès d'[B] [K], dans cette nouvelle structure. »

Le surplus du texte des attestations produites par Mme [H] contient la relation d'une accumulation des faits au titre desquels les mises en cause de Mme [C] [D] sont particulièrement directes, à savoir qu'elle n'aurait jamais eu la qualité professionnelle ni morale d'une responsable d'unité, qu'elle aurait refusé d'effectuer une fermeture du site après ses heures normales, qu'elle écoutait les réunions y compris les entretiens individuels à travers la cloison des archives, qu'elle disait que '[I] [T] était une bonne à rien, que c'était le toutou d'[K], qu'elle lui cassait du sucre sur le dos et par devant faisait la gentille avec elle', qu'elle avait tendance, avec [D] [B], à se moquer des personnes sur leur physique ou leurs vêtements, qu'elle critiquait ouvertement les responsables à savoir M. [R], Mme [T] et Mme [H], que Mme [D] n'a pas sa place au sein de l'équipe et encore moins en tant que responsable d'unité, qu'elle n'en a ni le profil, ni la carrure, ni la droiture, ni les compétences.

Ces critiques sont directement contredites par les attestations produites par la SA Jouve relatant, de la part d'autres salariés, les nombreuses qualités de Mme [D], sa compétence, sa disponibilité, son entrain etc.

L'analyse de l'ensemble de ces éléments est en définitive conforme aux conclusions de la commission d'enquête constituée lors d'une réunion du 31 octobre 2012 sans que la présence dans sa composition de M. [B] [K], responsable du site de [Localité 2], soit critiquable compte tenu des fonctions par lui exercées et du fait que s'il lui est reproché de n'avoir pas pris les dispositions nécessaires, il ne lui est reproché aucun acte de harcèlement.

Aux cours des travaux de la commission, neuf personnes ont été entendues dont Mme [T], Mme [H], M. [R], Mme [D] et Mme [B].

Il existait certainement au moment de l'arrêt de travail de Mme [H], et dans la suite des tensions liées à la cession de l'activité Cofinoga à la SA Jouve, un climat collectif délétère avec un antagonisme collectif d'un groupe de salariés contre un autre, chacun apportant ses témoignages contradictoires sans que les faits de harcèlement moral, tel que définis ci-dessus, soient caractérisés.

En conséquence, le licenciement de Mme [H], prononcé en raison de l'inaptitude médicale constatée et de l'impossibilité de reclassement n'encourt pas la nullité de sorte que le jugement du 23 juin 2015 sera infirmé de ce chef et Mme [H] sera déboutée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement.

Sur l'obligation de reclassement

Conformément à la lettre de licenciement du 12 avril 2013, laquelle rappelle l'avis d'inaptitude définitive au poste de responsable d'unité émis par le médecin du travail le 7 janvier 2013, la recherche des possibilités de reclassement en interne dans l'ensemble du groupe, les six postes identifiés, l'avis du médecin du travail du 11 février 2013 selon lequel, après avoir étudié le dossier médical de la salariée et les différents avis de spécialistes, aucun poste ne pourra convenir à l'état de santé de celle-ci, la proposition néanmoins faite à Mme [H], par courrier du 22 février 2013, de tous les postes identifiés, sa lettre de refus du 7 mars 2013, Mme [H] a été licenciée en raison de son aptitude définitive médicalement constatée et de l'impossibilité de procéder à son reclassement.

Mme [H] s'étonne du délai écoulé entre l'avis définitif d'inaptitude du médecin du travail le 7 janvier 2013 et la proposition de six postes plus d'un mois et demi plus tard, d'autant plus qu'il s'agissait de postes refusés par le médecin du travail.

Toutefois, ainsi que l'observe la SA Jouve, il n'existe aucun délai impératif maximal entre l'avis définitif d'inaptitude et la communication des propositions de reclassement, outre qu'un délai d'un mois et demi n'apparaît pas abusif pour permettre une recherche sérieuse compte tenu de la difficulté du cas de Mme [H].

Il ne peut davantage être reproché à la SA Jouve de lui avoir proposé des postes de façon humiliante, artificielle ou déloyale alors qu'il s'agissait des postes susceptibles d'être occupés ou aménagés parmi les postes existants ou disponibles quand bien même pour l'un des postes, elle aurait été placée sous l'autorité hiérarchique de personnes qu'elle avait antérieurement formées, ou quand bien même, s'agissant d'une proposition de poste à temps partiel, elle n'aurait pu être investie des fonctions de management nécessitant une présence à temps complet.

La SA Jouve s'est conformée à ses obligations en procédant à la recherche d'un reclassement dans l'ensemble du groupe et en soumettant les caractéristiques des postes à la médecine du travail puis en communiquant les propositions par écrit à Mme [H], malgré le fait qu'aucune de ces propositions n'avait été jugée compatible avec son état de santé par la médecine du travail, ce qui ne peut davantage caractériser une violation imputable à l'employeur de son obligation de reclassement. De même, le fait que les différentes entités du groupe interrogées par mail du 24 janvier 2013 à 14h 04, aient répondu le même jour à 17 h ne peut davantage entâcher la recherche de reclassement d'un vice quelconque alors que la communication par courrier électronique peut être instantanée.

Mme [H] sera donc déboutée de sa demande tendant à faire déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de reclassement.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [H] reprend à ce sujet le reproche tenant au délai écoulé entre l'avis d'inaptitude du 7 janvier 2013 et la lettre de licenciement du 12 avril 2013, considérant que le but poursuivi par la SA Jouve était d'appliquer un statut collectif moins favorable, lequel entrait en vigueur au 1er avril 2013, à savoir la convention Syntec, moins favorable que la convention collective antérieurement appliquée dans l'entreprise à savoir celle de l'imprimerie de labeur et des industries graphiques.

Elle sollicite en conséquence le versement d'une somme de 14'621,91 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant au complément de l'indemnité conventionnelle de licenciement calculé sur la clause de la convention collective nationale de l'imprimerie de labeur et des industries graphiques dont elle a été privée.

Dans la mesure où Mme [H] formule sa demande à titre de dommages intérêts en réparation d'une faute qui aurait été commise par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail notamment l'occasion de sa rupture, il convient de rechercher si celle-ci caractérise effectivement la faute commise par la SA Jouve.

Or ici encore, le délai écoulé entre l'avis d'inaptitude du 7 janvier 2013 que la SA Jouve devait attendre avant d'engager la procédure de reclassement et la convocation à l'entretien préalable au licenciement par lettre du 25 mars 2013 avant la notification du licenciement par lettre du 12 avril 2013 ne revêt aucun caractère anormalement long alors qu'il apparaît que Mme [H] elle-même, à qui la SA Jouve avait l'obligation de communiquer par écrit les propositions de reclassement, ce qu'elle a fait le 22 février 2013, n'a fait connaître son refus que par un courrier daté du 7 mars suivant.

Mme [H] sera donc déboutée de sa demande de dommages intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, par confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Dans la mesure où Mme [H] est déboutée de toutes ses demandes en appel, et dans la mesure où le jugement du conseil de prud'hommes qui avait fait partiellement droit à ses demandes est réformé sur ce point, Mme [H] supportera l'intégralité des dépens de première instance et d'appel et le jugement sera infirmé en ce qu'il avait condamné la SA Jouve à lui verser la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SA Jouve sera toutefois déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu le 23 juin 2015 en ce qu'il a dit que le harcèlement moral dont Mme [H] a été victime est établi, en ce qu'il a jugé que le licenciement prononcé pour inaptitude est nul et en ce qu'il a condamné la SA Jouve à verser à Mme [K] [H] la somme de 40'000 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement et la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [K] [H] de l'intégralité de sa demande principale au titre de la nullité du licenciement et de sa demande subsidiaire au titre du manquement à l'obligation de reclassement,

Confirme le jugement rendu le 23 juin 2015 pour le surplus de ses dispositions,

Déboute la SA Jouve de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [K] [H] aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Dupouy de Gordon, présidente et par Anne-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Anne-Marie Lacour-Rivière Catherine Dupouy de Gordon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 15/04587
Date de la décision : 29/11/2017

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°15/04587 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-29;15.04587 ?
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