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31/05/2017 | FRANCE | N°14/07454

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 31 mai 2017, 14/07454


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 31 MAI 2017



(Rédacteur : Madame Isabelle LAUQUE, Conseiller,)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 14/07454







SA CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU CHARENTES



c/



Madame [B] [U]

















Nature de la décision : AU FOND













Notifié par LRAR

le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugeme...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 31 MAI 2017

(Rédacteur : Madame Isabelle LAUQUE, Conseiller,)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 14/07454

SA CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU CHARENTES

c/

Madame [B] [U]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 novembre 2014 (R.G. n°F11/1637) par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 17 décembre 2014,

APPELANTE :

SA Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou Charentes, agissant en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 353 821 028

représentée par Me Jean-Marc CHONNIER, avocat au barreau de BAYONNE

INTIMÉE :

Madame [B] [U]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

assistée de Me Caroline DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 avril 2017 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-François Sabard, président

Madame Isabelle Lauqué, conseiller

Madame Annie Cautres, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Madame [B] [U] a été embauchée le 16 septembre 1992 par la Caisse d'Epargne Aquitaine Nord devenue la SAS Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou Charente (CEAPC) pour occuper à compter du 15 octobre 1992, un emploi classé A de conseillère commerciale.

A compter de janvier 2004, la SAS CEAPC lui a notifié que son emploi de conseiller commercial niveau 2 était désormais positionné en T3 de la grille de classification désormais applicable à la Caisse d'Epargne Aquitaine Nord.

Le 14 septembre 2004, elle a été affectée à la Direction des marchés, économie sociale et associative et promue assistant clientèle marché niveau 1 T3 de la grille de classification, sans modification de sa rémunération.

A compter de 2005, Mme [U] a demandé à de nombreuses reprises à son employeur de revaloriser son salaire faisant valoir qu'il était bien inférieur à la moyenne des salaires de sa classification.

A compter du 1er janvier 2009, Mme [U] a été promue chargée d'affaires économie sociale position CM6 de la classification applicable et son salaire a été porté à la somme de 35.177,34 euros brut annuel.

Elle a maintenu sa demande de revalorisation de sa rémunération estimant que son salaire était toujours inférieur au salaire de ses homologues masculins.

Le 20 mai 2011, Mme [U], toujours salariée de la SA CEAPC, a saisi le Conseil des prud'hommes de Bordeaux pour obtenir la reconnaissance d'une situation de discrimination et de traitement salarial inégal à raison de son sexe et demander le paiement d'un rappel de salaire calculé sur la base d'un salaire moyen réévalué, de l'indemnité de congés payés afférente et de dommages et intérêts outre la fixation de son annuel brut à venir à la somme de 46.174 euros.

Par jugement de départage du 21 novembre 2014, le conseil des prud'hommes de Bordeaux présidé par le juge départiteur a dit que Mme [U] avait fait l'objet d'une inégalité de traitement et d'une discrimination et a condamné la SAS CEAPC à lui payer les sommes suivantes :

-52.132 euros à titre de rappel de salaire

-5.231 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente

-1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil a également condamné la SAS CEAPC à payer à Mme [U] un salaire annuel brut de 44.316 euros à compter du jugement.

En revanche, Mme [U] a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

La SAS CEAPC a interjeté appel de ce jugement le 18 décembre 2014.

Par conclusions déposées le 3 avril 2017 développées oralement à l'audience du même jour auxquelles la Cour se réfère expressément, la SAS CEAPC conclut à la réformation du jugement attaqué et demande à la Cour de débouter Mme [U] de l'intégralité de ses demandes.

Elle fait valoir que Mme [U] ne produit aucun élément de nature à faire présumer une situation d'inégalité ou de discrimination et elle prétend justifier du fait que la salariée a bénéficié d'une évolution de carrière et de salaire régulière exempte de toute inégalité de traitement et de discrimination.

Elle précise que la comparaison avec les salaires des collègues de Mme [U] doit tenir compte des primes familiales et de l'ancienneté et elle prétend démontrer que les écarts de salaire constatés sont justifiés.

Enfin, elle avance que Mme [U] ne précise pas sur quel critère elle aurait été discriminée et qu'en tout état de cause, sa demande de dommages et intérêts ne peut être fondée sur son état de santé dont il n'est pas démontré qu'il résulte d'un manquement de l'employeur.

Par conclusions déposées le 27 mars 2017 développées oralement à l'audience du 3 avril 2017 auxquelles la Cour se réfère expressément, Mme [U] conclut à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a reconnu une situation d'inégalité de traitement et de discrimination.

Elle forme un appel incident et demande à la Cour, à titre principal de condamner la SAS CEAPC à lui payer la somme de 80.010 euros à titre de rappel de salaire jusqu'au 28 novembre 2015 outre la somme de 8.001 euros au titre des congés payés afférents et de juger qu'elle peut prétendre à un minimum de 46.947 euros de salaire annuel correspondant à la dernière moyenne de salaire publiée pour les hommes au titre de l'année 2014 pour le poste de niveau CM6.

A titre subsidiaire, elle réclame le paiement de la somme de 54.657 euros à titre de rappel de salaire jusqu'au 28 novembre 2015 outre la somme de 5.465,70 au titre des congés payés afférents et de juger qu'elle peut prétendre à un minimum de 45.194 euros de salaire annuel correspondant à la dernière moyenne de salaire publiée pour les hommes et les femmes au titre de l'année 2014 pour le poste de niveau CM6.

En toute hypothèse, elle demande à la Cour de condamner la SAS CEAPC à lui payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination, exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité outre la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Rappelant son déroulé de carrière et de rémunération, elle fait valoir que depuis 2005, elle perçoit une rémunération inférieure à la rémunération moyenne perçue par les hommes pour un même coefficient.

Mme [U] procède par comparaison avec plusieurs collègues et produit les bilans sociaux de la société qui établissent l'inégalité de traitement.

Elle soutient qu'au surplus les pièces produites par l'employeur lui-même confirme cette situation.

Elle expose également avoir subi une discrimination en termes de progression de carrière, l'employeur n'ayant donné aucune suite à la vingtaine de candidatures posées entre 1993 et 2005 pour le poste de conseiller financier, ayant sous évalué sa classification au regard de ses fonctions, ayant modifié à son préjudice les règles d'affectation de clients entre les collaborateurs de l'agence, lui ayant retiré un dossier important au cours d'un challenge, ayant modifié sa zone géographique d'affectation et enfin s'étant abstenu de lui définir les objectifs permettant d'arrêter la part variable de sa rémunération.

Elle fait valoir que cette situation a eu des répercussions importantes sur son état de santé puisqu'elle impute à cette situation stressante la rupture d'anévrisme dont elle a été victime en 2014.

DISCUSSION :

-Sur la demande de rappel de salaire :

Mme [U] forme une demande en paiement calculée sur la différence entre la rémunération annuelle brute qu'elle a perçue entre 2005 et 2016 et le salaire annuel brut moyen perçu par les hommes de la société à classification équivalente et à titre subsidiaire le salaire annuel brut moyen perçu par l'ensemble des hommes et des femmes de la société, ces éléments chiffrés ressortant des bilans sociaux de la société (pièce intimé 140 )

En application de l'article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut faire l'objet de mesure discriminatoire, directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L3221-3 en raison notamment de son sexe.

En application de l'article L3221-2, tout employeur est tenu d'assurer pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.

Sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

S'il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de faits susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination, justifiant l'inégalité de traitement dont se plaint le salarié.

Mme [U] produit à la Cour les bilans sociaux ou des extraits pour les années 2006, 2008, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014.

Ces données permettent à la Cour de constater que sur les classifications TM5 et CM6 qui ont été successivement les classifications de Mme [U], la rémunération annuelle brute moyenne des hommes est systématiquement supérieure à la rémunération annuelle brute de Mme [U].

D'une façon plus générale, ces données chiffrées mettent en évidence une inégalité générale à tous les niveaux de classification entre les hommes et les femmes.

Ainsi, à tire d'exemple, pour l'année 2008, la rémunération annuelle brute de Mme [U] alors classée TM5 est de 33.695 euros alors que la rémunération annuelle brute moyenne des hommes classés TM5 est de 39.717 euros et celle des femmes de 35.816 euros (extrait bilan social année 2008, pièce 25 de l'intimé )

De même, pour l'année 2010, la rémunération annuelle brute de Mme [U] alors classée CM6 est de 36.677 euros alors que la rémunération annuelle brute moyenne des hommes classés CM6 est de 45.227 euros et celle des femmes de 40.960 euros (bilan social année 2012 qui compare les trois années 2010, 2011 et 2012, pièce 113 de l'intimé ).

Ces éléments chiffrés caractérisent une inégalité générale de traitement entre les hommes et les femmes et donc fait présumer une situation d'inégalité particulière concernant la situation de Mme [U].

L'employeur produit en cause d'appel des bulletins de salaires de collègues masculins de Mme [U] ayant exercé les mêmes fonctions qu'elle et exposent que les différences de rémunérations s'expliquent d'une part par l'ancienneté des collègues masculins avec qui Mme [U] s'est comparée et d'autre part par leur situation familiale qui leur ouvrait droit à des primes particulières dites primes familiales.

La Cour ne reprendra que la situation salariale des collègues de Mme [U] qui occupait en même temps qu'elle un emploi relevant de la même classification et dont l'employeur ne discute pas qu'il s'agissait d'un emploi similaire.

A ce titre seront donc exclues les situations de [U] [Z], [E], [R].

Les primes qui majorent le traitement de base en considération de la situation familiale du salarié constitue un élément objectif justifiant une différence de traitement si leur critère d'attribution est le même pour tous ce qui n'est pas contesté en l'espèce.

L'ancienneté dans l'entreprise constitue également un critère objectif pouvant justifier une différence de traitement entre une même catégorie de salariés.

Ainsi, des écarts de traitement de base peuvent êtres justifiés par l'ancienneté à conditions que celle ci ne soit pas déjà récompensée par une prime.

En l'état des arguments respectifs des parties et des pièces produites, pour la période comprise entre mai 2006 et le 1er janvier 2009 au cours de laquelle Mme [U] était classée TM5 et occupait le poste de chargée de clientèle spécialisée, sa situation peut être comparée à celles de Messieurs [V], [H] et [N].

La SAS CEAPC ne produit que deux bulletins de salaire pour cette période, ceux de Messieurs [V] et [H] des mois de décembre 2008.

Ces deux salariés avaient une ancienneté de 12 ans et 15 ans de plus que Mme [U] en sorte que cette ancienneté justifie l'écart de rémunération.

En revanche, la SAS CEAPC se dispense de produire les bulletins de salaire de M. [N] pour la période comprise entre 2006 et 2008 au cours de laquelle il a occupé un poste de chargé de clientèle spécialisée.

Mme [U] soutient sans être contredite par l'employeur, seul à même de démontrer le contraire, que la rémunération mensuelle brute de M. [N] à cette période était de 3.216,74 euros (pièce 142) alors que le sien s'élevait à la somme de 2.591,93 euros.

La SAS CEAPC soutient qu'il a été tenu compte lors de son embauche de l'expérience professionnelle de M. [N] dans une autre entreprise compte tenu de son age mais elle n'en justifie pas.

Dès lors, pour la période considérée et a défaut d'autres éléments de comparaison produits par l'employeur, la Cour retiendra que le salaire de base de Mme [U] aurait dû être aligné sur le salaire de base de M. [N] soit la somme de 3.216,74 euros.

Il lui sera donc alloué un rappel de salaire correspondant à la différence de salaire sur la période comprise entre mai 2006 et décembre 2008 inclus soit 30 mois, soit la somme de 18.744,30 euros brut.

Pour la période comprise entre janvier 2009 et novembre 2015 au cours de laquelle Mme [U] occupait un emploi de chargée d'affaires spécialisée économie sociale jusqu'en 2014 puis animatrice de tutelles en 2015, la Cour, disposant des bulletins de salaire de Mme [U] a chiffré le montant de sa rémunération mensuelle brut de base qui, à partir de 2010 n'inclut plus l'ancienneté du salarié qui est désormais récompensée par une prime distincte.

Ainsi l'évolution du salaire mensuel brut de base de Mme [U], hors toute prime personnelle s'établit comme suit:

-année 2009: 2.733,01 euros par mois

-année 2010: 2.516,39 euros par mois de janvier à septembre puis 2.631,78 euros de septembre à décembre

-année 2011: 2.631,78 euros de janvier à mars puis 2.651,02 de mars à décembre

-année 2012: 2.727,95

-année 2013: 2.766,42

-année 2014: 2766,42 de janvier à mai puis 2.787,44

-année 2015: 2.787,44 de janvier à novembre.

A compter du 2010, l'ancienneté des salariés est récompensée par une prime dite d'expérience qui est distincte du salaire de base.

Dès lors, l'ancienneté d'un salarié ne peut plus être objectée pour expliquer une différence de rémunération vis à vis d'un autre salarié qui occupe un emploi identique.

L'employeur produit à la Cour des bulletins de salaire de plusieurs collègues masculins de Mme [U] qui occupent un emploi identique, dont l'ancienneté est récompensée par une prime distincte et qui bénéficie d'un salaire de base mensuel, hors prime familiale qui permettent de constater une inégalité récurrente.

Le chiffrage de la différence de traitement n'est pas possible sur la base des bulletins de salaires des salariés comparés dès lors qu'ils ne sont pas produits pour tous et sur toute la période.

En revanche, les données chiffrées sont produites par la SAS CEAPC en pièce 8.

Cette pièce, à qui la SAS CEAPC reconnaît la valeur d'un panel de comparaison, récapitule les différences de traitement entre le salaire mensuel brut de base de Mme [U] et la moyenne de rémunération du panel pour les années 2009, 2010 et 2011.

Cette pièce fait ressortir une moyenne du panel et une médiane du panel sans explication sur la différence de calcul.

La Cour retient en conséquence la donnée chiffrée correspondant à la moyenne de rémunération du panel et constate qu'en 2009, il existe un écart de 3.866 euros sur la rémunération brute annuelle de base, qu'en 2010, cet écart est de 2.245 et qu'en 2011, il est de 1.586 euros.

Mme [U] produit à la Cour des éléments chiffrés tirés des bilans sociaux pour les années 2012 à 2015 qui permettent de constater que les inégalités salariales entre les hommes et les femmes de la SAS CEAPC perdurent.

La SAS CEAPC ne produit aucun élément de comparaison ni aucun bulletin de salaire pour la période suivante alors qu'elle seule détient les éléments d'appréciation de la situation particulière de Mme [U] permettant un chiffrage individualisé et précis.

Dès lors, tirant les conséquences de sa carence, la Cour qui constate que la rémunération moyenne de Mme [U] est inférieure à la rémunération moyenne des salariés homme relevant de la même catégorie d'emploi (CM6 ), juge que cette dernière est bien fondée en sa demande de rappel de salaire chiffrée sur la base des écarts constatés entre sa rémunération et les données chiffrées figurants dans les bilans sociaux pour la période comprise entre janvier 2012 et novembre 2015 soit la somme de 24.129 euros brut.

En conséquence, la Cour condamne la SAS CEAPC à payer à Mme [U] la somme de 50.570,30 euros à titre de rappel de salaire brut pour la période non prescrite comprise entre mai 2006 et novembre 2015 outre la somme de 5.057,03 euros au titre des congés payés afférents.

En considération des éléments invoqués, la Cour fixe à la somme de 3.912,25 euros le salaire mensuel brut de base dû à Mme [U] à compter de décembre 2015.

-Sur la demande de dommages et intérêts

Mme [U] fonde sa demande de dommages et intérêts sur la discrimination dont elle a été victime, sur le manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi et sur son manquement à l'obligation de sécurité.

En application de l'article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet de mesure discriminatoire, directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son age, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

La discrimination doit donc être fondée sur un des critères énumérés par la loi.

Lorsque le salarié qui se prétend victime d'une discrimination présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l'employeur de prouver que ces décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Mme [U] prétend qu'entre 1993 et 2005 soit pendant près de 12 ans, la SAS CEAPC a toujours refusé de donner suite à ses multiples demandes d'affectation sur des postes vacants alors que ses évaluations annuelles étaient toujours favorables et ce sans le moindre motif.

La Cour constate qu'entre 1993 et 2005, Mme [U] justifie des démarches entreprises en vue d'accéder à des emplois de conseillers financiers, de gestionnaire de production bancaire, de commerciales ou assistantes sur les marchés spécialisés et de ses différents entretiens professionnels d'évaluation qui démontrent non seulement de sa compétence pour exercer ces postes mais également de la manifestation répétée de ses demandes.

Contrairement à ce qu'avance Mme [U], la Cour relève qu'en septembre 2004, elle a été affectée à la direction des marchés économie sociale et associative à l'emploi en qualité d'assistant clientèle marchés spécialisés conformément à une de ses demandes.

D'autre part, il résulte du courrier du 3 juin 1999 que les motifs de choix d'un autre candidat ont été exposés à Mme [U] même si par la suite les réponses écrites qui lui ont été adressées avaient un caractère impersonnel.

Ainsi, l'employeur, après avoir développé en 1999 les raisons ayant présidé au choix d'un autre candidat a finalement affecté Mme [U] sur un des postes réclamés en 2004.

A défaut d'élément de comparaison, Mme [U] ne peut valablement soutenir avoir été victime d'une discrimination dont au demeurant elle ne précise pas le critère.

Mme [U] soutient d'autre part qu'elle gérait depuis avril 2008 un portefeuille de client ayant un budget supérieur à 750.000 euros et qu'en conséquence, elle aurait dû être classée CM6 dès cette date.

Elle fait également valoir qu'elle s'est vue privée de client ayant un budget supérieur à 750.000 euros qui ont été affectés à des collègues hommes classés TM5.

Mais la Cour constate d'une part qu'aucune disposition conventionnelle ne prévoit que la classification de l'emploi dépend du budget du client et que d'autre part, l'employeur établit que les clients étaient répartis selon des critères géographiques et statutaires par binômes.

Mme [U] soutient que l'employeur n'a pas défini les objectifs permettant le calcul de la part variable de sa rémunération en 2011.

Or l'employeur produit la convocation à la réunion du 27 avril 2011 dont un des points de l'ordre du jour est relatif au rappel des critères de PV (part variable ) 2011 et produit ces critères en pièce 6 pour les années 2009, 2010, 2011.

Mme [U] expose qu'un de ses clients a été transféré dans le portefeuille de Mme [Q] au cours d'un challenge organisé en 2009 et que ce client, après le transfert, a souscrit à un FCP concerné par le challenge ce qui a permis à Mme [Q] de le remporter.

L'employeur expose que le transfert de ce dossier dans le portefeuille de Mme [Q] avait été décidé au motif que ce client relevait de la clientèle institutionnelle en tant qu'organisme paritaire agréé et qu'il relevait donc du portefeuille grands comptes gérés par Mme [Q].

Il est en outre établi que la souscription par ce client au FCP concerné par le challenge fait suite à des démarches commerciales de Mme [Q] alors que Mme [U] ne justifie pas des démarches commerciales qu'elle prétend avoir initiées antérieurement;

Mme [U] soutient que la zone sud Gironde sur laquelle elle était affectée lui a été retirée courant 2011 pour être confiée à un collègue masculin de classification inférieure (TM5).

Cet élément n'est pas contredit par la SAS CEAPC qui expose les circonstances du redécoupage des secteurs.

Cette décision ne caractérise ni une forme de discrimination ni la mauvaise foi de l'employeur qui, de part son pouvoir de direction, peut imposer à son salarié une réorganisation de son secteur d'intervention.

Si les éléments exposés et partiellement établis par Mme [U] laissent supposer que l'employeur a pu prendre des décisions défavorables à Mme [U], la Cour observe que cette dernière invoque une situation de discrimination sans indiquer le critère discriminant commun et alors que l'employeur établit que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ainsi, la Cour juge que Mme [U] a été victime d'une discrimination salariale mais qu'en revanche, il n'est pas établi que les autres faits invoqués caractérisent une situation de discrimination.

Elle fonde également sa demande de dommages et intérêts sur le manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi.

La bonne foi se présume et il appartient à Mme [U] de rapporter la preuve de la mauvaise foi de la SAS CEAPC.

La Cour considère qu'en ne démontrant pas que les candidats qui lui ont été préférés pour occuper les postes qu'elle demandait présentaient des critères de sélection inférieurs, Mme [U] ne démontre pas la mauvaise foi de l'employeur.

De même, alors qu'aucune disposition conventionnelle ne conditionne la classification de l'emploi au montant du portefeuille du client, Mme [U] ne démontre pas que son employeur a retardé de mauvaise foi sa classification CM6 qui au demeurant a été effective quelques mois plus tard.

Les critères de répartition des clients entre les chargés d'affaires ou de clientèle relève du pouvoir de direction de l'employeur et la SAS CEAPC justifie des critères retenus pour la répartition des clients en sorte que la Cour considère que les griefs invoqués par Mme [U] concernant l'affectation de clients ayant un budget supérieur à 750.000 euros à des collègues classés TM5 et l'affectation d'un client institutionnel à Mme [Q] chargée d'un portefeuille grands comptes sont des décisions relevant du pouvoir de direction de l'employeur dont Mme [U] échoue à démontrer qu'il a été exercé de mauvaise foi.

La SAS CEAPC justifie avoir déterminé les objectifs à atteindre pour déterminer la part variable de rémunération et avoir rappelé les objectifs lors d'une réunion collective en avril 2011.

Mme [U] ne démontre alors nullement que l'employeur a, de mauvaise foi, refusé de lui communiquer les objectifs ayant présidé à la détermination de la part variable de sa rémunération pour l'année 2011.

S'agissant de l'année 2015 Mme [U] fait valoir qu'elle a été placée dans l'impossibilité de satisfaire à ses objectifs car elle n'avait pas été associée aux réunions relatives au projet d'organisation tutelle familiales dont la participation active était un des critères déterminant pour partie sa part variable de rémunération.

Mais la Cour constate que Mme [U] a été conviée comme tous les autres membres du service Tutelles à la réunion du groupe de réflexion du 18 novembre 2015 et qu'elle ne démontre pas que sa prime variable 2015 a été réduite pour ce motif.

Ainsi, la Cour considère que Mme [U] ne démontre pas la mauvaise foi de l'employeur.

Enfin, Mme [U] ne peut déduire de la seule dégradation de son état de santé que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Mme [U] soutient que la dégradation de son état de santé est la conséquence des agissements de son employeur et produit un certificat de travail établi par son médecin traitant le 9 avril 2014 qui évoque un état dépressif consécutif à ses conditions de travail en juillet 2012, une aggravation de cet état en avril 2013 suivi d'un AVC en décembre 2013 qui «' peut être» la conséquence des pratiques managériales et des mauvaises conditions de travail sur un terrain très fragilisé.

La Cour considère que Mme [U] n'établit ni la mauvaise foi ni les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité mais qu'en revanche, il est incontestable que la salariée victime de discrimination salariale avait entrepris, depuis 2005, d'obtenir la revalorisation salariale à laquelle elle pouvait prétendre se heurtant ainsi depuis plusieurs années à son employeur.

Cette situation de discrimination contre laquelle Mme [U] a dû lutter est à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé lui causant ainsi un préjudice spécifique qu'il convient de réparer.

En conséquence, la SAS CEAPC sera condamnée à payer à Mme [U] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination salariale en raison de son sexe.

-Sur la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La SAS CEAPC sera condamnée à payer à Mme [U] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

LA COUR

Infirme le jugement attaqué.

Statuant à nouveau :

Dit que Mme [U] a été victime d'une discrimination salariale en raison de son sexe.

Condamne la SAS CEAPC à payer à Mme [U] la somme de 50.570,30 euros à titre de rappel de salaire brut pour la période non prescrite comprise entre mai 2006 et novembre 2015.

Condamne la SAS CEAPC à payer à Mme [U] la somme de 5.057,03 euros au titre des congés payés afférents.

Fixe à la somme de 3.912,25 euros le salaire mensuel brut de base dû à Mme [U] à compter de décembre 2015

Condamne la SAS CEAPC à payer à Mme [U] la somme 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Y ajoutant :

Condamne la SAS CEAPC à payer à Mme [U] la somme 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SAS CEAPC aux dépens.

Signé par Monsieur Jean-François Sabard, Président et par Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Anne-Marie Lacour-Rivière Jean-François Sabard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 14/07454
Date de la décision : 31/05/2017

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°14/07454 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-31;14.07454 ?
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