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28/02/2017 | FRANCE | N°15/05014

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 28 février 2017, 15/05014


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 28 FEVRIER 2017



(Rédacteur : Jean-Pierre FRANCO, conseiller,)





N° de rôle : 15/05014







[T] [M]

[S] [N]

SAS VIGNOBLES [M]



c/



[J] [A]

SELARL HIROU























Nature de la décision : AU FOND













r>










Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 28 juillet 2015 par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE (RG : 14/00097) suivant déclaration d'appel du 04 août 2015





APPELANTS :



[T] [M]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 1] (33)

de nationalité...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 28 FEVRIER 2017

(Rédacteur : Jean-Pierre FRANCO, conseiller,)

N° de rôle : 15/05014

[T] [M]

[S] [N]

SAS VIGNOBLES [M]

c/

[J] [A]

SELARL HIROU

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 28 juillet 2015 par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE (RG : 14/00097) suivant déclaration d'appel du 04 août 2015

APPELANTS :

[T] [M]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 1] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

[S] [N]

née le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 2] (CHINE)

de nationalité Chinoise

demeurant [Adresse 1]

SAS VIGNOBLES [M], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentés par Maître Jean-Jacques DAHAN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[J] [A]

né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 3] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

SELARL HIROU, es-qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de Monsieur [J] [A], et prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentés par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Pierre FRIBOURG de la SELARL P. FRIBOURG - R. CHUDZIAK- D. BORDIER - M. FRIBOURG, avocat plaidant au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 janvier 2017 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Pierre FRANCO, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Michèle ESARTE, président,

Jean-Pierre FRANCO, conseiller,

Catherine BRISSET, conseiller,

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE :

M. [J] [A], exploitant d'un domaine viticole composé de diverses parcelles en AOP [Localité 4] commune de [Localité 5], a signé un acte sous seing privé en date du 1er octobre 2013, au terme duquel :

- la société vignoble [M] ou Mme [N] [S] s'engage à acheter une récolte de raisin en appellation [Localité 4] Grand cru sur pied dont la vendange, la vinification et l'élevage sera (sic) effectué dans les chais de M. [A],

- ce dernier s'engage à louer son chai après la récolte 2013 au prix du cours moyen; les clés étant remises à la disposition de l'acquéreur jusqu'à la période de mise en bouteille et la vente du produit,

- le prix de vente de la récolte de raisin est fixé à 3200 € le tonneau,

- un bail à ferme de trois ans est consenti avec option d'achat par le fermier au plus tard le 31 décembre 2016 sous réserve d'accord bancaire; le bailleur s'engageant à vendre et le preneur à acheter; le prix du vignoble de 5 ha étant fixé sur la base de 150000 € par hectare.

Ce document a été signé par M. [J] [A] sous la mention le bailleur et par Mme [N] sous la mention le preneur.

Le 4 novembre 2013, M. [A] a signé avec M. [M] un solde de tout compte pour la récolte 2013, faisant apparaître un solde exigible de 7000 €.

Par acte en date du 23 janvier 2014, M. [J] [A] a fait assigner la société Vignobles [M], M. [T] [M] et Mme [N] devant le tribunal de grande instance de Libourne afin d'obtenir avec exécution provisoire l'annulation des actes datés du 1er octobre 2013 et du 4 novembre 2013 et paiement d'une somme de 20000 € à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 5 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Libourne a prononcé la liquidation judiciaire de M. [J] [A] en désignant la SELARL Hirou en qualité de liquidateur.

Par jugement en date du 28 juillet 2015, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Libourne a :

- rejeté la fin de non-recevoir,

- dit n'y avoir lieu de constater une exception d'exécution du contrat,

- déclaré nuls et de nul effet les actes datés du 1er octobre 2013 et 4 novembre 2013,

- ordonné la remise des parties dans l'état ou elles se trouvaient avant signature,

- ordonné la restitution par les défendeurs des récoltes 2013 et 2014 et à défaut leur équivalent aux mercuriales du jour dans l'AOP [Localité 4], sous astreinte de 500 € par jour de retard,

- condamné in solidum les défendeurs à payer au demandeur une somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a considéré que le document signé le 1er octobre 2013 par acte authentique était frappé de nullité en application de l'article 1589-2 du Code civil, à défaut d'avoir été suivi d'un acte authentique ou d'un acte sous-seing privé enregistré dans le délai de 10 jours à compter de son acceptation par le bénéficiaire.

Il a en outre considéré que la convention était frappée de nullité, dès lors que le nom des parties était indéterminé, que l'objet du contrat ne permettait pas de déterminer s'il s'agissait d'une vente d'un bail à ferme, qu'il n'existait aucune précision sur les parcelles vendues ou données à bail ni précision sur le loyer ou le prix de vente de sorte qu'aucun accord n'avait pas pu valablement être donné.

Le tribunal a en outre estimé que l'avenant était totalement irrégulier.

Par déclaration en date du 4 août 2015, M. [T] [M], Mme [S] [N] et la société vignobles [M] ont relevé appel de ce jugement en intimant M. [A] et la SELARL HIROU en sa qualité de mandataire liquidateur.

Par ordonnance du magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel en date du 26 novembre 2015, les appelants ont été déboutés de leur demande tendant à voir arrêter l'exécution provisoire du jugement.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 21 décembre 2016, au visa des articles L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime, et des articles 1156, 1134, 1382 et 1383 du Code civil ils demandent à la cour :

A titre principal

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- de déclarer inapplicables les dispositions de l'article 1589-2 du Code civil,

- de déclarer réguliers les actes signés le 1er octobre 2013 et le 4 novembre 2013,

- de déclarer la promesse de vente et le bail à ferme effectifs et valides,

- d'ordonner en conséquence la restitution des récoltes 2013 et 2014 à la société Vignobles [M],

Subsidiairement, et dans l'hypothèse où la cour déclarerait nulle et de nul effet la promesse de vente,

- de constater l'existence et la validité du contrat de bail à ferme,

- d'ordonner la restitution des récoltes 2013 et 2014 à la société vignobles [M],

- de fixer à 90000 € la créance de la société Vignobles [M] au titre de la perte de chance d'acquérir l'exploitation [Localité 6], au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [A]

En tout état de cause :

- de fixer à 30000 € sa créance de dommages-intérêts au passif de la liquidation judiciaire, outre la somme de 15000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Ils font principalement valoir :

- que les dispositions de l'article 1589-2 du Code civil sont réservées aux promesses unilatérales de vente et ne concernent donc pas le contrat signé le 1er octobre 2013, qui constate un échange de consentement des deux parties et qui doit en conséquence être qualifié de promesse synallagmatique de vente,

- que la vente elle-même est valide du fait de l'accord des parties sur la chose (le vignoble en appellation [Localité 4] Grand Cru) et le prix (150 000 euros l'hectare).

- que subsidiairement, si la promesse de vente devait être déclarée nulle, il en résulterait une perte de chance, subie par la société Vignobles [M], d'acquérir un autre domaine, à savoir le [Localité 6], avec lequel elle était en négociation avancée, de sorte que le préjudice subi s'élèverait à 90 000 euros,

- que l'acte du 1er octobre 2013 contient également un bail à ferme conclu pour une durée de trois années, parfaitement valable avec un objet et un prix de fermage déterminés, et qui a d'ailleurs donné lieu à exécution, avec remise en état du vignoble et récolte de 150 hl pour 2013 et 170 hl en 2014.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 4 janvier 2016, la SELARL HIROU agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [A], demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à porter le montant de l'astreinte à 1000 euros par jour, et de condamner les appelants au paiement d'une indemnité de 15000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle souligne :

- qu'en application de l'article 1589-2 du code civil, les documents datés du 1er octobre 2013 et 4 novembre 2013 sont atteints de nullité absolue, puisque seul M. [A] s'engageait à vendre, dans le cadre d'une promesse unilatérale qui devait donc être constatée dans un acte authentique ou soumis à enregistrement,

- que cette nullité affecte la promesse dans son ensemble et s'étend à celle, connexe et indissociable, relative au bail à ferme,

- que la demande de dommages-intérêts pour perte de chance d'acheter un autre domaine est nouvelle en cause d'appel et dès lors irrecevable,

- qu'elle est en outre irrecevable à défaut d'avoir été déclarée à la liquidation judiciaire de M. [A],

- qu'elle est en outre mal fondée, en l'absence d'élément probant sur le projet d'achat,

- que les actes des 1er octobre et 4 novembre 2013 sont en outre nuls pour indétermination des parties et de l'objet du contrat, puisqu'ils ne comportent ni désignation des parcelles, ni prix de fermage,

- que les conventions n'ont pas donné lieu à commencement d'exécution mais uniquement à une voie de fait par vendanges nocturnes,

- qu'au surplus, M. [A] présentait à l'automne 2013 d'importants troubles psychiques qui ne lui permettaient plus de faire face à ses obligations professionnelles, légales ou administratives, de sorte que les actes litigieux encourent aussi la nullité pour cause d'erreur et de dol,

- qu'enfin, M. [A] ne pouvait valablement ni donner à bail à ferme, ni vendre une domaine viticole dont il n'était que propriétaire indivis.

Pour plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux dernières conclusions précitées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2017.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- Sur la fin de non-recevoir:

Les appelants n'ont pas maintenu en cause d'appel leur fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'assignation introductive d'instance.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement, en ce qu'il a rejeté à bon droit ce moyen, au motif que le contrat du 1er octobre 2013 objet du litige n'avait pas emporté mutation de propriété et n'avait lui-même pas été publié.

2- Sur la demande de nullité fondée sur l'article 1589-2 du code civil:

Selon les dispositions de l'article 1589-2 du Code civil, est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble, a un droit immobilier, à un fonds de commerce, à un droit à un bail portant sur tout ou partie d'un immeuble (') si elle n'est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé enregistré dans le délai de 10 jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire.

Le dernier paragraphe de l'acte litigieux en date du 1er octobre 2013 est rédigé comme suit :

«Un bail de fermage de trois ans est consenti avec option d'achat par le fermier le plus rapidement possible, au plus tard le 31 décembre 2016, sous réserve d'accord bancaire. Le bailleur s'engage à ventre ( sic - à vendre) et le preneur s'engage à acheter dans le délai un vignoble de 5 ha environ et le prix est établi entre les deux parties sur la base de 150000 euros par hectare».

Il apparaît qu'en dépit de l'utilisation impropre du mot «option d'achat», les deux parties avaient entendu s'engager réciproquement l'une envers l'autre, M. [J] [A] s'engageant à vendre, et Mme [N] à acheter dans un délai déterminé. L'acte sous seing privé comporte d'ailleurs en objet la mention vente de raisin sur pieds et achat de vignobles.

La qualification à retenir est donc celle de promesse synallagmatique de vente et non celle de promesse unilatérale, de sorte que les dispositions de l'article 1589-2 du code civil n'étaient pas applicables, contrairement à ce que le tribunal a retenu dans sa motivation.

3- Sur la nullité pour absence d'objet certain:

Selon les dispositions de l'article 1108 du code civil (ancien), quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :

- le consentement de la partie qui s'oblige,

- sa capacité de contracter,

- un objet certain qui forme la matière de l'engagement,

- une cause licite dans l'obligation.

Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 1129 ancien du Code civil, il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce.

Or, l'acte sous seing privé du 1er octobre 2013 ne comporte aucune précision concernant le bien immobilier vendu, désigné seulement sous la mention «un vignoble de 5 hectares environ», sans aucune localisation géographique, ni indication cadastrale permettant d'identifier les parcelles vendues avec leur superficie.

Or, dans son rapport établi le 18 mars 2015, M. [P] [L], géomètre-expert désigné dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, mentionne que la propriété agricole de M. [J] [A] située dans la commune de [Localité 5] se compose de terres AOC (2 ha 27 a 63 ca), et de vignes rouges en AOC [Localité 4] (7 ha 08 a 83 ca), dont certaines ne lui appartiennent qu'en indivision avec son père [Z] (parcelles ZB [Cadastre 1], ZA [Cadastre 2], ZA [Cadastre 3]).

Il est donc totalement impossible de déterminer quel était l'objet de la promesse synallagmatique de vente du 1er octobre 2013, et les appelants n'ont d'ailleurs pas souhaité donner de précision à ce sujet, ni en première instance ni en cause d'appel; le dispositif de leurs conclusions étant à cet égard particulièrement lacunaire.

La promesse synallagmatique de vente est donc nulle pour absence d'objet certain. Le jugement sera confirmé de ce chef par substitution de motif.

4- Sur la validité du bail à ferme :

Les appelants ne peuvent valablement soutenir que l'acte du 1er octobre 2013 devrait à tout le moins être validé, en ce qu'il constate la conclusion d'un bail à ferme consenti pour une durée de trois ans.

En effet, seule la première partie du contrat indiquait que la SAS Vignobles [M] ou Mme [N] [S] s'engageait à acheter une récolte de raisin en appellation [Localité 4] Grand Cru.

En revanche, l'acte a été signé par Mme [S] [N] en qualité de preneur, sans qu'il soit fait mention de sa qualité de représentante légale de la société Vignobles [M].

Or, selon les dispositions de l'article L.413-1 du code rural et de la pêche maritime, concernant le statut du fermage, les preneurs de nationalité étrangère ne peuvent bénéficier des dispositions du présent titre que si leurs enfants sont français, à moins qu'ils ne puissent invoquer les dispositions de la loi validée du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangers des lois en matière de baux à loyer et de baux à ferme.

Il ressort des mentions figurant en première page des conclusions des appelants que Mme [S] [N] est née le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 2] (Chine) est de nationalité chinoise, et elle ne justifie pas se trouver dans l'un des cas de dérogation prévu à l'article précité; et elle ne peut donc revendiquer le statut du fermage.

En outre, l'acte du 1er octobre 2013 ne comporte ni mention d'un prix de fermage, ni désignation des parcelles données à bail, de sorte que ce contrat ne permettait pas de déclarer les volumes récoltés ainsi que le chef de centre de viticulture l'a indiqué à la société vignobles [M] le 17 décembre 2013.

Il n'existe pas davantage de preuve d'un bail verbal valable entre les parties, distinct de l'acte du 1er octobre 2013.

Le seul fait que dans une promesse unilatérale de vente au profit de la SAFER en date du 21 janvier 2014, M. [J] [A] se soit engagé à obtenir de la part de la société Vignobles [M] la renonciation à tous droits sur les parcelles objets du contrat, notamment eu égard au contrat de «vente de raisins sur pieds, achat de vignobles» en date du 1er octobre 2013, ne saurait en aucun cas être interprété comme la reconnaissance par M. [A] de la qualité de fermier de la société Vignobles [M], contrairement à ce que soutiennent les appelants.

La preuve d'un bail à ferme ne saurait davantage résulter d'un commencement d'exécution puisque M. [A] a confié l'entretien et la remise en état cultural de ses vignes à la société Performances vignobles par contrat du 13 janvier 2014 pour toute la campagne 2014; que par courriers de son conseil en date des 4 et 5 février 2014 il s'est fermement opposé à toute entrée de préposés de la société Vignobles [M] dans ses vignes, menaçant de les expulser manu militari, et qu'il a finalement déposé plainte pour vol de vendange à la gendarmerie de [Localité 4] le 19 novembre 2014.

Les appelants ne peuvent davantage se prévaloir du document intitulé «avenant au contrat du 9 octobre 2013», particulièrement peu explicite, qui ne comporte aucune stipulation d'obligation à la charge de M. [A] et qui se trouve curieusement signé par M. [M] alors que ce dernier n'est pas partie à l'acte daté du 1er octobre 2013.

Le seul fait que M. [A] ait accepté à titre d'acompte un chèque de 10 000 euros de la part de M. [M], sous les mentions précédentes «remboursement frais de culture» (6370 euros) et «fermage» (10630 euros) est équivoque et ne caractérise pas suffisamment son acceptation d'un bail dès lors qu'il se trouvait créancier au titre de la vente de récolte de raisin sur pieds de la vendange 2013.

Il a par ailleurs refusé le chèque de 7000 euros adressé par la société Vignobles [M] le 14 mai 2014.

De même, le fait que la société [M] ait engagé des dépenses pour l'achat de matériel ou de produits phytosanitaires, ou pour la rémunération de préposés chargés de travailler sur les parcelles de M. [A] au cours du premier semestre 2014 ne peut démontrer l'accord de M. [A] pour la location de son exploitation selon bail à ferme.

Enfin, dès lors qu'il est atteint de nullité, le contrat du 1er octobre 2013 ne peut valoir commencement de preuve par écrit de l'existence d'un bail à ferme.

5- Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Vignobles [M]:

La société Vignobles [M] demande à titre reconventionnel que soit fixée au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [A] une créance d'un montant de 90000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'acquérir l'exploitation du [Localité 6].

En page 16 de ses dernières conclusions, elle soutient que cette perte de change aurait été causée par «le comportement déloyal» de M. [A], sans autres précisions.

Au regard des éléments du litige, les agissements ainsi incriminés ont nécessairement eu lieu entre la date de signature de la convention le 1er octobre 2013 et la date à laquelle elle a été assignée devant le tribunal de grande instance de Libourne à la requête de M.[A] , le 23 janvier 2014.

La créance indemnitaire est donc née avant le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire du 5 septembre 2014 et devait donc être obligatoirement déclarée entre les mains du mandataire liquidateur, en application de l'article L.622-24 du code de commerce.

Or, la société Vignobles [M] ne justifie d'aucune déclaration auprès de la SELARL Hirou, de sorte que la créance invoquée doit être déclarée inopposable à la procédure de liquidation judiciaire, en application de l'article L.622-26 du code de commerce.

6- Sur la demande de restitution des récoltes:

Dans sa première partie, la convention datée du 1er octobre 2013 stipule :

«La société vignobles [M] ou Mme [N] [S] s'engage à acheter une récolte de raisin en appellation Saint-Émilion grand cru sur pieds dont la vendange, la vinification ainsi que l'élevage sera effectué dans les chais de M. [A] qui se situe [Adresse 5]. M. [A] s'engage à louer son chai après la récolte 2013 prix du cours moyen voir cuverie UCPA.

Les clés du chai seront mises à la disposition de l'acquéreur jusqu'à la période de mise en bouteille et vente du produit.

Le règlement définitif s'effectuera à l'enlèvement du vin. Un acompte peut être effectué. Le prix est de 3200 € le tonneau, voire quantité ramassée. Sous réserve de label, compte tenu de l'état sanitaire du vignoble et vendange».

L'objet de l'obligation de M. [A] est indéterminé puisque la superficie des parcelles sur lesquelles doit s'effectuer la vendange n'est pas précisée.

De même, le prix à la charge des acquéreurs n'est ni déterminé ni déterminable puisqu'il peut être fixé aussi bien au regard du nombre de tonneaux qu'en fonction des quantités de raisins ramassées, et qu'au surplus il pouvait être tenu compte de l'état sanitaire du vignoble et de la vendange, ce qui ne correspondait pas à des critères précis ou objectifs, et offrait toute latitude à l'acquéreur pour contester la qualité de la récolte après en avoir pris possession.

En outre, l'obtention d'un label (au demeurant non précisé) dépendait en outre en grande partie de la qualité de la vinification, qui incombait à l'acquéreur.

Cette première partie du contrat est donc également atteinte de nullité, en ce compris la mise en location du chai qui n'est qu'une conséquence de la vente de vendange, de sorte que le tribunal a ordonné à bon droit la restitution de la récolte 2013, et à défaut son équivalent aux mercuriales, sauf à préciser que cette obligation n'incombe qu'à Mme [N] et à la société [M] qui sont seules mentionnées au contrat en qualité d'acquéreurs à l'inverse de M. [T] [M], personne physique, qui n'a pas signé.

Le jugement doit également être confirmé, en ce qu'il a ordonné sous astreinte la restitution de la récolte 2014 par les mêmes parties, dès lors que le bail à ferme est déclaré nul, et que la première partie de la convention ci-dessus analysée ne portait que sur la vente d'une récolte (à savoir celle de 2013) et non sur celle de 2014, qui a été au demeurant donné lieu à une vendange clandestine dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 septembre 2014 sur la plus grande partie du vignoble de M. [A] (à l'exception d'une superficie de 1 ha 15 a 80 ca) ainsi que cela ressort de l'attestation délivrée le 5 novembre 2014 par M. [A] [O], responsable des travaux au sein de la société Performances vignobles («Au matin du mardi 23 septembre 2014, en me rendant sur la propriété de M. [A] pour un contrôle de maturité, à ma grande surprise une machine à vendanger New Holland 9040 M appartenant au vignoble [M] finissait de vendanger le vignoble [A]»).

7- Sur la demande de dommages-intérêts formée par la SELARL Hirou en qualité de mandataire liquidateur de M. [A]:

Indépendamment des restitutions à la charge de la société Vignobles [M] et de Mme [N], qui ne sont que la conséquence de la nullité de la convention du 1er octobre 2013, M. [J] [A] a incontestablement subi un préjudice économique important du fait de la perte de trésorerie consécutive à l'appréhension de la totalité de sa vendange 2013, et de la plus grande partie de la vendange 2014.

Par ailleurs, la convention litigieuse a été conclue le 1er octobre 2013, alors que M. [A] présentait un état de santé physique et psychique altéré, qui ne lui permettait plus d'assurer correctement ses obligations professionnelles (selon certificat médical du docteur [P] [R] en date du 24 juillet 2013), ce qui a d'ailleurs justifié le 27 décembre 2013 une demande de pension d'invalidité pour différentes pathologies et notamment un syndrome dépressif sévère persistant sur trouble de la personnalité et de l'humeur.

Les tracas et inquiétudes générées par la signature d'un contrat nul, puis les diverses péripéties du litige, avec intrusions régulières des préposés de la société Vignobles [M] dans son vignoble en dépit de plusieurs mises en demeure, ont occasionné un préjudice moral certain à M. [A].

Le tribunal a justement évalué à 30 000 euros le montant des dommages-intérêts et il convient de confirmer le jugement de ce chef, sauf à préciser que la condamnation ne doit être supportée que par Mme [N] et la société Vignobles [M] et non par M. [T] [M] qui n'a pas signé le contrat du 1er octobre 2013 et auquel aucun agissement fautif ne peut être reproché à titre individuel au vu des pièces versées au débat.

8- Sur les demandes accessoires:

Il est équitable d'allouer à la SELARL Hirou agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [A] une indemnité de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La condamnation prononcée sur ce fondement en première instance sera confirmée.

Échouant en leur recours, M. [M], Mme [N] et la société Vignobles [M] doivent supporter leurs propres frais irrépétibles ainsi que les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS:

LA COUR,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à préciser que la restitution sous astreinte des récoltes 2013 et 2014 (et à défaut celle de leur équivalent aux mercuriales du jour dans l'AOP [Localité 4]) et la condamnation au paiement de la somme de 30000 euros à titre de dommages-intérêts incombent uniquement à Mme [S] [N] et à la société Vignobles [M], et non à M. [T] [M],

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de la société Vignobles [M], tendant à voir fixer au passif de la liquidation judiciaire de M. [J] [A] une créance de 90000 euros au titre de la perte de chance d'acquérir l'exploitation du [Localité 6],

Condamne in solidum Mme [S] [N], M. [T] [M] et la société Vignobles [M] à payer à la SELARL Hirou agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [J] [A] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne in solidum Mme [S] [N], M. [T] [M] et la société Vignobles [M] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Michèle ESARTE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 15/05014
Date de la décision : 28/02/2017

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 1A, arrêt n°15/05014 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-02-28;15.05014 ?
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