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25/02/2016 | FRANCE | N°15/01648

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 25 février 2016, 15/01648


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------











ARRÊT DU : 25 FÉVRIER 2016



(Rédacteur : Monsieur Marc SAUVAGE, Président)



SÉCURITÉ SOCIALE



N° de rôle : 15/01648





















Monsieur [P] [R]



c/



CAISSE DE PRÉVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA SNCF

Société NATIONALE DES CHEMINS DE FER







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Nature de la décision : AU FOND







Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,



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COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 25 FÉVRIER 2016

(Rédacteur : Monsieur Marc SAUVAGE, Président)

SÉCURITÉ SOCIALE

N° de rôle : 15/01648

Monsieur [P] [R]

c/

CAISSE DE PRÉVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA SNCF

Société NATIONALE DES CHEMINS DE FER

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 mars 2014 (R.G. n°20121379) par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GIRONDE, suivant déclaration d'appel du 13 mars 2015,

APPELANT :

Monsieur [P] [R]

né le [Date naissance 1] 1953

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Julie MENJOULOU-CLAVERIE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

CAISSE DE PRÉVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA SNCF

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

représentée par Me MOUILLAC loco Me Albin TASTE de la SCP CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX

Société NATIONALE DES CHEMINS DE FER

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

représentée par Me BOURDENS loco Me Daniel LASSERRE de la SELAS EXEME ACTION, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 21 janvier 2016, en audience publique, devant Monsieur Marc SAUVAGE, Président chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Monsieur Marc SAUVAGE, Président

Madame Catherine MAILHES, Conseiller,

Madame Véronique LEBRETON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Florence Chanvrit adjoint administratif principal faisant fonction de greffier

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [R], cadre supérieur de la SNCF indique que, suite à un

courriel reçu de sa direction, il a consulté son médecin traitant le 22 avril 2011 qui a conclu à un état dépressif sévère et à un arrêt de travail jusqu'au 22 mai 2011 inclus, prolongé jusqu'au 12 décembre 2011.

M. [R] a procédé à une déclaration d'accident du travail le 29 avril 2011 et la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a mis fin à l'instruction de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident le 27 juin 2011, refusant de reconnaître l'accident du travail.

M. [R] a adressé un recours gracieux à une commission de recours ad hoc spécialement créée à cet effet le 13 avril 2012, cette commission ayant rejeté sa demande de prise en charge de l'accident du 22 avril 2011 par décision du 6 juin 2012.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 août 2012, M. [R] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde aux fins de contester la décision de la Commission ad hoc de la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF rendue dans le cadre de la procédure amiable le 6 juin 2012 et tendant à rejeter sa demande de prise en charge d'un accident survenu le 22 avril 2011 au titre de la législation professionnelle.

Par jugement en date du 21 mars 2014, le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Gironde a :

débouté M. [R] de sa demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail allégué,

débouté M. [R] pour le surplus de ses demandes,

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

dit n'y avoir lieu aux dépens.

M. [R] a régulièrement interjeté appel de cette décision le 23 avril 2014.

Par arrêt en date du 12 mars 2015, la cour d'appel de Bordeaux a radié l'affaire.

Par conclusions déposées au greffe le et développées oralement à l'audience, M. [R] janvier sollicite de la Cour qu'elle :

déclare recevable la mise en cause de la SNCF au titre de la faute inexcusable,

infirme le jugement du TASS dans toutes ses dispositions,

dise que l'accident dont il a été victime le 22 avril 2011 est un accident du

travail, jouissant du bénéfice de la législation professionnelle,

infirme la décision de refus de la Caisse de prévoyance et de retraite du

personnel de la SNCF de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident survenu le 22 avril 2011,

-retienne que la SNCF a commis une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale ,

ordonne une expertise médicale,

lui alloue une provision de 5 000€ à valoir sur les sommes allouées en réparation de ses préjudices,

Condamne la CPR à lui verser la somme de 3 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile;

M. [R] fait valoir les moyens suivants :

* Le mail de sa direction en date du 22 avril 2011 laissant planer la menace d'un licenciement a conduit à son état dépressif réactionnel alors même que son état de santé était fragilisé et sa mutation imposée par la SNCF a été considérée comme irrégulière et abusive par le conseil de Prud'hommes. Il retient que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Dès lors, il y a bien lieu de reconnaître l'accident survenu le 22 avril 2011 comme soudain et consécutif à sa situation de travail.

* La SNCF a eu des agissements répétés à son égard qui ont conduit à son état dépressif et l'employeur avait dès lors conscience du danger présent pour sa santé mentale et n'a pris aucune mesure pour la préserver ; il y a lieu de reconnaître la faute inexcusable de l'employeur qui a manqué à son obligation de sécurité de résultat.

Par conclusions déposées au greffe le 25 novembre 2015 et développées oralement à l'audience, la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF sollicite de la Cour qu'elle :

déclare mal fondé l'appel de M. [R],

confirme le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde,

déboute M. [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

condamne M. [R] à payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF fait valoir les moyens suivants :

* Le courrier reçu par M. [R] ne faisait que lui rappeler ses obligations, la mutation s'inscrivant dans le cadre normal de l'évolution d'un cadre supérieur à la SNCF et ce rappel a déclenché la consultation médicale du salarié ; or, le certificat médical de M. [R] n'établit pas la survenance d'un fait accidentel au travail et n'établit aucun lien de causalité avec la maladie déclarée, se contentant de rapporter les divers conflits qu'il a eus avec sa direction et non pas un événement précis et soudain qui pourrait caractériser l'accident du travail. Dès lors, la demande de prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle devra être rejetée.

* Aucun caractère professionnel n'étant reconnu à son accident, il ne peut dès lors y avoir de faute inexcusable et la Cour devra confirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par conclusions déposées au greffe le 1er mars 2015 et développées oralement à l'audience, l'EPIC SNCF, intervenant forcé à la cause, sollicite de la Cour qu'elle:

* A titre principal,

déclare irrecevable et sans objet la mise en cause de la SNCF au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable dans le cadre de la contestation de refus de prise en charge,

confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail allégué,

sollicite la condamnation de M. [R] à la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* A titre subsidiaire, si la Cour devait infirmer la décision de refus de prise en charge de la CPRP,

juge que la SNCF doit bénéficier du double degré de juridiction et dise qu'il n'y a pas lieu d'évoquer la question de la faute inexcusable,

ordonne le renvoi des parties devant le tribunal des affaires de sécurité sociale pour qu'il soit débattu de la faute inexcusable,

* A titre infiniment subsidiaire,

déclare irrecevables les demandes indemnitaires de M. [R],

* En tout état de cause,

déboute M. [R] de l'ensemble de ses demandes.

L'EPIC SNCF fait valoir les moyens suivants :

* Il y a lieu de déclarer les demandes relatives à la faute inexcusable comme irrecevables à son encontre car si la faute inexcusable devait être retenue, alors la question devrait être traitée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et non la Cour.

* La SNCF n'a jamais menacé M. [R] d'un licenciement mais elle le prévenait simplement qu'en cas de refus de poste et d'absence irrégulière, il encourait une telle sanction. Dès lors, le harcèlement moral ne peut être caractérisé en l'espèce et il y aura lieu de débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à tout personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

En conséquence de cette définition constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

Un traumatisme psychologique, une dépression, une maladie mentale, caractérisent des lésions corporelles au sens de ce texte. Lorsqu'ils résultent d'une situation de harcèlement, il doit alors être établi que l'arrêt de travail prescrit a été causé par une brutale altération des facultés mentales du salarié, causée par un événement précis, en relation avec le harcèlement invoqué.

En l'espèce, Monsieur [R], cadre supérieur à la SNCF et délégué du personnel, soutient qu'il était en conflit avec sa hiérarchie ce qui avait entraîné, depuis 2006, une altération de sa santé qui aurait été brutalement aggravée par le courriel reçu de son supérieur hiérarchique le 21 avril 2011 l'informant de la mutation à [Localité 2] qu'il avait refusée.

Le conflit opposant Monsieur [R] à sa hiérarchie sur une éventuelle mutation avec un changement de région ( départ de la Région Aquitaine pour [Localité 2]) était bien antérieur.

En effet, dès le 26 novembre 2010, une question le concernant était posée lors de la réunion des délégués du personnel du collège cadre de la région de [Localité 1] :

' Question n°3 : Changement d'unité d'affectation d'un cadre délégué du personnel

Un CS affecté au Cabinet du Directeur Régional en qualité de chargé de mission a reçu fin octobre, par courrier interne en provenance de la DRH [Localité 1], une notification de changement d'unité d'affectation le concernant, sans avoir eu d'information, ni d'échange préalable sur les circonstances qui motiveraient cette mutation. Ce document indique qu'il est affecté à la DRH/C à compter du 1er octobre. En outre, le CS étant délégué du personnel, cette mutation est incompatible avec l'exercice de son mandat à la Direction Régionale Poitou-Charentes-Aquitaine. Nous demandons en conséquence que cette mutation soit annulée et que la régularisation intervienne sans délai.'

Estimant la réponse obtenue insatisfaisante, Monsieur [K], délégué du personnel du collège Cadres, exerçait le 14 décembre 2010 un droit d'alerte en application de l'article L 2313-2 du code du travail :

' Elle (i.e. la réponse) ne tient pas compte de la teneur des arguments opposés en séance par mon collègue.

Il s'agit à l'évidence d'une mesure discriminatoire et non justifiée en matière de mutation portant atteinte aux droits des délégués du personnel, et ponctuant brutalement ( par cette seule notification de mutation) une 'mise à l'écart' déjà orchestrée depuis quelques temps.

Aussi, je vous demande de bien vouloir déclencher une enquête commune employeur/DP pour mettre fin à la situation 'kafkaïenne' que subit M. [R]'

Aux termes de l'article L 2313-2 du code du travail :

'Si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement'

Cette demande a été renouvelée le 11 janvier 2011.

Par ordonnance de référé du 04 avril 2011, le conseil de prud'hommes de Bordeaux, siégeant en formation de départage, a annulé le changement d'affectation notifié le 20 octobre 2010 à Monsieur [P] [R] au motif que, refusé par celui-ci, il avait des conséquences sur l'exercice de son mandat de délégué du personnel.

Par arrêt du 08 novembre 2011 la cour d'appel de Bordeaux a confirmé l'ordonnance en retenant que les premiers juges avaient exactement énoncé qu'aucun changement des conditions de travail ne peut être imposé à un représentant du personnel sans son accord.

Par courrier en date du 17 février 2011, Monsieur [A], le directeur de la Direction des Achats, indiquait à Monsieur [R] :

' Dans le prolongement de la démarche engagée avec RHC pour vous trouver une affectation durable sur un emploi de votre classe, je vous informe que nous vous confions le poste de Responsable Marketion Achats à partir du 1er mars 2011.

Ce poste est rattaché à la Directrice Déléguée Pilotage de la Direction des Achats et est localisé au [Adresse 1].

Par courriel adressé le 23 février au DRH, au Directeur, Monsieur [A] et à son adjoint, Monsieur [E], N +1 de Monsieur [R], celui ci indiquait que ' les conditions de ma nomination...ne conviennent pas' et ce, parce prise unilatéralement elle n'était pas conforme aux dispositions statutaires, n'était pas en adéquation avec ses attentes, comportait un taux de révision salariale insuffisant et constituait une entrave à l'exercice de son mandat de délégué du personnel.

Il ajoutait qu'il se présenterait aux élections de délégué du personnel le 24 mars 2011 à [Localité 1], qu'il lui appartenait de suivre jusqu'à leur issue les droits d'alerte qu'il avait lancés.

Monsieur [R] était reçu par Monsieur [E] le 1er mars 2011 et, le 21 mars suivant, Monsieur [E] lui faisait parvenir par courriel une lettre de Monsieur [A] :

' Vous avez souhaité bénéficier d'un délai supplémentaire, jusqu'aux élections du 24 mars avant de rejoindre ce poste. Je vous informe que mon adjoint, [I] [E], vous attend le lundi 28 mars prochain à 9h00 dans le cadre de vos nouvelles fonctions.'

Entre le 22 mars et le 06 avril, Monsieur [R] et Monsieur [E] échangeaient différents courriels au sujet de la mutation du premier, auquel le premier contestait avoir donné son accord oral lors de la rencontre du 1er mars.

Dans son courriel du 22 mars, auquel il adressait une copie à Madame [N], Monsieur [R] relevait :

'Madame [C] [N] était précédemment DRH à Bordeaux et est impliquée dans les droits d'alerte de délégué du personnel que j'ai exercés en 2010. Elle occupe les fonctions de DRH des fonctions supports depuis le 1er février 2011. Son intervention dans le processus de création d'un poste CS2 à mon intention à la Direction des Achats à [Localité 2] à compter du 1er mars 2011 me semble poser un problème manifeste de conflit d'intérêts.'

Par courriel du 19 avril 2011, adressé à Monsieur [E], son N + 1, Monsieur [R] soulignait :

' Le courrier du 19 avril que tu as joint à ton message me surprend énormément, puisqu'il ne reflète pas le contenu de nos échanges, en particulier celui du 8 avril 2011. Lors de cet entretien, je t'ai exposé la décision en référé du Conseil des Prud'hommes du 4 avril 2011 d'annuler ma mutation arbitraire à [Localité 2]; décision qui m'a conduit à demander l'annulation de l'élection des délégués du personnel du collège cadres du 24 mars 2011 à Bordeaux afin de représenter ma candidature.'

La réponse était adressée le jour même à Monsieur [R], non par un courriel de Monsieur [E], mais par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception signée par le Directeur des Achats, Monsieur [A] :

'En conséquence je vous demande expressément d'une part de rejoindre votre bureau au [Adresse 1], au plus tard le 26 avril 2011, et, d'autre part, de prendre en charge les activités liées à ce poste. M. [I] [E], votre hiérarchique, veillera à votre accueil dans son service.

D'ici mi mai, vous aurez à préparer le plan de travail correspondant à la fiche de poste qui vous a été communiquée et, éventuellement, à faire des propositions d'évolution.'

Il faut noter le caractère comminatoire très marqué de ce courrier en raison de la réponse adressée par le directeur, sous forme de lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à un courriel reçu par son adjoint et du ton de la lettre. Ces éléments ne pouvaient échapper à un cadre supérieur, au surplus délégué du personnel, et étaient sans équivoque sur les suites, le cas échéant disciplinaires, que sa hiérarchie était susceptible de donner à son refus de rejoindre le poste qui lui avait été attribué.

S'ensuivait, le 22 avril, un échange de courriels entre Monsieur [R] et Monsieur [E].

Monsieur [E] lui adressait à 12h03 le courriel suivant :

'À la suite de ton mail et de notre échange téléphonique du 19 avril, je ne peux que te confirmer la teneur du courrier du 19 avril dernier.

En conséquence, je te remercie de bien vouloir te présenter le 27 avril 2011 au [Adresse 1] à [Localité 2] à la Direction des Achats, horaire à caler en fonction des arrivées de train, afin que nous puissions évoquer ensemble les modalités de ta prise de poste.

A défaut, sauf justification, je me verrai contraint de te considérer en absence irrégulière'

À 16h52, Monsieur [R] lui répondait :

'Bonjour [I],

De mon côté, je ne peux que te confirmer les propos que j'ai tenus lors de nos précédents entretiens : à l'instar de mon changement d'unité d'affectation notifié le 20 octobre 2010 que le Conseil des prud'hommes a annulé le 4 avril 2011, je considère irréguliers les courriers que j'ai reçus depuis le 17 février 2011, m'enjoignant de prendre un poste à la Direction des Achats à partir du 1er mars 2011, alors que j'ai accepté de réaliser la deuxième mission que la Direction des Achats m'a d'abord proposée.

J'ajoute que cette technique de gestion des ressources humaines porte atteinte à ma dignité et relève du harcèlement moral.'

Le courriel de Monsieur [E] n'évoque à aucun moment la mise en oeuvre d'une mesure de licenciement. Il ne fait que rappeler la situation statutaire qui serait celle de Monsieur [R] s'il refusait de rejoindre son poste : l'absence irrégulière. La volonté de son employeur de tirer toutes conséquences de cette position résultait clairement de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui lui avait été adressée le 19 avril et à laquelle il est d'ailleurs fait référence dans l'échange de mail.

Il n'existe donc pas en l'espèce d'événement soudain qui se serait produit le 22 avril par la prise de connaissance de ce courriel par Monsieur [R] susceptible d'avoir créé une lésion. La soudaineté doit caractériser la cause de la pathologie accidentelle. S'il s'agit d'une série d'événements survenus à des dates certaines, l'apparition de la lésion doit être soudaine et rattachable au fait accidentel.

Par ailleurs la réponse de Monsieur [R] est celle d'un salarié en pleine possession de ses capacités et qui, d'une part, rappelle à son employeur qu'il vient d'obtenir l'annulation, par le conseil de prud'hommes, d'une décision similaire antérieure et que les conditions sont pour lui identiques. En second lieu, il fait état pour la première fois de la notion de harcèlement moral qui exprime clairement sa ligne de défense, et de contre-attaque, par rapport à la position de l'employeur telle qu'analysée ci-dessus.

À cet égard, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge avait retenu que Monsieur [R] avait été en mesure, malgré le choc psychologique allégué, de répondre de manière circonstanciée et posée au courrier électronique litigieux le même jour à 16h52.

Le certificat de son médecin traitant du 22 avril 2011 relate que le praticien :

' a dû effectuer ce jour, un mise en arrêt maladie par accident du travail, celui-ci étant lié directement au dernier courrier reçu par le patient, l'enjoignant une nouvelle fois de prendre son poste sur [Localité 2].

Mr [R] présente un état dépressifs sévère, conséquence d'une situation professionnelle dont je constate la dégradation régulière depuis 2006, laquelle s'est brutalement accentuée sous l'effet d'agissements successifs dont il explique avoir été la victime et portant atteinte à sa santé physique et psychologique.

Cette nouvelle dégradation des conditions de travail de Mr. [R] paraît imputable à sa nomination sur [Localité 2], nomination que le Conseil des Prud'hommes aurait annulé le 04/04/2011.

Mr [R] convient à présent qu'il soit indispensable qu'il soit mis à l'abri de ces conditions de travail.'

Le certificat médical de déclaration d'accident du travail en date du 22 avril 2011 fait état d'un ' état dépressif sévère en relation avec des conflits professionnels' et ne permet pas de caractériser un accident du travail.

À l'exception de la référence au courrier, en réalité courriel, reçu le 22 avril, le certificat médical décrit un processus de dégradation de l'état psychologique du patient sur une période de cinq ans qui ne correspond pas à un accident de travail.

De plus la dernière phrase, 'Mr [R] convient à présent...', si elle a un sens, implique que son médecin lui avait déjà proposé un arrêt de travail et qu'il l'avait refusé. Si son état était déjà dégradé à ce point avant le 22 avril, à une date par ailleurs non précisée, l'événement survenu ce jour-là ne peut caractériser un accident du travail puisque la pathologie qu'il présente était déjà suffisamment installée antérieurement pour motiver la proposition que lui avait faite son médecin traitant d'un arrêt de travail.

Par un certificat du 28 avril 2011, le médecin du travail de la SNCF relate qu'il a reçu Monsieur [R] le 22 avril :

'Celui-ci m'a fait part des grandes difficultés qu'il rencontre à l'occasion de son mandat de délégué du personnel du collège cadre, difficultés s'ajoutant à une situation professionnelle inconfortable depuis plusieurs années ( pas de poste au cadre d'organisation, missions temporaires...).

Il m'a paru ce jour très affecté psychologiquement et physiquement, et je lui ai conseillé d'aller voir son médecin traitant afin d'avoir un suivi médical approprié et un soutien psychologique adapté.'

Ce certificat ne fait état ni de la mutation sur [Localité 2], ni du dernier courriel reçu mais des difficultés auxquelles Monsieur [R] était confronté depuis plusieurs années en raison tant de ses conditions de travail, que de son engagement en qualité de délégué du personnel.

Son médecin l'a adressé au service de médecine du travail du CHU de Bordeaux qui, en retour lui a adressé le courrier suivant :

'D'après ses déclarations Monsieur [R] rencontrerait des difficultés sur son lieu de travail depuis sa mutation sur Bordeaux. Des tensions entre Monsieur [R] et son directeur régional semblaient déjà exister et se seraient accentuée à son arrivée. Il déplore ainsi l'affiliation à des missions 'risquées' créant un sentiment d'insécurité et malgré ses réussites une absence de reconnaissance que ce soit au plan régional ou national. Il rapporte, d'ailleurs, qu'une campagne de décrédibilisation aurait été menée à son encontre sur le plan national. En 2009, Monsieur [R] aurait été élu délégué du personnel et aurait eu en charge plusieurs dossiers sensibles nécessitant des droits d'alerte du CHSCT. Ce qui aurait accentué, selon ses dires, les pressions à son encontre, avec en finalité, une injonction de mutation sur [Localité 2]. Mutation l'empêchant de se représenter aux élections du personnel. Son syndicat l'aurait soutenu lui fournissant l'aide de leur avocat dans le cadre d'une démarche juridique d'annulation de la mutation. Cependant, peu après les élections, cette aide lui aurait été retirée, ce qui semble avoir été la source d'une déstabilisation psychologique (sentiment de trahison). Déstabilisation majorée par un courrier recommandé adressé par sa direction dans lequel des menaces lui aurait été adressées en cas de refus de sa mutation. Monsieur [R] serait depuis en arrêt maladie.

Sur le plan clinique, on note une symptomatologie évoquant des troubles anxieux mixtes.'.

Dans ce certificat on relève comme facteur déclenchant, aux dires mêmes de l'intéressé, la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 avril, et non le courriel du 22. Une ambiguïté existait d'ailleurs dans le certificat de son médecin du 22 avril qui faisait état du courrier reçu le 22 avril. Or, dans la présente procédure, Monsieur [R] demande sans aucune ambiguïté que soit reconnu comme événement déclenchant le courriel.

Il faut enfin relever la durée, depuis 2006, des faits à l'origine de son état en 2011 et les causes multiples à leur origine : des relations difficiles avec son supérieur hièrarchique,l'absence de reconnaissance professionnelle, les difficultés nées avec son employeur suite à son élection comme délégué du personnel et aux initiatives qu'il a prises en cette qualité, la 'trahison' de son syndicat intervenue concomitamment avec le dernier conflit l'opposant à son employeur relatif à sa demande de mutation et qui avait un effet direct sur celle-ci puisque Monsieur [R] avait pu faire annuler une précédente décision de mutation professionnelle en raison de la protection statutaire dont il bénéficiait en qualité de délégué du personnel.

Les faits tels qu'analysés ci-dessus, impliquent une action continue, de longue durée, cinq ans, et au surplus pluri-factorielle dans les causes, incompatible avec la définition de l'accident du travail et Monsieur [R] ne rapporte pas la preuve de ce que l'arrêt de travail prescrit le 22 avril 2011ait été causé par une brutale altération de ses facultés mentales, en relation avec les événements invoqués.

Par ailleurs, le cumul de l'accident du travail et de la faute inexcusable de l'employeur en raison d'un harcèlement professionnel pose une difficulté spécifique. Certes, tout fait de violence soudaine et brutale qui survient à l'occasion du travail, doit être considéré et pris en charge comme un accident du travail.

La qualification d'accident du travail parfois rattachée au harcèlement moral ne peut valablement convenir dès lors que le harcèlement est un processus visant à soumettre la victime et que les agissements qui le constituent sont répétés et inscrits dans la durée.

Certes, au cours du processus lui-même, peuvent survenir des faits d'une particulière gravité qui vont, à eux seuls, provoquer un traumatisme psychique ou une décompensation brutale de l'état de la personne déjà mise à mal par le harcèlement : dans ces cas, il y aura des traces et, peut-être, des témoins de l'événement en cause. Il sera alors possible de qualifier ces brutalités en accident

de travail. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

La non reconnaissance de l'accident du travail rend sans objet l'examen de la faute inexcusable alléguée à l'encontre de l'employeur.

Le jugement doit donc être confirmé.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MO TIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal aux affaires de sécurité sociale de la Gironde en date du 21 mars 2014,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Marc SAUVAGE, Président, et par Florence CHANVRIT Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Florence CHANVRIT Marc SAUVAGE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 15/01648
Date de la décision : 25/02/2016

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°15/01648 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-02-25;15.01648 ?
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