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22/10/2015 | FRANCE | N°14/03518

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 22 octobre 2015, 14/03518


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION B



--------------------------









ARRÊT DU : 22 OCTOBRE 2015



(Rédacteur : Madame Catherine MAILHES, Conseillère)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 14/03518

















Monsieur [C] [P]



c/



SAS HINTERLAND





















Nature de la décision : AU FOND







N

otifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,



Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mai...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

--------------------------

ARRÊT DU : 22 OCTOBRE 2015

(Rédacteur : Madame Catherine MAILHES, Conseillère)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 14/03518

Monsieur [C] [P]

c/

SAS HINTERLAND

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 mai 2014 (R.G. n° F11/00198) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULÊME, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 08 juin 2014,

APPELANT :

Monsieur [C] [P]

né le [Date naissance 1] 1965 à PARIS

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Monsieur [G] [O], délégué syndical ouvrier muni d'un pouvoir régulier

INTIMÉE :

SAS HINTERLAND

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

représentée par Maître Cécile GUITTON, avocate au barreau de BREST

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 septembre 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Elisabeth LARSABAL, Présidente

Madame Catherine MAILHES, Conseillère

Madame Véronique LEBRETON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Florence CHANVRIT Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

M. [C] [P] a été engagé par les Transports Le Bras - Lavanant suivant

contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 1er octobre 2007 en qualité de chauffeur routier, groupe 7, coefficient 150M.

Les transports Le Bras - Lavanant ont été repris ultérieurement par la SAS Hinterland et le contrat de travail de M. [P] a été transféré à la nouvelle société en application de l'article L.1224-1 du code du travail.

Au dernier état de la relation de travail, M. [P] percevait une rémunération brute mensuelle de 2.133,88 €.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 octobre 2010, M. [P] a adressé à son employeur une lettre de rupture du contrat de travail intitulée 'démission' et dans laquelle il exposait les raisons l'ayant conduit à cette décision, à savoir le non-paiement des heures supplémentaires, les relations conflictuelles avec Ms [W] et [T] et la dégradation consécutive de son état de santé.

Le 20 juin 2011, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angoulême (section commerce) aux fins de voir requalifier sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir le paiement de ses heures supplémentaires 2007, 2008, 2009, 2010 (ainsi que les congés payés afférents), le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis (ainsi que les congés payés afférents), une indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour travail dissimulé et le remboursement des frais d'expertise.

Une expertise judiciaire, confiée à M. [R] du laboratoire LAMDC, a été ordonnée le 11 octobre 2011 par le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.

Par jugement en date du 5 mai 2014, le conseil de Prud'hommes d'Angoulême a :

dit que la lettre de démission adressée par M. [P] à son employeur est claire et non équivoque,

dit que les griefs soulevés dans la lettre de démission n'étant que très partiellement fondés, celle-ci ne saurait être requalifiée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur,

condamné la société Hinterland à payer à M. [P] :

355,04 € bruts au titre des heures supplémentaires,

35,50 € au titre des congés payés sur heures supplémentaires,

999,67 € au titre des frais d'expertise,

1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Hinterland à remettre à M. [P] un bulletin de salaire et une attestation Pôle Emploi rectifiés prenant en compte le jugement, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement,

réservé la liquidation de l'astreinte,

débouté M. [P] de ses autres demandes,

condamné la société Hinterland aux entiers dépens, en ce non compris la somme de 999,67 € correspondant à la quote-part des frais d'expertise, éventuels frais d'exécution, y compris la contribution de 35 € acquittée pour l'aide juridique et comprenant les frais d'expertise.

Par déclaration de M. [O], délégué syndical, le 8 juin 2014, M. [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision. La société Hinterland forme un appel incident sur le montant des heures supplémentaires accordées au salarié.

Par conclusions déposées au greffe le 29 mai 2015 et développées oralement à l'audience, M. [P] sollicite de la Cour qu'elle :

infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de Prud'hommes d'Angoulême,

prenne acte de l'expertise effectuée par M. [X] [R], expert judiciaire du laboratoire d'analyse microscopique des disques de chronotachygraphe,

constate qu'il a pris acte, le 22 octobre 2010, de la rupture de son contrat de travail au motif principal que les heures supplémentaires effectuées n'étaient pas rémunérées malgré de très nombreux rappels verbaux,

constate que, en date du 6 décembre 2010, la SAS Hinterland réitérait son refus de payer les heures supplémentaires effectuées entre le mois d'octobre 2007 et le mois d'août 2010,

constate que sa démission n'était pas claire et non équivoque et qu'à ce titre, elle doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamne la SAS Hinterland à lui payer les sommes suivantes :

1.049,14 € au titre du rappel d'heures supplémentaires exercice 2007,

2.426,95 € au titre du rappel d'heures supplémentaires exercice 2008,

1.637,09 € au titre du rappel d'heures supplémentaires exercice 2009,

1.379,86 € au titre du rappel d'heures supplémentaires exercice 2010,

104,91 € au titre des congés payés sur le rappel d'heures supplémentaires exercice 2007,

242,70 € au titre des congés payés sur le rappel d'heures supplémentaires exercice 2008,

163,71 € au titre des congés payés sur le rappel d'heures supplémentaires exercice 2009,

137,99 € au titre des congés payés sur le rappel d'heures supplémentaires exercice 2010,

29.299 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

4.883,18 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

488,32 € au titre des congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,

1.587 € au titre de l'indemnité de licenciement,

14.650 € au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,

2.000 € au titre du remboursement des frais d'expertise,

2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonne à la SAS Hinterland la remise des documents manquants, à savoir :

bulletins de salaire du 1er octobre 2007 au 31 août 2010 sur lesquels devront apparaître les heures supplémentaires à 50 %,

bulletins de salaire pour les mois de novembre et décembre 2010 (préavis),

attestation Pôle Emploi rectifiée,

certificat de travail rectifié pour la période allant du 1er octobre 2007 au 30 décembre 2010 inclus,

solde de tout compte rectifié,

dise que l'ensemble des condamnations et ordonnances seront soumises à une astreinte de 250 € par jour de retard et ce, dès le 10e jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir aux parties pour les sommes dues et à compter du 25e jour suivant la notification pour la remise des documents administratifs dûment rectifiés, la cour se réservant le droit de la liquidation,

condamne la SAS Hinterland aux entiers dépens.

Par conclusions déposées au greffe le 20 août 2015 et développées oralement à l'audience, la SAS Hinterland forme un appel incident et sollicite de la Cour qu'elle :

* sur la demande de rappel d'heures supplémentaires,

infirme le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes d'Angoulême le 5 mai 2014,

constate que M. [P] a été payé de ses heures supplémentaires,

juge que lui reste seulement due la somme de 272,89 € bruts à titre d'indemnité de repos compensateur de remplacement et 27,29 € de congés payés afférents,

ordonne la restitution à la société de la somme de 82,14 € bruts, outre 8,21 € bruts au titre des congés payés afférents,

mette à la charge de M. [P] l'intégralité des frais d'expertise,

confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande au titre du travail dissimulé,

* sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail,

confirme le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes d'Angoulême,

juge que la rupture du contrat de travail sur l'initiative du salarié s'analyse en une démission et doit en produire les effets,

déboute M. [P] de toutes ses demandes d'indemnités de rupture et dommages et intérêts à ce titre,

* En tout état de cause,

condamne M. [P] à verser à la société 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamne M. [P] aux entiers dépens.

* Sur les heures supplémentaires :

M. [P] fait valoir que l'employeur n'a jamais voulu remettre à l'expert les

documents nécessaires à sa mission, lequel l'a effectuée à partir des éléments apportés par le salarié et sans pouvoir travailler sur la période d'octobre à décembre 2007 et qu'il a dû payer l'intégralité de l'avance des frais d'expertise, la SAS Hinterland ayant refusé de prendre à sa charge la consignation complémentaire. L'expert a calculé les heures supplémentaires effectuées sur les exercices 2008, 2009 et 2010 jusqu'au mois d'août mais n'a effectué aucun calcul chiffré déduction faite des heures supplémentaires payées. M. [P] soutient que sur l'ensemble des 639,79 heures supplémentaires à 50% relevées par l'expert, la SAS Hinterland lui a réglé 247,37 heures supplémentaires au taux de 50%, qu'elle a falsifié ses bulletins de salaire et qu'elle reste lui devoir 392,48 heures supplémentaires majorées à 50%.

La société Hinterland fait valoir que M. [P] bénéficiait d'une garantie contractuelle de rémunération, celle-ci pouvant faire l'objet d'un ajustement par l'intermédiaire d'une 'indemnité de sauvegarde', que pour vérifier si la société reste devoir un reliquat de salaire au titre des heures supplémentaires, il faut prendre en compte les heures payées à 50% au mois par mois et aussi l'intégralité des repos compensateurs de remplacement qu'il a pris.

Il faut également ôter les journées de repos compensateurs de remplacement intégrées à tort dans le décompte des heures comme étant du temps de travail effectif. Ainsi, dans son calcul, M. [P] omet de prendre en considération les jours de repos compensateurs de remplacement dont il a bénéficié au titre de ces heures supplémentaires et qui figurent sur ses bulletins de salaire ainsi que les heures supplémentaires déjà payées, qu'il confond compte épargne temps et repos compensateurs de remplacement et il s'avère que seules 9,12 heures n'ont pas été payées au salarié, ces heures ayant déjà été versées au titre de l'exécution provisoire.

Elle dénie toute dissimulation à l'expert et explique qu'elle lui a remis l'intégralité des relevés d'heures de M. [P] concernant la période 2007 à 2010, relevés appelés fichiers 'Solid', sous forme papier en raison de la perte d'une grande partie de ses données à la suite de l'acquisition d'un nouveau logiciel en 2008.

* Sur la rupture des relations contractuelles :

M. [P] fait valoir que dans sa lettre de démission, il évoque trois griefs à l'encontre de son employeur de sorte que sa démission était équivoque. Il estime que les manquements de l'employeur justifient qu'il ait pris acte de la rupture aux torts de ce dernier et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Hinterland fait valoir que M. [P] a certes réalisé des heures supplémentaires mais qu'elles ont été rémunérées, hormis une trentaine d'heures non-soldées lors de la rupture (s'agissant de repos compensateurs de remplacement comptabilisés mais non pris), qu'il ne rapporte pas la preuve des pressions qu'il invoque et que les relations avec les exploitants de l'agence du Havre n'ont duré que quelques mois et non trois ans car ce n'est qu'à compter du mois de mai 2010 qu'il s'est trouvé soumis aux instructions de Ms [W] et [T]. Elle dénie tout manquement et toute dégradation de ses conditions de travail, soutenant qu'il est impossible d'établir que le malaise dont M. [P] a été victime résulte des conditions de travail plutôt que de sa vie personnelle, qu'il apparaît avoir mal vécu la fermeture de l'agence de [Localité 1] et son affectation au Havre engendrant un éloignement géographique et une nouvelle hiérarchie, en sorte que la prise acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d'une démission.

* Sur le travail dissimulé :

M. [P] fait valoir que l'employeur l'a forcé à effectuer des heures supplémentaires et ne l'a jamais rémunéré, se rendant coupable de travail dissimulé à son égard et qu'il y aura lieu de condamner l'employeur au paiement de dommages et intérêts sur ce fondement. L'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ne se cumule pas avec l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, seule la plus élevée des deux devant être allouée au salarié.

La société Hinterland fait valoir que M. [P] a certes réalisé des heures supplémentaires mais qu'elles ont été rémunérées directement ou sous forme de repos compensateurs de remplacement comptabilisés sur les bulletins de salaire de sorte qu'aucun des éléments matériels ou intentionnels du travail dissimulé n'est caractérisé et que la demande d'indemnité forfaitaire à ce titre doit être rejetée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

1/Sur les heures supplémentaires

Vu les articles 1315 du code civil, 6 et 9 du code de procédure civile et L. 3171-4 du code du travail ;

La preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. Si l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié, il incombe à ce dernier qui demande le paiement d'heures supplémentaires de fournir préalablement des éléments de nature à étayer sa demande, suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Il est admis que le salarié n'étaye pas sa demande lorsqu'il produit seulement un décompte récapitulatif établi mois par mois du nombre d'heures qu'il affirme avoir réalisé et un tableau ne laissant pas apparaître pour chaque jour précis, de chaque semaine précise, les horaires de travail accomplis.

Il est constant que la difficulté porte sur les heures supplémentaires à 50%, les heures majorées à 25% n'étant pas considérées comme des heures supplémentaires par le système des heures d'équivalence en application de la convention collective nationale des transports routiers.

Contrairement à ce que prétend le salarié, l'expert, M. [R] a calculé le nombre d'heures supplémentaires à 50% qu'il a effectuées sur les périodes de janvier à décembre 2008 (261,54 heures), 2009 (209,72 heures) et de janvier à août 2010 (168,53 heures), soit un total de 639,79 heures pour l'ensemble de ces périodes.

Ce décompte a été effectué de manière mensuelle sur la base des fichiers numériques et pour les périodes dépourvues de relevés numériques, sur la base des temps de travail effectif (T.E.)indiqués sur les agendas du salarié, comparées avec celles des fichiers numériques et des relevés Solid pour le mois de janvier 2010. L'expert a constaté que les résultats issus des agendas du salarié étaient très proches des résultats du fichier numérique.

Il a précisé qu'à ce résultat, il faudra déduire les heures majorées à 50% déjà perçues et indiquées sur les bulletins de salaire, expliquant que la réunion complémentaire avait été annulée en raison de son obligation de rendre l'expertise en l'état, et qu'il n'avait donc pas pu obtenir les explications nécessaires des parties et procéder au chiffrage des heures supplémentaires restant dues.

Cette expertise qui n'est pas utilement critiquée en ce qui concerne le montant global des heures supplémentaires effectuées sur la période de 2008 à 2010 sera retenue.

Il ressort des bulletins de salaire de l'intéressé que le paiement des heures supplémentaires était effectué pour partie par une ligne 'heures supplémentaires à 50% TEPA' et pour partie par des repos compensateurs de remplacement.

Selon les dispositions de l'article L. 3121-24 du code du travail, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux non assujetties à l'obligation annuelle de négocier prévue à l'article L.2242-1, ce remplacement peut être mis en place par l'employeur à condition que le comité d'entreprise ou les délégués du personnel, s'ils existent, ne s'y opposent pas. Il est constant que la SAS Hinterland rentre dans le cadre de ces dispositions, en l'absence de repos compensateurs de remplacement prévus par la convention collective nationale dans le cadre du transport de marchandises.

Selon les bulletins de salaire du salarié, il a été mentionné des heures de repos compensateurs de remplacement acquises sur une base 100, une heure supplémentaire à 150% correspondant à 1,5 heures payées sur la base salariale de 100%. Les repos pris ont été notés sur cette même base et l'indemnité de repos compensateurs a été payée sur ce nombre majoré d'heures payées à 100%.

Il ressort des bulletins de salaire versés aux débats que l'entreprise a réglé directement par une ligne salariale spécifique :

sur l'année 2007, 17,67 heures supplémentaires à 150% d'octobre à décembre,

sur l'année 2008, 101,18 heures supplémentaires à 150%,

sur l'année 2009, 90,49 heures supplémentaires à 150%,

sur l'année 2010, 72,85 heures supplémentaires à 150% de janvier à octobre et 72,32 heures supplémentaires à 150% de janvier à août 2010.

Il ressort également de ces bulletins de salaire qu'ont été mis au compteur des repos compensateurs de remplacement de M. [P] :

- pour l'année 2007, 13,27 heures normales (correspondant à 8,85 heures supplémentaires majorées à 50%) qu'il a pris en décembre de la même année,

- pour l'année 2008, 127,56 heures normales (correspondant à 85,05 heures supplémentaires majorées à 50%) dont 95,35 (correspondant à 63,56 heures supplémentaires) ont été réglées par la prise de ce congé, le solde restant ayant été intégralement payé en février 2009 par une indemnité de repos compensateurs de remplacement,

- pour l'année 2009, 72,22 heures normales ( correspondant à 48,15 heures majorées à 50%) dont 38,75 heures normales ont été payées (correspondant à 25,83 heures supplémentaires à 50%) soit par la prise du congé soit par le paiement d'une indemnité, laissant un reliquat de 10,50 heures normales non rémunérées sur l'année 2009 qui a été repris dans le solde des repos compensateurs de remplacement acquis en janvier 2010,

- pour l'année 2010, 62,68 heures normales (correspondant à 41,79 heures majorées à 50%) dont l'intégralité, y compris le reliquat de 2009, a été réglé par la prise de repos et le paiement d'indemnités de repos compensateurs de remplacement, le solde restant de 17,46 heures normales (correspondant à 11,64 heures supplémentaires majorées à 50%) ayant été réglé dans le solde de tout compte en octobre 2010.

Après addition des heures supplémentaires majorées à 50% ( 264,52 heures de 2008 à 2010) et des heures de repos compensateurs de remplacement payées au salarié (174,92 heures pour la même période), l'employeur reste devoir 200,29 heures supplémentaires majorées à 50% et non 9,12 ou 28,37 comme il le prétend, ce dernier décomptant comme des heures supplémentaires payées, l'intégration des heures dans le compte de repos compensateurs de remplacement au titre des heures acquises alors qu'elles ne sont payées qu'au jour de la prise du repos ou du paiement de l'indemnité de repos compensateurs de remplacement et qu'elles ne peuvent pas faire l'objet d'une double déduction. Il convient de remarquer que dans son second décompte, l'employeur prend en considération au titre des repos compensateurs de remplacement acquis un nombre d'heures correspondant au nombre des heures supplémentaires donnant droit au paiement majoré et au titre de ceux payés un nombre d'heures majorées, laissant ainsi croire qu'il a payé plus d'heures que celles comptabilisées au titre des repos acquis.

Ainsi, ce sont 75,32 heures supplémentaires restant dues pour l'année 2008, 71,08 heures supplémentaires pour l'année 2009 et 53,89 heures supplémentaires pour l'année 2010, soit la somme de 2.789,07 euros et la SAS Hinterland sera condamnée à verser à M. [P] la dite somme de 2.789,07 euros brut au titre des heures supplémentaires de 2008 à 2010 outre 278,90 euros au titre des congés payés afférents.

En ce qui concerne les mois d'octobre à décembre 2007, l'agenda mentionnant au jour le jour les heures de travail effectués avec indication des missions, des heures d'arrivée et de départ des divers lieux de chargement ou déchargement, du temps de conduite journalier, du temps de travail, de l'amplitude horaire caractérise un élément suffisamment précis pour venir étayer la demande du salarié et permettant de retenir un total de 97,15 heures supplémentaires au delà de 186 heures mensuelles. L'employeur n'apporte aucun décompte des horaires effectués de sorte qu'à défaut d'élément venant contredire le décompte issu de l'agenda, un total de 97,15 heures supplémentaires sera retenu pour l'année 2007.

Il ressort des bulletins de salaire d'octobre à décembre 2007, que M. [P] a été réglé de 17,67 heures supplémentaires majorées à 50% et qu'il a pris 13,27 heures normales en repos compensateurs de remplacement, correspondant au paiement de 8,83 heures supplémentaires majorées à 50%, de sorte qu'il a été réglé de 26,50 heures supplémentaires majorées à 50%. Ainsi l'employeur reste lui devoir 70,65 heures supplémentaires soit 963,58 euros bruts au titre des heures supplémentaires de 2007 outre 96,35 euros pour les congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a limité à 355,05 euros brut le rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires et les congés payés afférents.

La SAS Hinterland sera déboutée de sa demande de restitution de sommes.

2/ Sur les relations conflictuelles avec Ms [W] et [Adresse 2]

M. [P] n'apporte aucune pièce justifiant de relations conflictuelles avec Ms [W] et [T], étant précisé qu'il soutient que ces relations conflictuelles ont duré trois ans alors même qu'il n'a fréquenté ces deux responsables qu'à compter de son affectation sur le site du Havre à compter du mois de mai 2010, à la suite de la fermeture de celui de [Localité 1], en sorte que ce grief ne saurait être retenu à l'encontre de l'employeur et ne saurait être en relation avec l'arrêt de travail dont il a fait l'objet le 2 septembre 2010, pour malaise avec contracture du dorsal dans le cadre d'une déclaration d'accident du travail et ceci même si l'arrêt de travail a été prolongé jusqu'au 6 novembre 2010, le médecin précisant à compter du 15 octobre 2010 'malaise avec surmenage et fond anxio-dépressif réactionnel avec contracture dorsale'.

Sur la rupture du contrat de travail

Le courrier envoyé le 22 octobre 2010 par M. [P] intitulé démission aux termes duquel il reproche à son employeur le non paiement d'heures supplémentaires, les relations conflictuelles permanentes avec Ms [W] et [T] est un acte par lequel il a pris acte de la rupture aux torts de l'employeur, ne pouvant aucunement s'analyser en une démission claire et non équivoque.

La prise acte de la rupture par le salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les manquements de l'employeur sont d'une gravité telle qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail.

En l'occurrence, le non-paiement d'heures supplémentaires de manière récurrente sur une période de plus de trois ans, même en l'absence de réclamation du salarié avant sa lettre de rupture caractérise un manquement d'une gravité telle qu'il rend impossible la poursuite du contrat de travail de sorte que la prise acte de la rupture du contrat de travail par le salarié en octobre 2010 aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que la lettre de démission était claire et non équivoque et qu'elle ne saurait être requalifiée en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Sur les conséquences de la rupture

1/ Sur l'indemnité de travail dissimulé

Il résulte de l'article L. 8221-5 du code du travail que la dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que si l'employeur, de manière intentionnelle, soit s'est soustrait à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit s'est soustrait à la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie ou a mentionné sur le bulletin de paye un nombre d'heure de travail inférieur à celui réellement effectué.

En l'espèce, le caractère intentionnel de cette omission résulte de l'ampleur du nombre d'heures supplémentaires non déclarées et non payées alors même que l'employeur avait, par les enregistrements des horaires du salarié, une connaissance exacte de ceux-ci, étant précisé que l'expert n'a relevé aucune manipulation irrégulière du chronotachygraphe.

La SAS Hinterland sera en conséquence condamnée à régler à M. [P] une indemnité de 13.311 euros correspondant à six mois de salaire.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande à ce titre.

2/ Sur les indemnités de rupture

La prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [P] est en droit de bénéficier d'une indemnité de préavis correspondant à deux mois de salaire au regard de son ancienneté de trois ans, sur une base salariale intégrant les heures supplémentaires, soit sur une moyenne mensuelle sur les douze derniers mois de 2.218,5 euros bruts, une somme de 4.437,15 euros bruts outre 443,71 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande à ce titre.

Au regard de la nature civile de l'indemnité de travail dissimulé, les dispositions de l'article L.8223-1 du code du travail ne font pas obstacle au cumul de l'indemnité forfaitaire qu'elles prévoient avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail.

M. [P] est donc en droit de bénéficier d'une indemnité de licenciement en sus de l'indemnité de travail dissimulé pour un montant de 1.587 euros au regard de son ancienneté et de son salaire que l'employeur sera condamné à lui verser.

3/ Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [P] qui a une ancienneté de trois ans dans une entreprise de 11 salariés et plus a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois. La SAS Hinterland sera en conséquence condamnée à lui versé la somme de 13.311 euros nets à ce titre, en l'absence de preuve d'un préjudice complémentaire.

Il convient d'ordonner à la SAS Hinterland la remise des bulletins de salaire, attestation pôle Emploi et solde de tout compte rectifiés en fonction de la présente décision, sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Sur les frais d'expertise

La SAS Hinterland succombant sera condamnée au paiement de l'intégralité des frais d'expertise qu'elle devra rembourser à M. [P] à hauteur de la somme de 2.000 €.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La SAS Hinterland qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel. Elle sera déboutée de toute demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire bénéficier M. [P] de ces dispositions et de condamner la SAS Hinterland à lui régler une somme de 1.000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dit que la lettre de rupture du salarié est une prise acte de la rupture ;

Dit que la prise acte de la rupture du contrat de travail par le salarié aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Hinterland à verser à M. [P] les sommes suivantes :

963,58 euros bruts au titre des heures supplémentaires de 2007 outre 96,35 euros pour les congés payés afférents,

2.789,07 euros brut au titre des heures supplémentaires de 2008 à 2010 outre 278,90 euros au titre des congés payés afférents,

13.311 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

1.587 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

4.437,15 euros bruts titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 443,71 euros au titre des congés payés afférents,

13.311 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

2.000 euros au titre du remboursement de l'avance des frais d'expertise,

1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne à la SAS Hinterland de remettre à M. [P] les bulletins de salaire, attestation pôle Emploi et solde de tout compte rectifiés en fonction de la présente décision;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne la SAS Hinterland aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Elisabeth LARSABAL, Présidente, et par Florence

CHANVRIT Adjointe Administrative Principale faisant fonction de greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Florence CHANVRIT Elisabeth LARSABAL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section b
Numéro d'arrêt : 14/03518
Date de la décision : 22/10/2015

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4B, arrêt n°14/03518 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-10-22;14.03518 ?
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