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18/03/2015 | FRANCE | N°13/03029

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, CinquiÈme chambre civile, 18 mars 2015, 13/03029


COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------

ARRÊT DU : 18 mars 2015

(Rédacteur : Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,)
No de rôle : 13/ 3029

Madame Bernadette X...épouse Y...

c/
Société MERCK SHARP et DOHME-CHIBRET C. P. A. M. de la GIRONDE-Caisse Primaire d'Assurance Maladie-

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocatsDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 janvier 2013 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6, RG 11/ 11062) s

uivant déclaration d'appel du 15 mai 2013
APPELANTE :
Madame Bernadette X...épouse Y..., née le 08 Mars 1958 à SIBI...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------

ARRÊT DU : 18 mars 2015

(Rédacteur : Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,)
No de rôle : 13/ 3029

Madame Bernadette X...épouse Y...

c/
Société MERCK SHARP et DOHME-CHIBRET C. P. A. M. de la GIRONDE-Caisse Primaire d'Assurance Maladie-

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocatsDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 janvier 2013 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6, RG 11/ 11062) suivant déclaration d'appel du 15 mai 2013
APPELANTE :
Madame Bernadette X...épouse Y..., née le 08 Mars 1958 à SIBI BEL ABBES (ALGERIE), de nationalité Française, demeurant ...-33600 PESSAC
représentée par Maître Thierry WICKERS de la SELAS EXEME ACTION, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉES :

Société MERCK SHARP et DOHME-CHIBRET, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social 3 Avenue Hoche-75307 PARIS CEDEX,
représentée par Maître Laurent BABIN de la SCP KPDB, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître THERON substituant Maître Jacques-Antoine ROBERT de la SCP CABINET SIMMONS ET SIMMONS LLP, avocat plaidant au barreau de PARIS,
C. P. A. M. de la GIRONDE-Caisse Primaire d'Assurance Maladie-prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social Place de l'Europe-Cité du Grand Parc-33085 BORDEAUX CEDEX,
assignée à personne habilitée, n'ayant pas constitué avocat,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 février 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Henriette FILHOUSE, Président, Monsieur Bernard ORS, Conseiller, Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie HAYET
ARRÊT :
- réputé contradictoire-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

OBJET DU LITIGE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame Bernadette Y...a été traitée pour une infection urinaire par Noroxine 400 pendant 6 jours à compter du Ier Novembre 1996. Elle a présenté dans les semaines qui ont suivi des douleurs dans la région des membres inférieurs et au genou gauche, s'aggravant en 1997 et persistantes à ce jour.
Madame Y...a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Le Docteur Z...a été désigné par ordonnance du 24 juin 1998. Le rapport d'expertise a été déposé le 28 septembre 1998 concluant que la Noroxine n'était pas responsable de la tendinopathie rotulienne invalidante présentée par la patiente et mentionnant que son état n'est pas consolidé.
Devant la persistance d'une invalidité importante Madame Y...a recueilli l'avis du docteur A...en 2006 puis celui du docteur B...en 2010, ainsi que celui du docteur C....
Au vu de l'ensemble de ces éléments Madame Y...impute sa pathologie invalidante à la prise de Noroxine fabriquée par la société LABORATOIRES MERCK SHARP et DHOME-CHIBRET (la société MSD-CHIBRET).
Par acte d'huissier du 4 octobre 2011, Madame Y...a assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, la société MSD-CHIBRET, sur le fondement des articles 1147 et 1382 du Code Civil et de la directive communautaire no 85/ 374 du 25 juillet 1985 aux fins de la voir déclarer responsable des dommages occasionnés, d'obtenir sa condamnation à lui payer à titre de provision, la somme de 135. 000 ¿ à valoir sur ses préjudices patrimoniaux, et la somme de 63. 000 ¿ à valoir sur ses préjudices extra-patrimoniaux, et aux fins d'obtenir l'organisation d'une expertise médicale.
Par actes d'huissier 4 Novembre 2011, elle a mis en cause la CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE de la Gironde devant la même juridiction.

Par jugement en date du 15 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :- Déclaré non prescrite et recevable, l'action de Madame Bernadette Y...à l'encontre de la société MSD-CHIBRET-Dit que Madame Bernadette Y...ne prouve pas que la Noroxine présente les caractères d'un produit défectueux.- Débouté Madame Bernadette Y...de sa demande tendant à voir déclarer la société MSD-CHIBRET responsable des ruptures tendineuses dont elle a été victime consécutivement à la prise de Noroxine et à condamner celle-ci à réparer son entier préjudice ;- Débouté par voie de conséquence Madame Zorzano de ses demandes d'expertise et de provisions ;- Donné acte à la CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE de la Gironde de ce qu'elle n'a pas de créance à faire valoir ;- Débouté Madame Y...de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile-Condamné Madame Y...à payer à la société MSD-CHIBRET une indemnité de 1. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;- Débouté la CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE de la Gironde de sa demande d'indemnité présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile-Débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;- Condamné Madame Y...aux entiers dépens de la procédure avec distraction en faveur de Maître Max Bardet, Avocat.

Par déclaration en date du 15 mai 2013, Madame Bernadette Y...a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions au fond déposées et notifiées le 2 décembre 2013, elle demande à la cour de :- Infirmer le jugement déféré,- Déclarer la société MSD-CHIBRET entièrement responsable des ruptures tendiniques dont elle a été victime consécutivement à la prise de Noroxine.- Condamner la société MSD-CHIBRET à réparer son entier préjudice Avant dire droit sur l'évaluation du préjudice :- Ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira au tribunal de désigner avec la mission complète habituelle en la matière-Condamner la société MSD-CHIBRET à lui payer à titre de provision, la somme de 135. 000 ¿ à valoir sur ses préjudices patrimoniaux et la somme de 63. 000 ¿ à valoir sur ses préjudices extra patrimoniaux-Condamner la société MSD-CHIBRET à lui payer la somme de 8. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise en faisant application des dispositions de l'article 699 du même code.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 13 janvier 2015, la société MSD-CHIBRET demande à la cour de : A titre principal,- Constater que l'action de Madame Y...à son encontre est prescrite ;- Déclarer l'action de Madame Y...irrecevable ; A titre subsidiaire,- Saisir la Cour de Justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : « Les délais de prescription et d'extinction prévus par les articles 10 et 11 de la Directive no 85/ 374 s'appliquent-ils à des actions engagées au titre de dommages survenus entre l'expiration du délai de transposition de la Directive 1988 et l'entrée en vigueur de ladite loi de transposition dans l'Etat membre dont relève la juridiction saisie ? »- Surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à la question préjudicielle ainsi posée, A titre très subsidiaire,- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame Y...de l'ensemble de ses demandes ; A titre plus subsidiaire,- Désigner un collège d'experts composé d'un pharmacologue et d'un rhumatologue avec la mission détaillée au dispositif de ses conclusions, En tout état de cause-Rejeter la demande de provision formulée par Madame Y...;- Rejeter la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulée par Madame Y...;- Condamner Madame Y...à lui verser la somme de 4. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens

Dans des conclusions de procédure déposées et notifiées le 20 janvier 2015, madame Y...demande à la cour au vu des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile, d'écarter des débats les conclusions et pièces signifiées par la société MSD-CHIBRET le 13 janvier 2015.

Dans des conclusions de procédure déposées et notifiées le 2 février 2015, la société MSD-CHIBRET demande à la cour de :- Réouvrir les débats, révoquer l'ordonnance de clôture prononcée le 21 janvier 2015 et rabattre ladite ordonnance au jour des plaidoiries,- Débouter Madame Y...de sa demande de rejet des pièces et conclusions déposées le 13 janvier 2015.

L'incident a été joint au fond.
La CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE a été régulièrement assignée, la société MSD-CHIBRET lui a signifié toutes ses conclusions et pièces. Elle n'a pas constitué avocat. La décision sera réputée contradictoire en application des dispositions de l'article 7474 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 janvier 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'incident de procédure
Madame Y...dont les dernières conclusions au fond datent du 2 décembre 2013 n'a pas estimé devoir re conclure suite aux écritures de la société MSD-CHIBRET notifiées le 26 février 2014. Les dernières écritures de cette dernière ont été notifiées 9 jours avant l'ordonnance de clôture, elles ne contiennent ni demandes ni moyens nouveaux mais des commentaires sur des décisions judiciaires. Les pièces communiquées en même temps sont précisément les décisions judiciaires commentées. Madame Y...a été en capacité de re conclure si elle l'avait estimé utile. Aucune violation du principe du débat contradictoire n'est établie.
Il ne sera pas fait droit à sa demande visant à écarter les conclusions et pièces notifiées et communiquées par l'intimée le 13 janvier 2015.
Il n'y a pas davantage lieu à révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 21 janvier 2015.

Sur la recevabilité de l'action engagée par Madame Y...

Madame Y..., invoquant un produit défectueux, recherche la responsabilité de la société MSD-CHIBRET fabriquant de la Noroxine, à la fois sur le fondement contractuel de l'article 1147 du code civil et délictuel de l'article 1382 du même code. C'est à juste titre que l'intimée fait valoir qu'elle n'a aucun lien contractuel avec Madame Y...à laquelle elle n'a pas vendu le produit directement.
Cependant s'il n'existe pas de rapport de nature contractuelle entre le laboratoire producteur de médicament et la patiente, les obligations contractuelles de sécurité de résultat pesant sur les vendeurs et les fournisseurs peuvent être invoquées par les tiers, et le manquement à une obligation contractuelle de sécurité constitue une faute délictuelle à l'égard des tiers.
La Directive CEE no85-374 du 25 Juillet 1985 instaurant un régime de responsabilité sans faute est applicable aux produits mis sur le marché après son entrée en vigueur, soit le 30 Juillet 1985. A cette date, les pays membres de la CEE disposaient d'un délai de 3 ans expirant le 30 Juillet 1988 pour la transposer en droit interne, cette transposition a été réalisée en droit français sous les articles 1386-1 et suivants du Code Civil par la loi du 19 Mai 1998.
La Directive ne peut recevoir application directe sur le territoire de l'état membre avant sa transposition. La Noroxine a été mise sur le marché avant 1998 et a été administrée à Madame Y...à compter du 1er novembre 1996.
Selon l'article 1386-1 du code civil, " le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat à la victime ".
Il n'est pas contesté que la responsabilité alléguée du producteur de médicaments mis sur le marché avant 1998, doit s'apprécier au visa des articles 1147 et 1382 du Code Civil interprétés au regard de la Directive CEE no 85/ 374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité sans faute du fait des produits défectueux.
La société MSD-CHIBRET demande à la cour de poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne une question préjudicielle et de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à la question suivante : « Les délais de prescription et d'extinction prévus par les articles 10 et 11 de la Directive no 85/ 374 s'appliquent-ils à des actions engagées au titre de dommages survenus entre l'expiration du délai de transposition de la Directive 1988 et l'entrée en vigueur de ladite loi de transposition dans l'Etat membre dont relève la juridiction saisie ? »
Cependant la Cour de Cassation par arrêt du 26 Septembre 2012, a répondu très précisément à cette question en indiquant que l'action en responsabilité extra-contractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit défectueux mis en circulation avant la loi du 19 Mai 1998 transposant la directive CEE du 24 juillet 1985, en raison d'un dommage survenu entre l'expiration du délai de transposition (1988) et l'entrée en vigueur de ladite loi de transposition, se prescrit, selon les dispositions du droit interne alors en vigueur.
Dès lors il n'est pas nécessaire de soumettre à la Cour de Justice de l'Union Européenne une question déjà tranchée par la juridiction française suprême, question relevant des délais de prescription applicables à un litige relevant de la compétence des juridictions françaises.
Il n'y a donc pas lieu de poser cette question préjudicielle ni de surseoir à statuer.
Madame Y...a engagé une action visant à faire établir la responsabilité de la société MSD-CHIBRET à raison d'un événement, la prise de Noroxine, ayant entraîné pour elle, un dommage corporel.
L'article 2226 du Code Civil dispose : " l'action en responsabilité en raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ".
Le délai de 10 ans court à compter de la consolidation, sans qu'une distinction ne soit faite à cet égard entre la responsabilité contractuelle ou délictuelle servant de fondement à l'action.
Cet article issu de la loi du 17 Juin 2008 a remplacé l'ancien article 2270-1 du code civil qui prévoyait également un délai de prescription décennal en matière extra-contractuelle, courant à compter de la consolidation selon l'interprétation jurisprudentielle bien établie.
Lors de la réalisation de l'expertise du docteur Z...en 1998, l'état de Madame Y...n'était pas consolidé.
Au vu des pièces produites par l'appelante et notamment les divers examens et prescriptions médicales intervenus en 2006, il est patent que son état s'est aggravé en 2006, de sorte que, même dans l'ignorance de la date d'une consolidation qui serait intervenue entre le 28 septembre 1998 (date de la signature du rapport d'expertise) et l'aggravation de la même pathologie établie par le certificat médical du docteur Didier D...en date du 13 Mars 2006, l'action de Madame Y...introduite contre la société MSD-CHIBRET par assignation du 4 octobre 2011 n'est pas atteinte par la prescription résultant des dispositions de l'article 2226 du code civil ci-dessus reproduit.
C'est donc à juste titre que le tribunal a déclaré recevable l'action engagée par Madame Y...et écarté l'exception de prescription soulevée par la société MSD-CHIBRET. La décision déférée sera confirmée sur ce point.

Sur la responsabilité de la société MSD-CHIBRET :

Il incombe à celui qui invoque la responsabilité du fabricant d'un produit défectueux de prouver que le produit a été administré (1o), qu'il est défectueux (2o), qu'il a provoqué des dommages avec un lien de causalité direct et certain (3o).

1o L'administration de la Noroxine à Madame Y...

Le 1er novembre 1996, Madame Y..., se plaignant d'une douleur épigastrique à irradiation lombaire est admise aux urgences de l'hôpital Saint André à Bordeaux sur l'indication de son médecin traitant. L'examen clinique ne met pas en évidence de défense ni de contracture. La fosse lombaire est sensible à la palpation. Par ailleurs, on note une fièvre à 38o2. Le bilan biologique est normal y compris l'amylasémie et la lipasémie. Il a également été pratiqué une radiographie de l'abdomen. Après administration d'un traitement symptomatique qui a calmé la douleur, et la prescription de NOROXINE par le médecin urgentiste, la patiente a regagné son domicile.
L'examen cytobactériologique fait le 2 novembre 1996, révèle une infection urinaire à Escherichia Coli ; l'antibiogramme montre que ce germe est sensible, entre autres, à la Noroxine. Ce traitement par NOROXINE avait déjà été prescrit par le médecin urgentiste, la veille, à raison de un comprimé matin et soir pendant 6 jours, de façon à permettre à la malade de débuter son traitement sans tarder. Ce traitement a été bien toléré et la malade guérie au terme de celui-ci.

2o Le caractère défectueux de la Noroxine

Selon la directive CEE du 25 Juillet 1985, un produit est défectueux s'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de tous les éléments, et notamment la présentation du produit, l'usage et le bénéfice qu'il peut en être raisonnablement attendu et le moment de sa mise en circulation.
Il s'ensuit qu'un produit pourra être défectueux s'il présente un risque sans proportion avec l'avantage attendu. Le caractère défectueux peut résulter de la conception, la production ou la présentation du produit.
Dans tous les cas, la seule implication du produit dans la réalisation du dommage n'est pas suffisante pour retenir la responsabilité du producteur.
Madame Y...invoque un défaut du produit lié à sa présentation et notamment le défaut d'information dont elle a été victime, la notice n'étant pas, selon elle, suffisamment explicite sur les risques encourus, ne faisant pas état du risque de ruptures tendineuses des genoux et ne précisant pas que ce médicament devait être utilisé en seconde intention du fait de ces risques.
Il ressort de l'examen de la notice d'information datée de 1995, produite par Madame Y..., qu'elle mentionne concernant les effets indésirables : "- douleurs musculaires et/ ou articulaires, tendinites avec ruptures exceptionnelles pouvant toucher le tendon d'Achille qui peuvent survenir dès les premiers jours de traitement et atteindre les deux jambes. "

Contrairement à ce que soutient Madame Y..., le fait qu'il ne soit mentionné que la rupture du tendon d'Achille est sans incidence car elle était informée du risque de rupture tendinique du fait de l'administration de la Noroxine. Il sera en outre souligné que la rupture du Tendon d'Achille n'entraîne pas des conséquences moins graves que les lésions tendineuses des genoux subies par Madame Y....
Cette notice est d'autant plus claire qu'elle ajoute, au niveau des contre-indications, que la Noroxine ne doit pas être utilisée dans le cas d'antécédents de tendinite avec un médicament de la même famille (fuoroquinolone). Il n'est pas contesté que Madame Y...ne présentait pas de tels antécédents et qu'il ne lui pas été prescrit un autre médicament de la même famille en même tant que la NOROXINE.
Madame Y...considère que la notice destinée au patient aurait dû mentionner, comme l'information spécialisée destinée aux médecins (le dictionnaire VIDAL) que l'usage de la NOROXINE était réservé aux infections urinaires graves et résistantes aux autres antibiotiques ne présentant pas de tels effets secondaires. Elle affirme que son infection urinaire était bénigne.
Cependant aucun élément du dossier médical ne permet d'affirmer que l'infection urinaire ayant affecté Madame Y...était bénigne, d'autant que celle-ci s'est présentée aux urgences de l'Hôpital, ceci tendant à démontrer que le problème dont elle souffrait était suffisamment inquiétant ou douloureux pour elle qu'elle prenne cette décision. Concernant l'adaptation de la prescription à la gravité de l'état de la patiente appartient au médecin qui était informé des risques encourus du fait du médicament prescrit, ainsi qu'il résulte de la lecture du dictionnaire VIDAL.
Il est en effet indiqué dans la notice du VIDAL concernant les effets indésirables : de la NOROXINE : « Atteintes de l'appareil locomoteur : douleurs musculaires et/ ou articulaires ; rares tendinites, touchant entre autres le tendons d'Achille, qui peuvent survenir dès les premières 48 heures de traitement et devenir bilatérales exceptionnelles ruptures tendineuses. »
Il s'ensuit de l'ensemble de ces éléments que Madame Y...ne rapporte pas la preuve que le médicament NOROXINE est un produit défectueux au regard du défaut d'information du consommateur.
Dès lors la condition essentielle de la mise en jeu de la responsabilité du fabriquant de la NOROXINE fait défaut.

3o Les dommages et le lien de causalité direct et certain

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire docteur Z...qui a recueilli l'avis du Centre de Pharmacovigilance du CHU de Bordeaux concernant le lien existant entre la prise de NOROXINE pendant 6 jours et les troubles tendineux affectant Madame Y..., les éléments suivants :- atteinte du tendon dans 98 % des cas mais l'atteinte du genou a été également décrite,- apparition brutale de la douleur, ce qui est le cas pour Madame Y...,- la tendinite apparaît au cours des deux premières semaines de traitement : dans le cas de Madame Y..., le délai d'apparition de la tendinite rotulienne est de 80 jours environ ; certes, elle décrit des douleurs des coudes, genoux qui auraient nécessité un traitement, mais la pluralité simultanée des atteintes tendineuses n'est pas connue,- Madame Y...ne présente pas les facteurs favorisant l'apparition de cette atteinte : âge (elle a moins de 60 ans), absence d'insuffisance rénale, absence de traitement corticoïde,- La régression des signes se fait dans la plupart des cas en moins d'un mois après l'arrêt de la prise de NOROXINE, et ce n'est que dans dix pour cent des cas que les douleurs persistent sur un mode chronique.

L'expert a conclu sur les éléments destinés à permettre à la juridiction saisie d'établir le lien de causalité en ces termes : " L'ensemble de cette argumentation, qui s'appuie sur tous les cas connus d'effets secondaires induits par la NOROXINE, tend à faire conclure, c'est en tout cas mon intime conviction, que ce produit n'est pas responsable des lésions présentées par Madame Y..."
Madame Y...critique cette conclusion sur la base du rapport du docteur B..., en date du 6 septembre 2010, qui relève que cette conclusion diverge de l'avis concordant de tous les médecins ayant eu à traiter ou examiner Madame Y..., qui ont retenu l'imputabilité de la tendinopathie à la NOROXINE.
Le Docteur B...estime que l'avis du centre de Pharmacovigilance sur lequel s'appuie l'expert est critiquable, la méthode utilisée par ce Centre étant contestable, et ajoute que le Docteur Z...n'avait pas la compétence nécessaire pour réaliser l'expertise judiciaire. Il estime que le délai d'apparition des troubles tendineux de 3 semaines n'est pas incompatible alors que la littérature prévoit un délai pouvant aller jusqu'à plusieurs mois, qu'il ne peut être rien tiré de la pluralité simultanée d'atteintes tendineuses et que l'apparition de cette tendinopathie après prise de NOROXINE n'est pas rare et constatée par les médecins.
Il conclut à l'imputabilité de l'état de Madame Y...à la NOROXINE en s'appuyant sur l'unanimité des médecins ayant eu à connaître son état, mais aussi sur la chronologie d'apparition assez évocatrice, soit trois semaines après l'arrêt du traitement incriminé, sur l'absence de diagnostic différentiel, rhumatologique notamment malgré un bilan étiologique approfondi, et sur la confirmation bibliographique que ces tableaux de tendinites parfois persistantes sont une complication notoire des fluoroquinolones, dûment indiquée dans la notice Vidal.
Madame Y...s'appuie également sur l'avis du Docteur A...qui fait état d'erreurs de dates dans le rapport de l'expert judiciaire, notamment concernant l'infection urinaire et la date d'apparition des douleurs tendineuses, et surtout conteste ce rapport en ce qu'il se fonde sur le seul courrier du docteur E...du centre de pharmacovigilance qui n'exclut pas l'existence d'atteintes chroniques dans 10 % des cas, ni l'apparition d'atteintes au-delà du délai de 2 semaines et en ce qu'il ignore les conclusions de l'expert de la CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE. Dans cet avis du 21 juillet 2006, le docteur A...conclut à la nécessité d'organiser une nouvelle expertise.
Enfin, Madame Y...fait état du rapport du docteur C...en date du 7 mars 2006 qui se réfère à plusieurs bibliographies postérieures à l'expertise du Docteur Z..., exposant qu'il n'y a pas de tableau clinique caractéristique, les complications tendineuses pouvant survenir pendant la période de prescription comme plusieurs semaines après la prescription initiale et précise que la toxicité de la NOROXINE était connue lors de la prescription et du reste rappelée dans le VIDAL. Il conclut que " les séquelles que présente Madame Y...au niveau des différentes articulations, mais plus particulièrement au niveau du genou, sont en rapport avec une prescription de NOROXINE pour une infection urinaire au mois de novembre 1996. Tous les éléments de son histoire médicale sont retrouvés dans un article d'URO France paru en 2001. "
Comme le fait valoir la société MSD-CHIBRET, les trois rapports critiques dont Madame Y...fait état, ne sont pas contradictoires et ont été réalisés à sa seule initiative. Celui du docteur B...a un caractère polémique, ils soulignent à cet égard que ce dernier n'a pas été réinscrit sur la liste des experts judiciaires après que plusieurs juridictions aient jugé qu'il n'avait plus, en raison d'un engagement militant, la distance, l'impartialité et la sérénité nécessaires pour mener à bien les mesures d'expertises qui lui étaient confiées.
Toutefois les rapports médicaux produits par Madame Y...ont été laissés à la libre discussion des parties, ils sont argumentés et pourraient être de nature à fragiliser le rapport judiciaire qui conclut à l'absence d'imputabilité sans prendre en considération que le cas de Madame Y...peut correspondre aux 10 % des cas dans lesquels la pathologie ne régresse pas après l'arrêt de la prise de la NOROXINE, et que dans 2 % des cas d'autres tendons que le tendon d'Achille peuvent être touchés.
Ces critiques jointes à l'avis concordant des médecins ayant eu à traiter Madame Y...et à l'avis de l'expert de la CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE, le docteur F..., auraient pu justifier l'organisation d'une contre-expertise, cependant l'appelante n'a pas démontré que le produit est défectueux. Ainsi une telle mesure devient sans objet puisqu'au moins un des trois éléments qu'il incombe à Madame Y...d'établir pour mettre en jeu la responsabilité du fabriquant de la NOROXINE, fait défaut.

Sur les demandes d'expertise et de provisions

Dans la mesure où la responsabilité de la société MSD-CHIBRET, à l'égard de Madame Y...n'est pas retenue, il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise médicale pour évaluer les préjudices subis par celle-ci ni de faire droit à sa demande tendant à l'allocation d'indemnités provisionnelles.
Madame Y...qui succombe totalement en son appel sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à supporter les dépens d'appel.
Il sera fait application des dispositions de l'article 700 au profit de la société MSD-CHIBRET.

PAR CES MOTIFS la cour

-Dit n'y avoir lieu à écarter des débats les conclusions notifiées et pièces communiquées par la société MSD-CHIBRET le 13 janvier 2015,
- Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 21 janvier 2015,
- Dit n'y avoir lieu à poser la question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne,
- Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer,
- Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- Condamne Madame Y...à verser à la société MSD-CHIBRET la somme de 3. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne Madame Y...à supporter les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Henriette Filhouse, Présidente, et par Sylvie Hayet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

S. Hayet H. Filhouse


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : CinquiÈme chambre civile
Numéro d'arrêt : 13/03029
Date de la décision : 18/03/2015
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2015-03-18;13.03029 ?
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