COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 11 MARS 2015
(Rédacteur : Monsieur Jean-François Sabard, Président)
PRUD'HOMMES
N° de rôle : 13/00780
SAS Irium France
c/
Monsieur [K] [X]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 janvier 2013 (RG n° F 11/00120) par le Conseil de Prud'hommes - formation de départage - de Bordeaux, section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 06 février 2013,
APPELANTE :
SAS Irium France, siret n° 428 292 585, agissant en la personne de son
représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 2],
Représentée par Maître François-Xavier Chedaneau, avocat au barreau de Poitiers,
INTIMÉ :
Monsieur [K] [X], né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1],
Représenté par Monsieur [E] [S], délégué syndical CFDT, muni d'un pouvoir régulier,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 janvier 2015 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-François Sabard, Président, chargé d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-François Sabard, Président,
Madame Marie-Luce Grandemange, Conseiller,
Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Monsieur [K] [X] a été embauché en qualité de technicien de maintenance par contrat de travail à durée indéterminée en date du 11 décembre 1992 avec effet au 1er décembre 1992 dans la société Mai France aux droits de laquelle vient la SAS Irium France depuis le 31 décembre 2006 par suite d'une fusion.
Les relation professionnelle étaient soumises à la convention collective des bureaux d'études et cabinets-conseils Syntec.
Par courrier recommandé en date du 11 juin 2010, la société Irium France a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé le 22 juin 2010 et lui a notifié son licenciement pour motif économique par courrier en date du 6 juillet 2010.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Monsieur [X] a saisi le Conseil de Prud'hommes le 14 janvier 2011 d'une demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour non-respect des critères d'ordre des licenciements et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement de départage en date du 11 janvier 2013 la société Irium France a été condamnée à payer à Monsieur [K] [X] une somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rem-bourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées au salarié dans la limite de six mois outre 2.000 € au profit du salarié sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Irium France a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 7 février 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
L'appelante conclut à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle demande à la Cour de rejeter l'ensemble des prétentions de Monsieur [X] et de le condamner à lui payer la somme de 2.000 € sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que la diminution très sensible des résultats nets successifs du groupe a rendu nécessaire en raison des difficultés économiques rencontrées notamment en 2008 et en 2009 mais aussi en 2010 une restructuration entraînant la suppression du service intitulé CSH et de tous les postes qu'il contenait au sein de l'unité ISR et intervenant dans la préparation et le déploiement des services et réseaux informatiques ainsi que l'intervention sous contrat de maintenance matérielle, cette décision ayant fait l'objet d'une information et de la
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consultation des représentants du personnel et du comité d'entreprise, ces éléments
ayant été portés à la connaissance de Monsieur [X] appartenant à la catégorie professionnelle concernée par la restructuration en lui proposant quatre postes de reclassement immédiatement qui n'ont pas été acceptés par le salarié dans le délai imparti.
L'appelante estime que le motif économique du licenciement du salarié ne peut être contesté et qu'elle a respecté son obligation de reclassement mais aussi les critères d'ordre des licenciements lesquels ne pouvaient s'appliquer en l'espèce en raison de la suppression de la totalité des postes appartenant à la même catégorie professionnelle de sorte que le jugement déféré ne pourra qu'être réformé en toutes ses dispositions.
L'intimé Monsieur [X] conclut à la confirmation partielle du jugement entrepris et à sa réformation en sollicitant la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 109.744,20 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 18.290,70 € pour absence de mise en place des critères d'ordre des licenciements outre 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [X] expose que lorsqu'on examine séparément les comptes des sociétés du groupe, les résultats nets moyens sont en forte hausse et se traduisent notamment par un versement important de dividendes aux actionnaires de sorte que d'une part le motif économique invoqué n'est pas en adéquation avec la réalité financière de l'entreprise et que, par ailleurs, le recours à la rupture conventionnelle pour certains salariés aurait permis à celle-ci de s'affranchir des dispositions relatives à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi et à la consultation des représentants du personnel et que d'autre part le non-respect de l'obligation de reclassement sur un emploi relevant de la même catégorie que celui occupé par le salarié ou sur un emploi équivalent par des offres d'emploi sérieuses, précises et concrètes, prive le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse ce qui justifie la demande dommages-intérêts de Monsieur [X] à qui il n'a pas été proposée une formation et une adaptation en vue d'un reclassement.
Il ajoute, que la Cour relèvera l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements dans la mesure où la direction distingue d'une manière artificielle les fonctions des salariés CSH et TLH alors qu'il s'agit de fonctions de même nature impliquant une formation professionnelle commune et constituant ainsi une même catégorie professionnelle composée d'au moins 14 salariés dont seulement 9 postes de travail ont été supprimés de sorte que la direction avait l'obligation de définir des critères de licenciement pour déterminer lesquels de ces 14 salariées devaient finalement être licenciés et consulter sur le choix des critères retenus par l'employeur le comité d'entreprise.
Il convient pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties de se référer expressément à leurs conclusions écrites développées oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le licenciement pour motif économique :
La lettre de licenciement pour motif économique du 6 juillet 2010 visant l'entretien préalable du 22 juin 2010 indique 'que l'année 2009 a été un exercice extrêmement difficile pour le secteur économique dont relèvent les sociétés du groupe Irium France qui a subi une crise importante. Le marché des logiciels de gestion ciblé par les sociétés du groupe est un marché violemment touché par la conjoncture économique actuelle. Sur le marché français, nous intervenons plus particulièrement auprès des distributeurs de matériel de travaux publics, secteur qui a subi une baisse des prix extrêmement importante qui ne permet pas à ces derniers d'investir dans les logiciels que nous leur proposons. La situation économique et financière de nos clients a un impact direct sur les sociétés du groupe. À ceci s'ajoute également une concurrence extrêmement importante des acteurs mondiaux sur l'offre logicielle. Toutefois malgré ces mesures, le chiffre d'affaire global au niveau du groupe a continué de se dégrader : une baisse de 9,7 % sur l'année 2009 (- 18 % hors maintenance, soit 1,5 millions d'euros). Sur le premier trimestre 2010, notre chiffre d'affaires a de nouveau diminué de 18,6 % (- 33 % hors maintenance). Nos marges ont également connu une forte dégradation. Les prévisionnels que nous avons établis démontrent que le déséquilibre entre le chiffre d'affaires et nos charges fixes sur l'année 2010 conduira les sociétés du groupe dans des situations déficitaires à court terme. S'agissant plus particulièrement de la situation de Irium France, société principale du groupe, nous avons enregistré une baisse importante de notre chiffre d'affaires de 10,2 % sur l'année 2009 (- 19 % hors maintenance, soit 1,1 million d'euros). Sur le premier trimestre 2010, notre chiffre d'affaire a baissé de 330.000 € par rapport à l'année 2009 soit une baisse de 13,9 % sur la même période. Notre carnet de commandes fait apparaître une diminution importante des demandes de nos clients auprès de la société Irium France. Dans ces conditions nous sommes contraints de réorganiser l'entreprise et la société a fait le choix de concentrer ses efforts et ses investissements sur le métier principal de la société Irium France : le logiciel. Dans ces conditions, il a été décidé de transformer l'activité de maintenance et de déploiement du matériel, existant uniquement sur la société Irium France et par là même de supprimer tous les postes relevant de la catégorie CSH. Tous les postes de la catégorie professionnelle CSH étant supprimés, vous êtes directement concerné par la mesure de suppression de postes consécutive à la restructuration de l'entreprise. Nous sommes par conséquent contraints de poursuivre la procédure de licenciement pour motif économique envisagée à votre égard'.
Il résulte des pièces produites devant la cour que les pertes subies dans l'activité de maintenance et de déploiement du matériel par les sociétés du groupe eu égard à une forte concurrence dure l'installation sur le marché d'acteurs très spécialisés entraînant une rentabilité insuffisante pour couvrir les coûts commerciaux et les frais généraux ainsi qu'aux effets de la conjoncture économique se répercutant sur les principaux clients de la société, distributeurs et loueurs de machines lourdes cons-tructions et de manutention et que par ailleurs il ressort des documents versés au dossier que le groupe connaissait une baisse tendancielle de ses parts de marché, une perte de 20 % de son chiffre d'affaires entre 2009 et 2010, une chute des commandes 17 % une recherche infructueuse de nouveaux clients de sorte que le motif économique du licenciement lié à la nécessité de restructurer l'entreprise en privilégiant les secteurs à
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forte marge au détriment de ceux générant une faible rentabilité dont l'activité de maintenance des matériels provenant de la société Mai France absorbée lors de la fusion de décembre 2006 est justifiée en l'espèce entraînant la suppression de neuf postes de travail dans la catégorie professionnelle du CSH.
La Cour relève que contrairement aux affirmations de l'intimé aucun
élément du dossier ne permet de considérer d'une part que le salarié était titulaire d'un mandat de représentation du personnel ou d'un syndicat lui conférant une protection particulière et, d'autre part, que l'employeur aurait tenté de s'affranchir des règles relatives à l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi en recourant à des ruptures conventionnelles vis-à-vis de certains salariés.
S'agissant du respect de l'obligation de reclassement incombant à l'em-ployeur, force est de constater qu'au regard des quatre postes proposés dès le 7 juin 2010 au salarié soit deux postes de préparateur de serveur à [Localité 2], un poste de consultant dit 'transverse' à la [Localité 1] et au sein du groupe et un poste d'ingénieur commercial en Allemagne, les critiques soulevées par Monsieur [X] sur l'inadéquation d'au moins deux postes avec ses compétences techniques et sur le non-respect du délai de 10 jours imparti pour se prononcer avant l'engagement de la procédure de licenciement par l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, sont dépourvues de tout fondement alors que l'employeur lui a proposé comme aux autres salariés concernés les seules postes disponibles dans le groupe comportant précisément le montant de la rémunération, le profil de ces postes, la localisation géographique, postes que le salarié n'a pas accepté dans le délai prévu de 10 jours expirant le 18 juin 2010 et lesquels lui ont été proposés à nouveau lors de l'entretien préalable du 22 juin 2010 avant la notification de son licenciement et alors qu'il a attendu le 30 juin 2010 pour se porter candidat à un poste de préparateur de serveurs situé à [Localité 2].
S'agissant d'un poste du niveau d'ingénieur à l'étranger, la Cour relève que les conditions financières favorables de celui-ci au regard du poste occupé par le salarié ne rendaient pas nécessaire son accord préalable sur cette proposition d'emploi.
Il ne peut être reproché non plus à l'employeur de ne pas justifier avoir mis en 'uvre tout les efforts d'adaptation et de formation du salarié dans le cadre de son obligation de reclassement alors que la société Irium France a considéré que c'est précisément parce qu'elle estimait qu'il était susceptible d'occuper certains des postes notamment de préparateur de serveur sans exiger une adaptation ou une formation particulière et que pour l'affectation aux autres postes de cadre équivalents à celui d'ingénieur, une adaptation ou une formation supplémentaire pouvait lui être dispensée sans qu'il s'agisse nécessairement d'une formation qualifiante qui seule n'avait pas à être proposée par l'employeur dans le cas de son obligation d'adaptation.
Il résulte de ce qui précède que la société a procédé à une recherche individuelle, sérieuse, précise et concrète des possibilités de reclassement concernant le salarié et qu'elle n'a pas méconnu son obligation de recherche de reclassement résultant de l'article L.1233-4 du code du travail.
La Cour décide de réformer le jugement entrepris et de considérer le licenciement pour motif économique comme étant justifié par une cause réelle et sérieuse.
Sur le respect de l'ordre des licenciements :
Il résulte en effet l'article L.1233-5 du code du travail que lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique il définit les critères retenus pour fixer par catégorie professionnelle l'ordre des licenciements.
Pour la mise en 'uvre de ce texte, relève de la même catégorie profes-sionnelle l'ensemble des salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature impliquant une formation commune.
Le document interne élaboré en vue d'une réunion du 5 juillet 2007, fait ressortir par le rappel de l'organisation alors en vigueur que l'unité système et réseaux comportait deux services distincts avec des effectifs propres, d'une part le service CSH réparti sur trois secteurs géographiques (grand ouest, grand sud et grand est) dont les 9 salariés étaient appelés à intervenir en maintenance du matériel sur les sites des clients et d'autre part un centre d'appels localisé à [Localité 1] composé de 5 personnes char-gées sur appel téléphonique des clients de résoudre à distance des problèmes infor-matiques.
Il est établi que quand bien même les salariés de ces deux services auraient suivi une formation permanente commune, ceux ci étaient chargés au sein de l'entreprise de fonctions de nature distincte de sorte que la société Irium France est fondée à considérer que chaque groupe de ces salariés constituait une catégorie professionnelle distincte.
Dans la mesure où la restructuration en cause dont les modalités relevaient de la seule appréciation du chef de l'entreprise, consistait à supprimer totalement le service de maintenance sur site, par la suppression de tous les emplois qui y étaient précédemment consacrés, la société n'avait pas à appliquer des critères d'ordre des licenciements à la fois au groupe de salariés affectés au service de maintenance CSH supprimé et à ceux affectés au centre d'appel TLH.
Il convient, donc, de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a condamné la société Irium France à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage dans la limite de six mois et de rejeter l'ensemble des prétentions de Monsieur [X].
Sur les autres demandes :
L'équité commande d'allouer à la société Irium France une indemnité de procédure de 500 € qui sera mise à la charge de Monsieur [X] au titre des frais non compris dans les dépens exposés au cours de ces procédures, les dépens de première instance et d'appel étant mis à la charge de Monsieur [X] qui succombe en toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Déclare l'appel régulier, recevable et fondé.
Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau :
Dit que le licenciement pour motif économique de Monsieur [K] [X] est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Dit que la société Irium France a respecté son obligation de reclassement et les critères de l'ordre des licenciements.
Déboute Monsieur [K] [X] de l'ensemble de ses prétentions.
Le condamne à payer à la société Irium France et indemnité de procédure de 500 € (cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le condamne enfin aux dépens de première instance et d'appel.
Signé par Monsieur Jean-François Sabard, Président, et par Monsieur Gwenaël Tridon de Rey, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Gwenaël Tridon de Rey Jean-François Sabard