COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 25 FÉVRIER 2015
(Rédacteur : Madame Isabelle Lauqué, Conseiller)
PRUD'HOMMES
N° de rôle : 13/03920
Association Saint Joseph 'EHPAD Maison de Retraite [1]'
c/
Monsieur [C] [N]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 juin 2013 (RG n° F 11/01093) par le Conseil de Prud'hommes - formation de départage - de Bordeaux, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 25 juin 2013,
APPELANTE :
Association Saint Joseph 'EHPAD Maison de Retraite [1]',
siret n° 388 859 159 00013, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 1],
Représentée par Maître Annick Allain, avocat au barreau de Bordeaux,
INTIMÉ :
Monsieur [C] [N], né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1] ([Localité 1]), de nationalité française, demeurant [Adresse 2],
Représenté par Maître Alain Guérin de la SELARL Alain Guérin & Jérôme Delas, avocats au barreau de Bordeaux,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 janvier 2015 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Maud Vignau, Président,
Madame Marie-Luce Grandemange, Conseiller,
Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
La Maison de Retraite [1] gérée par l'Association Saint Joseph a embauché M. [C] [N] à compter du 1er janvier 1996 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel en qualité de médecin attaché à l'établissement.
En 2004, la Maison de Retraite [1] a pris le statut d'EPHAD
après la signature d'une convention tripartite avec le Conseil Général et l'Agence Régionale de Santé (ARS).
Par avenant du 1er juin 2009, M. [N] a été nommé médecin coordonnateur de l'établissement.
Par courrier du 24 juillet 2010, il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement qui s'est déroulé le 24 août 2010 à l'issue duquel son employeur lui a notifié une mise à pied conservatoire.
Par courrier du 31 août 2010, M. [N] a été licencié pour faute grave, l'Association Saint Joseph lui reprochant d'avoir participé à la constitution et à la diffusion d'un dossier de dénigrement de la maison de retraite et de sa directrice.
Le 6 avril 2011, M. [N] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux pour demander l'annulation de son licenciement et formuler diverses demandes indemnitaires.
Par jugement de départage du 11 juin 2013, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux a jugé que le licenciement de M. [N] était nul et a condamné l'Association Saint Joseph à lui payer l'intégralité des salaires qu'il aurait perçue à compter du licenciement jusqu'au prononcé du jugement ainsi que les sommes
suivantes :
- 489,84 € à titre de rappel de salaire relatif à la mise à pied conservatoire,
- 13.062,84 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.306,28 € pour les congés payés y afférents,
- 31.742,70 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 40.000,00 € à titre de dommages et intérêts,
- 1.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, le Conseil a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire.
L'Association Saint Joseph a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l'audience du 5 janvier 2015 auxquelles la Cour se réfère expressément, elle conclut à la réformation du jugement attaqué et demande à la Cour de juger que le licenciement de M. [N] est fondé sur une faute grave.
Elle conclut, donc, au rejet de toutes ses demandes et à titre subsidiaire à leur limitation aux seules indemnités de rupture réduite à de justes proportions.
Enfin, à titre reconventionnel, l'Association Saint Joseph sollicite le paiement d'une somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l'audience 5 janvier 2015 auxquelles la Cour se réfère expressément, M. [N] demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que son licen-ciement était nul mais demande à la Cour de porter le montant des condamnations aux sommes suivantes :
- 580,57 € à titre de rappel de salaire relatif à la mise à pied conservatoire,
- 13.062,84 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.306,28 € pour les congés payés y afférents,
- 31.916,87 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 40.000,00 € à titre de dommages et intérêts.
Il demande, également, à la Cour de condamner l'Association Saint Joseph au paiement de ses salaires jusqu'aux deux mois suivants la décision à intervenir.
A titre subsidiaire, si la Cour ne prononçait pas l'annulation de son licenciement, il fait valoir que ce dernier est dépourvu de cause réelle et sérieuse et demande à ce titre le paiement d'une somme de 150.000 € sur le fondement de l'article L.1352-3 du code du travail.
En tout état de cause, il réclame la somme de 10.000 € de dommages et intérêts pour procédure vexatoire outre la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISCUSSION :
- Sur la nullité du licenciement :
M. [N] soutient qu'il ne pouvait être licencié pour avoir dénoncé des faits de nature à provoquer la souffrance des résidents et du personnel soignant en application de l'article L.313-24 du code de l'action sociale, des articles 15 et 16 du règlement intérieur de l'Association et enfin des articles L.1132-3 et L.1152-2 du code du travail.
Il soutient ne pas avoir cherché à invoquer une situation personnelle mais exclusivement des dysfonctionnements collectifs pouvant atteindre la santé, la sécurité ou le bien être des résidents ou des soignants.
L'article L.313-24 du code de l'action sociale dispose que dans les établissements sociaux ou médicaux sociaux, le fait qu'un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant dont la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire.
Les dispositions de cet article sont reprises dans l'article 16 du règlement intérieur de l'EPHAD [1].
Il résulte de ces dispositions que sont protégés les personnels dénonçant des faits de maltraitance ou de privation infligés à une personne accueillie ce qui exclut la dénonciation des mauvaises conditions de travail du personnel soignant.
Il est acquis au débats que M. [N] a participé à l'élaboration d'un document avec sept autres personnes ayant travaillé au sein de l'EPHAD [1] destiné à dénoncer 'un certain nombre de faits graves qui nuisent au bien être physique, mental et social des résidents, de leur famille et du personnel de l'EPHAD [1] à [Localité 2]'.
Ce document est composé de lettres individuelles établies par les 8 personnels de santé dont 6 ne travaillaient plus au sein de l'établissement.
La lettre établie par M. [N] est divisée en plusieurs rubriques':
A la rubrique 'les manques', M. [N] fait état de la disparition d'un groupe de parole des cadres, de l'absence de réunions, de l'absence d'animatrice, de l'absence de remplacement d'éducateurs, d'infirmières... et de la disparition des fiches de postes des salariés ainsi que des difficultés rencontrées pour l'élaboration de projet.
A la rubrique 'incohérence des objectifs', M. [N] expose que les objectifs fixés, exemple à l'appui, deviennent caducs à peine fixés.
A la rubrique 'rétention d'information', il se plaint de n'avoir aucune lisibilité sur les futurs résidents.
A la rubrique 'les bizarreries', M. [N] fait état de ses difficultés avec la directrice et évoque en ces termes la situation d'une résidente':
'Une s'ur a été punie par la directrice. Elle l'a isolée sur une table au milieu de la SAM face à tous les résidents'.
A la rubrique 'les courriers' il évoque la situation d'un résident se plaignant d'être réveillé par les cris d'un résident et expose que cette situation n'a donné lieu à aucune réunion et qu'il a dû animer une conférence débat sur les troubles du comportement.
A la rubrique 'les sensations' M. [N] fait état de son ressenti par rapport au contrôle de son travail et de la manipulation du personnel.
Il apparaît, donc, qu'au terme d'un courrier de 5 pages joint aux 7 autres courriers qui dénoncent les mauvaises conditions de travail au sein de cette EPHAD, M. [N] a, avant toute chose, voulu mettre en évidence des dysfonctionnements, une pénurie de personnel et les mauvaises conditions de travail des équipes, la situation individuelle de deux résidents n'étant évoquée qu'à l'appui de sa démonstration.
En tout état de cause, M. [N] reconnaît lui-même dans ces écritures n'avoir ni recherché ni invoqué quelle que situation personnelle mais exclusivement des dysfonctionnements collectifs, il ne peut, dès lors, sans se contredire, rechercher la protection de l'article L.313-24 du code du travail dont il reconnaît ainsi lui-même ne pas relever.
Dès lors, la Cour constate que M. [N] n'a pas témoigné de mauvais traitement ou de privation infligés à une personne accueillie mais a dénoncé les conditions de travail du personnel de l'EPHAD qu'il estime mauvaise et nuisible à la qualité de la prise en charge des résidents.
Dans ces conditions, il ne peut valablement de prévaloir de l'immunité prévue par l'article L.313-24 du code de l'action sociale repris par l'article 16 du règlement intérieur.
D'autre part, M. [N] soutient être protégé par l'immunité édicté par les articles L.1132-3 et 1152-2 du code du travail, repris par l'article 15 du règlement intérieur de l'Association, qui interdisent le licenciement d'une personne qui témoignent de faits de discrimination ou de harcèlement moral.
Or, la Cour, à la lecture du courrier incriminé, ne relève aucune dénonciation de fait susceptible d'être qualifié de discrimination ou de harcèlement moral, la seule dénonciation de conditions de travail jugées mauvaises, de pénuries de moyens humains et financiers ne pouvant caractériser la notion de harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.
En conséquence de ce qui précède, la Cour juge que M. [N] ne peut valablement se prévaloir des immunités susvisées et, qu'en conséquence, son licen-ciement n'encourt pas la nullité.
- Sur le licenciement :
La lettre de licenciement pour faute grave dont les motifs énoncés fixent les limites du litige est intégralement retranscrite dans les écritures de l'intimé aux-quelles la Cour se reporte.
En application de l'article L.1235-1 du code du travail, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.
Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, le doute profitant au salarié.
Toutefois, la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur et tel est le cas en l'espèce.
La Cour rappelle que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Si le dénigrement qui s'entend du discrédit jeter afin de nuire à l'employeur constitue une faute grave privative des indemnités de licenciement, en revanche, l'exer-cice mesuré de la liberté d'expression d'un salarié ou d'un groupe de salarié mut par la volonté de faire connaître les difficultés rencontrées dans l'exercice de leur travail, ne saurait justifier la rupture du contrat de travail à condition de ne pas être proférées dans des conditions déloyales susceptibles de nuire à l'employeur.
En l'espèce, il est reproché à M. [N] d'avoir participé à la constitution d'un dossier dénigrant l'EPHAD [1], de l'avoir largement diffusé aux organismes et administrations habilités à l'autoriser et à la contrôler avant de l'envoyer aux adhérents de l'Association puis aux membres du conseil d'administration mettant ce dernier et sa présidente devant le fait accompli, et ce, dans l'intention de nuire à l'EPHAD.
Il est établi que M. [N] a participé à l'élaboration d'un document contenant les témoignages de 8 personnes ayant travaillé au sein de l'EPHAD [1] et que ce document a été transmis au Conseil Général, à l'ARS, à l'inspection du travail et à la médecine du travail avant d'être communiqué aux membres du conseil d'administration de l'Association Saint Joseph et à sa présidente tel que cela résulte de la mention : 'nous avons été récemment reçus par les responsables des organismes de tutelle à qui nous avons remis le document ci-joint' figurant dans la lettre de trans-mission qui leur a été adressée
M. [N] a rédigé un document de 5 pages recensant de nombreuses difficultés matérielles et humaines mais aussi des critiques formées à l'encontre de la directrice de l'établissement et plus largement sur le mode d'organisation et de gestion de l'établissement aboutissant selon lui à une réelle souffrance au travail du personnel et à l'insécurité des résidents.
Ce document est rédigé en des termes posés et ne contient aucune manifestation injurieuse ou grossière.
Les critiques avancées sont partagées par les autres personnes ayant participé à cette action mais aussi, par certains aspects, par Mme [T] qui a établi un rapport d'audit en 2008 et qui relève un certain nombre de points faibles faisant échos aux critiques de M. [N] comme des insuffisances au niveau de l'information avant les changements, une cohésion insuffisante de l'équipe des cadres et un manque de lisibilité du processus de décision.
Ce même audit a mis en garde la structure contre le risque d'un trop fort turn over du personnel.
Ces critiques ne sont, en revanche, pas partagées par l'ensemble du personnel de l'EPHAD comme le démontrent les attestations versées aux débats par l'employeur.
Dès lors, le contenu même du document n'apparaît pas constituer un acte de dénigrement mais plus exactement une critique partiellement partagée et argumentée du mode de fonctionnement de l'EPHAD et sa production ne peut en soi justifier une sanction disciplinaire.
Cependant, même si les critiques de M. [N] étaient connues de l'Association Saint Joseph, le fait d'avoir communiqué le document litigieux aux autorités de tutelles ainsi qu'à d'autres partenaires institutionnels avant de l'avoir communiqué à la directrice de l'EPHAD et au conseil d'administration de l'Association Saint Joseph constitue selon la Cour un acte de déloyauté caractérisé justifiant la
rupture immédiate de la relation de travail.
En conséquence de ce qui précède, la Cour juge que le licenciement de M. [N] est fondé sur une faute grave et le déboute de l'intégralité de ses demandes.
- Sur les autres demandes :
M. [N] sera condamné à payer à l'Association Saint Joseph la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
' Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire.
' Infirme le jugement attaqué en toutes ses autres dispositions.
Y substituant :
' Juge que le licenciement de M. [N] est fondé sur une faute grave.
' Déboute M. [N] de toutes ses demandes.
Y ajoutant :
' Condamne M. [N] à payer à l'Association Saint Joseph la somme de
1.000 € (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
' Condamne M. [N] aux dépens.
Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Anne-Marie Lacour-Rivière Maud Vignau