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24/09/2014 | FRANCE | N°12/06731

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 24 septembre 2014, 12/06731


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2014



(Rédacteur : Madame Maud Vignau, Président)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 12/06731











Monsieur [J] [E]



c/



SA Société Nationale des Poudres et Explosifs



SA Eurenco













Nature de la décision : AU FOND













Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 24 SEPTEMBRE 2014

(Rédacteur : Madame Maud Vignau, Président)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 12/06731

Monsieur [J] [E]

c/

SA Société Nationale des Poudres et Explosifs

SA Eurenco

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 octobre 2012 (RG n° F 11/00222) par le Conseil de Prud'hommes - formation de départage - de Bergerac, section Industrie, suivant déclaration d'appel du 23 novembre 2012,

APPELANT & INTIMÉ :

Monsieur [J] [E], né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 2], de nationalité française, demeurant [Adresse 2],

Représenté par Maître Elisabeth Leroux de la SCP Teissonnière - Topaloff & Lafforgue, avocats au barreau de Paris,

INTIMÉE & APPELANTE : suivant déclaration d'appel du 29 novembre 2012,

SA Société Nationale des Poudres et Explosifs, siret n° 715 013 432,

agissant en la personne de son Président Directeur Général Monsieur [K] [B] domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 1],

Représentée par Maître Vincent Campion de la SCP la Garanderie & Associés, avocats au barreau de Paris,

INTIMÉ :

SA Eurenco, siret n° 449 207 414, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 3],

Représentée par Maître Vincent Campion de la SCP la Garanderie &

Associés, avocats au barreau de Paris,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 juin 2014 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Maud Vignau, Président,

Monsieur Claude Berthommé, Conseiller,

Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

La Société Nationale des Poudres et Explosifs (SNPE) a été créée le 8 mars 1971 en remplacement du service des poudres de l'Armée, sur le site de [Localité 1] ouvert en 1915.

Ce site regroupait historiquement deux types d'activité la fabrication de

poudre et explosifs d'une part et la fabrication de nitrocelluloses d'autre part.

Jusqu'en 1992, l'ensemble des salariés du site travaillait pour le compte de la SNPE. A compter de l'année 1992, date de création de la société Bergerac NC, la production de nitrocelluloses a été filialisée, les salariés affectés à la fabrication de nitrocelluloses ont vu leur contrat transféré à BNC, ainsi qu' une partie des salariés du service maintenance.

Les salariés affectés à la fabrication des poudres et explosifs sont restés

salariés de la SNPE ainsi que ceux du secteur Nitrofilms, douilles combustibles et une partie des salariés du service maintenance.

***

L'article 41 de la loi de financement de la Sécurité Sociale du 23 décembre 1998 a mis en place en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante un dispositif de départ anticipé à la retraite avec l'Allocation de Cessation Anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), sous certaines conditions et notamment travailler ou avoir travaillé dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté, où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante.

Par arrêté ministériel du 25 mars 2003, pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, le site SNPE, situé à [Localité 1], a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA pour la période de 1972 à 1992.

Monsieur [J] [E], bénéficiaire de ce dispositif, a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bergerac (section industrie) le 29 septembre 2011 aux fins d'obtenir une indemnité en réparation du bouleversement de conditions d'existence et une indemnité en réparation de son préjudice d'anxiété.

Par jugement de départage du 23 octobre 2012, le juge départiteur a déclaré irrecevables les demandes de Monsieur [J] [E] contre Eurenco et a mis hors de cause Eurenco, a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SNPE, condamné la SNPE à verser à Monsieur [J] [E] :

- 12.000 € au titre du préjudice d'anxiété, et 300 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la société SNPE aux entiers dépens.

Monsieur [J] [E] et la SNPE ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions du 12 juin 2014 développées oralement à l'audience, Monsieur [J] [E] sollicite de la Cour qu'elle :

- confirme le jugement en ce qu'il a constaté qu'il avait été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société SNPE et subi des préjudices qu'il convient de réparer,

- condamne la société SNPE à lui verser, en réparation des troubles psychologiques, les sommes de : 30.000 €

- ordonne à la société SNPE de lui verser la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 16 juin 2014 développées oralement à l'audience, et auxquelles la cour se réfère expressement la SNPE sollicite de la Cour qu'elle ramène l'indemnisation de Monsieur [E] à de plus justes proportions.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

SUR CE, LA COUR

Sur le fond

Il n'est pas sérieux pour la SNPE de prétendre que les pièces à l'origine de

l'enquête ayant abouti au classement amiante du site SNPE de Bergerac pour la période de 1972 à 1992 ne lui seraient pas opposables, dans la mesure ou le salarié demandeur avait quitté son emploi avant la création de la société Bergerac NC. Alors qu'il ressort des conclusions même de la SNPE que jusqu'en 1992, l'ensemble des salariés du site travaillait pour le compte de la SNPE et que Bergerac NC est une des filiales du groupe SNPE.

C'est bien à la suite du décès en juin 2002 d'un salarié retraité, mort d'un

mésothéliome, cancer inhérent à l'exposition à l'amiante, qui occupait la fonction de bourrelier dans l'entreprise SNPE, durant la période de 1972 à 1992 qu'une des filiales du groupe SNPE, ayant son activité sur le site de [Localité 1], [Localité 1] NC, a saisi le 21 août 2002 la direction du travail dans le cadre du classement amiante du site SNPE. Le secrétaire du CHSCT dans ce courrier fait état : de la décontamination des bâtiments en 1998 mais de la subsistance de poussières et de joints amiantés jusqu'en 2002. Par ailleurs, les ateliers concernés sont signalés comme les ateliers de réparation, services infrastructure, électrique, chaufferie, bourrellerie, magasins généraux, chaudronnerie, entretien d'armax, meulage de joints dans des plaques de supranite sans protection , outre l'atelier de couleuse de film. Le personnel concerné est celui des ateliers de réparation et de la couleuse de film mais également l'ensemble du personnel vu la polyvalence au sein de l'entreprise.

Le 13 juin 2002, Monsieur [M] (responsable de cette filiale)

adressait des consignes en matière d'amiante, en indiquant : 'comme vous le savez, nous avons utilisé pendant de nombreuses années des matériaux contenant de l'amiante. Les ateliers d'entretien étaient très sales malgré de nombreux balayages, il reste dans tous les recoins des joints ou des morceaux de ces matériaux ; plus de la poussière qui a plus de trente ans, je vous demande de faire procéder à des prélèvements de poussières dans toutes les parties des bâtiments de l'entretien, ainsi que de vous équiper des moyens de nettoyage adaptés'.

La SNPE ne produit aucune pièce, aucune note, aucune directive,

permettant d'établir que durant toutes ces années, les salariés du site de [Localité 1] exposés au risque d'amiante, notamment Monsieur [E], ont bénéficié de protection individuelle ou collective d'information ou de formation sur les risques encourus en cas d'inhalation d'amiante ni même qu'elle a pris les mesures édictées par le décret du 17 août 1977, telles que la mesure de l'empoussièrement des locaux pour apprécier la quantité d'amiante résiduelle, la mise a disposition des salariés d'équipements de protection collective et/ ou individuelle afin de pallier les conditions de travail nocives ayant justifié l'inscription de la SNPE, site de [Localité 1] sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs à l'amiante.

L'employeur ne peut non plus utilement invoquer l'absence de mise en

garde contre l'utilisation de l'amiante pour s'exonérer de sa propre responsabilité alors qu'il ne justifie pas avoir mis en place les dispositifs de protection individuelle et collective ni les mesures d'empoussièrement qui relevaient de sa seule responsabilité, en application du décret du 17 août 1977.

Alors bien même que cette entreprise de taille importante disposait d'un

département juridique et d'un service de médecine légale, et avait donc eu ou aurait dû avoir conscience des dangers auxquels étaient exposés les salariés au contact de l'amiante.

Dès lors, la Cour ne trouve pas motif à réformer la décision attaquée qui par de justes motifs que la Cour adopte a dit que l'employeur qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger, du risque auquel étaient exposés les salariés de l'établissement de [Localité 1] n'a pas pris les mesures nécessaires pour les en préserver et a donc failli à son obligation de sécurité et de résultat en violation de l'article L.4121-1 du code du travail.

Sur le préjudice

Il est indéniable que les maladies consécutives à l'inhalation de fibres d'amiante surviennent plusieurs années, après l'exposition. Les salariés qui ont été exposés, sur le site de [Localité 1] à l'inhalation de poussières d'amiante sans bénéficier d'une protec-tion individuelle ou collective efficace, sont confrontés au risque de voir apparaître, une maladie douloureuse mettant en jeu leur pronostic vital. Ils se trouvent donc par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, propre à caractériser un préjudice spécifique

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d'anxiété. Il est constant toutefois que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare tous les troubles psychologique, y compris ceux liés au bouleversement dans

les conditions d'existence. En l'espèce, Monsieur [E] justifie avoir travaillé dans cet établissement entre 1972 et 1992, il a notamment travaillé de 1988 à 1991 à la chaufferie, en qualité d'ouvrier d'entretien, où il y avait énormément d'amiante (joints, plaques, tresses en amiante) et où de nombreuses fibres et poussières d'amiante étaient produites, il a manipulé, et été exposé à ces produits amiantés sans disposer d'aucune protection individuelle ni collective.

Monsieur [E] justifie avoir bénéficié de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

Monsieur [E] justifie donc avoir été victime d'une exposition à la fois

professionnelle et environnementale à l'amiante sans bénéficier d'une protection individuelle ou collective efficace. Il justifie donc se trouver par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, et subir de ce fait, un préjudice spécifique d'anxiété qui n'a pas été indemnisé par l'ACCATA.

Au vu des pièces et arguments produits par les parties, la Cour évalue la réparation de son préjudice d'anxiété à la somme de 10.000 € de dommages et intérêts, étant précisé que cette somme répare tous les troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

En conséquence, réforme la décision attaquée en ce qui concerne le préjudice de Monsieur [E].

L'équité et les circonstances de la cause commandent de condamner l'employeur qui succombe en son appel à verser à Monsieur [E] la somme de 200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

' Confirme la décision attaquée sauf en ce qui concerne le montant et la nature du

préjudice alloué à Monsieur [E].

Statuant à nouveau :

' Déclare recevables les demandes formées à l'encontre de la société SNPE par Monsieur [E].

' Condamne la société SNPE à verser à Monsieur [E] la somme de 10.000 € (dix mille euros) de dommages et intérêt en réparation des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

' Condamne la société SNPE à verser à Monsieur [E], la somme de 200 € (deux cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Et condamne la société SNPE aux entiers dépens.

Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M Lacour-Rivière M. Vignau


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 12/06731
Date de la décision : 24/09/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-09-24;12.06731 ?
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