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17/12/2013 | FRANCE | N°12/03620

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 17 décembre 2013, 12/03620


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 17 DÉCEMBRE 2013



(Rédacteur : Madame Isabelle Lauqué, Conseiller)

(PH)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 12/03620









Madame [A] [H], ès qualités d'ayant droit de son mari M. [N] [H] décédé le [Date décès 2] 2011



c/



SAS Marie Brizard & Roger International, mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce d

e Dijon en date du 3 juillet 2012



Maître [Z] [Y], mis hors de cause



Maître [R] [T], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA Marie Brizard & Roger International



C...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 17 DÉCEMBRE 2013

(Rédacteur : Madame Isabelle Lauqué, Conseiller)

(PH)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 12/03620

Madame [A] [H], ès qualités d'ayant droit de son mari M. [N] [H] décédé le [Date décès 2] 2011

c/

SAS Marie Brizard & Roger International, mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Dijon en date du 3 juillet 2012

Maître [Z] [Y], mis hors de cause

Maître [R] [T], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA Marie Brizard & Roger International

CGEA de Chalon sur Saône, mandataire de l'AGS du Sud-Est

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 juin 2012 (RG n° F 98/01916) par le Conseil de Prud'hommes - formation paritaire - de Bordeaux, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 21 juin 2012,

APPELANTE :

Madame [A] [H], ès qualités d'ayant droit de son mari M.

[N] [H] décédé le [Date naissance 1] 2011, née le [Date naissance 2] 1936 à [Localité 1] ([Localité 1]), de nationalité française, demeurant [Adresse 2],

Représentée par Maître Matthieu Barandas, avocat au barreau de Bordeaux,

INTIMÉE :

SAS Marie Brizard & Roger International, siret n° 454 200 064 00011, mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Dijon en date du 3 juillet 2012, [Adresse 1],

Représentée par Maître Audrey Fréchet de la SELAS Fidal, avocat au barreau de Bordeaux,

INTERVENANTS :

Maître [Z] [Y] de la SELAFA MJA, demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4],

Mis hors de cause,

Maître [R] [T], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la SA Marie Brizard & Roger International, demeurant [Adresse 3],

Représenté par Maître Audrey Fréchet de la SELAS Fidal, avocat au barreau de Bordeaux,

CGEA de Chalon sur Saône, mandataire de l'AGS du Sud-Est, pris en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 5],

Représenté par la SCP Philippe Duprat - Isabelle Aufort & Bertrand Gaboriau, avocats au barreau de Bordeaux,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 octobre 2013 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Maud Vignau, Président,

Monsieur Claude Berthommé, Conseiller,

Madame Isabelle Lauqué, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

*

Monsieur [N] [H] a été embauché par la société Marie Brizard par contrat du 1er mars 1962.

Par un nouveau contrat du 17 novembre 1970, il a été 'confirmé' dans sa fonction de directeur adjoint de la succursale de [E] [J] en Espagne.

Enfin, le 3 janvier 1978, un nouveau contrat succédant aux deux précédents prévoyait que ce dernier exercerait désormais les fonctions de directeur de la recherche et de l'application informatique sous l'autorité du Directoire.

Ce contrat autorisait M. [H] à cumuler son mandat de membre du directoire et sa fonction de directeur général avec son activité salariée.

Plusieurs avenants successifs portant sur des éléments de rémunération, sur les conditions financières de son départ à la retraite mais également sur la désignation des organes ayant autorité sur lui ont été signés.

Parallèlement à son statut de salarié, M. [H] a été nommé directeur général de la société [E] [J] à compter de 1972.

En 1985, la société a changé de forme statutaire pour devenir une société anonyme à conseil d'administration et le 24 avril 1987, M. [H] a été nommé président du Conseil d'Administration.

Par courrier du 22 avril 1997, M. [H] a été licencié.

Bénéficiant d'un préavis d'une durée d'un an devant expirer le 30 avril 1998 en vertu des dispositions de son contrat de travail, il a poursuivi son activité salariée.

Le 3 avril 1998, le Conseil d'Administration de la société a mis fin au mandat de M. [H], le révoquant de ses fonctions de président.

Son successeur aux fonctions de président du Conseil d'Administration a contesté la mesure de licenciement de M. [H] et a refusé de lui verser les importantes indemnités contractuellement prévues en cas de rupture.

M. [H] a fait valoir ses droits à la retraite courant mai 1998.

Le 18 mai 1998, il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux afin d'obtenir la condamnation de la société [E] [J] au paiement de diverses sommes à caractère salarial mais surtout, au paiement de son indemnité contractuelle de licenciement d'un montant de 735.022,38 €.

La société [E] [J] contestant l'authenticité de la lettre de licen-ciement a porté plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de M. [H].

Par jugement du 1er mars 1999, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

Par décision du 5 novembre 2009, le Tribunal Correctionnel de Bordeaux a renvoyé des fins de la poursuite M. [H] et M. [P], alors directeur des ressources humaines et rédacteur de la lettre de licenciement contestée, ainsi que M. [D] alors directeur juridique de la société et co-signataire avec M. [P] de la lettre de licenciement de M. [H].

Ce jugement a été confirmé par la Cour d'Appel de Bordeaux le 14 septembre 2010.

M. [H] est décédé le [Date décès 2] 2011 et son épouse Mme [X] veuve [H] a repris l'instance en cours.

Les débats devant le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux ont alors pu reprendre et par décision du 13 juin 2012, le Conseil a jugé que le licenciement de M. [H] en date du 22 avril 1997 était nul et de nul effet, que la rupture de son contrat de travail intervenue en avril 1998 était irrégulière et produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La SA Marie Brizard a été condamnée à payer à M. [H] les sommes suivantes :

- 183.252,00 € au titre du préavis,

- 18.325,20 € au titre des congés payés y afférents,

- 91.626,00 € à titre de dommages et intérêts.

D'autre part, le Conseil a condamné M. [H] à rembourser à la SA Marie Brizard la somme de 259.000 € perçue au titre du licenciement d'avril 1997.

Les parties ont été déboutées de leurs plus amples demandes.

Par jugement du Tribunal de Commerce de Dijon du 3 juillet 2012, une procédure de redressement judiciaire sur résolution du plan de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de la SA Marie Brizard.

Mme [X] veuve [H], venant aux droits de [N] [H] son époux décédé, a interjeté appel du jugement du Conseil de Prud'hommes.

Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l'audience du 28 octobre 2013 auxquelles la Cour se réfère expressément, l'appelante conclut à l'infirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné M. [H] à rembourser à la SA Marie Brizard la somme de 259.000 €.

Elle demande à la Cour de juger que M. [H] a fait l'objet d'une mesure de licenciement en sa qualité de salarié de la société [E] [J] le 22 avril 1977 et de condamner cette dernière à payer les sommes suivantes :

- 13.352,09 € au titre du solde de salaire du mois d'avril 1998,

- 1.334,69 € au titre des congés payés,

- 43.231,19 € au titre de l'indemnité de congés payés pour les exercices 1997/1998,

- 67.751,54 € au titre de la rémunération complémentaire sur le résultat pour l'exercice 1997,

- 6.772,09 € au titre des congés payés y afférents,

- 22.583,85 € au titre de la rémunération complémentaire sur l'exercice 1998 pour

la période du 1er janvier au 30 avril 1998,

- 2.258,38 € au titre des congés payés y afférents,

- 304,90 € au titre de la prime d'intéressement au titre de l'accord d'entreprise,

- 753.022,38 € au titre de l'indemnité contractuelle de licenciement,

et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine initiale du Conseil.

A titre subsidiaire, si la Cour estimait que le contrat de travail de M. [H] a été rompu au mois d'avril 1998, l'appelante entend voir juger que cette rupture s'analyse en un licenciement irrégulier sans cause réelle et sérieuse.

Sur ce fondement, elle demande le paiement, en sus des sommes déjà énumérées, d'une indemnité de préavis de 251.010,51 € et 26.777,97 € au titre des congés payés y afférents outre des dommages et intérêts à hauteur de 502.021,02 €.

Elle demande à la Cour de fixer sa créance aux montants précités, de juger que les dommages et intérêts seront alloués nets de cotisations sociales et CSG CRDS, d'ordonner la capitalisation des intérêts et de condamner la société Marie Brizard à lui payer la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [X] veuve [H] demande à la Cour de dire que l'arrêt à intervenir sera opposable aux AGS.

Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l'audience du 28 octobre 2013 et auxquelles la Cour se réfère expressément, la SA Marie Brizard demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

- jugé nul et de nul effet le licenciement de M. [H] notifié le 22 avril 1997,

- ordonné la restitution de la partie de l'indemnité contractuelle de licenciement versée à M. [H] à hauteur de 259.000 €,

- jugé que son contrat de travail était suspendu pendant la durée d'exécution de ses mandats sociaux,

- rejeté les demandes en paiement de rémunération, de congés payés et de prime.

En revanche, la société [E] [J] conclut à l'infirmation du jugement pour le surplus et demande à la Cour de juger que la rupture du contrat de travail de M. [H] ne lui est pas imputable et, en conséquence, de rejeter toutes ses demandes indemnitaires.

A titre reconventionnel, elle demande le remboursement de la somme de 259.000 € et le paiement d'une somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le CGEA de Chalon sur Saône intervient volontairement aux lieu et place du CGEA de Bordeaux.

Par conclusions régulièrement déposées et développées oralement à l'audience du 28 octobre 2013 et auxquelles la Cour se réfère expressément, il demande à la Cour de lui donner acte de son intervention, de déclarer irrecevable toute action tendant à la condamnation de la société [E] [J] par application de l'article L.622-21 du code de commerce et enfin de rejeter toutes les demandes de Mme [X] veuve [H].

A titre subsidiaire, le CGEA demande à la Cour de déduire la somme de 259.000 € de l'indemnité contractuelle de licenciement et de fixer à 26.379,65 € sa créance au titre des congés payés pour l'exercice 1997/1998.

Il entend voir préciser que l'arrêt à intervenir ne lui sera opposable que dans la limite légale de sa garantie.

DISCUSSION :

- Sur le licenciement notifié le 22 avril 1997

Mme [X] veuve [H] rappelle à la Cour la procédure pénale ayant opposé son époux à la société [E] [J] et les différentes décisions judiciaires.

Elle fait valoir que le jugement du Tribunal Correctionnel de Bordeaux et l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Bordeaux ont jugé que le contrat de travail de M. [H] était bien réel et que son licenciement était bien effectif.

Dès lors, elle soutient qu'en vertu du principe de l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, ces deux points ne peuvent être remis en cause.

Elle s'oppose à l'argumentation de la société [E] [J] et à la motivation du Conseil de Prud'hommes qui a retenu la nullité du licenciement du 22 avril 1997 en contradiction avec les décisions pénales et en l'absence de tout fondement textuel.

Elle soutient qu'en tout état de cause, seul le salarié pourrait se prévaloir d'une telle nullité.

La société [E] [J] rappelle que saisie de faits de faux, usage de faux, complicité et abus de biens sociaux, la juridiction pénale a jugé qu'il n'était pas établi que la lettre de convocation et la lettre de licenciement étaient des faux et qu'il n'était pas justifié du caractère fictif du contrat de travail en sorte que le délit d'abus de biens sociaux n'était pas établi.

Dès lors, elle soutient que ces décisions pénales ne privent ni le Conseil ni la Cour de leur pouvoir d'analyser la qualification juridique de la rupture du contrat de travail dès lors qu'ils ont compétence exclusive en la matière.

La société [E] [J] fait valoir que les seules personnes sous l'autorité desquelles travaillait M. [H], Messieurs [I] [H] et [O] [B], ne faisaient plus partie de la société depuis fin 1996 en sorte qu'à compter de cette date, M. [H] ne rendait plus compte à personne.

Dans ces conditions, en 1997, M. [H], président directeur général, était la seule personne détenant le pouvoir de licencier.

Dès lors, M. [P], directeur des ressources humaines, n'a pu signer la lettre de licenciement de M. [H] que sur délégation de ce dernier en sorte que M. [H] s'est licencié lui-même dans l'objectif de percevoir les primes substantielles de rupture.

La société [E] [J] conclut en conséquence à la nullité de ce licenciement.

Le CGEA expose que si l'authenticité de la lettre de licenciement ne peut plus être remise en cause, en revanche, la société [E] [J] peut en contester la valeur juridique ainsi que l'a rappelé l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de [Localité 2] du 14 septembre 2010.

En l'occurrence, aucun des deux signataires de cette lettre n'avait le pouvoir de licencier M. [H] dès lors qu'ils détenaient justement leur pouvoir de ce dernier.

Le CGEA conclut en conséquence à la nullité du licenciement du 22 avril 1997.

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.

D'autre part, le Conseil de Prud'hommes a compétence exclusive pour juger du contrat de travail.

Si la juridiction pénale fige la réalité d'un fait, le Conseil de Prud'hommes ne peut remettre en cause son existence mais reste compétent pour en apprécier la validité et les conséquences qui s'y attachent.

En l'espèce, la chambre des appels correctionnels de la Cour d'Appel de Bordeaux a jugé que le contrat de travail dont se prévalait M. [H] était bien réel, que la lettre de convocation et la lettre de licenciement de M. [H] n'étaient pas des faux et qu'en conséquence le licenciement était effectif en sorte que les délits de faux, usage de faux, complicité et abus de biens sociaux n'étaient pas constitués.

La Cour a pris soin de noter dans son arrêt que le défaut de qualité pour licencier n'impliquait pas fausseté de la lettre de licenciement et qu'il appartient au tribunal saisi de ce chef de se prononcer sur le bien fondé d'une demande de nullité d'actes.

Il est acquis aux débats que le contrat de travail de M. [H] était réel et n'avait rien de fictif et que la procédure de licenciement a été effectivement déclenchée par la lettre de convocation à l'entretien préalable et la lettre de licenciement toutes deux authentiques.

Si l'autorité de la chose jugée au pénal s'attache à ces deux points, le Conseil de Prud'hommes demeure seul juge de la validité de la rupture.

Saisi d'une demande en nullité du licenciement, il lui appartient donc de vérifier les conditions légales de la procédure de licenciement qui lui est soumise et dont l'existence n'est plus en cause.

En conséquence, le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée au pénal pour s'opposer à l'examen de la nullité du licenciement du 22 avril 1997 sera rejetée.

Le dirigeant d'une société peut cumuler son mandat social et un contrat de travail à conditions que ce dernier corresponde à un emploi effectif.

L'emploi effectif s'entend alors de l'exercice de fonctions techniques distinctes, d'une rémunération distincte et d'un état de subordination qui suppose que dans le cadre de son contrat de travail, le dirigeant salarié reçoive des directives de la société et soit soumis à son contrôle.

Dans le cadre d'une société anonyme, les articles L.225-22 et L.224-25 du code de commerce permettent à un administrateur de cumuler ses fonctions avec celles de salarié à la condition que le contrat de travail soit antérieur à sa nomination et qu'il remplisse les conditions générales précitées.

En cas de disparition du lien de subordination, le contrat de travail ne peut être maintenu et se voit donc suspendu pendant le temps de l'exercice du mandat social.

En l'espèce, l'effectivité du contrat de travail de M. [H] est acquise au débat.

La société [E] [J] est devenue une société anonyme à Conseil d'administration en 1985.

En avril 1987, M. [N] [H] a été nommé Président du Conseil d'Administration et par avenant à son contrat de travail en date du 24 avril 1987, il a été placé, dans ce cadre là, sous l'autorité de Messieurs [I] [H] et [O] [B], administrateurs.

La société Marie Brizard justifie aux débats du décès de M. [I] [H] survenu le [Date décès 1] 1996 à [Localité 3] et de la démission de M. [O] [B] suivant courrier du 13 juin 1996 adressé à M. [N] [H], président du Conseil d'Administration qui en a fait état lors de l'assemblée générale du 25 octobre 1996.

Il apparaît ainsi qu'à compter de décembre 1996, M. [H], directeur du Conseil d'administration, disposant à ce titre de l'ensemble des pouvoirs de la société et donc de celui de procéder à des licenciements éventuellement en déléguant ce pouvoir, n'était plus, dans son activité salariée, soumis à l'autorité et au contrôle de qui que ce soit représentant la société.

En conséquence, son contrat de travail a été automatiquement suspendu du fait de la disparition de tout lien de subordination.

En sa qualité de président du Conseil d'Administration, M. [H] disposait au plus haut niveau de la hiérarchie du pouvoir de licencier et pouvait déléguer ce pouvoir à son directeur des ressources humaines M. [P].

En revanche, eu égard à sa qualité de président du Conseil d'Adminis-tration d'une part et à la disparition de tout lien de subordination vis à vis de la société à compter de décembre 1996, force est de constater que seul le conseil d'administration avait le pouvoir de licencier M. [H].

Il résulte du courrier du 12 mai 1998 adressé par M. [P], directeur des ressources humaines à M. [K] nouveau président du Conseil d'administration de [E] [J] que la lettre de licenciement du 22 avril 1997 a été adressée à M. [H] à la demande de ce dernier.

Il résulte des attestations de Messieurs [V] [W] et [S] [H], tous deux membres du conseil d'administration de la société Marie Brizard que le licenciement de M. [N] [H] n'a jamais été évoqué.

Dès lors, il apparaît que l'employeur de M. [H] n'a jamais décidé à son encontre d'une mesure de licenciement et que la procédure diligentée à compter du mois d'avril 1997 l'a été à la demande de M. [H] lui-même qui cumulait dans ce cadre à la fois la qualité de salarié et d'employeur.

Dès lors, la Cour constate que M. [H] et encore moins M. [P] et M. [D] qui détenaient alors leur pouvoir de licencier par la seule délégation de ce dernier, n'avaient le pouvoir de décider de son propre licenciement.

La société [E] [J] qui a toujours contesté la réalité de ce licen-ciement ne l'a nullement validé postérieurement.

La nullité d'un licenciement peut être prononcée dans des cas prévus par la loi tendant à protéger des catégories de salariés ou sanctionner des motifs de licenciement limitativement énumérés mais également à raison de la violation d'une liberté fondamentale.

Dans ces cas, la nullité du licenciement tend à la protection du salarié qui seul peut l'invoquer.

Cependant, dés lors que l'acte est passé par une personne dépourvue de toute qualité à agir et à l'insu de l'employeur, ce n'est pas seulement sa régularité qui est en cause mais plus fondamentalement sa validité intrinsèque.

Dès lors, la rupture d'un contrat de travail décidé par un salarié et non par son employeur ne saurait s'analyser en un licenciement.

La procédure de licenciement diligentée dans ces conditions est alors nulle et de nul effet.

En conséquence, jugeant que le licenciement de M. [H] n' a pas été décidé par l'employeur qui ne l'a, par la suite, jamais ratifié, la Cour considère que ce licenciement est entaché de nullité au motif qu'il a été prononcé par M. [P] directeur des ressources humaines sur instruction du salarié et sans aucune directive de l'employeur.

La décision du Conseil de Prud'hommes de Bordeaux tendant à l'annulation du licenciement de M. [H] du 22 avril 1997 sera donc confirmée.

- Sur la situation des parties en 1998 et l'imputabilité de la rupture des relations de

travail :

Mme [H] fait valoir que si le licenciement de 1997 devait être annulé, il conviendrait de constater que la rupture du contrat de travail survenue sans forme en 1998 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et justifie donc le versement d'indemnité de préavis et des dommages et intérêts.

Elle conteste la décision du Conseil qui a jugé ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sans faire droit à la demande au titre de l'indemnité conven-tionnelle de licenciement.

D'autre part, elle conteste l'argumentation selon laquelle son époux aurait implicitement démissionné en organisant son départ à la retraite.

Elle explique que son époux a été écarté de la société dés le 3 avril 1998, sans bureau et sans rémunération alors qu'il était en cours d'exécution de son préavis et qu'il n'a fait valoir ses droits à la retraite que le 18 mai 1998 en réaction à la position de son employeur pour ne pas rester sans ressources.

La société Marie Brizard fait valoir que M. [H] avait organisé son départ et qu'il a cessé de se présenter au sein de la société à compter du 30 avril 1998.

Elle soutient que la situation née de l'auto-licenciement de M. [H] doit produire les effets d'une démission n'ouvrant droit à aucune indemnité.

Elle fait valoir que M. [H] ne peut invoquer sa propre turpitude au soutien de sa demande et rappelle que ce dernier avait en réalité orchestré son départ à la retraite.

Le CGEA expose que la société [E] [J] n'a jamais manifesté d'une quelconque façon sa volonté de rompre le contrat de travail de M. [H] et qu'en conséquence, il s'est poursuivi jusqu'à la date à laquelle M. [H] a fait valoir ses droits à la retraite soit le 6 mai 1998.

La rupture du contrat de travail résulte de la volonté de l'employeur ou de celle du salarié ; elle peut aussi résulter de la prise d'acte du salarié motivée par les manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles ; elle peut enfin résulter du départ à la retraite du salarié.

Le juge doit rechercher à travers les faits l'exacte qualification de la situation des parties et n'est pas lié par celle qu'elles ont entendu lui donner.

En l'espèce, M. [H] et la société [E] [J] étaient liés par le contrat de travail du 3 janvier 1978 qui, s'il avait été suspendu jusqu'à la révocation du mandat social de M. [H], avait repris toute son actualité à compter du 3 avril 1998.

Ce contrat de travail prévoyait en son article 8 qu'à l'age de 65 ans ou antérieurement, s'il pouvait liquider ses pensions de retraite sans abattement, M. [N] [H] prendrait sa retraite.

Cet article a été modifié comme suit par avenant du 5 novembre 1986 :

'A partir de l'âge de 65 ans, M. [N] [H] pourra prendre sa retraite ou être mis à la retraite ''

M. [N] [H], né le [Date naissance 3] 1933, a eu 65 ans le 6 mai 1998.

Par courrier du 18 mai 1998, il a formalisé auprès de sa caisse de retraite sa demande de retraite avec effet au 1 mai 1998.

D'autre part, il résulte des pièces de la procédure et notamment des éléments contenus dans la motivation de l'arrêt de la Chambre des appels correctionnels de Bordeaux du 14 septembre 2010, que M. [N] [H] a reconnu 'avoir pris la décision de cesser son activité dés 1996 et il ajoutait qu'il n'était pas le premier dans la société à bénéficier d'une telle procédure, à savoir une procédure de licenciement qui masquait un accord. Il s'agissait en quelque sorte d'une porte de sortie, de faire bénéficier ces cadres salariés d'indemnités substantielles et au surplus défiscalisées'.

M. [D], co-signataire de la lettre de licenciement, a également reconnu que M. [N] [H] avait manifesté son intention de quitter son employeur de la sorte à l'approche de ses 65 ans et qu'il l'avait sollicité pour trouver la meilleure solution.

Il a également reconnu qu'il connaissait la position du Conseil d'Adminis-tration et qu'il souhaitait que tout reste confidentiel pour ne pas ajouter aux dissensions.

Il résulte de ces éléments que dès 1996, M. [N] [H] avait pris sa décision de quitter la société pour prendre sa retraite à 65 ans, qu'en 1997, il a manifesté clairement son intention de partir à la retraite auprès de M. [P] et de M. [D] et a organisé ce départ dans les meilleures conditions financières possibles avec le directeur des ressources humaines et le directeur juridique de la société Marie Brizard.

La Cour relève que ces deux salariés étaient alors sous l'autorité directe de M. [N] [H] en sa qualité de directeur du Conseil d'Administration, n'avaient plus aucun interlocuteur habilité par le Conseil s'agissant du contrat de travail de M. [H] dès le mois de décembre 1996 et connaissant la position du Conseil avaient préféré agir en toute discrétion.

Ainsi, la Cour estime donc que M. [N] [H] a clairement manifesté sa volonté de quitter son employeur à l'échéance de sa retraite, que cette volonté clairement exprimée et non équivoque s'est traduite sans ambiguïté devant M. [P] et M. [D] qui l'ont reconnu en justice et que ce départ volontaire a été organisé dans le cadre d'une procédure de licenciement déclenchée à l'initiative du salarié dans le but de percevoir de substantielles indemnités avec la complicité de deux subordonnés.

Mais la fraude corrompt tout et il appartient au juge de donner aux faits leur exacte qualification en présence d'une situation juridique apparente résultant d'un montage.

En conséquence, la Cour considère que la rupture du contrat de travail de M. [N] [H] s'analyse en une démission qui a été différée dans le temps du fait d'un montage juridique destiné à la masquer derrière une procédure de licenciement dans le but d'obtenir des indemnités importantes.

Dès lors, jugeant que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission et réformant sur ce point la décision des premiers juges, Mme [H] sera déboutée de toutes ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail de M. [N] [H].

- Sur les demandes salariales :

Mme [H] demande le paiement des sommes suivantes au titre de l'exécution du contrat de travail :

- 13.352,09 € au titre du solde de salaire du mois d'avril 1998,

- 1.334,69 € au titre des congés payés,

- 43.231,19 € au titre de l'indemnité de congés payés pour les exercices 1997/1998,

- 67.751,54 € au titre de la rémunération complémentaire sur le résultat pour l'exercice 1997,

- 6.772,09 € au titre des congés payés y afférents,

- 22.583,85 € au titre de la rémunération complémentaire sur l'exercice 1998 pour la période du 1er janvier au 30 avril 1998,

- 2.258,38 € au titre des congés payés y afférents,

- 304,90 € au titre de la prime d'intéressement au titre de l'accord d'entreprise.

La société [E] [J] fait valoir que le contrat de travail de M. [H] était suspendu depuis le 24 avril 1987, qu'en conséquence, il ne pouvait se voir appliquer le statut de salarié sur cette période et que s'agissant des congés payés, il n'est pas démontré que M. [H] avait été empêché des les prendre.

Le CGEA conteste le montant des sommes réclamées et fait observer que Mme [H] ne justifie pas du bien fondé de sa demande.

La disparition de tout lien de subordination entre M. [H] et la société [E] [J] à compter de décembre 1996 date du décès de M. [I] [H] sous la seule l'autorité duquel M. [H] était placé depuis la démission de M. [O] [B] en juin 1996, a automatiquement suspendu son contrat de travail compte tenu de son mandat social.

La suspension du contrat de travail a pour conséquence de dispenser le salarié de fournir un travail et en contre partie, l'employeur n'est plus tenu du paiement du salaire.

Le contrat de travail de M. [N] [H] a été suspendu jusqu'au 3 avril 1998 et rompu de son fait à compter du 1er mai 1998 date à laquelle il a demandé à voir rétroagir la prise d'effet de sa mise à la retraite.

Le salaire correspondant à la période du 3 avril au 1er mai 1998 est donc dû.

En conséquence, c'est à tort que le Conseil a débouté Mme [H] de sa demande en paiement du salaire d'avril 1998 et il y a lieu de fixer sa créance de ce chef à la somme de 13.352,09 € outre la somme de 1.334,69 € au titre des congés payés afférents et de dire que ces sommes produiront intérêt de retard à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes compte tenu de leur caractère salarial.

Cependant, en application de l'article L.622-28 du code de commerce, le jugement du Tribunal de Commerce qui a prononcé l'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société Marie Brizard a arrêté le cours des intérêts légaux. C'est pourquoi les intérêts légaux ne sont dus que jusqu'au 3 juillet 2012.

En revanche, le contrat de travail étant suspendu depuis décembre 1996, la demande au titre des congés payés sur les années 1997 et 1998 ainsi que la demande de rémunération complémentaire sur l'exercice 1997 seront rejetées.

Sur l'exercice 1998, M. [N] [H] aurait eu droit à un prorata pour la seule période du 3 au 30 avril 1998 mais en l'absence de tous éléments comptables ou de nature à justifier le montant réclamé, cette demande sera également rejetée.

Mme [H] se prévaut d'un accord d'entreprise pour demander le paiement d'une somme de 2.000 € au titre d'une prime d'intéressement 1998.

Cet accord n'étant pas produit aux débats, la Cour n'est pas en mesure d'en vérifier le bien fondé tant dans son principe que dans son montant.

En conséquence, cette demande sera également rejetée.

- Sur la demande reconventionnelle de la société [E] [J] :

La société Marie Brizard expose que M. [H] a perçu la somme de 259.000 € correspondant à une partie de son indemnité de licenciement payée par la société Winterthur dans le cadre d'un contrat qui s'analyse en un mandat de régler pour le compte de la société.

Elle soutient que dans la mesure ou le licenciement de M. [H] est nul, cette partie d'indemnité de licenciement doit lui être remboursée.

Mme [H] fait valoir que la société Marie Brizard n'a jamais démontré que cette somme avait été réglée à titre d'avance sur l'indemnité de licenciement de son époux.

Elle précise que [E] [J] avait un contrat 'indemnité de fin de carrière' avec la société Winterthur dans le cadre d'un contrat d'assurance de groupe et que dans ce cadre elle versait des cotisations.

Elle soutient qu'en conséquence, seule la société Winterthur a qualité pour réclamer le remboursement de la somme de 259.000 €.

Le CGEA fait observer que les sommes payées par la société Winterthur doivent venir en déduction des sommes qui seraient dues à M. [H] au titre de la rupture du contrat et qu'elles ne sauraient en aucun cas se cumuler.

Il expose enfin que cette somme couvre l'indemnité qui était due à M. [H] au titre de son départ à la retraite.

Il est acquis aux débats que la somme de 259.000 € dont le rembour-sement est réclamé par la société [E] [J] a été payée à M. [H] par la société Winterthur.

La société [E] [J] ne justifie pas à la Cour de sa qualité à réclamer le remboursement d'une somme qu'elle n'a pas payée.

En conséquence, sa demande sera déclarée irrecevable.

- Sur les autres demandes :

Mme [X] veuve [H] sera condamnée à payer à la société [E] [J] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt est opposable au CGEA de Chalon sur Saône dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

' Confirme le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a :

- jugé que le licenciement de M. [H] du 22 avril 1997 était nul et de nul effet.

- débouté Mme [H] des ses demandes formulées au titre de l'indemnité de congés payés pour les exercices 1997/1998, au titre de la rémunération complémentaire sur le résultat pour l'exercice 1997, au titre des congés payés y afférents, au titre de la rémunération complémentaire sur l'exercice 1998 pour la période du 1er janvier au 30 avril 1998, au titre des congés payés y afférents, au titre de la prime d'intéressement.

' Réforme le jugement attaqué en toutes ses autres dispositions.

Y substituant :

' Dit que le contrat de travail de M. [H] a pris fin du fait de sa démission.

' Déboute Mme [H] de toutes ses demandes indemnitaires formulées au titre de la rupture du contrat de travail de M. [H].

' Fixe la créance de Mme [H] aux sommes suivantes :

- 13.352,09 € (treize mille trois cent cinquante deux euros et neuf centimes) au titre du solde du salaire d'avril 1998 de M. [N] [H] avec intérêts de retard au taux légal à compter du 18 mai 1998 et jusqu'au 3 juillet 2012.

- 1.334,69 € (mille trois cent trente quatre euros et soixante neuf centimes) au titre des congés payés afférents avec intérêts de retard au taux légal à compter du 18 mai 1998 et jusqu'au 3 juillet 2012.

' Dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts de retard.

' Déclare irrecevable la demande en remboursement de la somme de 259.000 € (deux cent cinquante neuf mille euros) formée par la société Marie Brizard.

' Condamne Mme [H] à payer à la société [E] [J] la somme de

3.000 € (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

' Dit que le présent arrêt est opposable au CGEA de Chalon sur Saône dans la limite légale de sa garantie.

' Condamne Mme [H] aux dépens.

Signé par Madame Maud Vignau, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M Lacour-Rivière M. Vignau


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 12/03620
Date de la décision : 17/12/2013

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°12/03620 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-12-17;12.03620 ?
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