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26/02/2013 | FRANCE | N°12/02203

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 26 février 2013, 12/02203


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 26 FÉVRIER 2013



(Rédacteur : Madame Raphaëlle Duval-Arnould, Conseiller)

(PH)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 12/02203











SAS Carrefour Hypermarchés



c/



Monsieur [F] [Y]

















Nature de la décision : AU FOND











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Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à la Cour : j...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 26 FÉVRIER 2013

(Rédacteur : Madame Raphaëlle Duval-Arnould, Conseiller)

(PH)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 12/02203

SAS Carrefour Hypermarchés

c/

Monsieur [F] [Y]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 décembre 2010 (RG n° F 08/00108) par le Conseil de Prud'hommes - formation de départage - de Libourne, section Commerce, suivant déclaration d'appel du 11 janvier 2011,

APPELANTE :

SAS Carrefour Hypermarchés, siret n° 451 321 335, agissant en la

personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 1],

Représentée par Maître Sylvain Coat-Rolland, avocat au barreau de Paris,

INTIMÉ :

Monsieur [F] [Y], né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 4] ([Localité 4]), de nationalité Française, demeurant [Adresse 3],

Représenté par Maître Myriam Laguillon, avocat au barreau de Bordeaux,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 octobre 2012 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Raphaëlle Duval-Arnould, Conseiller chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte Roussel, Président,

Madame Raphaëlle Duval-Arnould, Conseiller,

Madame Marie-Luce Grandemange, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

M. [F] [Y] a été engagé à compter du 4 janvier 1977 en qualité de technicien 'blanc' par la SA Sogara exploitant sous l'enseigne Carrefour Mérignac.

Il était transféré à compter du 1er décembre 1997 à l'établissement Carrefour SAV Sud-Ouest en qualité de technicien 'gros matériel'.

Par avenant du 1er mars 2000, sa qualification était confirmée en qualité de technicien SAV niveau 3 des accords d'entreprise.

Désigné délégué syndical dès 1998, M. [Y] a exercé des mandats auprès du comité d'entreprise, au niveau national et de défenseur syndical auprès du Conseil de Prud'hommes en 2002. En 2004, il était assesseur au Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale et conseiller prud'homme.

En juin 2004, il a été reconnu travailleur handicapé par la COTOREP.

Après des avis d'aptitude provisoire avec restrictions en date des 30 septembre 2004 et 31 mai 2005, le médecin du travail déclarait M. [Y], lors des visites de reprise des 26 janvier et 9 février 2006, inapte au poste occupé avec proposition d'un poste de reclassement.

A compter du 13 février 2006, M. [Y] était reclassé à un poste de conseiller administratif et comptable, niveau 3B. En juin 2007, il a fait l'objet d'un mi-temps thérapeutique.

S'étant vu opposer un refus de prise en charge à la suite de sa déclaration d'une maladie professionnelle le 6 décembre 2007 par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, puis par la commission de recours amiable, M. [Y] a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, l'affaire étant actuellement pendante devant le Tribunal de Mont-de-Marsan.

Dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, M. [Y] s'est porté volontaire pour un départ volontaire, une rupture d'un commun accord était signée le 13 octobre 2008, après autorisation de l'inspecteur du travail. Le plan de sauvegarde de l'emploi a ensuite été annulé par la Cour d'Appel de Toulouse.

Entre temps, le 6 juin 2008, M. [Y] avait saisi le Conseil de Prud'hommes de Libourne pour obtenir paiement de dommages-intérêts pour discrimination syndicale et pour manquement à l'obligation de protection de la santé et présenter diverses demandes salariales.

Par jugement en date du 13 décembre 2010, le Conseil de Prud'hommes de Libourne, sous la présidence du juge départiteur, a renvoyé M. [Y] à mieux se pourvoir en ce qui concerne ses demandes au titre du non respect par l'employeur de l'obligation d'assurer la sécurité et la santé de l'employé, a condamné la SAS Carrefour Hypermarchés à payer à M. [Y] les sommes de 27.225 € à titre de dommages-intérêts en réparation de la discrimination syndicale, de 17.105 € à titre de rappel de primes de résultats, outre congés payés afférents, les primes de participation et d'intéressement

devant être recalculées au regard de la modification de salaire, de 5.670 € à titre de prise en charge des frais de nettoyage des tenues de travail, de 43.745,92 € à titre de complément d'indemnité de départ dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi, de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les créances indemnitaires produisant des intérêts au taux légal à compter du jugement, ainsi qu'à remettre des bulletins de salaire rectifiés, rejetant le surplus des demandes.

La SAS Carrefour Hypermarchés a relevé appel du jugement.

Entendue en ses observations au soutien de ses conclusions auxquelles il est fait expressément référence, elle demande de déclarer recevable son appel, de débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, de dire, sur l'entretien des tenues de travail, à titre principal qu'il n'existe pas d'obligation de prise en charge, à titre subsidiaire de rapporter la somme sollicitée à celle de 186 €, d'ordonner le rembour-sement des sommes indûment versées au titre de l'exécution provisoire et de condamner le salarié à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions développées oralement auxquelles il est fait expressément référence, M. [F] [Y] demande de confirmer le jugement en ce qui concerne les sommes allouées, exceptés les dommages-intérêts pour discrimination syndicale qu'il entend voir élever à la somme de 40.000 €, de le réformer pour le surplus, de retenir à son profit les manquements graves de l'employeur à l'obligation de protection de la santé et de la sécurité physique, de condamner la SAS Carrefour Hypermarchés à lui payer les sommes de 120.000 € à ce titre, de 9.911,74 € à titre de rappel de salaires pour la qualification de technicien express niveau IV, outre congés payés afférents et de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, toutes sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter de la date de dépôt des demandes, ainsi qu'à lui remettre des bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard.

Pour plus ample exposé des circonstances de fait, de la procédure et des prétentions des parties, il convient de se référer au jugement déféré et aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs

M. [Y] soutient que le seul fait qu'il ait saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale pour contester la décision de commission de recours amiable ne saurait fonder en droit la décision du Conseil de prud'hommes de se déclarer incompétent en vertu de l'article L.451-1 du code de la sécurité sociale, que n'étant à ce jour affecté d'aucune pathologie professionnelle, il est parfaitement fondé à demander réparation du préjudice subi du fait du manquement grave de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, sur le fondement des règles de la responsabilité de droit commun.

Il convient de constater que le premier juge a considéré que la demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs prévue à l'article L.4121-1 du code du travail n'était pas recevable, au motif que M. [Y] a effectué un recours sur le refus de recon-naissance de maladie professionnelle, se réservant la faculté d'invoquer ultérieurement la faute inexcusable de l'employeur, devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale qui a, conformément à l'article L.451-1 du code de la sécurité sociale, compétence exclusive pour statuer sur les actions en réparation des accidents du travail et les maladies professionnelles, sous réserve des dispositions relatives à la faute inexcusable ou intentionnelle de l'employeur.

Cependant, dès lors que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale n'a pas encore statué sur le caractère professionnel ou non de la maladie, M. [Y] qui n'établit donc pas l'impossibilité de prise en charge de son affection aux genoux au titre de la législation des maladies professionnelles, ne saurait, en toute bonne foi et sans attendre la décision définitive du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, solliciter le sursis à statuer du Conseil de Prud'hommes, ni demander réparation de préjudices qui, de fait, relèvent de la juridiction de sécurité sociale au cas où la maladie professionnelle serait reconnue, et éventuellement la faute inexcusable.

Or, il convient de constater qu'à comparer les explications et les présentes conclusions de M. [Y] avec sa requête déposée le 20 novembre 2008 devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale et le jugement de celui-ci en date du 11 juin 2012, le salarié invoque principalement les mêmes faits et manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat devant l'une et l'autre juridiction.

M. [Y] n'est donc pas recevable à soutenir qu'il peut demander

réparation du préjudice causé par les manquements de l'employeur dont il a été victime en ce qui concerne la période antérieure à l'apparition de l'affection, puisque c'est au cours de cette période que la maladie est susceptible de trouver son origine.

Il s'ensuit que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale en étant saisi, la juridiction prud'homale est compétente, non pas en ce qui concerne les conditions antérieures à l'apparition de la maladie, mais sur un éventuel manquement à l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé du travailleur après la survenance de la maladie constatée en 2003, étant observé toutefois que la pratique antérieure de sports sollicitant les articulations des genoux, tels que le rugby et l'équitation, ne sont pas à exclure dans la survenance de la pathologie.

Dès lors, il y a lieu de rechercher si la société Carrefour a commis ou non des manquements à son obligation et a pris ou non en compte l'état de santé de M. [Y] à compter des années 2003-2004, notamment en adaptant son poste de travail ou en l'affectant à un poste ne sollicitant pas ses genoux.

M. [Y] soutient qu'en ne tenant pas compte des observations et recom-mandations du médecin du travail, l'employeur n'a pas respecté le caractère impératif de l'obligation de reclassement à laquelle il est tenu (article L.1226-2 du code du travail) concernant la mutation ou transformation de poste, que pendant presque 16 mois, du 30 septembre 2004 au 10 février 2006, il a volontairement violé son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et a refusé de respecter les dispositions de la convention collective Carrefour.

Sur la fiche médicale d'aptitude du 30 septembre 2004, la première produite à mentionner des restrictions, le médecin du travail mentionnait 'aptitude provisoire, en limitant autant que possible les positions à genoux (...) une mutation à un autre poste (...) serait souhaitable.', avis qu'il maintenait lors de deux examens en 2005, ajoutant dans le second qu''une mutation (...) va devenir nécessaire à court terme'.

Il y a lieu de relever qu'il ne s'agit pas d'avis d'inaptitude, mais d'aptitude comportant des restrictions, et par conséquent sans obligation de reclassement par l'employeur conformément à l'article L.1226-7 du code du travail. En outre, M. [Y] reconnaît dans ses écritures qu'à la suite d'un entretien début octobre 2003 avec M. [L], son directeur, qu'il décrit proche des salariés, ce dernier, malgré ses recherches, n'a pu lui trouver une autre poste compatible avant son départ de l'établissement fin juin 2004. Il ne saurait donc pour cette période invoquer de manquements à l'obligation susvisée.

Par ailleurs, il convient de constater qu'en 2004 et 2005 notamment, comme en justifie la société Carrefour, M. [Y], qui avait un horaire hebdomadaire à temps partiel de 30 heures sur 4 jours, travaillait en moyenne 10 à 12 jours par mois, dès lors qu'il avait de nombreuses heures de représentation ou de délégation syndicale et qu'il avait été élu en septembre et octobre 2004 conseiller prud'homme et assesseur au Tribunal des affaires de sécurité sociale. La société Carrefour soutient, en outre, que le nombre de kilomètres à parcourir pour effectuer les dépannages avait été réduit, ce que M. [Y] conteste. Il en résulte une moindre contrainte physique des genoux que pour un emploi à plein temps et sans délégation.

En outre, si M. [Y] a présenté plusieurs demandes de changement de poste ou mutation, principalement au cours de l'année 2005, et notamment de poste de technicien express, il ne peut affirmer, sans en justifier, que le poste de technicien express, créé et proposé dans l'entreprise, a été volontairement retiré pour les établis-sements de Gironde lorsqu'il s'y est porté candidat en raison de ses activités syndicales, ce poste étant compatible avec son état de santé.

En effet, il ressort des pièces produites par la société Carrefour que tous les postes de technicien express des services après vente en France n'étaient pas 'ouverts' et que la décision en revenait aux directeurs des établissements concernés dont ne dépendait pas M. [Y], étant observé qu'il ne s'est porté candidat que sur les postes proposés en la région bordelaise, à l'exclusion de tout autre. La société Carrefour invoque également le fait que ces postes étaient destinés en priorité aux techniciens 'bruns', par opposition aux techniciens 'blancs' dont M. [Y] faisait partie.

En outre, il ressort de l'échange de courriers entre M. [Y] et l'employeur durant cette période jusqu'à l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date des 26 janvier et 9 février 2006, que les postes demandés par M. [Y], celui-ci n'étant pas 'mobile', se situaient sur les établissements de [Localité 6] et [Localité 5], que, cependant, si l'employeur a répondu qu'il étudiait la possibilité d'un aménagement du poste et prenait note de sa demande de changement de poste, il ne justifie pas de démarche particulière en ce sens, si ce n'est une diminution des trajets en voiture.

Or, il apparaît qu'aucune proposition de poste compatible avec son état de santé n'a été faite à M. [Y] pendant un an et demi, malgré les préconisations du médecin du travail, alors que, quand le médecin du travail a déclaré M. [Y] inapte définitif à son poste les 26 janvier et 9 février 2006, la société Carrefour, sur qui pesait alors l'obligation de reclasser le salarié inapte physiquement conformément à l'article L.1226-7 du code du travail, a aussitôt, par courrier du 10 février 2006, proposé deux postes compatibles avec son état de santé à M. [Y] qui a accepté l'un d'eux.

Dès lors, il y a lieu de constater que la société Carrefour, qui ne justifie d'aucune recherche sérieuse d'un poste approprié à l'état de M. [Y] ou d'une impossibilité temporaire avant l'avis d'inaptitude, a, pour le moins, tardé et commis une négligence, alors qu'elle était tenue d'assurer le sécurité et de protéger la santé de son salarié.

Cependant, au vu des éléments susvisés, M. [Y] ne justifie pas d'un préjudice de 'bouleversement dans les conditions d'existence' à hauteur de la somme de 120.000 € réclamée en relation avec le seul manquement à l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé du salarié retenu. En effet, il ne saurait sérieusement prétendre être dédommagé pour des éléments de préjudices allégués sans relation avec celui-ci, notamment pour obtenir le remboursement du prix d'achat d'un cheval d'agrément et la prise en charge pendant dix ans du coût de l'entretien de ce cheval, en précisant qu'il était trop vieux pour être vendu (sic).

De même, ne sauraient être pris en charge par l'employeur, au titre de la réparation du préjudice présentement subi, l''atteinte à sa carrière d'artiste peintre' et l''inévitable baisse significative de sa notoriété' que M. [Y] évalue en une perte conséquente de revenus sur dix ans, outre l'obligation d'arrêter une carrière de 'monosobio' et l'achat d'un véhicule aménagé pour handicapé, outre un préjudice physique et psychologique et la démission contrainte de ses fonctions de délégué et représentant syndical, éléments de préjudice relevant de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale.

Dans ces conditions, au vu des éléments susvisés, la Cour a les éléments suffisants d'appréciation pour fixer la réparation du préjudice résultant du manquement à l'obligation d'assurer la santé et de protéger la santé du salarié par le retard et le défaut de diligences suffisantes à la somme de 5.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision d'appel qui l'a accordée, en application de l'article 1153-1 du code civil.

La demande de capitalisation des intérêts échus sur les condamnations prononcées est de droit, pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

Sur la discrimination syndicale

Aux termes de l'article L.2141-5 du code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

En application de l'article L.1134-1 du code du travail, s'il appartient au salarié qui s'estime victime d'une discrimination ou d'une inégalité de traitement d'apporter les éléments susceptibles de caractériser une atteinte à celle-ci et il incombe à l'employeur d'établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

En ce qui concerne le poste de technicien express niveau IV, M. [Y] n'établit pas, ainsi que précédemment exposé, que la société Carrefour ait refusé de créer ce poste, sa décision de retirer le poste initialement projeté étant justifiée par des mesures objectives d'organisation, qui ne saurait viser M. [Y] personnellement, ni sa qualité de délégué syndical.

En ce qui concerne la prime de résultat, M. [Y] ne saurait, en toute bonne foi, remettre en cause un avenant à son contrat de travail qu'il a signé le 1er décembre 1997, modifiant la structure de sa rémunération, notamment par une prime différentielle regroupant trois primes, conformément à l'accord d'établissement du 7 février 1997, alors que la rémunération globale brute a été maintenue, que, jusqu'à la présente procédure, il n'a fait aucune réclamation sur son salaire, et ce malgré ses fonctions syndicales et de représentant du personnel, les quelques bulletins de salaire produits étant, de plus, insuffisants à démontrer une baisse de sa rémunération.

En outre, il ressort des pièces produites et des explications des parties, que le litige se situe, M. [Y] soutenant qu'il s'agissait de 'techniques pour supprimer sa prime de résultat', dans les modalités de calcul de la prime de résultat. Or, ces modalités ont été définies par les accords d'entreprise de 1999 et 2002, le second accord ayant modifié les bases de calcul qui ne prenaient pas suffisamment en compte les salariés en délégation et en formation professionnelle.

Ainsi que le démontre la société Carrefour dans ses écritures et qu'il ressort des pièces produites, la prime de résultat est fixée au prorata du nombre de jours travaillés et de machines réparées par jour, selon des critères définis, tenant compte de jours 'non travaillés' mais rémunérés comme du travail effectif.

Or, il ne saurait être déduit au vu des comptes rendus du comité d'établis-sement des 12 juillet 2005 et 23 août 2005 et de la réponse de l'employeur, ainsi que le premier juge l'a considéré à tort, que les heures de conseiller prud'homme n'ont pas été prises en compte dans le calcul de la prime de productivité, c'est-à-dire selon le nombre de machines réparées.

En outre, il ne saurait pas plus être déduit une discrimination du fait que M. [Y] n'a pas à certaines périodes perçu de prime, alors que, ainsi que l'établit la société Carrefour, il n'était pas le seul salarié dans ce cas et que la perception de la prime dépend des résultats obtenus. Par ailleurs, les seuls documents relatifs à la performance de M. [Y] qu'il produit en pièce 50 datant de 2002 et de 1998 ne sauraient suffire établir un taux performance de 98 % qu'il estime être le sien et base du calcul de son rappel de salaire, notamment pour les années postérieures. Dès lors, il n'est pas établi que le salarié remplissait toutes les conditions pour bénéficier de tout ou partie de la prime de résultat comme il le prétend.

En dernier lieu, M. [Y] soutient qu'en 31 ans de carrière, son coefficient n'a pas évolué, que les techniciens de même ancienneté que lui sont tous devenus cadres ou ont créé leur société, qu'il a fait choix en 2000 de demander la réduction de son temps de travail pour lui permettre de créer un atelier d'artiste peintre, obtenant ainsi un complément de salaire plus intéressant, qu'il aurait pu prétendre à la qualification de technicien niveau IV.

Outre le fait que M. [Y] n'a été désigné comme délégué syndical en 1998, et non dès son embauche et qu'il n'élève aucune critique salariale à l'égard de M. [L] son supérieur hiérarchique jusqu'en juin 2004, la société Carrefour établit par les pièces qu'elle produit, dont le comparatif de carrières d'autres techniciens, que, si effectivement la carrière de M. [Y] n'a guère évolué, d'autres salariés se trouvent dans le même cas.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que le salarié avait fait choix d'un travail à temps partiel pour se consacrer à une autre activité, qu'il n'invoque même pas avoir postulé à des postes en avancement, hormis celui de technicien express en 2005 auquel il ne pouvait prétendre ainsi que ci-dessus rapporté.

Dans ces conditions, il apparaît, au vu des énonciations susvisées, que les éléments fournis par M. [Y] à l'appui de ses allégations de discrimination syndicale ne sont pas étayées, justifiés ou sont contredits par les éléments adverses. En l'absence de discrimination syndicale établie, le jugement sera donc réformé de ce chef.

Sur les demandes salariales

- classification de technicien express niveau IV

Ainsi qu'il a été ci-dessus énoncé, M. [Y] ne pouvait prétendre au poste de technicien express, ni au niveau IV de classification correspondant. Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de la demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés y afférent.

- prime de résultats

Il résulte des éléments analysés ci-dessus, que la demande de rappel de prime de résultats, de plus calculée quasiment à son taux maximum, n'est pas justifiée, étant observé que dans sa demande, le salarié ne tient pas compte de la prescription quinquennale. Le jugement sera donc réformé de ce chef.

- participation et intéressement

Outre le fait que M. [Y] ne chiffre pas sa demande, ni ne précise les années concernées et ne fournit aucun élément de calcul, cette demande n'est pas fondée, dès lors que le salarié a été débouté de sa demande de prime de résultat. Le jugement sera donc réformé de ce chef.

- frais de nettoyage des tenues de travail

Dès lors que le règlement intérieur fait obligation au salarié du port d'une tenue de travail déterminée qu'elle fournit, les frais de nettoyage de cette tenue sont constitutifs de frais professionnels à la charge de l'employeur. Or, la société Carrefour invoque la prescription quinquennale applicable aux frais professionnels, rendant irrecevable la demande de dommages-intérêts.

En effet, la prescription quinquennale édictée par l'article L.3245-1 du code du travail conformément à l'article 2224 du code civil est une prescription extinctive libératoire qui ne saurait être contournée qu'en violation des textes légaux, par le biais de dommages-intérêts.

Or, M. [Y] ne saurait valablement prétendre à l'obtention de dommages-intérêts 'pour violation de l'obligation de prise en charge des frais de nettoyage des tenues de travail', destinés à contourner la prescription de la majeure partie de sa créance alléguée, et demander, sous couvert de dommages-intérêts, le remboursement de frais qu'il évalue à la somme de 5.670 €, sans même préciser le type de vêtements, le mode de nettoyage et sa fréquence, alors que sa demande porte sur une période de 30 ans, soit la quasi-totalité de son activité, à raison de 4,20 € par nettoyage, tarif qu'il a relevé sur internet, calculés sur 45 semaines par an, sans même tenir compte de l'évolution du coût de la vie.

Néanmoins, la demande est justifiée pour la période située dans le délai de la prescription de 5 ans, la saisine du Conseil de Prud'hommes étant en date du 6 juin 2008, M. [Y] peut prétendre à des dommages-intérêts pour la période du 6 juin 2003 jusqu'à la rupture du contrat de travail. Au vu des explications des parties et des pièces produites de part et d'autre, la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer ce préjudice à la somme de 400 €, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 13 décembre 2010, en application de l'article 1153-1 du code civil et capitalisation. Le jugement sera donc réformé sur le montant alloué.

Au vu des éléments susvisés, il n'y a pas lieu à remise de bulletins de salaire rectifiés.

Sur l'indemnité de départ volontaire

Il n'est pas discuté qu'après la signature le 20 avril 2006 d'un accord de groupe sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et d'un accord de méthode, qui n'ont pas été remis en cause, et l'établissement le 21 avril 2008 d'un plan de sauvegarde de l'emploi, dans le cadre d'un départ volontaire, un protocole de rupture d'un commun accord pour motif économique, avec autorisation de l'inspecteur du travail, a été signé entre la société Carrefour et M. [Y] qui a perçu une indemnité de départ volontaire de près de 45.000 €, que par jugement du 16 octobre 2008, confirmé le 30 janvier 2009 par la Cour d'Appel de Toulouse, le plan de sauvegarde de l'emploi a été annulé, un pourvoi en cassation étant en cours.

M. [Y] soutient que 'le 2 avril 2010, l'employeur, lors d'un CCE extraordinaire, a accepté d'accorder un nouveau complément à l'indemnité (de départ) volontaire dans le cadre de la régularisation du PSE après son annulation par le TGI. Il est en droit de bénéficier des nouvelles modalités de ladite indemnité de départ volon-taire suite à la régularisation faite par la société Carrefour dans le cadre de la non conformité du PSE.', ce que la société Carrefour conteste à juste titre.

En effet, le compte rendu de la réunion extraordinaire du comité central d'entreprise en date du 2 avril 2010 (que M. [Y] produit, le texte étant barré de la mention 'projet', mais qui serait le texte définitif, la société Carrefour ne versant pas aux débats le texte adopté) mentionne notamment :

- en page 2, 'SAVR : Déclaration de la direction concernant de nouvelles améliorations consenties au plan de départ volontaire, et constituant un prolongement des dispositions complémentaires déjà prises en octobre 2009'.

- en page 4, '(...) la direction a pris la décision de faire produire leur plein effet aux mesures du plan de départ volontaire présenté en date du 1er octobre 2009, tout en adaptant certaines de ces dispositions à la situation actuelle des collaborateurs concernés'.

Dès lors, il en ressort clairement que les dispositions prises par l'employeur lors de cette réunion, concernent un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences avec un plan de départ volontaire d'octobre 2009 qui prévoyait des mesures insuffisantes du point de vue des partenaires sociaux et qui est donc postérieur au plan de sauvegarde de l'emploi d'avril 2008. En outre, dans ce compte rendu, il n'est fait, à aucun moment, même allusion au plan de sauvegarde de l'emploi annulé, ni aux salariés ayant opté pour un départ volontaire en 2008.

Il s'ensuit que M. [Y] qui a opté pour un départ volontaire en 2008, ne saurait valablement se prévaloir des mesures indemnitaires complémentaires en faveur des salariés concernés par un départ volontaire en 2009 et 2010, prises par l'employeur lors de la réunion du 2 avril 2010, qui ne lui sont donc pas applicables.

Par ailleurs, il convient de constater que M. [Y] ne remet pas en cause la signature du protocole de rupture d'un commun accord, malgré l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi, ni les indemnités perçues à ce titre, ni ne présenter, même à titre subsidiaire, de demande de dommages-intérêts pour préjudice résultant de l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi ou sa réintégration, se contentant de réclamer l'indemnité complémentaire de départ volontaire à laquelle il ne peut prétendre.

Au surplus, il y a lieu d'observer que le projet professionnel de M. [Y] concernait la continuation et/ou le développement de son activité d'artiste peintre et qu'il a pu bénéficier des indemnités de départ volontaire par la signature de la rupture d'un commun accord avant le 19 octobre 2009, date anniversaire à laquelle s'ouvrait son droit à la retraite, ainsi qu'il l'indiquait à l'inspecteur du travail dans son courrier du 9 septembre 2008.

Dans ces conditions, il apparaît que M. [Y] ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l'indemnité complémentaire de départ volontaire fixée lors de la réunion du 2 avril 2010. Le jugement, ayant fait droit à la demande du salarié, doit donc être réformé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

M. [Y] qui succombe au principal en appel, doit supporter la charge des dépens et voir rejeter sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il y a lieu de laisser à la charge de la société Carrefour ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Sur l'appel de la SAS Carrefour Hypermarchés contre le jugement du Conseil de Prud'hommes de Libourne en date du 13 décembre 2010.

' Réforme le jugement en toutes ses dispositions, excepté sur le principe de dommages-intérêts pour frais de nettoyage des tenues de travail.

Et, statuant à nouveau :

' Condamne la SAS Carrefour Hypermarchés à payer à M. [F] [Y] les sommes de :

- 400 € (quatre cents euros) à titre de dommages-intérêts relatifs aux frais de nettoyage des vêtements professionnels, avec intérêts au taux légal à compter du 13

décembre 2010,

- 5.000 € (cinq mille euros) à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'assurer la santé et de protéger la santé du salarié, avec intérêts au taux légal

à compter du présent arrêt.

' Dit que les intérêts échus des sommes, objet des condamnations prononcées, produisent eux-mêmes des intérêts, pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

' Déboute M. [F] [Y] de ses autres demandes indemnitaires et salariales.

Y ajoutant :

' Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

' Condamne M. [F] [Y] aux entiers dépens.

Signé par Madame Brigitte Roussel, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M. Lacour-Rivière B. Roussel


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 12/02203
Date de la décision : 26/02/2013

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°12/02203 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-02-26;12.02203 ?
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