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29/05/2012 | FRANCE | N°09/03442

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mai 2012, 09/03442


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 MAI 2012



(Rédacteur : Madame Brigitte Roussel, Président)

(PH)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 09/03442











SAS Ahlstrom Labelpack



c/



Monsieur [D] [N]













Nature de la décision : AU FOND











Notifié par LRAR le :


r>LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 ma...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MAI 2012

(Rédacteur : Madame Brigitte Roussel, Président)

(PH)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 09/03442

SAS Ahlstrom Labelpack

c/

Monsieur [D] [N]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 mai 2009 (RG n° F 05/01648) par le Conseil de Prud'hommes - formation de départage - de Bordeaux, section Industrie, suivant déclaration d'appel du 10 juin 2009,

APPELANTE :

SAS Ahlstrom Labelpack, agissant en la personne de son représentant

légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 4],

Représentée par Maître Carole Moret, avocat au barreau de Bordeaux,

INTIMÉ :

Monsieur [D] [N], demeurant [Adresse 2],

Représenté par Maître Agnès Courty, avocat au barreau de Bordeaux,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 mars 2012 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Brigitte Roussel, Président,

Madame Maud Vignau, Président,

Madame Raphaëlle Duval-Arnould, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

M. [D] [N] a été engagé par la société Sibille, devenue SAS Ahlstrom Labelpack, spécialisée dans la fabrication des papiers et cartons industriels et spéciaux, le 1er septembre 1983, en qualité d'aide-calandreur, au coefficient 112 et il exerçait ses fonctions sur le site de [Localité 5].

Il indique avoir exercé des activités syndicales CGT à compter de 1993 et il a été élu délégué du personnel en 1995.

Il a terminé sa carrière le 1er mars 2012, dans le cadre d'une démission, ayant demandé à bénéficier du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; il occupait alors, depuis juin 1989, un poste d'expéditionnaire cariste- peseur, coefficient 15O.

Le 4 juillet 2005, il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux afin de voir dire qu'il avait fait l'objet d'une discrimination syndicale et d'obtenir la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts et l'application à son profit de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans le dernier état de ses écritures devant le Conseil, il sollicitait la somme de 103.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial, celle de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation son préjudice moral, outre celle de 10.000 € au titre des frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 26 mai 2009 en formation de départage, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux a dit que M. [N] avait fait l'objet, en raison de son engagement syndical, d'une discrimination dans l'évolution de sa carrière et le montant de sa rémunération.

La SAS Ahlstrom Labelpack a été condamnée à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts, nets de CSG et de CRDS, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts échus, et celle de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Conseil a ordonné à l'employeur de reclasser M. [N] à compter du jugement au coefficient 170.

M. [N] a été débouté du surplus de ses demandes.

La SAS Ahlstrom Labelpack a relevé appel de cette décision.

Par conclusions régulièrement déposées devant la Cour et développées oralement à l'audience, auxquelles il est expressément fait référence, la SAS Ahlstrom Labelpack conclut à la réformation du jugement déféré en ce qui concerne le litige relatif à la discrimination syndicale.

Elle demande de voir dire que M. [N] n'a subi aucune discrimination et de le voir, en conséquence, débouter de toutes ses demandes.

Elle sollicite la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées les 26 mars 2012 et développées oralement devant la Cour, auxquelles il est expressément fait référence, M. [N] demande que soient rejetées des débats les pièces adverses numérotées de 31 à 35, eu égard à leur communication tardive, et que la SAS Ahlstrom Labelpack soit condamnée à lui payer la somme de 53.400 € nets de cotisations CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial et moral par lui subi du fait de la discrimination syndicale dont il a été victime, sur le fondement des articles L 1134-5 et L 1222-1 du code du travail et des articles 1134 et 1147 du code civil.

Il forme, par ailleurs, des demandes nouvelles devant la Cour, visant à voir indemniser son préjudice d'anxiété, et il sollicite la somme de 45.000 € au titre du préjudice d'anxiété résultant de son exposition aux poussières d'amiante et au non-respect par la SAS Ahlstrom Labelpack de son obligation de résultat de sécurité, outre la somme de 7.000 € au titre des frais irrépétibles.

Il demande les intérêts sur les sommes allouées à compter de la demande, ainsi que la capitalisation des intérêts échus.

Par conclusions régulièrement déposées à l'audience et développées oralement devant la Cour, auxquelles il est expressément fait référence, la SAS Ahlstrom Labelpack demande de voir débouter Monsieur [N] de ses demandes à titre de dommages et intérêts pour réparer le préjudice d'anxiété et subsidiairement de réduire à de plus justes proportions les demandes d'indemnisation.

Sur ce,

1 - Sur la demande de rejet de pièces

Il convient d'ordonner le rejet des débats des pièces 31 à 35 communiquées tardivement dans le dossier de discrimination par la SAS Ahlstrom Labelpack, afin que soit respecté le principe du contradictoire, alors qu'aucune demande de renvoi n'a été présentée.

2 - Sur la discrimination syndicale

M. [N] fait essentiellement valoir que sa carrière a été bloquée à compter de l'année 1977 où il a débuté ses activités militantes au syndicat CGT comme le corroborent l'enquête réalisée par l'inspecteur du travail, détaillée dans la lettre du 5 janvier 2005, les attestations par lui produites et les études comparatives effectuées.

Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif susceptible de justifier cette différence de traitement et qu'aucune évolution ne lui a été accordée dès lors qu'il s'est syndiqué à la CGT et a participé aux actions militantes dans l'entreprise.

Il précise qu'il n'a bénéficié d'aucune formation professionnelle

réellement qualifiante, à part celle de cariste qui était obligatoire pour exercer ses fonc-tions, que les augmentations de salaire étaient attribuées à tous les salariés, que toute mutation ou promotion lui a été refusée, que le panel comparatif par lui établi doit être pris en compte et qu il n'a bénéficié d'aucun entretien individuel de carrière, d'aucune augmentation individuelle.

Il sollicite la réparation du préjudice résultant de sa perte de salaire, soit 62.000 €, ainsi que de la perte de jouissance résultant de ce manque à gagner, soit 20.000 €, et du refus de l'employeur de valoriser ses connaissances dans le cadre de la formation professionnelle, soit 20.000 €.

Il invoque également un préjudice moral lié à la discrimination et sollicite 30.000 € de ce chef.

La SAS Ahlstrom Labelpack s'oppose à ces demandes en faisant valoir que les attestations produites n'établissent aucunement une discrimination, s'agissant d'avis personnels partiaux, nullement étayés, que M. [N] a connu une évolution profes-sionnelle occupant depuis 1989 le plus haut niveau de poste du service emballage, qu'il a reçu des formations, que le courrier de l'inspection du travail du 5 janvier 2005 fait état des éléments fournis par les salariés eux-mêmes et que, suite aux réponses apportées, aucune suite n'a été donnée et aucun procès-verbal n'a été notifié.

Elle ajoute qu'aucune discrimination n'a jamais été dénoncée par les instances représentatives paritaires du personnel, que de nombreux salariés investis d'une missions de représentants du personnel ont connu une évolution de carrière significative et que la stagnation invoquée par M. [N] résulte du positionnement de son poste et de sa volonté.

Elle indique que M. [N] a fait le choix d'opter pour le secteur emballage, avec les avantages qui lui sont attachés, notamment en termes de pénibilité et de salaire, et que s'il avait souhaité accéder au coefficient 170 il aurait dû changer de secteur, ce qu'il n'a jamais demandé, malgré appels à candidatures diffusés par l'entreprise.

Elle estime erroné le panel produit par M. [N], tous les salariés retenus n'ayant pas été embauchés au même niveau de qualification et au même poste et précise qu'aucune individualisation des niveaux de classification n'existe dans l'entreprise. Elle produit un panel visant à démontrer que les salariés se trouvant dans une situation comparable à M. [N] n'ont pas nécessairement bénéficié d'une évolution de carrière plus favorable.

*******

En application des articles L 1132-1, L 1134-1 et L 2145-5 du code du travail, s'il appartient au salarié qui s'estime victime d'une discrimination en raison de son appartenance à un syndicat ou à l'exercice d'une activité syndicale d'apporter des éléments de fait laissant supposer l'existence de cette discrimination, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Il ressort de l'examen de l'ensemble des éléments de la cause que M. [N] produit différents éléments laissant supposer l'existence d'une telle discrimination. Ainsi, le tableau comparatif par lui établi des salariés ayant une ancienneté équivalente montre pour certains d'entre eux une évolution de carrière plus favorable que la sienne.

Au vu de ce panel de référence, l'inspecteur du travail a, par lettre du 7 janvier 2005, relevé que le dossier contenait des éléments de faits susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement.

La présomption de discrimination ressort également des différentes attestations produites par le salarié émanant de Messieurs [X] et [W], qui relatent, en termes généraux, une différence d'évolution de carrière liée à l'appartenance syndicale de M. [N].

En réponse, la SAS Ahlstrom Labelpack conteste la pertinence du panel de comparaison produit par M. [N] et apporte différents éléments tendant à établir l'absence de disparité effective et le fait que l'évolution limitée de la carrière de M. [N] s'explique par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance syndicale, notamment par les choix opérés par le salarié.

Il ressort des éléments de la cause que M. [N] a bénéficié depuis son embauche en 1983, en qualité d'ouvrier de fabrication, au coefficient 112 , d'une certaine évolution de carrière puisqu'il a acquis en décembre 1984 la qualification d'aide- coupeur, puis de bobineur assistant en février 1988 et est devenu cariste-peseur en octobre 1988, puis expéditionnaire-cariste-peseur en juin 1989 au coefficient 150.

Le fait qu'il n'ait pas bénéficié de promotion depuis juin 1989 n'implique pas que cette situation résulte d'une discrimination syndicale alors que M. [N] ne revendique une activité syndicale que depuis 1993 et n'a été investi de mandat syndical qu'à compter de l'année 1995. Ainsi, pendant plus de quatre ans, M. [N], en absence de toute activité syndicale établie, a exercé les mêmes fonctions, au même coefficient.

Le tableau comparatif produit par M. [N] ne peut être totalement retenu alors que plusieurs des salariés le composant ont été engagés à un coefficient nettement supérieur au sien, comme le relève l'employeur et comme cela ressort du registre des entrées et sorties du personnel pour l'année 1983 ; il en est ainsi pour M. [B], embauché comme aide-conducteur (coefficient 140 selon le tableau produit), M. [I] embauché comme aide-bobineur coefficient 132, M. [M], aide-bobineur coefficient 132, M. [Z], aide-bobineur coefficient 132, M. [V] aide-bobineur coefficient 132, M. [J] troisième de calandre coefficient 132, M. [Y] bobineur coefficient 132, M. [A] coupeur coefficient 132, M. [S] bobineur coefficient 132, M. [C] troisième de calandre coefficient 132, M. [F] aide- bobineur coefficient 125, M. [R] troisième de calandre coefficient 132.

En 1983, ont été embauchés, au même coefficient que M. [N], Messieurs [G], [E], [L] et [H].

M. [E] se trouve au même coefficient que M. [N] et à un niveau très proche de Messieurs [G] et [H] (coefficient 155 en 2003).

Il apparaît par ailleurs que M. [P] [O], engagé le 9 février 1984, se trouvait dans une situation comparable à M. [N] puisqu'il occupait un poste d'expéditionnaire-cariste-peseur, coefficient 150, selon fiche de paie de fin décembre 2003.

Il en ressort que plusieurs salariés placés dans des situations comparables n'ont également pas atteint le niveau 170 sollicité par M. [N].

Il sera relevé que ce coefficient ne peut être atteint que par une minorité de salariés dès lors qu'il ressort de la liste des postes en factions que sur 147 postes, seuls 5 sont classés au coefficient 170 et 15 au coefficient 179, qui est la classification la plus haute.

Si certains salarié ont atteint ces coefficients, cette situation n'est pas suffisante à établir l'existence d'une discrimination, mais peut s'expliquer par des considérations d'ordre personnel exclusives de discrimination.

Il ressort des éléments du dossier que M. [N] s'est abstenu de répondre aux notes de service contenant proposition de changement de poste. Ainsi, par note du 3 mai 2002, dans le cadre des départs liés au plan amiante, la direction a invité les membres du service production à faire connaître leurs demandes de changement de poste. M. [N] n'y a pas répondu.

Il a certes répondu à une note de service du 5 janvier 2005, ayant le même objet, mais pour solliciter des postes de cadre, ce qui s'avérait manifestement irréalisable eu égard à ses fonctions et à sa qualification.

Ainsi, les différences de promotion s'expliquent par les choix individuels

opérés par les différents salariés placés dans des situations comparables, c'est-à-dire recrutés à la même période et dans des fonctions de niveau proche ou semblable.

Il ressort par ailleurs des éléments de la cause que M. [N] a bénéficié de différentes formations, qu'aucun élément de la cause n'établit qu'il en ait demandé d'autres et aucune discrimination syndicale n'est caractérisée de ce chef.

Quant aux témoignages produits, ceux-ci se limitent pour l'essentiel à donner leur sentiment sur le caractère limité de l'évolution de carrière de M. [N], et sont insuffisants à caractériser l'existence d'une discrimination syndicale qui ne ressort pas de l'étude comparative effectuée.

Il sera, de plus, relevé que la SAS Ahlstrom Labelpack a engagé le fils de M. [N], ce qui s'avère peu compatible avec un comportement discriminatoire.

Au vu de ces considérations, il apparaît que l'effectivité de la différence de traitement alléguée n'est pas caractérisée alors qu'il ressort des pièces produites que M. [N] a bénéficié d'une évolution de carrière comparable à plusieurs salariés placés dans la même situation que la sienne.

Il convient, dans ces conditions, de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes fondées sur l'existence d'une discrimination syndicale et de réformer en ce sens le jugement déféré.

3 - Sur les demandes au titre de l'exposition à l'amiante

M. [N] fait valoir qu'il a occupé différents postes au sein de l'usine de [Localité 5], qu'il a manipulé directement ou indirectement les papiers d'emballage et a été exposé dans les phases de production aux rouleaux recouverts de feuilles d'amiante compressées et qu'il a ainsi aspiré en permanence des poussières d'amiante.

Il ajoute que par arrêté du 19 mars 2001 l'usine de [Localité 5] a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante et qu 'il bénéficie de ce dispositif depuis le 1er mars 2012.

Il estime que l'employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité alors que l'ensemble des locaux était envahi de poussière d'amiante jusqu'en 1996 et que la direction a fait une commande de 24 tonnes de produits contenant de l'amiante, sachant que ce produit allait être interdit.

Il relève que le dépoussiérage de l'entreprise n'a été effectué qu'en 2003 et 2004 après inspection révélant la présence d'amiante dans les locaux.

Il sollicite la somme de 45.000 € en réparation de son préjudice d'anxiété en relation avec son exposition aux poussières d'amiante et au manquement délibéré de l'employeur à son obligation de résultat de sécurité.

La SAS Ahlstrom Labelpack s'oppose à ces demandes en faisant essen-tiellement valoir que l'amiante était réservé à certains rouleaux utilisés pour la fabrication de papier situés dans des locaux spécifiques, que seul l'atelier de rectification de presse générait des poussières d'amiante au sein du bâtiment principal, que le risque d'exposition des salariés à l'amiante était très faible, qu'elle a pris les précautions nécessaires pour éviter l'inhalation des poussières d'amiante et respecter la législation en vigueur et qu'à partir de 1996 seuls des rouleaux en position basse demeuraient encore à base d'amiante.

Elle ajoute que les partenaires sociaux étaient informés des mesures prises durant la période litigieuse en matière d'amiante, que le dépoussiérage a été effectué en 1996 sans intervention d'une société tierce et que M. [N] n'a pas travaillé dans les ateliers 'sensibles'. Elle émet les plus vives réserves sur son classement sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, estimant que les salariés travaillant à l'usine de [Localité 5] n'ont pas été fortement exposés.

Elle estime que le dispositif de préretraite, instauré pour les salariés exposés à l'amiante a vocation à compenser la perte d'espérance de vie à laquelle sont statistiquement confrontées les personnes fortement contaminées par l'amiante, afin de leur permettre de jouir de la vie sans les astreintes du travail et que M. [N] ne peut bénéficier d'une indemnisation complémentaire alors qu'il a volontairement démissionné de ses fonctions pour bénéficier de ce dispositif.

Elle expose qu'aucun des éléments constitutifs d'une responsabilité de l'employeur sur le terrain du droit commun n'est constitué alors que l'obligation de résultat exige le constat d'une pathologie en lien de causalité avec des conditions de travail et qu'aucune faute n'est caractérisée à son égard.

*******

En application de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; il est tenu envers ceux-ci d'une obligation de sécurité de résultat.

Ainsi, le fait d'exposer les salariés à un danger, sans appliquer des mesures de protection nécessaires, constitue une faute contractuelle de nature à engager la responsabilité de l'employeur.

Le fait que M. [N] ait cessé ses fonctions en démissionnant pour bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (l'ACAATA) , en application de l'article 41 de la loi numéro 98-1194 du 23 décembre 1998, ne le prive pas de la possibilité de solliciter la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, s'il justifie d'un manquement de l'employeur en relation avec des préjudices spécifiques.

Il ressort des éléments de la cause que M. [N] a travaillé au sein du site de [Localité 5] depuis 1983, alors que cette usine, spécialisée dans la production de papiers, utilisait de l'amiante pour l'isolation des sources de chaleur et pour la conception des rouleaux des calandres.

Lors de l'opération de calandrage, sous l'effet de la pression, les rouleaux se dégradaient et devaient être régulièrement remplacés, afin d'être réparés en atelier de rectification ; les rouleaux devaient également être périodiquement regarnis de feuilles d'amiante.

Ainsi, la manipulation régulière d'amiante dégageait des poussières d'amiante au sein de l'usine, où circulait l'ensemble des salariés.

Par courrier du 3 juillet 1990, la société allemande fournissant les feuilles d'amiante a précisé à la direction de l'usine de [Localité 5] que les autorités avaient décidé qu'il sera interdit de fournir des papiers de calandres contenant de l'amiante après le 30 septembre 1990 et proposait son assistance en vue de la fabrication de papier sans amiante.

Par courrier du 31 juillet suivant, la direction de [Localité 5] lui répondait : 'Nous souhaitons vous commander du papier amiante. Pourriez-vous fabriquer ces commandes malgré la mise en place de la nouvelle réglementation ''.

Il a été répondu que la commande serait honorée si elle était passée dans les huit jours suivants pour une livraison jusqu'à la fin du mois de septembre.

Début août 1990 la société Sibille importait 24 tonnes de papier amiante pour le regarnissage des rouleaux de calandres.

Dans ces conditions l'utilisation des feuilles d'amiante s'est poursuivie en toute connaissance de cause, jusqu'en avril 1996, alors que la société été informée des dangers importants liés à l'amiante.

Lors de la réunion du CHSCT du 5 juin 1996, il est souligné que l'entreprise ne dispose pas de système de captation des poussières au sein des ateliers de garnissage des rouleaux et de récupération.

Il apparaît ainsi que le site n'était pas équipé, au moins jusqu'en 1996, d'un système d'aération et de masques individuels.

Il ressort du courrier du directeur régional adjoint du travail du 17 janvier 2007, qu'avant 1997, les opérations réalisées pour regarnir les 'presses molles' généraient des poussières d'amiante constituant une source d'exposition des salariés concernés et que des opérations de désamiantage ont été effectuées en juin 2003 ; le dossier technique amiante réalisé en octobre 2003 relève la présence de matériaux contenant de l'amiante au niveau de la toiture, du sol, des chaudières.

Eu égard à la configuration des lieux et aux postes par lui occupé, M. [N] a ainsi été exposé aux poussières d'amiante à l'occasion de ses fonctions, sans protection suffisante.

L'usine de [Localité 5] a été inscrite sur la liste des établissements suscep-tibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante par arrêté du 19 mars 2001.

Au vu de ces considérations, le manquement à son obligation de sécurité par la société Sibille, devenue la SAS Ahlstrom Labelpack, est caractérisé alors que l'exposition aux poussières d'amiante crée un risque majeur pour la santé des travailleurs que l'employeur ne pouvait alors ignorer.

M. [N] sollicite la réparation d'un préjudice d'anxiété, lié à sa situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration d'une maladie liée à l'amiante et à l'obligation pour lui de subir des contrôles médicaux réguliers réactivant ses craintes.

Il ne peut être valablement soutenu que ce préjudice ne peut être indemnisé au titre de la responsabilité de droit commun de l'employeur au motif que le salarié a choisi de démissionner pour bénéficier de l'ACAATA dans le cadre d'un dispositif de préretraite, qui est destiné à compenser les conséquences de la crainte du risque de tomber malade et qui inclut la réparation de l'ensemble du préjudice.

Il s'avère, en effet, que si le salarié qui a demandé le bénéfice de l'allocation ne peut prétendre à des dommages et intérêts en relation avec une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif de cessation anticipée d'activité prévu à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, il peut obtenir réparation d'un préjudice spécifique, non pris en compte par l'ACAATA.

En l'espèce, le préjudice invoqué par M. [N] au titre du préjudice d'anxiété ne repose pas sur une perte de revenus ou sur une rupture anticipée du contrat de travail mais sur l'anxiété résultant du risque de voir se déclarer une maladie liée à l'amiante et la réactivation de ses craintes lors de chaque visite médicale de contrôle ; il s'agit donc d'un préjudice spécifique indépendant de l'indemnisation ressortant du régime légal et du préjudice économique.

Au vu de ces considérations et alors que le préjudices invoqué est réel et résulte directement de l'exposition à l'amiante et du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, il convient d'allouer à M. [N] une indemnité de 12.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété.

Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du présent arrêt, en application de l'article 1153-1 du code civil, s'agissant d'une condamnation à indemnité, avec capitalisation des intérêts éventuellement échus dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

4 - Sur les autres demandes

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, l'équité ne commande pas de faire application en l'espèce de l'article 700 du code de procédure civile.

De même, chacune des parties supportera la charge des dépens de première instance et appel par elle engagés.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

' Ordonne le rejet des débats des pièces 31 à 35 communiqués tardivement par la SAS Ahlstrom Labelpack dans le dossier discrimination.

' Infirme le jugement rendu le 26 mai 2009 par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux et déboute M. [N] de toutes ses demandes fondées sur une discrimination syndicale.

' Statuant sur les demandes nouvelles formées par M. [N] en raison de son exposition à l'amiante.

' Condamne la SAS Ahlstrom Labelpack à payer à M. [N] la somme de 12.000 € (douze mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation des intérêts éventuellement échus dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

' Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

' Laisse à la charge de chacune des parties ses propres dépens de première instance et appel.

Signé par Madame Brigitte Roussel, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M. Lacour-Rivière B. Roussel


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 09/03442
Date de la décision : 29/05/2012

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°09/03442 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-05-29;09.03442 ?
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