CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 22 JUIN 2011
(Rédacteur : Madame Catherine MASSIEU, Président,)
No de rôle : 09/ 5573
Monsieur Pierre X...
c/
Madame Suzanne Y... épouse Z... La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la GIRONDE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avouésDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 septembre 2009 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6, RG 05/ 12392) suivant déclaration d'appel du 01 octobre 2009,
APPELANT :
Monsieur Pierre X..., né le 01 Octobre 1946 à PARIS (75015), demeurant...,
représenté par la SCP FOURNIER, avoués à la Cour, et assisté de Maître HEYMANS substituant Maître ROGER de la SCP PEYRELONGUE-KAPPELHOFF-LANCON-DUCORPS-ASE NCIO-BABIN-ROGER-LUX-HEYMANS, avocats au barreau de BORDEAUX,
INTIMÉES :
1o) Madame Suzanne Y... épouse Z..., née le 21 Juillet 1960 à LIMOGES (87000), de nationalité Française, demeurant...,
représentée par la SCP GAUTIER FONROUGE, avoués à la Cour, et assistée de Maître Marie WILMANN substituant Maître Pierre SIRGUE, avocats au barreau de BORDEAUX,
2o) La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la GIRONDE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social Cité du Grand Parc-Place de l'Europe-33085 BORDEAUX CEDEX,
assignée à personne, n'ayant pas constitué avoué,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 mai 2011 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine MASSIEU, Présidente, Monsieur Bernard ORS, Conseiller, Madame Caroline FAURE, Vice-Président placé, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE
ARRÊT :
- réputé contradictoire,- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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Les 16 juillet 1992 et 18 décembre 1993, le docteur X... a procédé à la pose de deux bridges maxillaires sur la personne de Madame Y... pour remédier à une structure très altérée ;
Se plaignant de l'inefficacité de ces soins, Madame Y... a assigné en référé le docteur X... devant le président du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins d'expertise ;
Par ordonnance du 3 mai 2005, le docteur A..., odonto-stomatologiste à TOULOUSE, a été nommé expert et le 4 novembre 2007 il a déposé un rapport selon lequel :
- l'objectif de qualité du traitement radiculaire, préalable à la pose des bridges, n'a pas été atteint, ces soins de mauvaise qualité engagent la responsabilité du praticien,- il n'est plus possible de se prononcer sur la qualité des prothèses qui ne sont plus en bouche,- il est légitime d'avoir préconisé des prothèses malgré la mauvaise qualité des dents, ce qui permettait d'éviter l'édentition ; mais dans ce cas, il convenait d'aviser la patiente de la durée aléatoire des reconstructions,- la pérennité normale de 10 ans n'a pas été atteinte en raison d'un contexte clinique qui n'a pas permis d'apporter de frein au délabrement progressif de l'état antérieur,- les reprises n'ont pas été correctement réalisées, notamment il convenait de reprendre systématiquement et correctement les traitements radiculaires, ce qui n'a pas été fait et le libellé des observations du praticien dans son dossier présente des incohérences (page 17 du 1er rapport),- le bridge a connu, comme le dit Madame Y..., des aléas constants qui ont entaché sa durabilité,- Madame Y... présentait un état antérieur favorable à la malocclusion qui aurait du conduire le docteur X... à prendre en compte ce facteur ou prévenir la patiente du risque destructeur lié à cet état,- les doléances de Madame Y... sont fondées et les lésions et affections qu'elle présente sont la conséquence de l'échec de pérennité d'un bridge sur un état antérieur qui représente 50 % du problème ;
L'expert conclut toutefois que les interventions ont été pratiquées dans le respect des règles de l'art et dans un contexte rendu difficile par un état antérieur ; il considère que la prothèse en apparence classique était entachée d'erreurs occlusales et que les tentatives ultérieures de récupération étaient vouées à l'échec ; il considère que les troubles actuels sont imputables à l'état antérieur de la victime pour 50 % ; il a évalué le préjudice de Madame Y... à :
- IPP : 0, 5 %- douleurs : 1/ 7- absence de préjudice esthétique, de préjudice d'agrément et d'incidence professionnelle,- droit au remboursement des soins (8. 400 €) et au paiement d'une prothèse provisoire (1. 000 €) ;
Le 1er décembre 2005, Madame Y... a assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux le docteur X... et la CPAM de la Gironde pour voir dire que le médecin engage sa responsabilité à hauteur de 90 % en raison du caractère défectueux des soins prodigués et pour obtenir la réparation de son préjudice outre une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par jugement du 9 septembre 2009, le tribunal a déclaré le docteur X... entièrement responsable du préjudice de Madame Y... et l'a condamné à payer une indemnité de 23. 500 € en réparation du préjudice corporel extra patrimonial outre la somme de 300 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens comprenant ceux du référé et le coût de l'expertise, le tout assorti de l'exécution provisoire ; il a donné acte à Madame Y... de ce qu'elle ne demandait rien au titre d'un préjudice patrimonial ; pour statuer ainsi, sur le fondement de l'article 1147 du code civil en raison de la date des soins litigieux, le tribunal a dit que de l'expertise, il ressort que le docteur X... a commis une « série de manquements aux règles de son art, en méconnaissance de données connues lors des soins, en posant des bridges sans correction des défauts endodontiques, sans occlusion convenable, prenant ainsi un risque délibéré entachant non seulement la durabilité du bridge mais créant des dommages par perte de chance sur racines dentaires et création d'un SADAM » ;
Par déclaration remise au greffe de la cour le 1er octobre 2009, le docteur X... a interjeté appel de cette décision ;
Par ses dernières conclusions du 1er février 2010, le docteur X... demande à la cour de dire que sa responsabilité n'est pas caractérisée et à défaut de la limiter à hauteur de 50 % du préjudice constaté ; il propose de limiter les divers postes de ce préjudice tels qu'ils ont été évalués par le tribunal ; il demande la condamnation de Madame Y... au paiement de la somme de 4. 000 € en application de l'article
700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de son avoué ; Il fait valoir d'une part qu'aucune faute ne peut lui être reproché et d'autre part qu'il n'existe pas de lien de causalité entre ses interventions et l'état de Madame Y... ; dans l'hypothèse où sa responsabilité serait retenue, il soutient qu'elle doit être limitée en raison de l'état antérieur de la patiente ;
Par ses dernières conclusions du 5 avril 2011, Madame Y... demande à la cour de confirmer le jugement, sauf à modifier le montant de l'indemnité allouée au titre des souffrances endurées (10. 000 € alors que le tribunal lui a alloué 9. 000 €) ; elle sollicite 2. 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation du docteur X... aux dépens dont distraction au profit de son avoué ;
La CPAM de la Gironde a été assignée le 5 février 2010 par le docteur X... et le 12 novembre 2009, elle avait adressé un courrier à la cour pour indiquer qu'elle n'interviendrait pas car elle n'a pas de créance à faire valoir ;
En cet état une ordonnance de clôture a été rendue le 22 avril 2011 ;
LA RESPONSABILITE
Eu égard à la date des soins litigieux, l'action est fondée sur l'article 1147 du code civil dont on déduit que la responsabilité du médecin n'est engagée qu'en raison d'une faute commise dans l'exercice de son art et dont la preuve incombe au patient ;
Le médecin est tenu d'une obligation de moyen en ce qui concerne les soins qu'il apporte à son patient ;
La cour constate comme le tribunal que l'expert, malgré sa conclusion de soins conformes aux règles de l'art, a relevé toute une série de manquements qui sont à l'origine d'une inadaptation de la prothèse, de soins palliatifs inappropriés et de l'apparition progressive d'une malocclusion ; ce constat ne permet pas de considérer que les soins donnés ont été consciencieux et conformes aux données de la science, même à l'époque ;
Le préjudice dont Madame Y... demande réparation est constitué exclusivement des postes extra patrimoniaux en relation avec ces soins inappropriés ; c'est donc à bon droit que Madame Y... demande la confirmation du jugement qui n'a pas limité la responsabilité du docteur X... en fonction d'un état antérieur ;
LE PREJUDICE
Madame Y... ne demande que la réparation des postes de préjudice extra patrimoniaux ;
Souffrance endurées :
Ce poste a été évalué 1/ 7 par l'expert en relation avec les douleurs d'ATM que le docteur X... n'a pas été capable de traiter ; il a dit que les douleurs nocturnes dont Madame Y... a fait état dans un dire postérieur au pré rapport relèvent d'une autre pathologie ;
Le tribunal a alloué une indemnité de 9. 000 € pour tenir compte des souffrances occasionnées par les très nombreuses interventions et par les douleurs provoquées par l'apparition des troubles liées à la malocclusion ;
Madame Y... voudrait voir ce poste chiffré 4/ 7 en raison du caractère irrémédiable de son état et des douleurs permanentes qu'il entraîne accompagnées de difficultés de la mastication ; elle demande une indemnité de 10. 000 € ;
Le docteur X... propose 750 € soit 50 % de 1. 500 € ;
Le poste souffrances endurées concerne les souffrances physiques proprement dites telles qu'elles ont été retenues par l'expert mais aussi toutes celles qui sont liées aux interventions successives en relation avec les soins d'origine et qui n'auraient pas eu lieu d'être si les soins avaient été correctement réalisés ; il convient donc de confirmer en son principe et son montant la somme de 9. 000 € arbitrées par le tribunal ;
DFT :
Le tribunal a alloué une indemnité de 3. 000 € en réparation des troubles d'élocution et de mastication ressentis par Madame Y... jusqu'à la consolidation qu'il a fixée à la date de la seconde expertise soit le 29 octobre 2007 ; l'expert avait exclu la réalité des troubles d'élocution évoqués par Madame Y... et avait relevé que cette doléance n'avait pas été signalée au moment des soins ;
Madame Y... demande la confirmation du jugement ;
Le docteur X... conclut au rejet de la demande ;
Malgré l'absence de justification des troubles allégués, il convient d'admettre que Madame Y... n'a pu que ressentir divers troubles dans sa vie quotidienne en raison des défectuosités des prothèses mises en place par le docteur X... ; l'indemnité allouée doit donc être confirmée ;
Préjudice Esthétique Provisoire
Ce poste n'a pas été retenu par l'expert ;
Le tribunal a alloué une indemnité de 6. 000 € en considération des « descellements qui ont eu une incidence certaine et négative sur l'esthétique de la requérante et ce, prématurément au regard de son age et de manière fréquente alors qu'elle poursuivait l'exercice de sa profession » d'infirmière libérale ;
Le docteur X... conteste ce poste par référence à l'avis de l'expert ;
Même si comme l'a relevé l'expert, Madame Y... ne poursuivait pas un objectif d'ordre esthétique, on ne peut considérer qu'elle n'aurait subi aucun préjudice en relation avec les défauts d'ordre strictement esthétique des prothèses mises en place par le docteur X... ; les soins supplémentaires nécessités par la reprise des travaux défectueux avec mise en place d'une prothèse provisoire de qualité esthétique moindre établissent la réalité d'un préjudice qui doit être indemnisé par la somme de 6. 000 € allouée par le tribunal ;
Déficit Fonctionnel Permanent
L'expert a retenu un taux de 0, 5 % compte tenu de l'état antérieur et le tribunal a alloué une indemnité de 4. 000 € en considérant que l'état actuel était en grande partie la conséquence des soins défectueux ;
Le docteur X... propose une indemnité de 201 € correspondant à 50 % du préjudice, compte tenu de la responsabilité limitée qu'il reconnaît devoir assumer ;
Madame Y... a invoqué des douleurs et des pertes de sommeil pour voir reconnaître par l'expert une estimation plus élevée de ce poste de préjudice ; elle soutient être « handicapée » dans son travail ; l'expert a répondu que ces pathologies ne représentent pas un déficit physiologique et n'entrent pas dans la détermination de l'IPP ;
Ces douleurs n'ont pas été objectivées et elles ne pourraient être imputées aux soins litigieux ; Madame Y..., ainsi que l'avait relevé l'expert dans sa réponse au dire de Madame Y..., avait noté qu'il n'était justifié d'aucun arrêt de travail en relation avec une telle situation ; Madame Y... n'apporte aucun élément supplémentaire au soutien de cette prétention ; il est donc légitime de maintenir le taux proposé par l'expert et d'allouer en fonction de l'age de la demanderesse à la consolidation (47 ans) une indemnité de 500 € ;
Préjudice d'Agrément
Le tribunal, contrairement à l'avis de l'expert, a considéré que le trouble d'élocution invoqué par Madame Y... était constitutif d'un préjudice d'agrément dans la vie sociale et personnelle de la demanderesse ;
Le docteur X... conteste la réalité de ce préjudice et considère qu'il serait équivalent à une obligation de résultat ;
Le poste préjudice d'agrément est destiné à réparer la privation de toute activité spécifique de loisir en raison de l'état séquellaire ; or, Madame Y... invoque les mêmes problèmes d'élocution que pour justifier ses demandes au titre des postes de déficit fonctionnel temporaire et permanent et elle ne soutient pas avoir été privée d'une activité quelconque en raison de ces problèmes ; le préjudice d'agrément n'est donc pas démontré et Madame Y... doit être déboutée de ce chef de demande ;
L'indemnité globale due à Madame Y... s'établit donc à 18. 500 € ; il convient donc d'infirmer partiellement le jugement sur ce point ;
Il n'est pas justifié de faire bénéficier les parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais d'appel ; la somme allouée à Madame Y... en première instance doit cependant être confirmée ;
Chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS La Cour, statuant en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 9 septembre 2009 en toutes ses dispositions à l'exception du montant de l'indemnité revenant à Madame Y...,
Condamne le docteur X... à payer à Madame Y... une indemnité principale de 18. 500 €,
Ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais d'appel,
Dit que le docteur X... et Madame Y... se partageront par moitié la charge des dépens d'appel et qu'il sera fait application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Massieu, Président, et par Véronique Saige, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
V. Saige C. Massieu