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08/06/2010 | FRANCE | N°09/02402

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 08 juin 2010, 09/02402


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 08 JUIN 2010



(Rédacteur : Madame Frédérique Loubet-Porterie, Conseiller)

(PH)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 09/02402









Monsieur [T] [P]



c/



La S.C.S. [R]



La S.C.S. Château de Loudenne



La S.C.S. Vignobles [R]









Nature de la décision : AU FOND



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Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :
...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 08 JUIN 2010

(Rédacteur : Madame Frédérique Loubet-Porterie, Conseiller)

(PH)

PRUD'HOMMES

N° de rôle : 09/02402

Monsieur [T] [P]

c/

La S.C.S. [R]

La S.C.S. Château de Loudenne

La S.C.S. Vignobles [R]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 avril 2009 (R.G. n° F 07/02647) par le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 23 avril 2009,

APPELANT :

Monsieur [T] [P], né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 4],

de nationalité Française, demeurant [Adresse 3],

Représenté par Maître Jean-Paul Combastet, avocat au barreau de Paris,

INTIMÉES :

La S.C.S. [R] de Loudenne, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 6],

La S.C.S. Château de Loudenne, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Localité 2],

La S.C.S. Vignobles [R], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 7],

Représentées par Maître Carole Moret, avocat au barreau de Bordeaux,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 avril 2010 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président,

Monsieur Francis Tcherkez, Conseiller,

Madame Frédérique Loubet-Porterie, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Françoise Atchoarena.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [T] [P] était embauché en qualité de cadre commercial par la S.C.S. [R] de Loudenne, société commercialisant les vins produits par la S.C.S. Château de Loudenne et la S.C.S. Vignobles [R] par contrat de travail à durée déterminée d'un mois le 2 juin 2005 en raison d'un surcroît d'activité lié au déroulement du Salon Vinexpo à [Localité 5].

Une lettre d'engagement signée des deux parties prévoyait, dans le même temps, l'embauche de ce salarié en qualité de responsable commercial à l'issue de ce contrat de travail à durée déterminée et ce afin d'assister la direction aux projets de développement commercial de la S.C.S. [R] de Loudenne .

A ce titre et conformément à cette lettre d'engagement, un contrat de travail était signé entre les parties le 4 juillet 2005 prévoyant une rémunération annuelle brute de 60.000 € versable sur 13 mois, ce montant incluant une prime de confidentialité de 4.000 € bruts/an.

Une fiche de poste était ultérieurement élaborée compte tenu de difficultés rencontrées entre le salarié et l'attachée commerciale de la S.C.S. [R] de Loudenne.

En mars 2007, et en raison de l'absence pour arrêt maladie de M. de

[C], responsable technique, Mme [R], directrice, décidait de confier temporairement la responsabilité des équipes techniques à M. [P] tout en maintenant ses activités commerciales.

Ce projet était concrétisé par la signature d'un contrat de travail à durée déterminée qui devait prendre fin le 15 octobre 2007 et était confirmé par lettre de mission ayant valeur d'avenant le 29 mai 2007.

Malgré des difficultés dans le déroulement de la relation professionnelle, Mme [R] prolongeait la mission technique de M. [P] en remplacement de M. [U] jusqu'au 31octobre 2007.

L'employeur évoquant des problèmes avec l'équipe placée sous l'autorité de M. [P] décidait de mettre un terme à cette mission temporaire.

M. [P] refusait cette décision estimant qu'il s'agissait là d'une modification substantielle de son contrat de travail et saisissait parallèlement le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux afin de faire requalifier sa mission temporaire de responsable technique en mission permanente et réclamait en outre des rappels de salaire et avantages afférents et des dommages et intérêts.

La S.C.S. [R] de Loudenne licenciait M. [P] pour faute grave le 11 mars 2008 après l'avoir mis à pied le 15 février 2008, la société lui reprochant le refus d'exécuter des tâches lui incombant, la non remise de rapports d'activité, son comportement avec ses subordonnés, la diffusion de fausses informations sur la société et la non reconnaissance par le salarié de l'autorité de Mme [R].

M. [P] ajoutait alors aux demandes initialement portées devant le Conseil de Prud'hommes de nouvelles demandes et contestait son licenciement, invoquant un harcèlement et un dol dès lors qu'embauché pour travailler à l'export, la société ne disposait pas des moyens nécessaires pour permettre au salarié d'exercer sa mission.

Par jugement en date du 6 avril 2009, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux jugeait que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse mais ne retenait pas la faute grave.

Il jugeait par ailleurs qu'aucun élément du dossier ne permettait de retenir le harcèlement et le dol invoqués.

M. [P] a relevé appel de cette décision.

Les parties ont été entendues en leurs observations au soutien de leurs écritures desquelles, vu les moyens exposés :

M. [P] invoque les mêmes arguments qu'en première instance mais renonce à ses demandes au titre du dol.

Il estime qu'il a été victime d'une tromperie de son employeur dans le cadre même des fonctions pour lesquelles il a été embauché et reproche au Conseil de Prud'hommes de Bordeaux d'avoir considéré que la lettre de mission avait les attributs d'un contrat de travail à durée déterminée sans rechercher si les conditions de validité d'un contrat de travail à durée déterminée étaient réunies.

Cette lettre de mission étant postérieure au début d'exécution des missions du salarié et étant radicalement différente de la feuille de route qui, elle, avait été établie par le salarié et acceptée par l'employeur, la réintégration de M. [P] dans ses fonctions initiales et plus encore la réduction de son salaire nécessitaient l'établissement d'un avenant.

Il estime avoir fait l'objet d'un prêt de main d'oeuvre et refuse la mise hors de cause, comme l'ont jugé les premiers juges, des S.C.S. Château de Loudenne et S.C.S. Vignobles [R].

Il conteste par ailleurs l'ensemble des griefs retenus à l'appui de son licenciement pour faute grave.

Il sollicite en conséquence que soit jugée inopposable la lettre de mission, qu'en exécution de la feuille de route son salaire annuel soit être fixé à 72.000 € soit 6.000 € mensuels et que la S.C.S. [R] de Loudenne soit condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 10.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 4.500 € de rappel de salaire pour suppression abusive de la rémunération du

1er novembre 2007 au 15 mars 2008 outre 450€ de congés

payés afférents

- 2.700 € de dommages et intérêts en raison de la suppression des avantages en

nature (600 €/mois)

- 1 8.000 € de d'indemnité compensatrice de préavis

- 1.800 € de congés payés afférents

- 118.800 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 39.600 € pour travail dissimulé.

M. [P] sollicite en outre que la Cour juge qu'il a été également employé des sociétés Château de Loudenne et Vignobles [R] du 13 avril au 31 octobre 2007 :

- 39.000 € au titre de rappel de salaire

- 3.900 € de congés payés afférents

- 39.600 € pour rupture abusive du contrat de travail

- 39.600 € pour travail dissimulé

- 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Outre condamnation de son employeur aux entiers dépens.

La S.C.S. [R] de Loudenne entend rappeler les fonctions qui étaient réellement dévolues à M. [P] suite aux accords contractuels passés entre les parties.

Elle conteste que M. [P] ait été embauché pour exercer des missions à l'étranger comme il le soutient et qu'il n'a d'ailleurs jamais revendiqué ce droit dans l'ensemble des courriers qui ont émaillé la relation contractuelle.

Elle entend rappeler le caractère temporaire de la mission de responsable technique qui lui a été confiée eu égard à l'absence de M. [U], M. [P] n'ignorant pas que cette mission cesserait au retour de ce salarié malade.

Elle conteste bien évidemment que la lettre de mission ait pu constituer un prêt de main d'oeuvre illicite dès lors qu'elle est postérieure à la feuille de route du 27 mars 2007 et le dol invoqué par le salarié ne repose sur aucun élément, le contrat de travail de M. [P] étant clair, précis et que n'est nullement établie la mauvaise foi de l'employeur dans sa conclusion.

Sur le harcèlement moral, la S.C.S. [R] de Loudenne relève que M. [P] ne présente aucun élément permettant de l'établir et entend rapporter la preuve de ce que l'ensemble des griefs retenus à l'appui du licenciement pour faute est établi.

Elle sollicite en conséquence confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne la mise hors de cause des S.C.S. Château de Loudenne et S.C.S. Vignobles [R] et réformation pour le surplus estimant que le licenciement pour faute grave du salarié est parfaitement légal.

Elle sollicite enfin 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre condamnation de M. [P] aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des circonstances de fait, de la procédure et des prétentions des parties, il convient de se référer au jugement déféré et aux conclusions des parties.

SUR CE :

Sur le contrat de travail à durée indéterminée, la feuille de route, la lettre de mission et les demandes afférentes

Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que les parties ont conclu un contrat de travail à durée déterminée pour une durée d'un mois à compter du 2 juin 2005.

Une lettre d'engagement a été signée entre les parties au terme de laquelle l'embauche de M. [P] serait effective à l'issue de ce contrat à durée déterminée.

Les parties rapportent la preuve qu'à ce titre et conformément à cette lettre d'engagement, un contrat de travail a été signé le 4 juillet 2005 prévoyant une rémunération annuelle brute de 60.000 €, ce montant incluant une prime de confiden-tialité.

La fiche de poste ultérieurement jointe à ce contrat de travail permet de définir les fonctions de Responsable Commercial Export proposées à M. [P].

A ce titre, et au vu de la fiche de poste établie au 128 novembre 2005, il apparaît que M. [P], qualifié de 'responsable de la promotion des ventes des vins des domaines [R]' avait en charge, notamment, d'accroître la notoriété et développer les ventes de vin des domaines [R] existant ou à venir, d'assurer la promotion des ventes en étant force de propositions, de gérer et animer le service commercial, d'organiser et suivre la logistique et d'assurer la gestion administrative.

Il résulte par ailleurs des débats et des pièces versées au dossier qu'en raison de l'absence pour maladie de M. [U], responsable technique, les parties ont convenu, par une lettre de mission, que M. [P] occuperait une responsabilité supplémentaire de manière temporaire jusqu'au retour de ce salarié absent.

M. [P] conteste la validité de cette lettre de mission estimant d'une part que la mission de responsable technique aurait été prévue à durée indéterminée et d'autre part que son embauche aurait été justifiée par la seule volonté de la société de lui confier l'export du vin Château de Loudenne à l'étranger.

Il résulte de l'analyse du contrat de travail initial et de la fiche de poste telle que suscitée que les missions de M. [P] ont été clairement définies et qu'elles ne mettent nullement l'accent sur une éventuelle et spécifique mission de M. [P] sur des territoires étrangers.

La seule qualification de 'responsable commercial export' n'induit pas, de facto, que le travail du salarié consistait à se rendre à l'étranger mais simplement, comme en atteste sa fiche de poste, à assurer, entre autres, des missions sur le territoire français en faveur du développement à l'export.

Cette analyse est d'autant moins contestable qu'à aucun moment de la relation contractuelle pourtant émaillée de difficultés relationnelles entre les parties comme en attestent de nombreux échanges de courriels, M. [P] n'a jugé utile de revendiquer cette prétendue dénaturation de son contrat de travail telle qu'invoquée devant la Cour.

Les premiers juges ont donc fait une exacte appréciation des faits de la cause en considérant que le contrat de travail à durée indéterminée conclu entre les parties était clair et précis, rejetant logiquement l'argumentation du salarié, non reprise en cause d'appel, selon laquelle il aurait été victime d'un dol à cet égard.

Concernant la lettre de mission, M. [P] entend justifier de son appel en invoquant que les premiers juges auraient assimilés son avenant en date du 29 mai 2007 à un contrat à durée déterminée et qu'à ce titre, les conditions de validité d'un tel contrat n'étaient pas réunies.

Toutefois, outre le fait que contrairement à ce qu'allègue le salarié, l'employeur rapporte la preuve de l'existence et du motif de l'absence de M. [U], la personne remplacée, il ressort des différents échanges de courriels ayant précédé la conclusion de l'avenant incriminé que celui-ci prendrait fin automatiquement avec le retour du salarié absent.

Ainsi, la conclusion d'un avenant temporaire ne s'opposant nullement au contrat de travail à durée indéterminée en cours, les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits en déboutant M. [P] et en relevant, non pas comme tente de le faire croire le salarié, que l'avenant au contrat de travail à durée indéterminée constituait un contrat à durée déterminée mais qu'il pouvait être considéré comme ayant les 'attributs d'un contrat à durée déterminée'.

A ce titre, il convient en effet de relever que cet avenant a bien été conclu pour pourvoir au remplacement d'un salarié en arrêt maladie, qu'il comporte un terme à savoir le retour du salarié absent et qu'il précise formellement les conditions de rémunération outre un délai de prévenance qui, en l'espèce, a été parfaitement respecté par l'employeur.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article 1134 du code civil que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles sont exécutées de bonne foi.

Dans la mesure où il ne fait aucun doute que la lettre de mission était parfaitement légale, M. [P] n'est pas recevable en son argumentation dès lors que son analyse consisterait à nover son contrat de travail à durée indéterminée en contrat à durée déterminée.

Il se déduit de cette analyse que M. [P] est tout aussi infondé à prétendre qu'en retrouvant ses attributions antérieures, ceci constituait une nouvelle modification de son contrat de travail qu'il aurait été en droit de refuser.

Le recours à une mission temporaire proposé à un salarié en contrat de travail à durée indéterminée du fait de l'absence d'un autre salarié étant parfaitement admis, il s'en déduit que l'autre argument développé par M. [P] ne saurait davantage prospérer.

En effet, M. [P] soutient que cette lettre de mission constituerait un prêt de main d'oeuvre illicite au motif que M. [U] n'était pas salarié de la S.C.S. [R] de Loudenne.

Toutefois, s'il résulte des dispositions de l'article L.8241-1 du Code du Travail qu'est interdit toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'oeuvre, encore faut-il que ce prêt soit effectué hors cadre d'un travail temporaire.

Or et en l'espèce, il ressort des débats et des pièces versées au dossier que non seulement M. [P] a exercé ses fonctions temporairement et partiellement mais qu'agissant ainsi, cette opération de prêt de main d'oeuvre, à la supposer établie, s'est effectuée dans un but non lucratif et n'a jamais eu pour objet ou pour conséquence de dégager une marge bénéficiaire au profit de l'entreprise prêteuse.

M. [P] a continué à exercer ses fonctions de responsable commer-cial export et est resté salarié de la S.C.S. [R] de Loudenne.

Le fait que la signature de la lettre de mission ait été formalisée postérieurement à la feuille de route du 27 mars 2007 est sans incidence sur la présente analyse.

En effet, il résulte des débats et des pièces versées au dossier que la feuille de route en question a été rédigée à la seule initiative du salarié et qu'en conséquence, elle ne peut s'analyser en une acceptation contractuelle des propositions y figurant par l'employeur.

Seule la signature de la lettre de mission emporte valeur juridique et celle- ci ayant été formalisée par avenant au contrat de travail, elle constitue l'aboutissement des négociations entre M. [P] et son employeur.

C'est à juste titre que le Conseil de Prud'hommes a ainsi considéré que M. [P] avait dès lors été rempli de ses droits au regard des accords contractuels intervenus entre les parties et qu'il devait être débouté de ses demandes relatives au travail dissimulé et rappels de salaires.

La Cour confirmera donc le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause la S.C.S. Château de Loudenne et la S.C.S. Vignobles [R] et qu'il a débouté M. [P] jugeant que la lettre de mission en date du 29 mai 2007 était légale et à effet du 13 avril 2007.

La Cour confirmera aussi le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [P] des demandes pécuniaires afférentes outre en ce qu'il l'a débouté de ses demandes relatives au travail dissimulé et aux rappels de salaire.

Sur le harcèlement moral

La reconnaissance du harcèlement moral suppose la réunion de trois conditions cumulatives au titre desquelles :

- des agissements répétés

- une dégradation des conditions de travail

- une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à

l'avenir professionnel du salarié.

En cas de litige relatif à des faits de harcèlement, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le harcèlement moral ne se présume pas, il doit être prouvé.

En l'espèce, M. [P] invoque comme preuve du harcèlement moral dont il soutient avoir été victime :

- les procédures de redressement judiciaire entamées à l'encontre de son employeur et, plus généralement, du 'Groupe' [R]

- un courrier en date du 5 septembre 2006 dans lequel l'employeur invoque les

'débordements' de son salarié

- l'entretien annuel de Mme [J]

- les observations qu'on lui aurait demandé de faire sur un contrat commercial.

Il résulte de l'analyse de ces griefs que concernant :

- le 1er grief, l'employeur rapporte la preuve que les procédures de redressement judiciaire entreprises ne se sont pas poursuivies. En tout état de cause, et comme l'ont parfaitement relevé les premiers juges à cet égard, aucune preuve n'est rapportée de ce que les procédures judiciaires invoquées aient eu une incidence quelconque sur les relations entre les parties. La Cour relève en outre qu'à supposer ces difficultés financières établies, aucun élément n'établit qu'elles constitueraient un acte de harcèlement moral à l'égard de M. [P].

- le 2ème grief, l'employeur rapporte la preuve que le courrier en date du 5 septembre ne peut être assimilé à du harcèlement moral dès lors que les termes de cet écrit sont parfaitement mesurés et qu'ils s'inscrivent dans le strict pouvoir de direction de l'employeur qui ne saurait être assimilé à une attitude de harcèlement moral.

- le 3ème grief, celui-ci n'est pas davantage établi dès lors que, placée sous la respon-sabilité directe de M. [P] en sa qualité d'assistante commerciale, il n'apparaît pas incompatible avec les fonctions du salarié que celui-ci ait été la seule personne habilitée à procéder à l'évaluation de Mme [J]. En tout état de cause, ce grief invoqué ne peut être assimilé à un harcèlement moral.

- le 4ème grief, il apparaît que les observations que l'employeur aurait demandé à M. [P] de faire sur un contrat commercial ne sauraient être assimilées à du harcèlement moral dès lors que, là encore, cette mission incombait tout particulièrement au responsable commercial export qu'il était.

Ainsi, non seulement la preuve n'est nullement rapportée de ce que M. [P] aurait été victime d'agissements répétés ayant entraîné une dégradation de ses conditions de travail mais au surplus, la Cour constate que l'intéressé ne produit aucun élément relatif à son état de santé de sorte que le harcèlement moral ne saurait prospérer dès lors que la preuve d'une dégradation des conditions de travail et une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l'avenir professionnel du salarié ne sont pas établies.

La Cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [P] des demandes relatives au harcèlement moral.

Sur le licenciement

Tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, le doute profitant au salarié.

La faute grave est par ailleurs celle qui rend impossible le maintien du salarié pendant la période du préavis.

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement en date du 11 mars 2008 énonce divers griefs au titre desquels :

- sabotage volontaire du travail par non exécution des tâches incombant au salarié

- comportement intolérable à l'égard des salariés et des collègues de travail

- refus de toute autorité hiérarchique

- colportage de fausses informations sur la société perturbant le déroulement normal

des relations commerciales de confiance.

M. [P] entend, en cause d'appel, soulever que la plupart des griefs invoqués seraient prescrits.

Il résulte toutefois de l'ensemble des mails échangés entre les parties que les observations qui ont été faites par l'employeur à son salarié sur un certain nombre de comportements que celui-ci avait adoptés ne peuvent s'analyser en des sanctions dès lors que la S.C.S. Château de Loudenne rapporte la preuve que Mme [R] a tenté par tous les moyens d'alerter M. [P] sur un certain nombre de difficultés afin que celui-ci adopte une autre attitude tant à l'égard de la société pour le compte de laquelle il travaillait mais aussi à l'égard de ses collaborateurs et subordonnés.

Ces observations ne sauraient être assimilées à des sanctions au sens du droit du travail mais au simple exercice du pouvoir de direction d'un employeur sur un salarié.

C'est bien le caractère réitéré des actions de M. [P] qui justifie le choix par l'employeur de procéder à un licenciement pour faute grave.

Dès lors, l'analyse des griefs permet d'établir :

* sur le 1er grief : le sabotage volontaire du travail par non exécution des tâches incombant au salarié.

Il résulte d'un certain nombre de mails et de courriers échangés entre Mme [R] et M. [P] que ce dernier, malgré de nombreuses relances, s'est volontairement refusé à exécuter des tâches qui lui incombaient personnellement tant au regard de la fiche de poste en sa qualité de responsable commercial export qu'au titre de ses responsabilités à l'égard de ses subordonnés.

A cet égard, la Cour relève plusieurs courriels adressés par Mme [R] à M. [P], notamment au cours des mois de janvier et février 2008, qui témoignent des demandes de l'employeur et de l'absence de réponse du salarié à ces demandes ou de réponses pour le moins insolentes.

Il apparaît en outre que le salarié n'a pas transmis des rapports d'activité qui lui étaient régulièrement demandés et que l'unique fois, au cours de la période précédant le licenciement, où il s'est exécuté, le tableau adressé était non seulement illisible mais qu'au surplus, il ne répondait nullement aux sollicitations qui étaient formulées.

L'échange des courriels entre les parties démontre que , malgré la volonté de l'employeur d'adopter un ton courtois et d'apaisement constant, M. [P] s'est volontairement placé dans une situation de 'rupture' qui témoigne de sa volonté non dissimulée de ne plus exécuter de manière loyale et normale ses fonctions.

M. [P] conteste ce grief en invoquant que ces tâches ne lui incombaient pas. Toutefois, au regard de sa fiche de poste et de ses fonctions, il apparaît évident qu'en sa qualité de responsable commercial et de directeur technique partiel, il se devait de superviser, d'organiser et de rendre compte à sa hiérarchie.

Les courriels adressés par d'autres membres de l'équipe à Mme [R] témoignent aussi de la volonté délibérée de M. [P] de n'avoir pas communiqué à certains services, et notamment au service comptabilité, des informations essentielles.

A cet égard, et compte tenu des tâches dévolues au salarié, celui-ci ne saurait arguer de ce que cette mission n'entrait pas dans sa fiche de poste alors même qu'en tant que responsable commercial, les liens entre lui et le service comptabilité étaient évidents.

Il se déduit de ces éléments que le grief invoqué est réel et sérieux.

* sur le 2ème grief : comportement intolérable à l'égard des salariés et des collègues de travail

Il résulte des débats et des pièces versées au dossier que l'employeur a été rapidement alerté par de nombreux salariés placés sous l'autorité de M. [P] des difficultés relationnelles que celui-ci entretenait avec nombre d'entre eux, certains invoquant un véritable harcèlement moral à leur endroit de la part du salarié.

L'échange des mails entre Mme [R] et M. [P] démontre que ce dernier n'a jamais tenu compte des observations faites par son employeur, lequel avait maintes fois suggéré à son salarié d'adopter une attitude plus constructive avec ses collaborateurs.

Toutefois, il apparaît que M. [P] n'a jamais véritablement tenu compte de ces observations puisqu'il ressort notamment des témoignages de Mmes [J], [Z] et [K], de Mrs [D] et [B] que ceux-ci ont alerté à plusieurs reprises Mme [R] des conditions de travail inacceptables que leur imposait M. [P], ces salariés invoquant non seulement leur difficulté personnelle avec leur supérieur mais aussi une attitude de harcèlement de sa part à leur égard.

Des faits précis sont dénoncés par ces salariés lesquels s'en sont ouverts à Mme [R] et ont de surcroît témoigné à l'instance en cours pour en attester.

Il ressort cependant des débats et surtout des échanges de courriels entre M. [P] et Mme [R] que cette dernière a cherché par tous moyens à ne pas désavouer directement son responsable commercial export, qu'elle a tenté de l'alerter sur la nécessité de modifier son comportement à l'égard des autres salariés et qu'elle lui a laissé de nombreuses opportunités pour y parvenir.

La Cour constate, à cet égard, que M. [P] ne conteste pas formellement ce grief, tout au plus se contente-t-il de stigmatiser l'attitude de Mme [J] sans trouver d'argument valable pour contredire les attestations et/ou témoignages suscités.

A cet égard et pour ne relever que les seules déclarations de Mme [J], les attestations produites par cette salariée sont parfaitement corroborées par les témoignages d'autres salariés qui ont assisté à des scènes humiliantes ce qui tend à démontrer que le grief invoqué est établi.

En conséquence, le caractère réel et sérieux de ces deux seuls griefs suffit à légitimer le licenciement de M. [P] sans qu'il soit nécessaire de vérifier la réalité des deux autres.

La réalité et le sérieux de ces griefs justifient le caractère de faute grave retenu par l'employeur pour procéder au licenciement de son salarié.

En effet, le refus de M. [P] d'accomplir son travail qui correspondait pourtant à sa qualification est constitutif d'une faute grave qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise et l'attitude de harcèlement que le salarié a adopté à l'égard de certains salariés -dont Mme [J] ne permettait pas davantage de le maintenir dans son poste dès lors que la S.C.S. Château de Loudenne aurait pu être tenue pour responsable des agissements de son salarié si elle n'avait pas agi pour assurer la protection des salariés placés sous l'autorité de M. [P].

En conséquence, la Cour réformera le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu le caractère de faute grave et qu'il a alloué les sommes suivantes à M. [P] :

-15.000 € au titre de l'indemnité de préavis

- 1.500 € au titre des congés payés afférents

- 1.650 € au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur les demandes accessoires

Eu égard à la solution apportée au litige, l'équité commande de débouter les parties des demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile.

M. [P] qui succombe en appel sera condamné aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Sur appel du jugement du Conseil de Prud'hommes Bordeaux en date du 6 avril 2009,

' réforme le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu le caractère de faute grave au licenciement de M. [P] et en ce qu'il a alloué à ce dernier les sommes suivantes :

- 15.000 € (quinze mille euros) au titre de l'indemnité de préavis

- 1.500 € (mille cinq cents euros) au titre des congés payés afférents

- 1.650 € (mille six cent cinquante euros) au titre de l'indemnité de licenciement

Statuant à nouveau :

' dit que le licenciement de M. [P] est fondé sur une faute grave et le déboute de sa demande d'indemnité de préavis et congés payés afférents et d'indemnité de licenciement,

' confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant :

' déboute les parties des demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,

' condamne M. [P] aux entiers dépens.

Signé par Madame Marie-Paule Descard-Mazabraud, Président, et par Madame Anne-Marie Lacour-Rivière, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A-M Lacour-Rivière M-P Descard-Mazabraud


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 09/02402
Date de la décision : 08/06/2010

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 4A, arrêt n°09/02402 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-06-08;09.02402 ?
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