COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 5 novembre 2008
IT
(Rédacteur : Monsieur Robert MIORI, Président)
No de rôle : 06 / 03859
Monsieur Renaud X...
c /
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CHARENTE MARITIME Madame Martine Y... LA MUTUELLE GENERALE DE L'EDUCATION NATIONALE-MGEN
Nature de la décision : AU FOND SUR RENVOI DE CASSATION
Grosse délivrée le :
aux avouésDécision déférée à la Cour : Jugement rendu le 8 janvier 2003 par le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 10 janvier 2005 cassé par un arrêt de la Cour de Cassation du 27 juin 2006 renvoyant la cause devant la cour d'appel de Bordeaux
APPELANT :
Monsieur Renaud X... Profession : Médecin demeurant ...
Représenté par la SCP RIVEL et COMBEAUD, avoués à la Cour assisté de Maître Laure GALY avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CHARENTE MARITIME prise en la personne de son représentant légal dont le siège social est 55-57, rue de Suède 17014 LA ROCHELLE CEDEX
Représentée par la SCP CASTEJA-CLERMONTEL et JAUBERT, avoués à la Cour assistée de Maître Marie-Lucile HARMAND-DURON, avocat au barreau de BORDEAUX
Madame Martine Y... née le 15 Mars 1957 à SAINT BRICE (16) de nationalité française demeurant...
Représentée par la SCP ARSENE-HENRY ET LANCON, avoués à la Cour assistée de Maître JOURDAIN loco de Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
LA MUTUELLE GENERALE DE L'EDUCATION NATIONALE-MGEN prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 3, square Max Hymans 75748 PARIS CEDEX 15
Représentée par la SCP GAUTIER et FONROUGE, avoués à la Cour assistée de Maître DECLERCQ loco de Maître Marie-Pierre ARIZTIA avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 septembre 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Robert MIORI, Président, Monsieur Bernard LAGRIFFOUL, Conseiller, Madame Danièle BOWIE, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux du 8 janvier 2003.
Vu l'arrêt de cette cour du 10 janvier 2005.
Vu l'arrêt de la cour de cassation du 27 juin 2006 et la déclaration de saisine du 13 juillet 2006.
Vu les conclusions de Monsieur X... déposées le 14 novembre 2007.
Vu les conclusions de Madame Y... déposées le 27 août 2008.
Vu les conclusions de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde déposées le 25 février 2008.
Vu les conclusions de la Mutuelle Générale de l'Education Nationale déposées le 8 janvier 2008.
Vu l'ordonnance de clôture du 3 septembre 2008.
Objet du litige :
Madame Y... qui souffrait depuis plusieurs années d'un reflux gastro-oesophagien invalidant a subi pour y remédier une intervention chirurgicale pratiquée par le docteur X... le 30 octobre 1996 consistant en la mise en place d'une valve circulaire anti-reflux.
Des complications graves sont apparues dans les heures suivantes consistant en une ascension de la valve et de l'estomac dans le thorax et en une perforation de l'estomac. Ces complications ont entraîné un syndrome septique lié à une infection pleurale ayant pour origine la perforation gastrique.
Le 30 mai 1997 Madame Y... a néanmoins été à nouveau opérée de son reflux gastro-oesophagien par un autre médecin et selon une autre technique (laparotomie).
Le professeur H... qui a été désigné en qualité d'expert à la demande de Madame Y... a précisé :
- que le docteur X... a fourni des soins appropriés, consciencieux et conforme aux données acquises de la science et que les complications dont elle a été victime sont inhérentes à la nature même de l'intervention pratiquée et qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité du médecin n'est caractérisée.
que le préjudice lié à la complication doit être évalué comme suit :
- ITT directement liée à la complication 12 mois
-Incapacité permanente partielle 5 % en raison des douleurs thoraciques qui persistent entraînant une gêne lors de certaines positions dans les activités ménagères ou sportives
-Souffrances endurées 5 / 7- Préjudice esthétique 1 / 7- Existence d'un préjudice d'agrément dans les activités de sport et de loisirs.
Par jugement en date du 8 janvier 2003 le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux a :
- déclaré Monsieur X... responsable d'un défaut d'information à l'égard de Madame Y... sur les risques encourus lors de l'intervention et l'a condamné à verser à l'intéressée 12 000 euros à titre de dommages et intérêts outre une indemnité de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- débouté la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime et la Mutuelle Générale de l'Education Nationale de leurs demandes.
Par arrêt du 10 janvier 2005 la cour d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement entrepris.
Saisie d'un pourvoi formé par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime la Cour de Cassation a par arrêt du 27 juin 2006 cassé l'arrêt susmentionné mais seulement en ce qu'il a condamné Monsieur X... à payer à Madame Y... une somme de 12 000 euros en indemnisation du préjudice découlant directement du défaut d'information et débouté la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime et la Mutuelle Générale de l'Education Nationale de leurs demandes et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.
Pour casser l'arrêt qui lui a été soumis la Cour de Cassation a retenu que dans le cas ou un défaut d'information a fait perdre au patient la chance d'échapper au risque qui s'est réalisé le dommage qui en résulte pour lui est fonction de la gravité de son état réel et de toutes les conséquences en découlant et que contrairement à ce qui a été jugé la réparation ne se limite pas au préjudice moral mais correspond à une fraction des différents préjudices.
La déclaration de saisine de la cour par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime est intervenue le 13 juillet 2006.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime conclut à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes. Elle sollicite que soient évalués la fraction des préjudices subis par Madame Y... par suite de la perte d'une chance qu'il soit jugé que son recours s'exercera sur les postes de dépenses de santé actuelles et frais divers et que Monsieur X... soit condamné à lui verser 29 928, 21euros au titre des diverses prestations servies avec intérêts au taux légal à compter du 17 février 2000, outre une indemnité de 300 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle maintient que la réparation du préjudice ne saurait présenter un caractère forfaitaire et que le tiers payeur dispose à l'exclusion des préjudices personnels d'un recours à la mesure des prestations versées à la victime.
La Mutuelle Générale de l'Education Nationale demande qu'il soit jugé que la réparation due à Madame Y... ne peut que correspondre à une fraction des chefs de préjudice qu'elle a subis et que Monsieur X... soit condamné à lui verser la somme de 7 467, 62 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 février 2000 et une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir que si Madame Y... avait eu connaissance de la complication qui pouvait survenir elle n'aurait peut être jamais décidé de donner son acceptation pour subir l'intervention chirurgicale.
Madame Y... demande que son préjudice total soit fixé à 77 942, 67 euros et qu'après déduction des provisions il lui soit allouée la somme de 35 551, 84 euros à titre principal et une indemnité de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle soutient que le principe de la responsabilité de Monsieur X... est irrévocable.
Monsieur X... conclut à titre principal au débouté de Madame Y... de ses prétentions. A titre subsidiaire il sollicite qu'une forte diminution des sommes qui lui seront allouées soit opérée et qu'il soit dit que les recours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime et la Mutuelle Générale de l'Education Nationale s'exerceront après application du pourcentage de réduction lié à la perte de chance.
Il soutient que le défaut d'information qui lui est reproché n'a généré aucune perte de chance la victime ayant recouru à une nouvelle intervention chirurgicale et que la réparation de la perte de chance ne peut excéder un quart du préjudice subi.
Motifs de la décision :
Sur la perte de chance :
Le jugement du 8 janvier 2003, a déclaré Monsieur X... responsable d'un défaut d'information à l'égard de Madame Y... sur les risques encourus à l'occasion de l'intervention chirurgicale et a retenu le principe du droit à réparation de l'intéressée.
Dans son arrêt du 10 janvier 2005, qui n'a pas été cassé sur ce point, la cour d'appel a confirmé le jugement susmentionné.
Il a donc été définitivement jugé que Monsieur X... était responsable de n'avoir pas informé sa patiente et que celle-ci avait droit à réparation de ce chef, la cassation n'étant intervenue qu'en ce que l'arrêt a limité la réparation au préjudice moral de la victime.
C'est dès lors à tort que Monsieur X... soutient que Madame Y... n'aurait subi aucune perte de chance et qu'elle devrait être déboutée de ses demandes.
Il y a lieu en toute hypothèse de souligner comme l'a exactement fait le tribunal, que l'intervention n'étant ni urgente ni impérative, Madame Y... aurait eu la possibilité, après avoir consulté d'autres praticiens, de choisir ainsi qu'elle l'a fait quelques mois plus tard, une autre méthode d'intervention.
Le droit à indemnisation de Madame Y... en raison de la perte d'une chance d'échapper au risque qui s'est réalisé doit donc être retenu.
Non informée avant l'intervention, de l'existence possible de la complication qui est survenue, Madame Y... n'a pas pu donner son acceptation au geste chirurgical en toute connaissance de cause.
Il n'est par contre par certain que normalement informée elle n'aurait pas accepté d'assumer ce risque représenté par l'ascension de la valve et de l'estomac dans le thorax et par la perforation de l'estomac.
Le défaut d'information concernant cette complication, certes rare, mais connue et non exceptionnelle, justifie que la perte de chance subie soit fixée à 15 % du préjudice qui s'est réalisé.
Sur le montant du préjudice :
Pour déterminer le montant de la réparation revenant à Madame Y... et aux tiers payeurs il convient d'évaluer le préjudice poste par poste conformément aux dispositions de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985, modifiés par l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 portant financement de la sécurité sociale pour 2007.
Monsieur X... sera tenu au paiement de 15 % des sommes ainsi déterminées pour avoir manqué à son devoir d'information.
Madame Y... qui n'a été indemnisée qu'en partie, exercera ses droits contre le responsable, pour ce qui lui est dû, par préférence aux tiers payeurs dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle.
I Les Préjudices Patrimoniaux :
Les Dépenses de Santé Actuelles (DSA) :
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Charente Maritime et la Mutuelle Générale de l'Education Nationale ont respectivement pris en charge les sommes de 29 854, 10 euros et de 6 789, 26 euros au titre des frais médicaux et d'hospitalisation qui ne sont pas discutés dans leur montant.
Monsieur X... sera tenu de leur rembourser 15 % de ces sommes soit : 4 478, 11 euros au profit de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et 1 018, 38 euros au profit de la Mutuelle Générale de l'Education Nationale étant précisé que Madame Y... ne réclame rien à ce titre.
Pertes de gains professionnels :
Il sera alloué à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale 15 % de la somme de 609, 45 euros qu'elle a versée à Madame Y... au titre des allocations journalières soit 609, 45 X 15 : 100 = 91, 41 euros.
Frais divers :
Les sommes déboursées par les tiers payeurs au titre des frais de transport leur seront remboursées par Monsieur X... qui n'en conteste pas le montant dans la limite de 15 % soit :
CPAM : 69, 11 x 15 % = 10, 36 € MGEN : 68, 91 x 15 % = 10, 33 €
Aucune somme ne sera déduite de ces chefs au profit de Madame Y... qui ne prétend pas avoir subi des pertes de gains professionnels ou avoir exposé des frais restés à sa charge.
Le total revenant à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie est donc de : 4 478, 11 + 10, 36 = 4 488, 47 euros. Celui revenant à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale est de 1 018, 38 + 91, 41 + 10, 33 = 1 120, 12 euros.
II Les Préjudices Extrapatrimoniaux :
A Préjudices Extrapatrimoniaux Temporaires :
Au titre du déficit fonctionnel temporaire qui s'est poursuivi pendant les 12 mois imputables aux complications durant lesquels Madame Y... a été gênée dans les actes de la vie courante, il lui sera alloué la somme de 600 € X 12 X 15 % = 1 080 euros.
Pour les souffrances endurées évaluées à 5 / 7 par l'expert il lui revient la somme de 25 000 euros X 15 % = 3 750 euros.
B Préjudices Extrapatrimoniaux Permanents :
Compte tenu de son âge, (elle est née en 1957) et des constatations médicales qui font ressortir un déficit fonctionnel permanent de 5 %, et de la date de consolidation (1997) il sera alloué à Madame Y... sur la base de 920 euros du point d'incapacité 920 X 5 X 15 % = 690 euros.
Une indemnité de 1 500 X 15 % = 225 euros lui sera versée au titre de son préjudice esthétique estimé à 1 / 7 par l'expert.
Sur la base de 1 524, 49 euros à laquelle elle demande que son préjudice d'agrément soit fixé la somme revenant à Madame Y... à ce titre sera de 1 524, 49 € X 15 % = 228, 60 euros.
Le total revenant à Madame Y... au titre du préjudice extrapatrimonial est dès lors de
Déficit fonctions temporaire 1080
Souffrances endurées 3750
Déficit fonctionnel permanent 690
Préjudice esthétique 225
Préjudice d'agrément 228, 67
Total 5 973, 60 euros
Compte tenu de la provision de 6 000 euros qui lui a déjà été versée, Madame Y... se trouve débitrice en principal de la somme de 26, 40 euros.
Monsieur X... sera néanmoins condamné à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Une indemnité de 300 euros sera allouée à ce titre à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et celle accordée à ce titre à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale sera fixée à 800 euros.
Par ces motifs :
Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux du 18 janvier 2003, l'arrêt de cette cour du 10 janvier 2005, et l'arrêt de la Cour de Cassation du 27 juin 2006.
Dit que compte tenu du manquement à son devoir d'information Monsieur X... a fait subir à Madame Y... une perte de chance d'échapper au risque qui s'est réalisé qui doit être fixée à 15 %.
Dit en conséquence qu'il est tenu d'indemniser le préjudice de Madame Y... à hauteur de 15 %.
Condamne en conséquence Monsieur X... à verser :
1o / à Madame Y... avant déduction de la provision de 6 000 euros la somme de 5 767, 86 euros et constate qu'après déduction de cette dernière Madame Y... se trouve débitrice à son égard de 26, 40 euros à titre principal.
Condamne Monsieur X... à verser à Madame Y... une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
2o / à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde la somme principale de 4 488, 47 euros outre une indemnité de 300 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
3o / à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale la somme principale de 1 120, 12 euros outre une indemnité de 800 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Dit que les sommes dues à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Gironde et à la Mutuelle Générale de l'Education Nationale porteront intérêts au taux légal dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l'article 1153 du code civil.
Condamne Monsieur X... aux dépens ceux d'appel étant distraits dans les conditions prévues aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert MIORI, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
Hervé GOUDOT Robert MIORI