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03/07/2008 | FRANCE | N°07/03243

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale, 03 juillet 2008, 07/03243


ARRET RENDU PAR LA

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

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Le : 03 Juillet 2008

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

PRUD'HOMMES

No de rôle : 07/03243

CB/CB

S.A.S. WALON FRANCE prise en la personne de son représentant légal

c/

Monsieur Laurent Y...

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier

)

Certifié par le Greffier en Chef

Grosse délivrée le :

à :

Prononcé publiquement par mise à disposition au Greffe de la Cour, les partie...

ARRET RENDU PAR LA

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

----------------------------------------------

Le : 03 Juillet 2008

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

PRUD'HOMMES

No de rôle : 07/03243

CB/CB

S.A.S. WALON FRANCE prise en la personne de son représentant légal

c/

Monsieur Laurent Y...

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier)

Certifié par le Greffier en Chef

Grosse délivrée le :

à :

Prononcé publiquement par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Le 03 Juillet 2008

Par Monsieur Claude BERTHOMME, Conseiller,

en présence de Madame Chantal TAMISIER, Greffier,

La COUR D'APPEL de BORDEAUX, CHAMBRE SOCIALE SECTION B, a, dans l'affaire opposant :

S.A.S. WALON FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis - Le Meux - BP 60309 - Rue du Général de Gaulle - 60618 LA CROIX DE SAINT OUEN CEDEX

représentée par Maître Carole MORET, avocat au barreau de BORDEAUX

Appelante d'un jugement (R.G. F05/2456) rendu le 24 mai 2007 par le Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel en date du 26 juin 2007,

à :

Monsieur Laurent Y..., né le 11 Janvier 1969, de nationalité Française, demeurant ...

représenté par Maître Stéphane LEMPEREUR, avocat au barreau de BORDEAUX

Intimé,

Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue en audience publique le 29 Mai 2008, devant :

Monsieur Benoit FRIZON DE LAMOTTE, Président,

Monsieur Claude BERTHOMME, Conseiller,

Monsieur Jean-François GRAVIE-PLANDE, Conseiller,

Madame Chantal TAMISIER, Greffier,

et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du Siège ci-dessus désignés.

***

FAITS ET PROCÉDURE

À compter du 18 janvier 1988, la S.A.S. WALON FRANCE (la S.A.S.) a engagé Laurent Y... par contrat à durée indéterminée soumis à la convention collective des transports routiers, en qualité de conducteur de véhicules poids lourds et elle l'a affecté à l'agence de BORDEAUX. À partir du 1er décembre 2003, la S.A.S. a affecté Laurent Y... à des tâches administratives après que le coordinateur de la flotte régionale de véhicules, Bruno Z..., ait quitté l'entreprise. Laurent Y... a accepté ces nouvelles attributions dès lors qu'était maintenu le bénéfice de ses avantages antérieurs.

À compter de cette date, Laurent Y... est apparu sur les organigrammes de la S.A.S. comme "responsable transport" du site de BORDEAUX ou comme "correspondant transport" d'autres sites du Grand SUD-OUEST, comme celui de NIORT, ayant sous ses ordres des "dispatchers", eux-mêmes chargés d'encadrer les équipes de conducteurs des véhicules poids lourds.

Ses bulletins de paie ont continué à porter mentions de l'emploi "conducteur de véhicule P L", de la qualification "ouvrier CR coefficient 150" et d'une rémunération brute mensuelle de 1.322,09 € pour 169 heures, correspondant à 39 h par semaine, de décembre 2003 à mars 2004, puis de 1.921,44 € à compter d'avril 2004 pour 199,33 h correspondant à 46 h par semaine, avec paiement d'un treizième mois.

Affirmant l'intention de "régulariser" au 1er janvier 2005 la situation contractuelle de son salarié, par courriel de son DRH du 15 décembre 2004, la S.A.S. a proposé de lui donner un poste de "dispatcher", une qualification d'agent de maîtrise et une rémunération brute mensuelle de 1.800 € sur 13 mois pour une durée de travail de 151,67 h. Par courriel du 17 décembre 2004, le salarié a refusé de telles modifications de sa situation contractuelle.

Prenant acte du refus de Laurent Y... pour cette proposition, la S.A.S. lui a donné instruction, par lettre recommandée du 23 décembre 2004, de reprendre, à compter du 3 janvier 2005, son métier d'origine, toujours mentionné depuis 1988 sur ses bulletins de paie, celui de conducteur de véhicules poids lourds.

Par lettre officielle de son conseil en date du 14 février 2005, Laurent Y... a contesté cette rétrogradation, il a demandé la reconnaissance de sa position de cadre à compter de décembre 2003 et l'attribution du salaire conventionnel correspondant, précisant son intention de saisir le conseil de prud'hommes et de se prévaloir de la rupture de son contrat aux torts de l'employeur.

Par lettre du 17 février 2005, Laurent Y... a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts et griefs de la S.A.S. et a donné pour date d'effet de cette rupture celle du 25 février 2005.

Il a saisi le Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX le 25 octobre 2005 de ses demandes dirigées contre l'employeur tendant à obtenir, du 1er décembre 2003 au 25 février 2005, une classification de cadre, un poste de groupe 6 de la convention collective et les rappels de salaires conventionnels correspondants au coefficient 200, ainsi que les indemnités de rupture de son contrat de travail imputée à l'employeur.

Par jugement du 24 mai 2007, le Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX, considérant que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié était imputable à l'attitude fautive de l'employeur, a :

- jugé que la rupture du contrat de travail de Laurent Y... entraînait les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la S.A.S. WALON FRANCE à payer au salarié :

* 4.262 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 426,20 € à titre de congés payés sur préavis,

* 9.989,20 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

avec remise des bulletins de salaire,

* 25.000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L 122-14-4 du Code du travail,

* 500 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,

* 600 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté Laurent Y... du surplus de ses demandes,

- conformément à l'article L 122-14-4 du Code du travail, ordonné d'office le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite légale de six mois,

- débouté la S.A.S. WALON de sa demande reconventionnelle et l'a condamnée aux entiers dépens.

La S.A.S. WALON a régulièrement relevé appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions écrites, déposées le 28 mai 2008 au greffe, développées oralement à l'audience et auxquelles il est expressément fait référence, la S.A.S. sollicite de la Cour de :

- confirmer le jugement rendu le 24 mai 2007 par le Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX en ce qu'il a dit et jugé que Monsieur Y... ne pouvait prétendre avoir occupé depuis le 1er décembre 2003 des fonctions de cadre relevant de la classification du Groupe 6 de la convention collective des transports routiers,

- débouter Monsieur Y... de ses demandes de rappel de salaires,

- réformer le jugement pour le surplus,

- constater l'absence de faute de la société WALON dans le fait d'avoir demandé à Monsieur Y... de reprendre son emploi de chauffeur routier aux conditions de rémunération plus favorables qu'il souhaitait conserver,

- dire que la décision de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Monsieur Y..., manifestée par courrier recommandé adressé à la société WALON le 17 février 2005, doit être considérée comme une démission,

- débouter Monsieur Y... de la totalité de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail et condamner ce dernier à titre reconventionnel au paiement d'une indemnité de préavis de 4.552 €,

en tout état de cause,

- dire et juger que Monsieur Y... ne peut prétendre au bénéfice d'une indemnité compensatrice de préavis pas plus qu'à une indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure,

- constater les chiffrages erronés de Monsieur Y..., pour les conséquences indemnitaires de la prise d'acte de la rupture (préavis, indemnité conventionnelle),

- dire et juger l'indemnité allouée sur le fondement de l'article L 122-14-4 ancien (L 1235-3 nouveau) du Code du travail manifestement disproportionnée,

- réformer la décision en limitant le quantum de la condamnation éventuellement prononcée à la somme de 13.656 € en lieu et place des 25.000 € alloués à Monsieur Y...,

- condamner Monsieur Y... au paiement d'une indemnité de 2.500 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner Monsieur Y... aux entiers dépens et frais d'exécution.

La S.A.S. fait valoir que les fonctions de "correspondant transport" confiées en décembre 2003 à Laurent Y... ne pouvaient relever, selon la convention collective, que d'un poste du groupe 4 en position d'agent de maîtrise et en aucune façon d'un poste du groupe 6 avec position cadre, dès lors que même Bruno Z..., "coordinateur de la flotte régionale" dont les fonctions n'ont pas été reprises, bénéficiant d'un classement en groupe 6 et d'un coefficient 200 de la convention collective, n'a jamais eu de position cadre, mais uniquement une position agent de maîtrise. Aussi la S.A.S. demande-t-elle la confirmation du jugement ayant débouté le salarié de ses demandes de rappels de salaire.

Estimant que Laurent Y... a eu tort de refuser son offre de décembre 2004 de lui attribuer un poste de dispatcher du groupe 4 en position d'agent de maîtrise et d'exiger un poste du groupe 6 avec position cadre, la S.A.S. estime que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission. Le salarié ne pouvant exiger unilatéralement une modification de son contrat de travail de conducteur poids lourds, n'est pas en mesure de faire grief à son employeur d'avoir mis fin en janvier 2005 à ses fonctions temporaires précédentes pour l'employer effectivement au poste contractuellement prévu. L'application du contrat ne peut être analysée en une rétrogradation.

La S.A.S. critique enfin le montant des sommes demandées par Laurent Y....

Par conclusions écrites, déposées au greffe le 28 mai 2008, exposées à la barre et auxquelles il est expressément fait référence, Laurent Y... demande à la cour de :

- confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a constaté que la rupture de son contrat de travail devait s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que l'existence d'une irrégularité de procédure de licenciement et a condamné la société WALON FRANCE à lui payer la somme de 25.000 € de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail sur le fondement de l'article L 1235-3 (L 122-14-4 ancien) du Code du travail,

- réformer en revanche ce même jugement concernant le quantum des autres sommes allouées en prenant pour base de calcul le salaire auquel il aurait pu prétendre dans le cadre de sa demande de reclassification (2.855,64 €) et condamner la société WALON FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

* 2.855,64 € de dommages-intérêts pour non respect de la procédure légale de licenciement,

*14.849,32 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 8.556,92 € à titre d'indemnité de préavis,

* 856,65 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de reclassification en constatant que la rémunération due par la société WALON FRANCE au titre des nouvelles fonctions, qui lui ont été dévolues à la suite du départ de Monsieur Z..., relevait de la classification du Groupe VI de la convention collective des transports routiers,

- dire et juger que ses nouvelles fonctions assumées au sein de la société WALON FRANCE depuis le 1er décembre 2003 relèvent de la classification statut cadre Groupe 6 de la convention collective 3085 des transports routiers,

- dire et juger recevable et bien fondée sa demande au titre des rappels de salaires,

- condamner la société WALON FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

*1.334,69 € de rappel de salaire du 1er au 31 décembre 2003,

*4.296,99 € de rappel de salaire du 1er janvier au 31 mars 2003,

*2.615,34 € à titre de rappel de salaire du 1er avril au 30 juin 2004,

*4.997,88 € à titre de rappel de salaire du 1er juillet au 31 décembre 2004,

* 1.712,70 € à titre de rappel de salaire du 1er janvier au 25 février 2005,

- condamner la société WALON FRANCE à lui remettre les bulletins de salaire régularisés avec mention de la bonne classification pour la période de décembre 2003 à février 2005, ainsi que son certificat de travail rectifié et son attestation ASSEDIC, le tout sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 31 ème jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir,

subsidiairement, si la cour devait ne pas faire droit à sa demande de reclassification,

- dire et juger que les indemnités de rupture devront être calculées sur la base du salaire mensuel brut moyen de référence (2.289,53 €) et non sur le salaire de base (1.921,44 €) comme l'a retenu le conseil,

ce faisant,

- condamner la société WALON FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

* 2.289,53 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement,

* 11.905,55 € à titre d'indemnité de licenciement,

* 6.868,59 € à titre d'indemnité de préavis,

* 685,85 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

en toute hypothèse,

- condamner la société WALON FRANCE à lui payer une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel incluant les frais d'exécution.

Il fait valoir qu'après lui avoir fait exercer du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2004 les fonctions de responsable de transport ayant sous ses ordres les dispatchers, la S.A.S. non seulement lui a refusé la la qualification du groupe 6 et la position cadre prévues par la convention collective pour le responsable de transport des entreprises disposant de plus de 100 véhicules, mais encore lui a fait en décembre 2004 une proposition de poste contractuel de dispatcher, ce qui constitue une rétrogradation aggravée de surcroît par la proposition de diminution de son salaire brut mensuel de 1921 € à 1800 €. Devant son refus légitime, l'employeur lui a alors imposé de reprendre son poste de chauffeur routier figurant toujours depuis 1988 sur ses bulletins de paie, ce qui a constitué une mesure vexatoire. Il estime que les fautes commises par la S.A.S. ont justifié la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail et les demandes qu'il a présentées.

A l'audience, la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur l'éventuelle application d'office des dispositions de l'article L 122-14-4 devenu L1235-3 du Code du Travail relatives au remboursement des indemnités de chômage. Leurs conseils s'en sont rapporté à justice, n'étant pas contesté que l'entreprise employait habituellement plus de dix salariés à l'époque de la rupture.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la relation de travail à compter du 1er décembre 2003

Selon l'article 1134 du Code civil, les conventions légalement faites tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Selon l'article L 1221-1 (ancien article L 121-1) du Code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter.

Selon l'article L 1222-1 (ancien article L 120-4) du Code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Les parties n'ont versé aux débats aucun contrat de travail écrit. Les seuls documents écrits versés aux débats qui renseignent sur les obligations du contrat de travail à temps plein conclu depuis le 18 janvier 1988 entre la S.A.S. et Laurent Y... sont la convention collective des transports routiers, le certificat de travail et les bulletins de paie.

Pour les attributions nouvelles du salarié à compter du 1er décembre 2003, les seules pièces versées aux débats sont deux organigrammes des agences de BORDEAUX et de NIORT, les bulletins de paie et les courriels échangés entre Vincent A..., le DRH de la S.A.S., et Laurent Y... en décembre 2004.

Il résulte des indications fournies par les parties et de ces documents qu'à compter du 1er décembre 2003, Laurent Y... n'a plus été affecté à un poste de chauffeur de poids lourds pour lequel il avait été engagé le 18 janvier 1988, mais à un poste administratif sur la nature et l'étendue exactes des fonctions duquel les parties sont en désaccord.

La S.A.S. soutient qu'il était "contrôleur de transport" ou "correspondant de transport" ; Laurent Y... soutient qu'il était "responsable de transport" et, en fait, chargé des fonctions précédemment exercées par Bruno Z... qui était "coordinateur de flotte régionale". Ce désaccord sur la définition exacte du poste administratif demeure sans incidence sur la solution juridique de ce premier point du litige.

Les courriels échangés entre le DRH et Laurent Y... le 15 décembre 2004 démontrent qu'à l'époque de la modification de ses attributions, en décembre 2003, ce dernier avait accepté ces nouvelles fonctions administratives en considération de deux affirmations de la S.A.S. :

- l'assurance d'une évolution rapide au sein de l'équipe du Grand BORDEAUX,

- l'assurance qu'il ne perdrait aucun des avantages dont il bénéficiait alors comme conducteur de véhicules poids lourds.

Si la promesse d'évolution rapide espérée n'a pas été tenue, le salarié admet que ses avantages, notamment son salaire, avaient été maintenus.

Dans ces conditions l'accord des parties qui a reçu exécution du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2004 était le suivant :

- Laurent Y... a exercé les fonctions administratives de contrôleur de transport ou de correspondant de transport,

- les avantages dont il bénéficiait en sa qualité de chauffeur de poids lourds de seize ans d'ancienneté de service lui ont été maintenus (salaire, structure de salaire, durée de travail, classification, position, etc...).

N'ayant jamais fait connaître avant décembre 2004 aucune revendication concernant des éléments tels que le coefficient, le salaire ou la position cadre qu'il entendait voir liés à cet accord, par ailleurs exécuté de bonne foi par les parties pendant treize mois, Laurent Y... doit en accepter l'exécution conforme à l'accord des parties tel qu'il le relate lui-même. Sa demande de modification présentée le 14 février 2005 par lettre officielle de son conseil, puis le 25 octobre 2005 seulement devant le conseil de prud'hommes ne peut être accueillie, en l'absence de tout moyen légal d'ordre public de nature à modifier un tel accord des parties. Cette demande méconnaît en effet les règles des articles 1134 du Code civil, L 1221-1 et L 1222-1 du Code du travail.

Il convient donc de rejeter les demandes de rappels de salaires pour la période du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2004.

À compter du 1er janvier 2005, Laurent Y... a repris ses attributions de conducteur de véhicules poids lourds pour un même salaire et il ne peut prétendre à un salaire correspondant à d'autres attributions.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de rappels de salaires pour la période du 1er décembre 2003 au 25 février 2005 calculées en fonction d'un salaire conventionnel de cadre du groupe VI au coefficient 200.

Sur l'imputabilité de la rupture

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, par courriel du 15 décembre 2004, sous prétexte de clarifier la situation de Laurent Y... pour 2005, le DRH de la S.A.S. lui a proposé de le nommer dispatcher, avec statut d'agent de maîtrise, au salaire brut mensuel de 1.800 €, son ancienneté dans la profession étant remise à zéro (l'ancienneté dans le groupe étant maintenue) et lui a demandé de prendre position dans la semaine.

Par rapport à la situation contractuelle de Laurent Y... depuis décembre 2003, cette proposition était en retrait sur trois points au moins :

- diminution de salaire brut mensuel (de 1.921 € depuis le 1er avril 2004 à 1.800 € en janvier 2005),

- poste de dispatcher (alors que depuis décembre 2003, les fonctions administratives de Laurent Y... lui donnaient autorité hiérarchique sur plusieurs dispatchers),

- ancienneté dans la profession remise à zéro (alors que Laurent Y... venait d'exercer des fonctions administratives depuis 12 mois et 1/2).

Le salarié était donc parfaitement fondé à conclure son courriel du 17 décembre 2004 en ces termes : "Toutes ces raisons me contraignent à refuser ta proposition. Je te pris donc de bien vouloir l'étudier à nouveau afin que l'on parte sur des bases claires pour 2005", en considération des modifications défavorables d'éléments essentiels de son contrat de travail.

La réaction de la S.A.S., plutôt que d'examiner à nouveau sa proposition comme l'y invitait son salarié, a été de lui imposer une mesure vexatoire en lui donnant instruction, par lettre recommandée du 23 décembre 2004, de reprendre dès le 3 janvier 2005 son poste de conducteur de véhicules poids lourds, ce qui le plaçait sous la dépendance hiérarchique des dispatchers qu'il venait d'encadrer et de coordonner pendant treize mois.

En tentant d'imposer unilatéralement au salarié une modification de trois éléments essentiels de son contrat de travail le 15 décembre 2004, puis en lui retirant sans son accord le 23 décembre 2004 les attributions administratives qu'il avait exercées depuis le 1er décembre 2003, la S.A.S. a eu un comportement fautif qui justifie la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Laurent Y... en date du 17 février 2005 à laquelle il a donné effet au 25 février 2005.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la rupture du contrat de travail de Laurent Y... produit les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Sur le montant des indemnités de rupture

- indemnité de licenciement

Selon la convention collective des transports routiers, le salarié ou employé ayant plus de trois ans d'ancienneté dans l'entreprise a droit, pour chaque année, à 2/10 èmes du salaire mensuel moyen des trois derniers mois.

En l'espèce, Laurent Y... qui a 17 années d'ancienneté de service dans l'entreprise du 18 janvier 1988 au 25 février 2005, a droit à une indemnité de licenciement de 34/10 èmes de salaire mensuel.

Au mois de décembre 2004, son salaire mensuel brut a été de 3.955,59 €, en janvier 2005 de 2.132,80 € et en février 2005 2.132,80 € ; son salaire mensuel moyen est donc :

* 1/3 x (3.955,59 € + 2.132,80 € + 2.132,80 €) = 2.740,40 €.

Il peut donc prétendre à une indemnité de licenciement de :

* 2.740,40 € x 34/10 = 9.317,36 €.

En conséquence, il convient de réformer le jugement sur ce point et de condamner la S.A.S. à lui payer ce montant de 9.317,36 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

- indemnité compensatrice de préavis

Selon la convention collective des transports routiers, seuls les cadres ont un droit en cas de licenciement à un préavis de trois mois.

Les personnels ouvriers et employés ayant plus de deux ans d'ancienneté de service ont droit à un préavis de deux mois. Telle était la situation de Laurent Y... lors de la rupture de son contrat de travail.

À titre d'indemnité compensatrice de préavis, compte tenu de son salaire mensuel brut moyen, le salarié a donc droit à une indemnité compensatrice de préavis égale à 2.740,40 € x 2 = 5.480,80 €.

En conséquence, il convient de réformer le jugement sur le montant qui lui avait été alloué à ce titre.

- indemnité de congés payés sur préavis

Le salarié a également droit à une indemnité de congés payés sur préavis de 548,08 €.

Sur ce point également il y a lieu de réformer le jugement.

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l'ancien article L 122-14-4 devenu l'article L 1235-3 du Code du travail ici applicable, le salarié, ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise qui occupe habituellement plus de onze salariés a droit, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre de dommages et intérêts, à une somme qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Du fait des fautes commises par l'employeur justifiant la prise d'acte de la rupture par le salarié, cette rupture produit les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et ouvre droit pour Laurent Y... aux mêmes dommages-intérêts.

Le montant de 25.000 € retenu par les premiers juges pour les dommages-intérêts doit être confirmé.

- indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

Laurent Y... demande la condamnation de la S.A.S. à lui payer une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.

En l'espèce, le contrat a pris fin à l'initiative du salarié qui a pris acte de sa rupture imputable aux torts et griefs de l'employeur. En conséquence Laurent Y... n'est pas fondé à faire grief à la S.A.S. d'un défaut de respect de la procédure de licenciement qu'elle n'a jamais mise en oeuvre.

En conséquence, la cour réforme le jugement en ce qu'il avait condamné la S.A.S. à payer à son salarié une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.

Sur la demande d'astreinte

La S.A.S. est autorisée à établir et à délivrer un bulletin de salaire de régularisation pour les indemnités de rupture mises à sa charge.

Il n'y a pas lieu de prononcer d'astreinte.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Conformément à l'article L 1235-4 (ancien article L 122-14-4) du Code du travail, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné d'office à l'employeur fautif de rembourser à l'organisme concerné, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage payées au salarié à compter de la rupture de son contrat de travail.

Sur les autres chefs de demande

La S.A.S. WALON FRANCE succombe en cause d'appel comme en instance. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme de 600 € à Laurent Y... sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et en ce qu'il l'a également condamnée aux dépens d'instance et aux frais d'exécution.

La S.A.S. WALON FRANCE doit encore être condamnée aux dépens d'appel qui comprendront les frais éventuels d'exécution.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Laurent Y... les frais exposés par lui en cause d'appel et non compris dans les dépens. La cour fixe à 1.000 € la somme complémentaire pour l'appel que la S.A.S. doit lui payer à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement du Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX du 24 mai 2007 en ce qu'il a :

- débouté Laurent Y... de sa demande de rappels de salaires conventionnels de cadre du groupe VI au coefficient 200 pour la période du 1er décembre 2003 au 25 février 2005,

- retenu que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produisait les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamné la S.A.S. WALON FRANCE à lui payer des indemnités de rupture,

- condamné la S.A.S. WALON FRANCE à payer à Laurent Y... : *la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

*la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné d'office la S.A.S. WALON FRANCE à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage payées au salarié à compter de la rupture, dans la limite de six mois,

RÉFORMANT pour le surplus et statuant à nouveau,

DIT n'y avoir lieu à indemnisation pour non-respect de la procédure de licenciement,

CONDAMNE la S.A.S. à payer à Laurent Y... :

*la somme de 9.317,36 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

*la somme de 5.480,80 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

*la somme de 548,08 € à titre de congés payés sur préavis,

REJETTE tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt,

Y ajoutant,

CONDAMNE la S.A.S. WALON FRANCE à payer à Laurent Y... la somme complémentaire pour l'appel de 1.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A.S. WALON FRANCE aux dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution.

Signé par Benoît FRIZON DE LAMOTTE, Président et par Chantal TAMISIER Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Chantal TAMISIER, Benoît FRIZON DE LAMOTTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 07/03243
Date de la décision : 03/07/2008
Type d'affaire : Sociale

Références :

ARRET du 17 mars 2010, Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 mars 2010, 08-44.512, Inédit

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de bordeaux, 24 mai 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2008-07-03;07.03243 ?
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