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20/06/2008 | FRANCE | N°07/05925

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Ct0187, 20 juin 2008, 07/05925


COUR D'APPEL DE BORDEAUX

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ARRÊT DU : 20 JUIN 2008

No de rôle : 07/05925

Jean-Michel X...

c/

Le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

MATIERE DISCIPLINAIRE

Grosse délivrée le :

aux avoués

Décision déférée à la Cour : décision du Conseil de Discipline des Barreaux de la Cour d'Appel de BORDEAUX en date du 25 octobre 2007

APPELANT :

Maître Jean-Michel X...

Avocat

demeurant ...,

absent,

repr

ésenté par Maître Daniel LALANNE, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE BORDEAUX

domicilié Maiso...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

--------------------------

ARRÊT DU : 20 JUIN 2008

No de rôle : 07/05925

Jean-Michel X...

c/

Le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

MATIERE DISCIPLINAIRE

Grosse délivrée le :

aux avoués

Décision déférée à la Cour : décision du Conseil de Discipline des Barreaux de la Cour d'Appel de BORDEAUX en date du 25 octobre 2007

APPELANT :

Maître Jean-Michel X...

Avocat

demeurant ...,

absent,

représenté par Maître Daniel LALANNE, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE BORDEAUX

domicilié Maison de l'avocat 18-20 rue du Maréchal Joffre - 33000 BORDEAUX,

comparant en la personne de Maître Philippe DUPRAT, bâtonnier,

L'affaire a été débattue en audience solennelle et publique le 16 mai 2008 devant la Cour, première et sixième chambres réunies, composée de :

Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président,

Monsieur Franck LAFOSSAS, Président de Chambre,

Madame Marie-Paule LAFON, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Claude SABRON, Conseiller,

Madame Elisabeth LARSABAL, Conseiller,

désignés par ordonnance du Premier Président en date du 14 avril 2008

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Martine MASSÉ

En présence de Monsieur le Procureur Général, représenté lors des débats par Monsieur DEFOS DU RAU, avocat général, qui a été entendu.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

A l'ouverture des débats, Monsieur le Premier Président a présenté le rapport suivant :

Maître X..., notaire à Blaye, a démissionné de ses fonctions en 1997 et a été inscrit au barreau de Paris en 1998.

Il a obtenu son admission au barreau de Bordeaux le 17 janvier 2006 après avoir été reçu par le Bâtonnier auquel il est constant qu'il n'a signalé aucune anomalie pouvant affecter son admission.

Or, en novembre 2006, Maître X... a fait l'objet de poursuites civiles de la part de la Caisse de Garantie des Notaires qui lui réclamait la somme de 169.000 € environ, représentant le montant d'un détournement commis en 1996 à des fins personnelles sur les fonds d'une succession dont il était chargé du règlement en sa qualité de notaire.

Puis, en raison de ces faits, il a été l'objet de poursuites pénales en mars 2007 pour abus de confiance par officier ministériel. Une information est toujours en cours et Maître X... est placé sous contrôle judiciaire.

Le Bâtonnier ayant été informé de ces dernières poursuites par le Ministère Public, il a procédé à une enquête déontologique au cours de laquelle Maître X... a reconnu le détournement d'1.000.000 de francs sur une succession en 1996.

Au vu de l'article 183 du décret du 27 novembre 1991 qui expose à des sanctions disciplinaires l'avocat qui commet des faits même extra-professionnels contraires à l'honneur et à la probité, et considérant que Maître X... lui avait déclaré à son entrée au barreau que rien dans son passé professionnel n'était contraire aux obligations de l'avocat, le Bâtonnier a saisi le Conseil de discipline le 24 avril 2007, alors que Maître X... avait remboursé le principal de sa dette le 11 avril 2007.

Maître A... a été désigné en qualité de rapporteur et il a établi le 04 juillet 2007 un rapport dont il résulte que Maître X... ne discute pas le détournement et qu'il n'en a pas averti le Bâtonnier car il ne faisait pas alors l'objet de poursuites et il attendait des rentrées de fonds suffisantes pour désintéresser le créancier, de sorte qu'il avait pu ne faire état auprès du Bâtonnier que de ce qu'il avait appelé des difficultés financières désormais aplanies.

Par décision en date du 25 octobre 2007, le Conseil de discipline s'est déclaré incompétent pour donner une suite disciplinaire aux faits commis par Maître X... avant son inscription au tableau de l'Ordre des avocats de Bordeaux. En effet, l'article 22 de la loi du 31 décembre 1971 ne permet de poursuivre que les fautes commises par les avocats ou anciens avocats, ce qui exclut les faits commis avant l'inscription au barreau, selon le Conseil de discipline.

En revanche, celui-ci a considéré que la dissimulation du détournement au Bâtonnier lors de son admission au tableau, alors qu'il s'agit de faits gravissimes qui, s'ils avaient été révélés, auraient fait obstacle à son admission, constituait une faute disciplinaire.

En raison de la gravité de cette dissimulation, elle-même à la mesure de la gravité des faits non révélés, et la jugeant contraire à l'honneur et à la probité, le Conseil de discipline a prononcé la radiation de Maître X....

Maître X... a relevé appel de cette décision.

Maître X... conclut à l'infirmation de la décision du Conseil de discipline.

Il observe lui aussi que les faits de détournement qui lui sont reprochés sont antérieurs à son admission au barreau et ne peuvent fonder une sanction disciplinaire.

Mais, par ailleurs, il conteste la dissimulation qui lui est reprochée dès lors qu'à l'époque où il a été entendu par le Bâtonnier de Bordeaux, en octobre 2005, il n'avait pas connaissance des poursuites dont il allait faire ultérieurement l'objet, et qu'au demeurant il bénéficie de la présomption d'innocence tant qu'il n'a pas été condamné.

C'est d'ailleurs pourquoi l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 n'empêche l'inscription au barreau qu'en cas de condamnation pénale pour faits contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs, et non en cas de simple poursuite.

En tout cas, Maître X... considère qu'à supposer même qu'il ait dissimulé des faits de nature à empêcher son inscription, cette dissimulation serait elle-même antérieure à son inscription au barreau de Bordeaux en janvier 2006 et ne permettrait donc pas d'exercer contre lui une poursuite disciplinaire.

Tout au plus, le Conseil de l'Ordre, et non le Conseil de discipline, pourrait-il envisager une procédure de retrait de la décision d'admission, mais il s'agit d'une procédure distincte de celle dont la Cour est saisie, laquelle ne peut donner lieu qu'à un arrêt de rejet par infirmation de la décision du Conseil de discipline.

Le Bâtonnier conclut à la confirmation de la décision de radiation. Il indique que, lorsqu'il a reçu Maître X... en vue de son inscription, il l'a interrogé sur l'existence éventuelle de difficultés financières et fiscales dans le passé. Or, Maître X... a répondu que les difficultés qu'il avait connues étaient aplanies. Selon le Bâtonnier, Maître X... ne pouvait se méprendre sur la gravité des faits qu'il avait commis en qualité de notaire, faits contraires à l'honneur et à la probité puisque sanctionnés de peines très lourdes, et qu'en les dissimulant, il a empêché le Bâtonnier de porter une appréciation objective sur sa capacité à respecter le principe de probité essentiel à la profession d'avocat.

Le Ministère Public conclut aussi à la confirmation de la décision entreprise au motif que l'absence de poursuites au moment où le Bâtonnier l'interrogeait avant son inscription au barreau de Bordeaux sur d'éventuels agissements contraires aux obligations de l'avocat dans son exercice professionnel passé, ne justifiait pas que Maître X... dissimule un fait contraire à l'honneur et à la probité, empêchant ainsi le Bâtonnier d'apprécier sa capacité à respecter les valeurs fondant la profession d'avocat.

En conclusion, la Cour est saisie d'un recours contre une décision du Conseil de discipline.

Aux termes de l'article 22 de la loi du 31 décembre 1971, celui-ci connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux établis dans le ressort de la Cour d'appel. Il n'est pas discuté que les faits de détournement eux-mêmes commis en 1996 n'entrent pas dans le champ de la poursuite disciplinaire, et que seul le silence gardé par Maître X... en octobre 2005 sur ces faits en réponse à une question du Bâtonnier portant sur sa situation financière, est considéré comme la faute servant de fondement aux poursuites.

D'où cette première question : en octobre 2005, alors que Maître X... n'est pas encore inscrit au barreau de Bordeaux, commet-il, en conservant le silence qui lui est reproché, une faute dont le Conseil de discipline de Bordeaux peut connaître en application de l'article 22, c'est à dire une faute commise par un avocat relevant d'un barreau établi dans le ressort ?

A priori, les faits dissimulés et la dissimulation elle-même sont antérieurs à la date où Maître X... a relevé du barreau de Bordeaux.

Cependant, lorsqu'il a été entendu en octobre 2005 par le Bâtonnier de Bordeaux, Maître X... n'en était pas moins déjà avocat (en l'occurrence au barreau de Paris) et tenu comme tel aux obligations de l'avocat. Or, il est de jurisprudence que les fautes professionnelles commises par un avocat dans un barreau qu'il a quitté peuvent être poursuivies par le barreau dont il est ultérieurement devenu membre.

Une seconde question se pose ensuite : la connaissance par le Bâtonnier des faits de détournement de 1996 aurait-elle pu empêcher l'inscription de Maître X... au barreau de Bordeaux ?

Sur ce point, certes, l'article 11 ne permet pas l'inscription d'un avocat qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour des faits de cette nature, et en l'espèce Maître X... n'a été l'objet d'aucune condamnation.

Néanmoins, ces faits ne sont pas discutés par Maître X... et le Conseil de l'Ordre tient de l'article 17 de la loi de 1971 la mission de maintenir les principes de probité et de désintéressement sur lesquels repose la profession d'avocat et ce devoir général l'autorise à refuser l'inscription des auteurs de faits avérés contraires à la probité, même s'ils n'ont pas été l'objet de poursuites pénales.

Il ne peut donc être exclu que la demande d'admission de Maître X... eût pu être rejetée si le Conseil de l'ordre avait connu les faits qui lui sont reprochés même avant condamnation.

Toutefois, la décision de retrait d'admission n'est pas une décision disciplinaire. Si elle est sujette aussi à recours devant la Cour d'appel, elle est prise par le Conseil de l'Ordre et non par le Conseil de discipline.

Or, le recours dont la Cour d'appel est aujourd'hui saisie concerne une sanction disciplinaire prise par le Conseil de discipline.

La question posée à la Cour à cet égard consiste donc à rechercher si les faits de dissimulation reprochés relèvent de la procédure disciplinaire ou de la procédure de retrait d'admission.

Cette question en induit une autre : si la Cour considérait que la procédure de retrait d'admission aurait dû être suivie, pourrait-elle, en vertu de sa plénitude de juridiction, statuer sur un retrait de l'admission à défaut de poursuite disciplinaire possible ? Ou bien, au contraire, et à supposer qu'elle estime qu'il a été exercé à tort une poursuite disciplinaire, devrait-elle considérer qu'il appartient au seul Conseil de l'Ordre de suivre lui-même une procédure de retrait d'admission qui ne saurait échapper au double degré de juridiction ?

Enfin, quatrième question : à supposer que la Cour opte pour le bien-fondé du choix de la poursuite disciplinaire, y aurait-il lieu à statuer sans surseoir dans l'attente du résultat de la poursuite pénale en cours et, si oui, la sanction prononcée par le Conseil de discipline est-elle adaptée à la gravité des faits reprochés?

SUR QUOI,

La Cour,

Attendu que les faits dissimulés ne sont pas l'objet de la poursuite disciplinaire;

Que leur dissimulation seule est reprochée à Maître X... ;

Que le fait de la dissimulation a été commis par Maître X... alors qu'il était déjà avocat, et le Conseil de discipline de Bordeaux dont il relève est compétent pour apprécier le caractère et la portée disciplinaire de ce fait ;

Attendu que le Conseil de discipline, pas plus que la Cour d'appel, n'avait de motif de surseoir à statuer dans l'attente du jugement des faits pénalement poursuivis dès lors que l'instance disciplinaire a un objet distinct de la poursuite pénale, que les faits pénalement poursuivis ne sont pas ceux qui le sont disciplinairement, et qu'au demeurant ni les uns ni les autres ne sont sérieusement discutés ;

Attendu, en effet, que Maître X... ne met pas formellement en doute que le Bâtonnier du barreau de Bordeaux l'a interrogé en octobre 2005 sur l'absence d'antécédents professionnels contraires aux obligations de la profession d'avocat ;

Que Maître X... n'a pas alors révélé le détournement non discuté d'1.000.000 de francs en 1996 au détriment d'une succession qu'il était chargé de régler en qualité de notaire, et ce alors même que le créancier n'avait pas été désintéressé par Maître X... ;

Que se sont les poursuites civiles puis pénales exercées contre lui qui ont permis la révélation de ces faits et qui ont d'ailleurs provoqué le remboursement en quelques mois de la somme détournée ;

Que c'est à bon droit que le Conseil de discipline a estimé que la dissimulation de ces faits particulièrement graves, contraires à l'honneur et à la probité, entrait en conflit avec les obligations déontologiques de l'avocat dès lors que leur révélation ne pouvait rester sans incidence sur la décision à prendre quant à la demande d'inscription de Maître X... ;

Qu'en effet, il appartient au Conseil de l'Ordre, conformément à l'article 17,3o, de la loi du 31 décembre1971, de maintenir les principes de probité et de désintéressement de la profession et d'exercer la surveillance que l'honneur et l'intérêt de ses membres rendent nécessaire, et ce devoir s'exerce en particulier au moment des décisions d'inscription au tableau, indépendamment des autres conditions énumérées par l'article 11 ;

Que c'est encore à juste raison que le Conseil de discipline a jugé qu'en raison de la gravité des faits non révélés, la dissimulation commise présentait elle-même un caractère de gravité telle, contraire à l'honneur et à la probité, qu'elle justifiait la sanction disciplinaire de la radiation ;

Qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise ;

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme la décision du Conseil de discipline des barreaux de la Cour d'appel de Bordeaux du 25 octobre 2007 qui a prononcé la sanction disciplinaire de la radiation à l'égard de Maître X... ;

Constate que les faits ainsi sanctionnés sont contraires à l'honneur et à la probité.

Condamne Maître X... aux dépens.

Le présent arrêt est signé par Bertrand LOUVEL, Premier Président, et par Martine MASSÉ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Premier Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Ct0187
Numéro d'arrêt : 07/05925
Date de la décision : 20/06/2008

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2008-06-20;07.05925 ?
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