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05/06/2008 | FRANCE | N°06/04123

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale, 05 juin 2008, 06/04123


ARRET RENDU PAR LA

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

--------------------------

PP

Le : 05 juin 2008

CHAMBRE SOCIALE- SECTION B

PRUD'HOMMES

No de rôle : 06 / 4123

S. A. DISTILLERIE DU PERIGORD,
prise en la personne de son représentant légal
SCP PIMOUGUET- LEURET,
en qualité de représentant des créanciers des sociétés distillerie du périgord et sogifruit
Maître Serge Z...,
en qualité d'administrateur des sociétés distillerie du périgord et sogifruit
Le C. G. E. A. DE BORDEAUX
pris en la personne de s

on représentant légal
c /
S. A. SOGIFRUIT,
prise en la personne de son représentant légal
Monsieur Bernard X...
Monsieur Pasc...

ARRET RENDU PAR LA

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

--------------------------

PP

Le : 05 juin 2008

CHAMBRE SOCIALE- SECTION B

PRUD'HOMMES

No de rôle : 06 / 4123

S. A. DISTILLERIE DU PERIGORD,
prise en la personne de son représentant légal
SCP PIMOUGUET- LEURET,
en qualité de représentant des créanciers des sociétés distillerie du périgord et sogifruit
Maître Serge Z...,
en qualité d'administrateur des sociétés distillerie du périgord et sogifruit
Le C. G. E. A. DE BORDEAUX
pris en la personne de son représentant légal
c /
S. A. SOGIFRUIT,
prise en la personne de son représentant légal
Monsieur Bernard X...
Monsieur Pascal Y...
S. A. MARIE BRIZARD ET ROGER INTERNATIONAL,
prise en la personne de son représentant légal

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée le :
à :
Prononcé publiquement par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile,

Le 05 juin 2008

Par Monsieur Patrick BOINOT, Conseiller,
en présence de Madame Chantal TAMISIER, Greffier,

La COUR D'APPEL de BORDEAUX, CHAMBRE SOCIALE SECTION B, a, dans l'affaire opposant :

1o) S. A. DISTILLERIE DU PERIGORD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social B. P. 130- Parc de Madrazes-24204 SARLAT CEDEX,

Représentée par Maître Véronique VOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX,

Appelante d'un jugement (R. G. F 05 / 1685) rendu le 03 juillet 2006 par le Conseil de Prud'hommes de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel en date du 02 août 2006,

2o) SCP PIMOUGUET- LEURET, en qualité de représentant des créanciers des sociétés distillerie du périgord et sogifruiT, domicilié en cette qualité 37 rue Pozzi-24100 BERGERAC,

3o) Maître Serge Z..., en qualité d'administrateur des sociétés distillerie du périgord et sogifruiT, domicilié en cette qualité...

Représentés par Maître Véronique VOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX,

4o) Le C. G. E. A. DE BORDEAUX, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social Les Bureaux du Parc- Rue Jean- Gabriel Domergue-33049 BORDEAUX CEDEX,

Représenté par Maître Axelle MOURGUES loco Maître Philippe DUPRAT, avocats au barreau de BORDEAUX,

Intervenants forcés,

à :

1o) S. A. SOGIFRUIT, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social Parc de Madrazes-24204 SARLAT,

Représentée par Maître Véronique VOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX,

2o) Monsieur Bernard X..., demeurant...

3o) Monsieur Pascal Y..., demeurant-...

Représentés par Maître Xavier BOREL, avocat au barreau de LA ROCHE SUR YON,

4o) S. A. MARIE BRIZARD ET ROGER INTERNATIONAL, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social B. P. 557-130 rue Fondaudège-33002 BORDEAUX CEDEX,

Représentée par Maître Régis LASSABE, avocat au barreau de BORDEAUX,

Intimés,

Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue en audience publique le 27 Mars 2008, devant :

Monsieur Patrick BOINOT, Conseiller, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, en application de l'article 945-1 du Nouveau Code de Procédure Civile, assisté de Madame Chantal TAMISIER, Greffier,

Monsieur le Conseiller en a rendu compte à la Cour dans son délibéré,

Celle- ci étant composée de :
Monsieur Benoît FRIZON DE LAMOTTE, Président,
Monsieur Patrick BOINOT, Conseiller,
Monsieur Claude BERTHOMME, Conseiller.

***

FAITS ET PROCÉDURE

MM. Bertrand X... et Pascal Y... ont été engagés, respectivement les 7 janvier 1991 et 23 juillet 1992, par la société Marie Brizard et Roger International pour laquelle ils ont eu la qualification de responsable régional " Food Service ", correspondant à une des activités de cette société.

Par " contrat de distribution " du 12 janvier 2005, la société Marie Brizard et Roger International, en qualité de fournisseur, a concédé à la société Sogifruit, en sa qualité de distributeur, la distribution des concentrés d'agrumes vendus sous la marque Pulco.
Par acte du même jour, la société Marie Brizard et Roger International a cédé, à effet du 1er février 2005, à la société Distillerie du Périgord divers actifs de son fonds de commerce relatif à la production, la commercialisation, l'achat et la vente d'une gamme de produits destinés à des professionnels des métiers de bouche sous le nom " Marie Brizard Food Services ", à l'exception de la partie le composant qui concerne les concentrés d'agrumes ; l'article 6. 2. 2 de cet acte précise que les parties conviennent que les dispositions du présent acte auront pour effet de transférer à l'acquéreur les contrats de travail des salariés visés en annexe 4 (Code du travail, art. L. 122-12) , cette annexe 4 mentionnant la liste des salariés transférés, en y incluant les postes commerciaux de MM. X... et Y....

Par lettre du 1er février 2005, la société Distillerie du Périgord a écrit à ces deux salariés une lettre qui les avisait que notre société ayant racheté l'activité Food Service à laquelle vous étiez affecté au sein de la société Marie Brizard et Roger International dont vous étiez salarié..., nous vous proposons une modification de vos conditions de travail... Vous serez attaché administrativement à notre siège social de Sarlat ; cette lettre précisait qu'ils avaient la possibilité d'accepter ou de refuser la proposition, mais avec pour conséquence, dans ce dernier cas, la rupture du contrat de travail par licenciement économique. Il leur était proposé de signer un avenant à leur contrat de travail pour être, à compter du 1er février 2005, responsable régional, statut agent de maîtrise.
Les deux salariés ont refusé cette modification de leur contrat de travail par lettres du 25 février 2005. Ils ont été licencié pour motif économique par lettres du 1er avril 2005.

MM. X... et Y... ont saisi le Conseil de prud'hommes de Bordeaux d'une demande en condamnation in solidum des sociétés Distillerie du Périgord, Sogifruit et Marie Brizard et Roger International à payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 75 840 euros à M. X... et d'un montant de 65 902 euros à M. Y..., outre la somme de 3 000 euros à chacun d'eux.
Par jugement du 3 juillet 2006, le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux a :

- rejeté, en application de l'article 135 du Code de procédure civile, les pièces et conclusions des société Distillerie du Périgord et Sogifruit
et jugé ne pas avoir lieu à examiner les demandes des sociétés Distillerie du Périgord et Sogifruit concernant l'incompétence territoriale, cette exception n'étant pas véritablement soulevée,
- mis hors de cause les sociétés Marie Brizard et Roger International et Sogifruit,
- jugé que la société Distillerie du Périgord a licencié sans cause réelle et sérieuse MM. X... et Y... ; et il a condamné cette société à payer :
à M. X...
* 57 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail avec intérêts de droit à compter du prononcé du jugement,
* 800 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, avec intérêts de droit, les intérêts des capitaux échus, conformément à l'article 1154 du Code civil, en produisant eux- mêmes,
à M. Y...
* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail avec intérêts de droit à compter du prononcé du jugement,
* 800 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, avec intérêts de droit, les intérêts des capitaux échus, conformément à l'article 1154 du Code civil, en produisant eux- mêmes,
- ordonné d'office le remboursement par la société Distillerie du Périgord aux organismes de chômage en application de l'alinéa 2 de l'article L. 122-14-4, alinéa 2, du Code du travail, des indemnités de chômage éventuellement versées par cet organisme à MM. X... et Y... et ceci dans la limite des six mois prévus par le texte,
- et rejeté toute autre demande comme injustifiée ou mal fondée .

La société Distillerie du Périgord a régulièrement interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions écrites, développées oralement à l'audience, la société Distillerie du Périgord, Maître Z..., administrateur de cette société et la société Pimouguet et Leuret, représentant des créanciers, sollicitent de la Cour qu'elle déclare nul le jugement déféré et déclare le Conseil de prud'hommes de Bordeaux incompétent pour statuer sur les demandes présentées par les salariés et les renvoie à mieux se pourvoir
- soit devant le Conseil de prud'hommes de Périgueux,
- soit devant le Conseil de prud'hommes le plus proche du domicile des salariés,

qu'elle rejette les prétentions de MM. X... et Y... dirigées contre la
société Distillerie du Périgord, constate la régularité du licenciement économique et condamne MM. X... et Y... à lui verser une indemnité de 1 000 euros chacun en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Sur la compétence de la juridiction saisie, la société Distillerie du Périgord expose que MM. X... et Y... sont domiciliés respectivement à... et à... et qu'en application de l'article R. 517-1 du Code du travail, le Conseil de prud'hommes ne peut être compétent. Sur le fond, elle expose que les lettres de Marie Brizard et Roger International du 14 janvier 2005 et de Sogifruit du 4 avril 2005 invoquées par les deux salariés disent l'inverse de ce qu'ils soutiennent, puisque c'est leur refus de la modification de leur contrat de travail qui a justifié la réorganisation du transfert de l'activité Food Service, que la lettre du 4 avril 2005 n'est que l'expression des contraintes générées par la désaffection des salariés et non la preuve d'une volonté de l'employeur antérieure à leur refus, qu'ils ont refusé le transfert à Sarlat alors qu'elle n'avait pas d'infrastructure à Bordeaux et ne pouvait pas y créer un bureau fixe et que la rupture des contrats de travail n'incombe qu'à leur choix. Sur la régularité des licenciements, ayant indiqué qu'elle a déposé le bilan alors que l'acquisition du fonds de commerce Food Service avait été la solution pour le développement d'une clientèle nouvelle, elle soutient que leur motif économique tient exclusivement au fait que le refus d'affectation des salariés au poste de travail de Sarlat ne pouvait que la contraindre à ouvrir un nouveau site sur Bordeaux, ce qui était économiquement inconcevable à la date à laquelle le salarié a refusé la modification substantielle de son contrat de travail, et que tous ont aussi refusé la modification du lieu d'activité, alors que la situation économique de l'entreprise ne lui permettait pas d'imaginer d'autre site d'activité que Sarlat, où les salariés n'ont pas voulu se rendre. Sur les tentatives de reclassement, elle estime que c'est avec intérêt que l'on interrogera directement les salariés sur le poste qui aurait pu leur convenir dans la société Distillerie du Périgord.

Par conclusions écrites, développées oralement à l'audience, MM. X... et Y... sollicitent de la Cour :
- statuant sur l'appel principal de la société Distillerie du Périgord, qu'elle juge subsidiairement n'y avoir lieu à infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu que les licenciements prononcés par Distillerie du Périgord étaient dénués de cause réelle et sérieuse et rejette la demande de la société Distillerie du Périgord, la société Pimouguet et Leuret et Maître Z...,
- statuant sur les appels incidents de MM. X... et Y..., qu'elle constate, en date du 1er février 2005, le transfert de plein droit des contrats de travail de MM. X... et Y... dans le patrimoine de la société Sogifruit, constate l'inexécution par Sogifruit de ses obligations contractuelles tenant à la poursuite des contrats de travail, constate que

la proposition de modification des contrats du 1er février 2005 et les licenciements du 1er avril 2005 correspondent à des initiatives émanant d'une personne morale n'ayant pas qualité pour agir, juge que ces licenciements sont donc nuls et engagent la responsabilité in solidum de Distillerie du Périgord et de Sogifruit, compte tenu de la collusion existant entre la société mère et la filiale, dirigée par la même personne physique, juge en conséquence que les sociétés Distillerie du Périgord et Sogifruit seront tenues in solidum aux conséquences dommageables attachées à la rupture abusive des contrats de travail de MM. X... et Y..., fixe au passif respectif de chacune de ces entités, à la somme de 75 840 euros le montant des dommages et intérêts dûs à M. X... et à celle de 65 902 euros celui des dommages et intérêts dûs à M. Y...,
- à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait qu'à la date de l'engagement de la procédure de l'article L. 321-1-2 (1er février 2005) et encore de notification des licenciements (1er avril 2005) les contrats de travail de MM. X... et Y... n'avaient pas été transférés de plein droit à Sogifruit mais se trouvaient dans le patrimoine de Distillerie du Périgord, qu'elle juge que la suspension, unilatéralement décidée par Distillerie du Périgord, du cours normal de l'exécution des contrats de travail de MM. X... et Y... caractérise un manquement fautif à ses obligations contractuelles, juge que ce manquement préexistant, à toute mesure de licenciement légalement notifiée, justifie à sa date le prononcé de la résiliation des contrats aux torts et griefs exclusifs de l'employeur, juge en ce cas que la société Distillerie du Périgord sera seule tenue aux conséquences dommageables attachées aux licenciements de MM. X... et Y..., fixe au passif de la société Distillerie du Périgord à la somme de 75 840 euros le montant des dommages et intérêts dûs à M. X... et à celle de 65 902 euros celui des dommages et intérêts dûs à M. Y...,
plus subsidiairement, pour le cas où " le Conseil de prud'hommes " estimerait qu'il n'existe aucun comportement fautif impliquant la résiliation des contrats de travail de MM. X... et Y... aux torts et griefs exclusifs de Distillerie du Périgord, qu'elle juge que les licenciement notifiés par Distillerie du Périgord le 1er avril 2005 à MM. X... et Y... sont totalement dénués de causes économiques réelles et sérieuses, juge alors que Distillerie du Périgord sera seule tenue aux conséquences dommageables attachées aux licenciements de MM. X... et Y..., fixe au passif de la société Distillerie du Périgord à la somme de 75 840 euros le montant des dommages et intérêts dûs à M. X... et à celle de 65 902 euros celui des dommages et intérêts dûs à M. Y..., donne acte à MM. X... et Y... de ce qu'ils ont régulièrement appelé en cause aux fins de déclaration d'arrêt commun et de garantie (pour ce qui concerne l'AGS) la société Pimouguet et Leuret, Maître Z..., respectivement représentant des créanciers et administrateur aux redressements judiciaires des sociétés Distillerie du Périgord et Sogifruit d'une part, et l'AGS de la Gironde d'autre part,
- qu'elle donne acte à MM. X... et Y... de ce qu'ils ont régulièrement appelé en cause aux fins de déclaration de jugement commun la société Marie Brizard et Roger International afin qu'elle soit obligée de communiquer aux débats les éléments juridiques et économiques

permettant de prendre connaissance de l'exacte nature et de la portée du transfert partiel de son fonds de commerce Food Service à Distillerie du Périgord et / ou à Sogifruit, donne acte en l'état de la procédure à MM. X... et Y... de ce qu'ils se réservent expressément la faculté de solliciter une condamnation in solidum élargie à la société MBRI en cas de caractérisation d'une collusion frauduleuse, suite à l'examen de ces documents et condamne la ou les parties succombantes, seule ou in solidum, aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de 6 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Sur l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail, faisant valoir que cédant et cessionnaire se seraient accordés pour que la gestion de la partie du fonds cédé à Distillerie du Périgord soit immédiatement confiée par celle- ci à sa filiale Sogifruit, ainsi qu'il résulte des lettres de Marie Brizard et Roger International du 14 janvier 2005 et de Sogifruit du 4 avril 2005, ils soutiennent que la majeure partie de l'activité du département Food Service semble être gérée et exploitée par Sogifruit et non par le cessionnaire, qu'ils doivent être affectés à l'activité transférée par leur employeur et que la société Distillerie du Périgord a entravé l'application de l'article 122-12. Sur l'analyse des licenciements, ils soutiennent que la société Distillerie du Périgord a manqué à ses obligations contractuelles, fournir les travail convenu. Contestant le motif économique de leur licenciement, ils soutiennent que la restructuration et la réorganisation du secteur commercial cachent une cause inhérente à la personne, que les modifications proposées affectaient leurs contrats de travail et non leurs conditions de travail et qu'il n'y a eu aucune recherche de solutions de reclassement.

Par conclusions écrites, développées oralement à l'audience, la société Marie Brizard et Roger International (MBRI), appelée à la cause, sollicite de la Cour qu'elle donne acte de ce que le transfert du contrat de travail de MM. X... et Y... au sein de la société Distillerie du Périgord était justifié au titre de l'article L. 122-12 du Code du travail, qu'en conséquence, elle confirme le jugement frappé d'appel et qu'elle condamne les appelants à verser à la société Marie Brizard la somme de 750 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'activité Food Service était une activité autonome, qui a été reprise par la société Distillerie du Périgord.

Par conclusions écrites, développées oralement à l'audience, le Centre de gestion et d'études (AGS- CGEA), délégation Unedic- AGS Sud- Ouest, sollicite de la Cour qu'elle lui donne acte de ce qu'elle se réfère aux arguments et conclusions de la société Distillerie du Périgord ; subsidiairement, en cas de confirmation de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, qu'elle réforme le jugement frappé d'appel, qu'elle réduise les dommages et intérêts alloués, sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, à M. X... à la somme de 15 600 euros, réduise les dommages et intérêts alloués, sur le fondement

de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, à M. Y... à la somme de 13 640 euros et rejette le surplus de la demande indemnitaire de MM. X... et Y... ; sur sa garantie, qu'elle juge que la garantie des dommages et intérêts est subordonnée à l'insuffisance de la trésorerie de la société Distillerie du Périgord en redressement judiciaire et juge que le présent arrêt ne lui sera opposable que dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut l'indemnité allouée en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la compétence territoriale du Conseil de prud'hommes
La société Distillerie du Périgord soulève l'incompétence du Conseil de prud'hommes de Bordeaux au profit du Conseil de prud'hommes de Périgueux ou du Conseil de prud'hommes le plus proche du domicile des salariés en rappelant les termes de l'article R. 517-1 du Code du travail. Selon ce texte, le Conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître d'un litige est, à titre principal, celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est effectué le travail et, subsidiairement, si le travail est effectué en dehors de tout établissement ou à domicile, le Conseil de prud'hommes du domicile du salarié.
Cependant, alors que, selon l'article 75 du Code de procédure civile, la partie qui soulève l'exception d'incompétence doit, à peine d'irrecevabilité, motiver son exception, la société Distillerie du Périgord qui soulève cette exception ne donne aucune explication susceptible de justifier la compétence du Conseil de prud'hommes de Périgueux, pas plus que celle de l'un ou de l'autre Conseil de prud'hommes le plus proche du domicile des salariés. Dès lors, la Cour retient que la société Distillerie du Périgord ne justifie pas la compétence des conseils de prud'hommes qu'elle cite, tant à titre principal qu'à titre subsidiaire.

En conséquence, l'exception d'incompétence soulevée par la société Distillerie du Périgord, ainsi formulée, est irrecevable.

Sur la détermination de l'employeur chargé de supporter les obligations résultant du licenciement économique
Les salariés, MM X... et Y..., soutiennent qu'une partie de leur contrat de travail a été transférée à la société Sogifruit, société filiale de la société Distillerie du Périgord, pour demander la condamnation des deux sociétés à les indemniser des conséquences de leur licenciement économique.

Cependant, la société Distillerie du Périgord démontre par l'acte du 1er février 2005, qu'elle produit que les contrats de travail de MM. X... et Y... lui ont été transmis avec la cession de l'activité, quoique partielle, de la société Marie Brizard et Roger International.

Or, la lettre du 14 janvier 2005, dont ils se prévalent, émane de la société Marie Brizard et Roger International et, étant antérieure à l'acte de cession passé entre cette société et la société Distillerie du Périgord, elle ne pouvait préjuger de ce que seraient les clauses et les suites de la cession ensuite passée entre ces deux sociétés ; et elle n'engageait pas la société Distillerie du Périgord, même si, dès le 12 janvier 2005, la société Marie Brizard et Roger International avait concédé à la société Sogifruit une partie de son activité. Et l'autre lettre dont ils se prévalent, celle de la société Sogifruit du 4 avril 2005 qui rappelle les conditions de commercialisation de certains produits, est, au dire de la société Distillerie du Périgord, la conséquence directe de la défection de l'intégralité des salariés qui avaient été attachés au développement de l'activité Food Service et avait précisément pour but de pallier cette défection. Or, cette lettre est postérieure à leur licenciement, survenu le 1er avril 2005.
Par ces arguments, compte tenu de la réorganisation des activités de la société Distillerie du Périgord, intégrant certaines des activités de la société Marie Brizard et Roger International, MM. X... et Y... ne démontrent pas qu'ils étaient appelés à travailler pour la société Sogifruit. Dès lors, ils ne démontrent pas que celle- ci devrait supporter, avec la société Distillerie du Périgord, les conséquences de leur licenciement économique.

Sur le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement économique
Selon l'article L. 122-14-3 du Code du travail, en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles .
Selon l'article L. 321-1 du Code du travail dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques .
Selon l'article L. 122-14-2 du même Code, la lettre de licenciement doit énoncer les motifs économiques ou de changement technologique invoqués par l'employeur .

La lettre de licenciement, qui détermine la cause du licenciement économique et fixe les limites du litige, doit énoncer à la fois la raison économique qui fonde la décision et sa conséquence précise sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié. A défaut de ces mentions, la motivation de la lettre de licenciement est imprécise et le licenciement ne repose pas
sur une cause réelle et sérieuse. Il en est de même si l'employeur n'a pas tenté de reclasser le salarié avant toute notification du licenciement.

Les deux lettres, identiques, du 1er avril 2005 qui déterminent la cause du licenciement économique de MM. X... et Y... indiquent que cette cause est la suivante :
Notre société ayant racheté l'activité Food Service à laquelle vous étiez affecté au sein de la société Marie Brizard et Roger International et dont vous étiez salarié depuis le 7 janvier 1991 pour M. X...-12 juillet 1992 pour M. Y..., nous avons réintégré votre contrat de travail au sein de notre société avec effet au 1er février 2005.
Dans le cadre de cette intégration, et pour pouvoir répondre aux contraintes de notre société, nous vous avions proposé une modification de votre contrat de travail dans le cadre de l'article L. 321-1-2 du Code du travail.
Pour pouvoir vous intégrer à notre service commercial, nous avons dû modifier les dispositions de votre contrat de travail en matière de secteur et de conditions de rémunération qui devaient être homogénéisées par rapport à notre service commercial actuel.
Vous avez refusé par courrier en date du 25 février 2005 cette proposition.
En conséquence, conformément à ce qui vous avait été indiqué dans notre courrier du 1er février 2005, nous sommes contraints de rompre votre contrat de travail dans le cadre d'un licenciement économique.
Dans le déroulement de la procédure de ce licenciement, nous avons convoqué nos délégués du personnel par réunion en date du 7 mars 2005.
En effet, la baisse de la consommation d'alcool due au durcissement de la législation et à l'évolution des modes de consommation, nécessitent une nouvelle stratégie pour notre entreprise Distillerie du Périgord.
La pérennité doit être assurée par le développement de son activité consacrée aux professionnels plutôt qu'auprès des consommateurs.
C'est pourquoi l'entreprise Distillerie du Périgord a acquis le fonds de commerce de production industrielle Marie Brizard Food Service, pour compenser la perte d'activité de sa production industrielle et en vue de pérenniser son activité et ses emplois.
Le chiffre d'affaires de notre entreprise étant en baisse depuis 2002, les charges restant fixes voire augmentant, le bilan clôturé en 2004 s'est présenté avec un déficit de 111 K €.
Ces pertes ne sont malheureusement pas temporaires et non liées à des événements exceptionnels.
Notre entreprise subit des contraintes économiques sévères et
durables dont les perspectives d'évolution nécessitent une réaction de la Distillerie du Périgord par la restructuration et

la réorganisation de votre secteur commercial et de vos conditions de rémunération pour les intégrer au fonctionnement actuel et les rendre plus compatibles avec les difficultés économiques actuelles de notre entreprise.
Malgré notre situation déficitaire et comptant sur l'activité apportée par le rachat de Food Service de la société Marie Brizard et Roger International, nous vous avions proposé d'intégrer notre entreprise dans les conditions fixées par les avenants qui vous ont été proposées le 1er février 2005.
Nous ne pouvons donc vous proposer d'autre reclassement que le poste qui vous a déjà été proposé précédemment et, devant votre refus, nous sommes contraints de procéder à la suppression de votre poste de travail de responsable régional Food Service dans le réseau Gastronomie, dans les conditions préalablement exercées. .

Or, la société, dans ses écritures, après avoir rappelé la récession du marché des alcools et la disparition de sa clientèle historique qui engageait la survie de son entreprise justifiant la négociation de nouveaux marchés pour justifier le rachat du secteur d'activité Food Service de la société Marie Brizard et Roger International, après avoir insisté sur la nécessité de restructurer et réorganiser le secteur commercial et les conditions de rémunération pour les intégrer au fonctionnement actuel et les rendre plus compatibles avec les difficultés économiques actuelles de l'entreprise et après avoir souligné qu'elle avait proposé aux salariés d'intégrer l'entreprise dans les conditions fixées par les avenants proposés le 1er février 2005, indique que le motif économique du licenciement tient exclusivement au fait que le refus d'affectation des salariés au poste de travail de Sarlat ne pouvait que contraindre la société à ouvrir un nouveau site, ce qui était économiquement inconcevable à la date à laquelle le salarié a refusé la modification substantielle de son contrat de travail, et que tous ont aussi refusé la modification du lieu d'activité, alors que la situation économique de l'entreprise ne lui permettait pas d'imaginer d'autre site d'activité que Sarlat, où les salariés n'ont pas voulu se rendre. Ainsi, elle fonde le licenciement de MM. X... et Y... sur leur refus d'être affecté à Sarlat et sur l'impossibilité d'ouvrir un nouveau site.

Cependant, la société Distillerie du Périgord ne justifie pas de cette impossibilité d'ouvrir ce nouveau site ou de maintenir le bureau de Bordeaux, de sorte qu'en définitive, ces licenciements sont prononcés pour un motif inhérent à la personne du salarié ou tout au moins mêlent motif économique et motif personnel, celui- ci étant, au vu des explications et justifications données par la société Distillerie du Périgord la cause première et déterminante du licenciement. Dans ce cas, il appartient au juge de rechercher le motif qui a été la cause première et déterminante du
licenciement et d'apprécier le bien- fondé du licenciement au regard de cette seule cause. Or, les explications données montre que la situation

économique invoquée par la société n'est pas cette cause première puisqu'elle existait déjà antérieurement et notamment lorsqu'elle a racheté les actifs de la société Marie Brizard et Roger International mais qu'en revanche, les licenciements sont expressément fondés sur le refus des salariés de travailler à Sarlat, cause première et déterminante de ces licenciements.
En outre, la société Distillerie du Périgord, qui avait repris les contrats de travail de M. X... et Y... et était donc tenue, si elle voulait procéder à leur licenciement économique de tenter de les reclasser n'a procédé à aucune tentative en ce sens et ne peut se borner à dire que c'est " avec un certain intérêt que l'on interrogera directement les salariés sur le poste qui aurait pu leur convenir au sein de la société Distillerie du Périgord ".
Dès lors, la société Distillerie du Périgord ne démontre pas que les difficultés économiques qu'elle rencontrent justifient le motif réel et sérieux et que ceux- ci n'ont pu être reclassés dans l'entreprise ou dans le groupe dont elle serait susceptible de relever.

En conséquence, la Cour confirme le jugement qui a décidé que le licenciement de MM. X... et Y... était sans cause réelle et sérieuse.

Sur le montant des indemnités de rupture
Du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, MM. X... et Y... ont droit à une indemnité que, en application de l'article L. 122-14-4, devenu l'article L. 1235-11 du Code du travail ici applicable, et compte tenu de leur importante ancienneté dans l'entreprise et du chômage qu'ils ont subi par la suite, la Cour estime devoir fixer aux montants alloués par le Conseil de prud'hommes.

En conséquence, de ce chef, la Cour, confirmant le jugement sur ces montants, dit que ces sommes doivent être portés au passif de la société Distillerie du Périgord.

Elle ordonne en outre le remboursement par la société Distillerie du Périgord à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à la suite de la rupture des contrats de travail et dans la limite de six mois, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du Code du travail.

PAR CES MOTIFS
LA COUR

Infirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Bordeaux du 3 juillet 2006 sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement de MM. X... et Y... était sans cause réelle et sérieuse,

Et, statuant à nouveau,

Déclare irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société Distillerie du Périgord,

Fixe ainsi qu'il suit les créances de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le passif de la société Distillerie du Périgord :
* 57. 000 euros au profit de M. X...,
* 50. 000 euros au profit de M. Y...,

Ordonne le remboursement par la société Distillerie du Périgord à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à la suite de la rupture des contrats de travail et dans la limite de six mois,

Rejette tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt,

Condamne la société Distillerie du Périgord, représentée par Maître Z..., administrateur, à payer à MM. X... et Y... une seule somme de 1. 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

La condamne de même aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Benoît Frizon de Lamotte, Président, et par Chantal Tamisier, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

C. Tamisier B. Frizon de Lamotte


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 06/04123
Date de la décision : 05/06/2008
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Bordeaux, 03 juillet 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2008-06-05;06.04123 ?
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