ARRÊT RENDU PAR LA
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
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Le : 08 JANVIER 2008
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
No de rôle : 07/01520
Monsieur Juan X...
c/
Madame Marie Louise Z... veuve A...
Monsieur Philippe B...
Nature de la décision : AU FOND - SUR RENVOI DE CASSATION
JONCTION des no 07/01520 et 07/01521
DM/PH
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par
voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Prononcé publiquement par mise à disposition au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Le 08 JANVIER 2008
Par Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Président, en présence de Mademoiselle Françoise ATCHOARENA, Greffier,
La COUR D'APPEL de BORDEAUX, CHAMBRE SOCIALE SECTION A, a, dans l'affaire opposant :
Monsieur Juan X..., né le 11 mai 1953 à MALAGA (ESPAGNE), demeurant ... SUR GIRONDE,
Représenté par la S.C.P. Luc BOYREAU et Raphaël C..., avoués à la Cour et plaidant par Maître Olivier C..., avocat au barreau de LIBOURNE,
Demandeur sur renvoi de cassation d'un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en date du 17 janvier 2007 en suite de deux arrêts rendus le 14 mars 2005 par la Première Chambre Section A et le 17 mars 2005 par la 4ème Chambre Section B de la Cour d'Appel de Bordeaux, sur un appel d'un jugement du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de Blaye en date du 24 février 2003 et sur un appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux (7ème chambre civile) en date du 9 septembre 2003 suivant déclarations de saisines en date du 21 mars 2007,
à :
1o) Madame Marie Louise Z... veuve A..., née le 14 août 1927 à NEUF-BRISACH (HAUT-RHIN), de nationalité Française, retraité, demeurant "La Monge", 33710 BOURG SUR GIRONDE,
Représentée par la S.C.P. Michel PUYBARAUD, avoués à la Cour et plaidant par Maître Hélène D..., avocat au barreau de BORDEAUX,
Défenderesse sur renvoi de cassation,
2o) Monsieur Philippe B..., demeurant Place Eugène Marchal, 33710 BOURG SUR GIRONDE,
Non comparant,
Défendeur sur renvoi de cassation,
Rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause ait été débattue en audience publique le 05 novembre 2007, devant :
Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Président,
Madame Raphaëlle DUVAL-ARNOULD, Conseiller,
Monsieur Francis TCHERKEZ, Conseiller,
Mademoiselle Françoise ATCHOARENA, Greffier,
et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du Siège ci-dessus désignés.
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Monsieur Juan X... a saisi le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de Blaye, le 23 mars 2001 d'une action tendant à voir annuler la vente de la propriété rurale de Madame Marie-Louise A... à Monsieur Philippe B..., soutenant que cette vente avait été faite en violation du droit de préemption qu'il tirait de son statut de fermier, la propriété étant composée de deux parcelles de terres viticoles situées au lieu dit "La Monge", commune de Bourg sur Gironde et l'acte litigieux ayant été signé le 29 novembre 2000.
Madame A... a soutenu qu'elle n'avait pas conclu un contrat de vente mais un bail à nourriture qui en cette qualité ne pouvait donner lieu à exercice du droit de préemption du fermier. De son côté Monsieur Raud, acquéreur, a fait valoir que Monsieur X... n'exploitait pas les terres en qualité de fermier.
Par jugement du 24 février 2003, le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de Blaye a débouté Monsieur X... de son action en analysant l'acte conclu entre Madame A... et Monsieur B... comme un bail à nourriture.
Sur appel de Monsieur X..., par arrêt en date du 17 mars 2005, la Cour d'Appel de Bordeaux, 4ème Chambre section B a retenu que l'action de Monsieur X... était recevable dans la mesure où il était fermier depuis 1988 et qu'il exerçait effectivement une activité agricole mais elle a relevé que l'acte passé entre Madame A... et Monsieur E... était bien un bail à nourriture et l'a débouté de sa demande en annulation de vente.
Elle a dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts.
Par un arrêt devenu définitif en date du 27 juin 2002, la Cour d'Appel de Bordeaux avait prononcé la résiliation du bail rural conclu entre Madame A... et Monsieur X... et ce dernier s'est maintenu dans les lieux jusqu'au début de l'année 2005.
Parallèlement, par acte d'huissier en date du 17 octobre 2001, Madame A... a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux Monsieur B... aux fins d'obtenir l 'annulation de la vente de la propriété en estimant qu'il s'agissait d'une vente et qu'il n'y avait pas de contrepartie de la part de l'acquéreur.
Monsieur X... est intervenu volontairement à cette procédure.
Par jugement en date du 9 septembre 2003, le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux a déclaré irrecevable les demandes de Madame A... et l'intervention de Monsieur X....
Par arrêt en date du 14 mars 2005, la Cour a fait droit à la demande de Madame A... et prononcé l'annulation de la vente de la propriété en considérant qu'il ne s'agissait pas d'un bail à nourriture et il a débouté Monsieur X... de son intervention.
Monsieur X... a formé deux pourvois contre les arrêts de la Cour d'Appel de Bordeaux, en date des 14 et 17 mars 2005.
La Cour de Cassation, par un arrêt en date du 17 janvier 2007 a ordonné la jonction de ces deux instances et a cassé les deux arrêts en considérant que leurs dispositifs étaient incompatibles.
Elle a renvoyé l'examen du litige devant la Cour d'Appel de Bordeaux autrement composée.
Monsieur X... a demandé la réinscription de la procédure auprès de la Cour d'Appel de Bordeaux.
Par des conclusions en date du 5 octobre 2007 auxquelles il est expressément fait référence, Monsieur X... demande de :
- déclarer son intervention recevable
- qualifier l'acte du 29 novembre 2000 de contrat de vente
- déclarer Madame A... irrecevable et mal fondée en son action de nullité de vente
- dire la demande en nullité du bail à nourriture irrecevable comme constituant une demande nouvelle
- dire qu'il a exercé valablement son droit de préemption en qualité de preneur en place, par sa notification régulière du 9 janvier 2001
- dire et juger en conséquence que le preneur s'est substitué aux conditions de l'acte du 29 novembre 2000 avec toutes conséquences de fait et droit en application des dispositions de l'article L 412-10 du Code Rural
- condamner in solidum Madame A... et Monsieur B... à réparer le préjudice qui lui a été causé et ordonner une expertise pour le chiffrer avec versement d'une provision de 50.000 €.
Par des conclusions en date du 25 septembre 2007, auxquelles il est expressément fait référence, Madame A... demande que soit confirmée l'annulation de l'acte de vente de la propriété à Monsieur B... et soutient que Monsieur X... doit être débouté de sa demande d'intervention.
Elle demande condamnation de Monsieur X... en dommages-intérêts pour procédure abusive.
Monsieur B..., régulièrement assigné n'a pas constitué avoué, n'est ni présent ni représenté dans cette instance.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2007.
MOTIVATION
L'arrêt de la Cour de Cassation en date du 17 janvier 2007 ayant ordonné la jonction des deux procédures, les procédures suivies sous les numéros 07/01520 et 07/01521 seront jointes sous le no 07/01520 et conformément à la décision susvisée, un seul arrêt sera prononcé.
Sur la nature de l'acte conclu le 29 novembre 2000
Monsieur X... dans ses écritures devant la Cour
soutient que cet acte conclu entre Madame A... et Monsieur B... doit bien s'analyser comme un acte de vente.
Madame A... de son côté, maintient que cet acte était en réalité un bail à nourriture.
Il est constant que par acte notarié en date du 29 novembre 2000, Madame A... a vendu à Monsieur B... une propriété viticole située à Bourg sur Gironde. Les termes employés dans l'acte sont particulièrement clairs et font bien état d'une vente avec fixation d'un prix dont il est indiqué que d'un commun accord entre les parties, il est converti en une obligation de soins à la charge de l'acquéreur. En outre, l'acte prévoyait un transfert de propriété qui caractérise bien les effets d'un acte de vente.
Madame A... qui a développé devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux et qui reprend devant la Cour des arguments sur le caractère fictif, inexistant et dépourvu d'aléas de l'obligation de soins, ne peut sérieusement venir encore soutenir devant la juridiction d'appel que l'acte conclu le 29 octobre 2000, n'était pas un acte de vente.
En réalité, il s'agissait bien d'un contrat aux termes duquel la propriété d'un immeuble était transférée, Madame A... se réservant seulement l'usage d'une maison d'habitation, et le prix était convenu, l'obligation de soins discutée n'apparaissant que comme une modalité du paiement du prix.
En outre, les obligations de l'acheteur qui seront examinées de manière plus détaillée ci-dessous ne comportaient pas celles d'assumer intégralement l'entretien et la nourriture du "bailleur".
La qualification de bail à nourriture sera écartée et sur ce point, le jugement prononcé le 24 février 2003 par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de Blaye sera réformé.
Sur la validité de l'acte de vente
En raison des motifs ci-dessus exposés, il n'y a pas lieu de statuer sur
la difficulté procédurale opposant les parties, Madame A... demandant la nullité du bail à nourriture et Monsieur X... s'opposant à l'examen de cette demande qu'il estime être une demande nouvelle.
Avant de statuer sur l'éventuelle possibilité pour Monsieur F..., il y a lieu auparavant d'examiner si l'action en nullité de l'acte de vente intentée par Madame A... est fondée, étant observé que Monsieur B... est défaillant dans la procédure.
Pour faire valoir que la vente en date du 29 octobre 2000, serait nulle, Madame A... dans ses conclusions soutient que l'acte de vente doit être déclaré nul pour absence de cause et défaut d'aléa.
Il ressort des termes de l'acte de vente que celle-ci était consentie pour le prix de 1.800 000 francs qui était converti d'un ommun accord en une obligation de soins à la charge de l'acquéreur.
Ces obligations étaient les suivantes :
"En cas de maladie bénigne mais interdisant au vendeur de se déplacer.... de venir le garder et le soigner chez lui de préférence ou à défaut au domicile l'acquéreur ou de le faire garder par toute personne agréée par le vendeur mais aux frais de l'acquéreur.
Pendant cette période, si la garde s'effectue au domicile du vendeur, de venir lui rendre visite, de s'occuper de ses courses quotidiennes.
En cas de maladie grave, de longue ou decourte durée, de le soigner soit à son propre domicile soit en venant chez lui.
En cas de placement en maison de retraite ou en maison spécialisée, ....Si les moyens financiers du vendeur ne lui suffisaient plus pour lui permettre de vivre, de couvrir médicalement et chirurgicalement ses besoins de la vie courante, l'acquéreur devrait assumer le complément financier une fois ses propres ressources épuisées et dans la carence de toute aide publique légale ..."
Il ressort de la lecture de ses dispositions que, alors que la propriété avait une valeur certaine puisqu'évaluée à 1.800 000 francs, Monsieur B... ne contractait aucune obligation de régler le prix d'acquisition de cette propriété. En
effet, les obligations de l'acquéreur en cas de maladie bénigne se résumaient en visites. L'obligation de fournir de la nourriture n'était prévue qu'en cas de maladie ; enfin, les ressources personnelles de Madame A... rendaient très peu probables la contribution que devait apporter Monsieur B... aux frais de placement, si besoin en était, Monsieur B... bénéficiant dans cette hypothèse des prix du fermage.
Contrairement à ce que soutient Monsieur X... dans ses écritures, Madame A... n'a pas entendu se prévaloir d'un vice de consen-tement notamment tenant à une erreur sur la valeur de la propriété mais s'est fondée sur l'article 1131 du Code Civil qui prévoit qu'un contrat synallagmatique peut être annulé pour défaut de cause, en l'absence d'une réelle contrepartie, cette disposition étant visée dans ses conclusions.
Le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux qui avait refusé d'annuler la vente de la propriété litigieuse sera réformé dans toutes ses dispositions.
Sur l'exercice du droit de préemption de Monsieur X...
Au moment où Madame A... a pris la décision de vendre la
propriété litigieuse, il est constant que Monsieur X... était fermier et pouvait donc exercer son droit de préemption. En effet, le bail n'a été résilié que par un arrêt de la Cour d'Appel de Bordeaux en date du 27 juin 2002 et était donc toujours en vigueur le 23 mars 2001 lorsque Monsieur G... a entendu faire valoir son droit de préemption.
Il ressort des pièces du dossier que le 29 novembre 2000, le notaire de Madame A... avait avisé Monsieur X... de ce que la propriété dont il était fermier venait de faire l'objet d'un acte de transfert dont la nature rendait inapplicable l'exercice du droit de préemption.
Dans ce contexte, Monsieur X... a assigné Madame A... et Monsieur B... aux fins de faire valoir son droit de préemption et de demander à bénéficier de son droit de substitution, ce qui lui a été refusé par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux au motif qu'il ne s'agissait pas d'une vente mais d'un bail à nourriture.
Le jugement sera réformé en ce qu'il s'agissait bien d'une vente et non d'un bail à nourriture.
Cependant, il sera observé que tout d'abord, l'acte de vente est nul pour défaut de cause, ce qui le vicie dès l'origine et ensuite, en admettant que Monsieur X... ait pu faire valoir son droit de préemption sur une telle vente, son action par substitution se serait heurtée aux mêmes causes de nullité, les conditions de la vente devant être les mêmes.
Dès lors, par d'autres motifs que la Cour y substitue, les jugements qui avaient débouté Monsieur X... de ses demandes tendant à faire reconnaître son droit de préemption, seront confirmés.
Compte tenu des observations faites ci-dessus, il n'y a pas lieu d'examiner les arguments des parties sur les aptitudes respectives de chacune d'entre elles à exploiter une propriété agricole.
Sur les demandes de dommages-intérêts des parties
Monsieur X... forme une demande de dommages-intérêts en soutenant qu'il y a eu collusion frauduleuse entre Monsieur B... et Madame A..., de manière à faire échec à ses droits de fermier.
Cependant, il sera observé que les parties sont en litige depuis 1998 et que dès la fin de l'année 1998, Madame A... demandait la résiliation du bail à ferme pour mauvaise exécution de ses obligations par Monsieur X.... Par arrêt en date du 27 juin 2002, la Cour d'Appel de Bordeaux prononçait la résiliation du bail à ferme aux torts exclusifs de Monsieur F..., arrêt devenu définitif, le pourvoi formé par le fermier ayant été rejeté par la Cour de Cassation, le 10 février 2004.
La chronologie de la procédure soumise à la Cour démontre que Monsieur X... a poursuivi ses actions en justice, alors que sa qualité de fermier était sérieusement menacée et même définitivement perdue à partir du mois de février 2004. Il a dès lors largement contribué à causer le préjudice dont il allègue l'existence, et ne peut prétendre à des dommages-intérêts. Il sera débouté de sa réclamation de ce chef, sa demande d'expertise étant inopérante.
Madame A... demande de son côté des dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par ses initiatives procédurales multiples et parfois contradictoires, Madame A... a elle aussi contribué à multiplier les litiges entre les parties et ne peut soutenir qu'elle ait été victime de procédures abusives. Elle sera également déboutée de ses demandes de ce chef.
L'équité commande de ne pas allouer d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Ordonne la jonction des deux procédures suivies sous les no 07/01520 et 07/01521 et dit que la procédure se poursuivra sous le no 07/01520.
Réforme les deux jugements dans leur analyse de l'acte du 29 novembre 2000 et statuant à nouveau :
Dit que cet acte conclu entre Monsieur B... et Madame A... était effectivement un acte de vente et en constate la nullité pour défaut de cause.
Le confirme pour le surplus et notamment en ce qu'il a débouté Monsieur X... de son action en vue de faire valoir son droit de préemption.
Déboute les parties du surplis de leurs demandes.
Dit n'y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dit que Monsieur X... et Madame A... partageront la charge des dépens.
Signé par Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Président, et par Mademoiselle Françoise ATCHOARENA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
F. H... M-P. DESCARD-MAZABRAUD