ARRÊT RENDU PAR LACOUR D'APPEL DE BORDEAUX--------------------------Le : 20 novembre 2006PREMIÈRE CHAMBRE SECTION ANo de rôle : 04/04908Monsieur Lucien Henri GROSSOMadame Denise Léonie Z... épouse GROSSOMonsieur Albéric DE A...c/La COMMUNE de BEYNAC et CAZENAC représentée par le Maire de ladite communeNature de la décision : AU FONDGrosse délivrée le :aux avoués
Rendu par mise à disposition au Greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450-2o alinéa du Nouveau Code de Procédure Civile,
Le 20 novembre 2006
Par Monsieur Alain COSTANT, Président,
en présence de Madame Chantal SERRE, Greffier,
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, PREMIÈRE CHAMBRE SECTION A, a, dans l'affaire opposant :
Monsieur Lucien Henri Y...né le 15 Août 1910 à MARSEILLE (13002), de nationalité Française, demeurant Château Féodal de Beynac - 24220 BEYNAC ET CAZENAC
Madame Denise Léonie Z... épouse Y...née le 29 Janvier 1930 à LA MOTHE SAINT HERAY, de nationalité Française, demeurant Château Féodal de Beynac - 24220 BEYNAC ET CAZENAC
Monsieur Albéric DE X... le 06 Juillet 1964 à NEUILLY SUR SEINE (92200), de nationalité Française, demeurant 36 rue de Seine - 75006 PARISreprésentés par Maître Patrick LE BARAZER, avoué à la Cour et assistés de Maître BAZIN de GESSEY substituant Maître Pierre-Manuel CLOIX, avocats au barreau de PARIS
Appelants d'un jugement rendu le 04 juin 2004 par le Tribunal de Grande Instance de BERGERAC suivant déclaration d'appel en date du 13 juillet 2004,
à :
La COMMUNE de BEYNAC et CAZENAC représentée par le Maire de ladite commune domicilié en cette qualité24220 BEYNAC et CAZENACreprésentée par la SCP CASTEJA-CLERMONTEL etamp; JAUBERT, avoués à la Cour et assistée de Maître Clotilde CAZAMAJOUR, avocat au barreau de BORDEAUX
Intimée,
Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue en audience publique, le 16 Octobre 2006 devant :
Monsieur Alain COSTANT, Président,
Monsieur Jean-Claude SABRON, Conseiller,
Madame Elisabeth LARSABAL, Conseiller,
Assistés de Madame Chantal SERRE, Greffier,
Et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du Siège ayant assisté aux débats ;*******
Par jugement du 04 juin 2004, auquel la Cour se réfère expressément pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions initiales des parties, le Tribunal de Grande Instance de Bergerac, dans l'instance introduite par la commune de BEYNAC et CAZENAC à l'encontre de Lucien Y..., Denise Z..., son épouse et Albéric DE A... relative à un chemin desservant l'église de BEYNAC, situé dans l'enceinte du château féodal de BEYNAC, appartenant en usufruit aux époux Y... et en nue propriété à Albéric DE A..., a :
- dit que la commune de BEYNAC et CAZENAC est propriétaire du chemin d'accès à l'église de BEYNAC situé dans l'enceinte du château féodal de BEYNAC appartenant aux époux Y... et à Albéric DE A... ;
- condamné en tant que de besoin les époux Y... et Albéric DE A... à restituer à la commune de BEYNAC et CAZENAC le chemin d'accès à l'église de BEYNAC et ses accessoires, libres de tout droits qu'ils auraient pu éventuellement consentir ;
- autorisé la commune de BEYNAC et CAZENAC à pénétrer sur les parcelles cadastrées A no 1521 et 1523 appartenant aux époux Y... et à Albéric DE A... pour y réaliser les travaux lui incombant afin de reconstruction du chemin et ses accessoires ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- débouté les époux Y... et Albéric DE A... de leurs demandes reconventionnelles ;
- condamné les époux Y... et Albéric DE A... à payer à la commune de BEYNAC et CAZENAC la somme de 2.500 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre tous les dépens.
Les époux Y... et Albéric DE A... ont relevé appel de cette décision le 13 juillet 2004.
Par ordonnance du 27 juillet 2005, le Président de chambre désigné en l'empêchement légitime du Premier Président de la Cour d'Appel de Bordeaux a débouté les époux Y... et Albéric DE A... de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Les époux Y... et Albéric DE A..., dans leurs dernières conclusions récapitulatives signifiées et déposées au Greffe le 05 octobre 2006, demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- de débouter la commune de BEYNAC et CAZENAC de l'ensemble de ses demandes ;
- de dire et juger qu'ils sont propriétaires du chemin desservant l'église communale et ses accessoires, dit "chemin du château" avec toutes conséquences de droit ;
- de condamner la commune de BEYNAC et CAZENAC à leur payer la somme de 7.000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre tous les dépens.
Ils rappellent qu'ils sont propriétaires depuis 1961 sur le territoire de la commune de BEYNAC et CAZENAC d'un vaste ensemble immobilier qui revêt depuis 1944 la qualité de monument historique dans toutes ses composantes (château, murs d'enceinte et terrasses), au sens de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1913, dont ils n'ont eu de cesse de poursuivre la restauration en conservant son caractère féodal.
Ils font valoir en ce qui concerne le chemin que les plans cadastraux antérieurs à 1957 démontrent que l'accès à l'église se faisait en passant par la cour du château et non pas par l'actuelle terrasse.
Ils soutiennent que la commune ne peut se fonder sur le cadastre pour tenter de s'attribuer la propriété du chemin.
Ils font valoir que leur acte de vente du 23 décembre 1961 montre que le chemin litigieux est compris dans l'enceinte de leur propriété, comme l'ont d'ailleurs rappelé à plusieurs reprises les services de l'Etat à la commune.
Ils soutiennent que la commune, qui n'a aucun titre de propriété sur le chemin litigieux ne peut invoquer la prescription acquisitive au regard de la règle posée par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1913 "nul ne peut acquérir de droit de prescription sur un immeuble classé".
Ils ajoutent qu'en toute hypothèse la commune n'est pas fondée à invoquer une possession non équivoque à l'égard d'un chemin utilisé de manière irrégulière par les habitants se rendant à l'église.
Ils font valoir que le chemin en cause ne saurait davantage être qualifié de chemin rural appelé à desservir des fonds ruraux. Ils ajoutent que la commune ne peut pas plus invoquer la présomption de
propriété de l'article L.161-3 du Code rural dont aucune condition n'est réunie, le chemin en cause n'assurant pas la liaison de deux voies publiques et n'étant pas l'objet d'une circulation générale et continue alors que la commune n'établit pas plus l'existence d'acte réitérés de surveillance sur le chemin d'accès à l'église.
Ils soutiennent que la délibération du conseil municipal du 29 décembre 1989 procédant au classement en voie communale du chemin litigieux est inopérante alors que la commune, qui n'était pas propriétaire du chemin en cause, n'a pas pu classer celui-ci dans son domaine public routier, la commune ne justifiant par ailleurs d'aucune notification de la décision de classement à eux-mêmes qui leur est ainsi inopposable.
La commune de BEYNAC et CAZENAC, dans ses dernières conclusions signifiées et déposées au Greffe le 25 septembre 2006, demande à la Cour de confirmer la décision entreprise et de condamner les époux Y... et Albéric DE A... à lui payer la somme de 15.000 ç à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 7.000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et tous les dépens, étant par ailleurs pris acte de ce qu'elle a achevé les travaux de remise en état du chemin de l'église et ses accessoires.
Elle fait valoir que l'assiette et la configuration actuelles du chemin existent depuis 1830 et à tout le moins 1846.
Elle souligne que le titre de propriété des époux Y... ne fait état ni de la parcelle cadastrée section A no 1525 sur laquelle est édifiée l'église ni de la parcelle nu-numérotée correspondant au chemin de l'église qui permet l'accès à celle-ci.
Elle fait valoir que la décision de classement du 22 décembre 1989, régulièrement publiée et qui n'a fait l'objet d'aucun recours contentieux des époux Y... devant les juridictions administratives,
Lucien Y... ayant à cette occasion reconnu le caractère rural du chemin, n'avait pas à être précédée d'un transfert de propriété alors que le chemin appartenait à la Commune depuis plus de trente ans en tant que chemin rural pour être affecté à l'usage du public.
Elle soutient que la règle de l'imprescriptibilité sur un monument historique est inapplicable au cas d'espèce dès lors que la décision de classement est dépourvue d'effet sur le droit de propriété du chemin préexistant au profit de la commune, étant de surcroît observé que les parcelles visées par le classement n'englobe pas celle affectée d'un nu-numéro spécifique correspondant au chemin de l'église.
Elle fait valoir qu'elle justifie d'une possession utile, continue, paisible, publique et non équivoque sur le chemin dans son assiette actuelle depuis plus de trente ans, ce qui fait que l'usucapion avérée établit de manière irréfragable son droit de propriété sur le chemin.
Elle relève enfin que compte tenu de ces élément les consorts Y...-DE A... ne sauraient se prévaloir d'une possession exempte de vices.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 02 octobre 2006.
Motif de la décision
Attendu qu'il est constant que l'église paroissiale, propriété de la commune de BEYNAC et CAZENAC située dans l'enceinte du château féodal de BEYNAC, est desservie par le chemin dit "chemin du château" ;
Attendu qu'après examen des divers plans dessinés par Léo B... sur ce site historique et des documents cadastraux, c'est par de justes motifs que la Cour fait siens que les premiers juges ont considéré qu'aucun élément ne permettait d'établir que l'assiette du chemin ait subi une modification au début du XXème siècle et que le chemin actuel ne soit pas celui mentionné au cadastre de 1830, identique à
celui décrit par Léo B..., et d'autre part dit que ce chemin, avant son classement en voie communale en 1989, était un chemin rural, tel que porté au cadastre de 1830, faisant partie du domaine privé de la commune ;
Attendu qu'à cet égard les premiers juges ont justement rappelé qu'aux termes de l'article L.161-3 du Code rural tout chemin affecté à l'usage du public est présumé jusqu'à preuve contraire appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé et que cette présomption légale bénéficiait à la commune de BEYNAC et CAZENAC et qu'il appartenait aux consorts Y...-DE A... de rapporter la preuve de leurs droits sur la partie du chemin d'accès à l'église traversant leur propriété ; que la preuve de cette affectation à l'usage du public est rapportée par les attestations régulièrement produites aux débats par la commune de BEYNAC et CAZENAC établies par les habitants de celle-ci et l'ancien propriétaire du château avant sa vente en 1961 au époux Y... qui ne se borne pas à rapporter des dires puisque s'il fait état des propos de sa famille, il précise qu'il a toujours connu que le chemin qui dessert l'église paroissiale, ancienne chapelle du château, était public et entretenu par la commune ; que les consorts Y...-DE A... ne sauraient sérieusement soutenir que le chemin n'est pas affecté à l'usage du public pour être réservé à une catégorie confidentielle d'usagers alors qu'il est tout autant utilisé par les fidèles se rendant à l'église que par les personnes allant suivre des offices à l'occasion de baptêmes, mariages ou enterrements et les touristes qui vont visiter l'église et son mobilier classés monument historique ; que par ailleurs la commune de BEYNAC et CAZENAC justifie tout autant d'actes de surveillance et d'entretien sur ledit chemin et ce depuis 1897 où dans la séance du conseil municipal du 12 août elle votait une délibération pour procéder à des travaux par suite de
l'écroulement au cours de l'hiver précédent d'un mur sur le chemin rural ; qu'enfin lors de l'enquête publique préalable au classement du chemin rural en voie communale auquel il a été procédé suivant délibération du conseil municipal en date du 22 décembre 1989, Lucien Y... dans le cadre de ses observations avait précisé "sur le droit de passage du terrain du château qui est un chemin rural donnant accès à l'église et sur le droit d'installations commerciales et installations électriques intempestives pour la sauvegarde du site", cette décision de classement régulièrement publiée et enregistrée le 30 mars 1990 à la sous-préfecture de Sarlat n'ayant jamais fait l'objet d'une quelconque contestation des époux Y... devant les juridictions administratives alors que celle-ci leur était parfaitement opposable du fait de son affichage ;
Attendu que pour leur part les consorts Y...-DE A... ne rapportent pas la preuve d'un quelconque droit sur le chemin litigieux ; qu'au contraire leur titre de propriété résultant de la vente du château de BEYNAC par Jean ESCARMANT à Lucien Y... suivant acte reçu le 23 décembre 1961 par Maître VEDRENNE, notaire à Daglan (Dordogne) démontre qu'ils n'ont aucun droit sur ledit chemin ; que ledit acte précise en effet en ce qui concerne la désignation des biens vendus "Dans l'enceinte se trouve l'église paroissiale de BEYNAC, un jardin et un bois de chênes. On accède au château par une porte ouvrant sur l'ancien fossé à l'Est et la place dite "place du château" prise dans les remparts. On accède à l'église par un chemin partant du village et dit "chemin du château". Le château et ses dépendances donnant un seul bloc d'immeuble confrontant du nord le chemin dit "du château", du sud Cavarelli, de l'est la place du château et Milhac, de l'ouest à Roger et au chemin, ce qui établit sans ambigu'té que le "chemin du château" ne faisait pas partie de la propriété vendue, celle-ci étant délimitée par référence au dit
chemin ; qu'ainsi les consorts Y...-DE A... ne sauraient invoquer au titre du "chemin du château" les dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques aux termes desquelles "nul ne peut acquérir de droit par prescription sur un immeuble classé au titre des monuments historiques" dès lors que le chemin rural ne faisait pas partie du monument historique objet du décret de classement du 11 février 1944 faisant état du classement du château de BEYNAC, de ses murs d'enceinte et des terrasses et n'ayant pas visé un quelconque chemin d'accès à l'église paroissiale ; qu'enfin c'est par des motifs pertinents que la Cour fait siens (page 6 quatrième paragraphe du jugement) que le premier juge a considéré que les consorts Y...-DE A... ne justifiaient pas d'une quelconque prescription acquisitive;
Attendu qu'ainsi le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu alors que l'exercice d'une voie de recours ne saurait en lui-même être constitutif d'un abus du droit d'agir en justice si il n'est exercé à des fins dilatoires, ce qui n'est pas le cas en l'espèce en égard à la solution donnée au litige par les premiers juges, ou avec une intention de nuire dont la preuve n'est pas davantage rapportée, la commune de BEYNAC et CAZENAC, qui ne rapporte au demeurant pas la preuve d'un préjudice autre que celui inhérent à toute procédure judiciaire qui sera pris en compte au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Attendu que succombant en leur appel les consorts Y...-DE A... supporteront les dépens et ne sauraient voir accueillie leur demande sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, l'équité commandant qu'il soit fait application de
ce texte au profit de la commune de BEYNAC et CAZENAC en lui allouant la somme de 3.000 ç;PAR CES MOTIFSla Cour,
Reçoit les époux Y... et Albéric DE A... en leur appel régulier en la forme mais le dit non fondé.
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bergerac du 04 juin 2004.
Y ajoutant :
Déboute la commune de BEYNAC et CAZENAC de sa demande de dommages et intérêts.
Condamne les époux Y... et Albéric DE A... à payer à la commune de BEYNAC et CAZENAC la somme de 3.000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les condamne aux dépens et autorise la SCP CASTEJA-CLERMONTEL ET JAUBERT, avoués à la Cour, à recouvrer directement ceux dont elle a pu faire l'avance sans avoir reçu provision.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Alain COSTANT, Président, et par Madame Chantal SERRE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.