ARRET RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX -------------------------- Le : LM DEUXIÈME CHAMBRE No de rôle :
03/02875 S.A. DÉRIVÉS RESINIQUES ET TERPENIQUES S.A. AGF MARINE AVIATION TRANSPORTS (AGF MAT) S.A. AXA GLOBAL RISKS LA MUTUELLE DU MANS ASSURANCE IARD S.A.S. SIAT SOCIETA ITALIANA ASSICURAZIONI REASSICURAZIONI S.A. THE BRITISH AND FOREIGN MARINE INSURANCE COMPANY LTD MUTUELLE ELECTRIQUE D'ASSURANCES ALTE LEIPZIGER VERSICHERUNG AG c/ Société ANDERS UTKILENS REDERI AS MONSIEUR LE CAPITAINE COMMANDANT LE NAVIRE NORDSTRAUM Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : à :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Le
Par Monsieur Serge SAINT-ARROMAN, Président,
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, DEUXIÈME CHAMBRE, a, dans l'affaire opposant :
S.A. DÉRIVÉS RESINIQUES ET TERPENIQUES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 30 rue Gambetta - 40105 DAX CEDEX
S.A. AGF MARINE AVIATION TRANSPORTS (AGF MAT), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 23/27 rue Notre Dame - 75002 PARIS
S.A. AXA GLOBAL RISKS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 4 rue Jules Lefebvre - 75426 PARIS CEDEX 09
LA MUTUELLE DU MANS ASSURANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 19/21 rue Chanzy - 72030 LE MANS CEDEX
S.A.S. SIAT SOCIETA ITALIANA ASSICURAZIONI REASSICURAZIONI, via Bartolomeo Bosco, 15- 16121 GÊNES (ITALIE), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 40 rue Notre Dame des Victoires - 75002 PARIS
S.A. THE BRITISH AND FOREIGN MARINE INSURANCE COMPANY LTD - New Hall Place - LIVERPOOL L69-3 (ROYAUME UNI), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 32 rue le Peletier - 75009 PARIS
MUTUELLE ELECTRIQUE D'ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 6-8 rue Chauchat - 75009 PARIS
ALTE LEIPZIGER VERSICHERUNG AG - Alte Leipziger Platz, 1 6370 OBERUURSEL / TAUNUS (ALLEMAGNE), prise en la personne de son agent, la S.A. MARTIN et BOULART, domicilié en cette qualité au siège social, Bourse Maritime - place Lainé - 33075 BORDEAUX
représentées par la S.C.P. FOURNIER, avoués à la Cour, et assistées de Maître Philippe OLHAGARAY, avocat au barreau de Bordeaux,
Appelantes d'un jugement rendu le 25 avril 2003 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux suivant déclaration d'appel en date du 27 mai 2003,
à :
Société ANDERS UTKILENS REDERI AS, B.P. 1163 - 5001 BERGEN (NORVÈGE), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, Zone Industrielle de Fret - 33521 BRUGES CEDEX
MONSIEUR LE CAPITAINE COMMANDANT LE NAVIRE NORDSTRAUM, demeurant Zone industrielle de Frêt - 33521 BRUGES CEDEX
représentés par la S.C.P. Luc BOYREAU etamp; Raphaùl MONROUX, avoués à la Cour, et assistés de Maître Jean-François DACHARRY, avocat au barreau de Bordeaux,
Intimés,
Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue le 08 mars 2005 devant :
Monsieur Serge SAINT-ARROMAN, Président,
Mademoiselle Michèle COURBIN, Conseiller,
Monsieur Bernard ORS, Conseiller,
Madame Véronique X..., Greffier,
et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du Siège ci-dessus désignés.
***
La société Dérivés Résiniques et Terpéniques ayant passé commande à la société Assidoman de 534,100 tonnes d'essence de térébenthine, cette marchandise a été chargée le 7 juin 2000 sur le navire Nordstraum, appartenant à la société Anders Utkilen dans le port de Karlsborg en Norvège et a été transportée jusqu'à Ambès où elle est arrivée le 16 juin.
Cette marchandise avait été placée dans les cuves sises babord et tribord, en cours de route, le navire avait procédé à d'autres chargements dans deux autres ports.
Au départ, aucune réserve n'a été portée sur le connaissement par le commandant du navire.
À l'arrivée, il a été constaté que le produit était affecté d'une émulsion blanche anormale sur le haut des deux cuves.
Une expertise amiable et contradictoire a été réalisée à la demande de la société Dérivés Résiniques et Terpéniques et de ses assureurs par le laboratoire Serma Expertise et a révélé, dans le produit dégradé, la présence anormale et en grande quantité (5,7%) d'eau et indiquait que le produit d'origine n'étant pas miscible dans l'eau, le dommage avait pu être initié et amplifié par la présence d'huile (non identifiée), d'un surfaçant qui n'a pu être isolé ou d'un
adjuvant utilisé dans l'eau de nettoyage de cuves.
À la requête de la société Dérivés Résiniques et Terpéniques et de ses assureurs, une ordonnance de référé a désigné un expert, Monsieur Y..., afin d'analyser la marchandise et d'identifier les produits polluants.
Cette expertise a été rendue commune à la société Assidoman par une ordonnance du 2 novembre 2000.
L'expert, Monsieur Y..., a été assisté dans ses travaux par Monsieur Z..., en qualité de sapiteur.
Au vu du rapport déposé par l'expert le 8 décembre 2001, le tribunal de commerce a été saisi d'une assignation délivrée le 23 mai 2001 et de conclusions développées à la barre au vu du rapport d'expertise et, par jugement du 25 avril 2003, a constaté le désistement de la société Dérivés Résiniques et Terpéniques et de ses assureurs à l'encontre de la société Assidoman et les a déboutés de leur demande à l'encontre de la société Anders Utkilen et du capitaine du navire Nordstraum.
À l'appui de cette décision, le tribunal a considéré que si le connaissement en l'absence de réserves valait présomption de responsabilité à l'encontre du transporteur, cette présomption pouvait être détruite par la démonstration de l'existence d'un cas exonératoire ;
- qu'en l'espèce, l'exonération était constituée par un vice propre de la marchandise, soit sa propension à se détériorer sous l'effet d'un transport maritime effectué dans des conditions normales ;
- que le pourcentage d'eau, l'absence de variation du ullage, l'absence d'eau salée, le résultat de l'analyse de l'eau se trouvant dans l'essence constituaient des présomptions précises et concordantes prouvant l'existence d'un vice propre de la marchandise ; que la quantité excessive d'eau étant un facteur déterminant dans
la formation de l'émulsion, le lien de causalité avec les dommages était établi.
Régulièrement appelants, la société Dérivés Résiniques et Terpéniques et ses assureurs ont déposé des conclusions les 29 septembre 2003, 22 mars et 23 novembre 2004, la société Anders Utkilen et le capitaine du navire Nordstraum ont déposé des conclusions le 5 décembre 2003 et le 3 mai 2004.
Par ordonnance du 21 octobre 2003, le conseiller de la mise en état a constaté le dessaisissement de la cour à la suite du désistement des appelants de leur appel à l'égard de la société Assidoman.
MOTIFS
Attendu que les conclusions du rapport d'expertise sont les suivantes :
"L'essence de térébenthine qui a été déchargée du Nordstraum à Ambès était émulsionnée.
Cette essence contenait une importante quantité, 6% au lieu de 0,2%, dont les caractéristiques indiquent qu'elle serait d'origine papetière.
L'importance de cette quantité d'eau est un facteur déterminant dans la formation d'une telle quantité d'émulsion.
Les analyses effectuées par Monsieur Z..., sapiteur, n'ont pas permis de déterminer d'une façon irréfutable quel était le produit qui était à la base de cette émulsion.
Les analyses ont permis d'écarter la présence d'un tensio-actif de nettoyage.
Les analyses ne permettent pas d'affirmer formellement qu'il y a ou qu'il n'y a pas d'huile moteur dans l'émulsion".
À l'appui de leur appel, les appelants rappellent qu'aucune anomalie et notamment qu'aucune émulsion n'a été constatée lors du chargement, que selon le sapiteur, une émulsion ne peut se produire que s'il se
trouve dans le liquide, outre l'essence et l'eau, un agent déclenchant qui peut être un détergent ou de l'huile d'automobile ;
- que le pourcentage de 6% d'eau dans l'essence de térébenthine provenant d'une papeterie n'est pas exceptionnel eu égard aux conditions de fabrication de cette essence de térébenthine, et que l'acheteur se borne dans un tel cas à demander une réduction du prix pour ce qui excède le pourcentage de 0,2% contractuellement admis ;
- que des pourcentages importants, pouvant aller jusqu'à 50%, se rencontrent et ne rendent pas la marchandise impropre à son usage et ne donnent lieu qu'à des avoirs ;
- que la séparation se fait par décantation.
Ils se fondent sur des hypothèses émises par l'expert :
- page 22 du rapport, selon lesquelles l'agent qui a provoqué l'émulsion a pu être soit des résidus d'huile minérale transportée au cours de précédents voyages par le navire, soit des détergents ayant servi au nettoyage des cuves ;
- ainsi que sur l'indication contenue page 24 du rapport, selon laquelle "une émulsion ne peut être obtenue en agitant seulement de l'essence et de l'eau de papeterie et quelle qu'en soit la quantité", pour soutenir que l'émulsion a été provoquée par des résidus d'huile transportée au cours d'un précédent voyage, qui même en faible quantité a pu la déclencher ou par des résidus de produits de nettoyage utilisés par l'équipage.
Attendu qu'ils insistent sur le fait que les factures de nettoyage émanant d'une société spécialisée ne sont produites, ni aucun document établissant que ces nettoyages ont été réalisés par une société spécialisée ni aucun document indiquant ce qu'il est advenu des résidus du lavage réalisé avant le 8 juin 2000.
Attendu qu'ils estiment en tout cas qu'il n'est pas établi que l'essence de térébenthine ait été affectée d'un vice l'ayant
prédisposée à se détériorer, dès lors que la seule présence d'eau n'a pu entraîner l'émulsion.
Attendu qu'ils demandent à titre de dommages et intérêts le remboursement des frais de stockage, des frais de destruction et la valeur de la marchandise, soit au total 150.207,41 ç.
Attendu que les intimés s'appuient sur les passages du rapport selon lequel l'importance de la quantité d'eau contenue dans l'essence a été un facteur déterminant dans la formation de l'émulsion et selon lequel les analyses n'ont pas permis de déterminer de façon irréfutable quel était le produit qui a été la base de l'émulsion, mais ont permis d'écarter la présence un tensio-actif de nettoyage - sans permettre d'affirmer qu'il y avait ou non de l'huile moteur dans l'émulsion, pour soutenir qu'ils ne sont pas responsables de la pollution.
Attendu qu'ils font observer également que la même pollution n'a pas atteint la même marchandise transportée le même jour, dans les autres cuves.
Attendu qu'ils se fondent également sur les conclusions du rapport d'expertise officieuses de la Serma selon lequel le pourcentage de 5,7% d'eau était anormal, ce que n'avait pas contesté la société Dérivés Résiniques et Terpeniques pendant l'expertise.
Attendu qu'ils ajoutent que l'eau contenue dans l'essence de térébenthine litigieuse n'était ni de l'eau douce, ni de l'eau de mer, mais une eau d'origine papetière qualifiée de liqueur noire ou liqueur de cuisson par le sapiteur, Monsieur Z..., lequel a mis en évidence que cette eau contenait des savons d'acide gras ayant un pouvoir tensio-actif, et font observer que si l'huile et les résidus de nettoyage avaient été à l'origine de l'émulsion, celle-ci se serait produite dans les autres cuves qui avaient transporté la même huile et avaient été pareillement nettoyées.
Attendu qu'il y a lieu de considérer qu'en définitive il est admis par les parties que la condition mécanique de la formation de l'émulsion a été réalisée par le brassage de l'essence de térébenthine au moment de son pompage de la cuve du fabricant, la société Assidoman, et de son introduction dans les cuves du navire.
Attendu que, pour ce qui est des conditions chimiques, il est également admis qu'elles sont constituées :
- par la présence d'eau dans l'essence,
- par l'action d'un agent déclenchant.
Attendu que la présence d'un pourcentage d'eau de l'ordre de 6% n'est pas contestée.
Attendu que, selon la société Dérivés Résiniques et Terpéniques, un tel pourcentage, bien que contractuellement anormal, n'est pas techniquement de nature à rendre la marchandise impropre à son usage, la séparation des deux éléments s'opérant par décantation.
Attendu que si la société Dérivés Résiniques et Terpéniques ne produit que devant la cour une attestation de son directeur financier, ainsi que de nombreuses pièces commerciales tendant à établir que la présence d'eau dans l'essence de térébenthine achetée n'était pas exceptionnelle et que cette difficulté se résolvait avec les fournisseurs par des réductions de prix concrétisées par des avoirs, il est inexact de soutenir comme le font les intimés qu'il s'agit d'affirmations nouvelles, puisque lors d'une réunion d'expertise du 14 janvier 2001, la société Dérivés Résiniques et Terpéniques avait déjà fait état de pourcentage d'eau parfois supérieur à 6%.
Attendu qu'il n'en demeure pas moins que, sur le plan chimique, un tel pourcentage a constitué, de l'avis de l'expert de la Serma, comme celui du sapiteur Z..., et de l'expert Y..., un pourcentage anormal qui a permis, ajouté à un facteur déclenchant, la réalisation
de l'émulsion ; qu'elle a été un facteur déterminant dans la formation d'une telle quantité d'émulsion.lisation de l'émulsion ; qu'elle a été un facteur déterminant dans la formation d'une telle quantité d'émulsion.
Attendu que, pour ce qui est de l'identité de ce facteur, si la présence d'un tensio-actif de nettoyage a été écartée par l'analyse du sapiteur Z..., il subsiste la possibilité non exclue de la présence d'huile minérale qui n'est pas formellement exclue par le sapiteur et est suggérée par l'expertise Serma.
Attendu en revanche que ce déclenchement par des savons d'acide gras contenus dans l'eau papetière ne paraît pas devoir être admis, dès lors que le sapiteur Z... a indiqué lors d'une réunion d'expertise du 4 janvier 2001 que la présence de savons était en quantité infime, et que l'expert était formel dans son rapport pour affirmer page 24 ci-avant citée qu'une émulsion stable ne peut être obtenue en agitant seulement de l'essence de térébenthine et de l'eau papetière, et quelle qu'en soit la quantité.
Attendu qu'il n'est ainsi pas établi que le sinistre ait été provoqué par un vice propre de la marchandise transportée, de sorte que la présomption de responsabilité qui pèse sur le transporteur ne peut être écartée.
Attendu au surplus que l'armateur n'établit pas le sérieux du nettoyage de la cuve après le précédent transport d'huile minérale, le rapport qu'elle produit émanant de l'organisme CWA ne décrivant de façon abstraite que la facilité de nettoyage de cuves de ce navire et les méthodes utilisées mais n'établissant pas qu'en l'espèce un nettoyage rigoureux ait été réalisé.
Attendu enfin que la circonstance que l'essence de térébenthine chargée dans les autres cuves qui avaient pareillement servi au transport d'huile minérale et auraient pareillement été nettoyées n'a
pas été émulsionnée, ne constitue pas la preuve de l'absence d'agent déclenchant dans les cuves no6.
Attendu qu'il y a donc lieu de déclarer l'armateur et le capitaine du navire responsables du sinistre et les condamner à réparer celui-ci dont le montant n'est pas contesté, en application des dispositions des articles 3, 4 et suivants de la convention de Bruxelles du 24 août 1924 et des articles 18, 26 et 27 de la loi du 18 juin 1966.
Attendu que l'équité justifie l'allocation à la société Dérivés Résiniques et Terpéniques d'une indemnité de 9.000 ç sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, eu égard aux frais de l'expertise amiable.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
réforme le jugement en toutes ses dispositions,
déclare la société Anders Utkilen Rederi AS et le commandant du navire Nordstraum responsables du dommage et les condamne in solidum à verser à la société Dérivés Résiniques et Terpéniques la somme de 237.338,01 ç à titre de dommages et intérêts.
Les condamne à lui verser la somme de 9.000 ç au titre des frais exposés en première instance et d'appel.
Les condamne aux dépens, incluant les frais de l'expertise judiciaire, mais non ceux de l'expertise amiable (article 695 du nouveau code de procédure civile) dont distraction au profit de la S.C.P. Fournier.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Serge SAINT-ARROMAN, Président, et par Madame Véronique X..., Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.