ARRÊT N°
BUL/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 9 JUILLET 2024
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 11 juin 2024
N° de rôle : N° RG 23/00725 - N° Portalis DBVG-V-B7H-EUGH
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BELFORT
en date du 03 avril 2023
Code affaire : 80L
Demande de prise d'acte de la rupture du contrat de travail
APPELANT
Monsieur [C] [U], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Pierre-Etienne MAILLARD, avocat au barreau de MONTBELIARD, présent
INTIMEE
S.A.R.L. RFM RESTAURATION, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-Louis LANFUMEZ, avocat au barreau de BELFORT, présent
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 11 Juin 2024 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 9 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe.
**************
FAITS ET PROCEDURE
M. [C] [U] a été embauché en qualité de cuisinier par la société RFM RESTAURATION à l'enseigne L'AUBERGE DU LAC une première fois à compter du 15 mars 2019, sur une base de 169 heures mensuelles, dont.
Il a démissionné de cet emploi par lettre du 20 août 2020.
A compter du 17 mai 2021 il a de nouveau été engagé par la société RFM RESTAURATION toujours selon un horaire de 169 heures par mois incluant 17,33 heures supplémentaires, moyennant un salaire mensuel de 3065,89 euros bruts.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 4 mars 2022 il a mis en demeure son employeur de s'acquitter des heures supplémentaires effectuées, en vain, et a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 mars 2022.
Par requête transmise sous pli recommandé expédié le 5 mai 2022, il a saisi le conseil de prud'hommes de Belfort aux fins de solliciter la requalification de cette prise d'acte en un licenciement aux torts de l'employeur avec les conséquences indemnitaires qui en découlent.
Par jugement du 3 avril 2023, ce conseil a :
- dit que la rupture du contrat de travail du 11 mars 2022 produit les effets d'une démission
- débouté M. [C] [U] de ses demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de licenciement
- débouté M. [C] [U] de sa demande au titre d'heures supplémentaires, congés payés afférents, repos compensateur et indemnité liée à l'article L8223-1 du code du travail
- débouté M. [C] [U] de sa demande d'indemnité de procédure
- débouté la SARL RFM RESTAURATION de sa demande reconventionnelle de remboursement d'indus, pour la somme de 4 802,88 euros, ainsi que l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire
- débouté la SARL RFM RESTAURATION de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens
Par déclaration du 11 mai 2023, M. [C] [U] a relevé appel de cette décision et selon dernières conclusions du 6 février 2024, demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
- dire qu'il produit des éléments de nature à étayer sa demande de paiement d'heures supplémentaires et qu'il ne bénéficiait pas de pause de son travail effectif au sens de l'article L3121-1 du code du travail
- condamner la SARL RFM RESTAURATION à lui payer :
* 33 298 € brut en rémunération des heures supplémentaires effectuées
* 3 329,80 € à titre de congés payés afférents
* 10 210,87 € brut au titre des repos compensateurs
* 25 051,14 € au titre de l'indemnité prévue par l'article L8223-1 du code du travail
A titre subsidiaire, la condamner à lui payer :
- 22 132,62 € brut en rémunération des heures supplémentaires effectuées
- 2 213,26 € brut au titre des congés payés afférents
- 6 314,18 € brut au titre des repos compensateurs
- 25 051,14 € au titre de l'indemnité prévue par l'article L8223-1 du code du travail
En tout état de cause,
- juger que la rupture du contrat du travail est imputable à la SARL RFM RESTAURATION, et qu'elle produit les effets d"un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- la condamner en conséquence à lui payer :
* 800,97 € à titre d'indemnité de licenciement
* 4 271,84 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
- débouter la SARL RFM RESTAURATION de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes
- condamner la SARL RFM RESTAURATION à lui payer la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, outre celle de 3 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel en sus des dépens
Par conclusions du 18 décembre 2023, la société RFM RESTAURATION demande à cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute le salarié de ses entières demandes
- condamner M. [C] [U] à lui payer :
* 4 802,88 € au titre de la restitution d'un trop perçu de salaire pour la période de décembre 2021 à mars 2022 inclus
* 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire
- débouter M. [C] [U] de l'ensemble de ses demandes
- condamner M. [C] [U] à lui payer la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur les heures supplémentaires
M. [C] [U] fait grief au jugement querellé d'avoir considéré qu'il ne lui soumettait pas des éléments suffisamment probants quant aux heures supplémentaires invoquées, d'avoir relevé que ceux-ci étaient entachés d'incohérences et d'avoir retenu que les effectifs étaient suffisants pour écarter toute heure supplémentaire alors que l'employeur n'a jamais communiqué son registre du personnel avant le 18 décembre 2023 sans toutefois produire celui de 2020.
Au soutien de son appel il fait valoir, au visa des articles L.3171-2 et suivants du code du travail, qu'il a été contraint d'effectuer des heures supplémentaires au titre de ses deux contrats de travail, qui ne lui ont pas été rémunérées par la société RFM RESTAURATION, laquelle ne pouvait ignorer leur existence puisque son gérant était en permanence présent au restaurant, et estime communiquer des éléments suffisamment précis, qui permettent à l'employeur, tenu de contrôler les horaires de travail de ses salariés, d'y répondre.
Il précise qu'il prenait ses repas sur place mais tout en accomplissant ses tâches de cuisinier, étant à la disposition permanente de son employeur, et n'avait donc pas de pause repas quotidienne de deux fois une heures comme allégué.
Le salarié soutient enfin que les attestations adverses censées contredire ses allégations sont mensongères.
La société RFM RESTAURATION, pour sa part, considère que les éléments adverses sont insuffisamment précis pour étayer l'existence d'heures supplémentaires, ce d'autant que dans le cadre de son précédent contrat n'ayant donné lieu à aucun litige, il n'avait jamais sollicité le paiement des heures supplémentaires qu'il réclame en la cause.
Elle affirme que le salarié avait des pauses repas d'une heures de 11 à 12 heures et de 18 à 19 heures, qu'il n'a pas déduites de ses tableaux.
Il ajoute n'avoir jamais demandé au salarié d'effectuer de telles heures, qui étaient exclues compte tenu des effectifs de l'équipe mais également de la situation particulière durant la crise sanitaire et dénie toute force probante au tableau produit. Il indique être en tout état de cause en mesure d'apporter la preuve contraire notamment par la production d'attestations de salariés et dénie toute force probante aux attestations adverses notamment parce que plusieurs de leurs auteurs n'étaient présents que lors du précédent contrat ou n'étaient présents ni au début ni à la fin de service de M. [C] [U].
Selon l'article L.3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures effectuées, l'employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toute mesure d'instruction qu'il estime utile.
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient donc au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Soc. 27 janvier 2021, n°17-31046).
A l'appui de sa demande, l'appelant communique aux débats :
- un récapitulatif manuscrit des heures effectuées chaque jour au titre du premier contrat de mars 2019 à août 2020 inclus et au titre du second contrat de mai 2021 à février 2022 inclus, mentionnant les horaires, les repos, les congés et les arrêts de travail (maladie)
- un décompte des heures supplémentaires effectuées sur les deux périodes avec répartition de celles-ci au regard des majorations (20%/50%) et chiffrage des sommes dues
- les fiches de paie de mars 2019 à août 2020 et de mai 2021 à mars 2022
- l'attestation Pôle Emploi du 12 mars 2022
- plusieurs attestations d'anciens collègues témoignant de façon assez vague de la réalité des heures supplémentaires de l'intéressé et du fonctionnement interne du restaurant
- son nouveau contrat de travail du 8 juin 2022 avec le même restaurant, géré par la soeur de l'ancien gérant, moyennant 42 heures par semaine, et des fiches de présence co-signées par les parties à ce contrat, donnant à voir qu'il a accompli en moyenne 60 heures de travail hebdomadaires désormais rémunérées
A cet égard il est incontestable que les pièces susvisées et en particulier les récapitulatifs et décomptes d'heures constituent des éléments suffisamment précis, qui permettent à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Soc. 8 juillet 2020, n°18-26385).
Il incombe dans ces conditions à la société RFM RESTAURATION de démontrer que les horaires effectués par son salarié n'étaient pas ceux qu'il allègue et qu'aucune heure supplémentaire ne doit lui être rémunérée, ainsi qu'elle le soutient.
Or la cour relève en premier lieu que la société RFM RESTAURATION ne produit aucun document justifiant des heures de travail effectuées par son salarié, en dépit de son obligation de contrôle de la durée du travail de celui-ci prescrite à l'article L.3171-2 du code du travail,
Pour asseoir son propos, elle communique cependant aux débats plusieurs attestations de salariés et d'anciens salariés.
Il résulte de ces témoignages concordants que M. [C] [U] commençait souvent ses journées à 9 heures 30 (M. [R], M. [L]), qu'il disposait de ses deux jours de repos par semaine (M. [R], M. [L]), voire plus de septembre à mars, (basse saison) et que tout le personnel et M. [W] (gérant) mangeaient ensemble le midi de 11 à 12 heures et le soir de 18 à 19 heures dans une ambiance conviviale (M. [R], M. [B], M. [E], Mme [N], Mme [S], M. [L]), qu'en fin de service après le départ des cuisiniers s'il restait des desserts à servir c'est le gérant, M. [W], ou sa compagne, Mme [N], qui s'en chargeaient ou M. [B], serveur (Mme [S], M. [L], M. [B]) et M. [L], chef cuisinier et disposant d'une formation de pâtissier, qui les réalisait (M. [L]).
M. [L], chef cuisinier, précise dans son témoignage qu'au cours des périodes considérées, le service de l'intéressé ne s'achevait pas plus tard que 14 heures le midi en semaine et 21 heures 30 durant le couvre-feu de 21 heures imposé aux clients durant la crise sanitaire puis pas plus tard que 22 heures 15 ensuite, compte tenu des jauges à 50% en intérieur, conjuguées à une saison pluvieuse où le service en terrasse a été limité.
Tout d'abord, l'absence soulignée par l'employeur de justification d'une revendication formelle par le salarié tendant au paiement d'heures supplémentaires de travail durant l'exécution de la première relation de travail puis durant la seconde jusqu'à sa mise en demeure du 4 mars 2022 n'est pas une condition préalable et ne lui interdit pas de formaliser une telle demande en la cause, dès lors que celle-ci n'est pas atteinte par la prescription.
De même, il est en effet de jurisprudence constante que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées (Soc.14 novembre 2018, n°17-16959).
Or, en l'espèce, il ressort suffisamment des débats que l'employeur en la personne de M. [W], gérant, qui était présent au restaurant de façon permanente, ne peut valablement prétendre qu'il n'aurait pas expressément sollicité son salarié pour effectuer les heures supplémentaires litigieuses, dès lors qu'il a nécessairement donné son accord implicite à la réalisation de celles-ci, imposées par la nature des fonctions de l'appelant et la fréquentation de l'établissement.
L'examen des bulletins de salaire de l'intéressé, qui apparaissent conformes, s'agissant du nombre d'heures de travail effectuées et rémunérées, aux termes de son contrat de travail, savoir 151,67 heures outre un forfait de 17,33 heures supplémentaires au taux majoré de 10%, permet de relever qu'aucune heure supplémentaire, en sus dudit forfait, ne lui a été réglée par l'employeur.
La seule affirmation du supérieur hiérarchique de M. [C] [U], M. [L], chef cuisinier, qui atteste dix-sept mois après la rupture du dernier contrat et vingt-quatre mois après la rupture du premier, que le service du midi n'aurait jamais excédé 14 heures et celui du soir 21 heures 30 ou 22 heures 15 selon les périodes, ne saurait suffire du fait de sa nécessaire imprécision à apporter la démonstration du caractère erroné des récapitulatifs d'heures produits par l'appelant.
De la même manière, si la production de tickets de commande par l'appelante n'est pas exploitable dès lors que leur date est totalement illisible (seule l'année 2022 l'est sur quelques tickets, alors que le contrat a été rompu le 11 mars), il résulte de l'attestation de M. [O] que l'appelant était assigné aux entrées et aux desserts et que le témoignage de M. [L], dont il n'est pas justifié de sa qualité de pâtissier, n'est pas convaincant lorsqu'il prétend qu'il réalisait les desserts pour les tout derniers clients, de sorte que la nécessité pour M. [C] [U] de rester jusqu'à la fin de service pour la réalisation des desserts doit être tenue pour acquise.
Pour le surplus, la teneur des attestations communiquées par l'employeur ne contredisent pas véritablement sur le principe les heures supplémentaires alléguées par le salarié.
En revanche, l'employeur qui est tenu d'administrer la preuve des temps de pause octroyés à ses salariés (Soc. 17 janvier 2024, n° 22-20.193) justifie par les attestations convergentes communiquées que son cuisinier disposait d'une heure le midi (de 11 à 12 heures) et une heure le soir (de 18 à 19 heures) pour déjeuner et dîner, comme tous les autres salariés, ces repas étant pris sur place au restaurant.
M. [C] [U] n'en disconvient pas mais considère qu'il s'agissait d'un temps de travail effectif dans la mesure où il demeurait à la disposition de l'employeur et pouvait être amené à tout moment à interrompre son repas pour effectuer une prestation de travail. Toutefois, alors que la charge de cette preuve lui incombe il ne parvient pas à établir le bien fondé de ses allégations à ce titre, qui sont contredites par les témoignages concordants communiqués par son contradicteur. A cet égard les jurisprudences dont il se prévaut, qui concernent notamment des agents de sécurité du Commissariat à l'énergie atomique et un salarié de station service de nuit, ne sont pas transposables au cas d'espèce.
Il suit de là que les temps de pause repas, qu'il n'a pas décomptés dans ses récapitulatifs d'heures supplémentaires effectuées, doivent venir en déduction de celles-ci.
En l'état des pièces communiquées, la cour ne peut que faire le constat que l'employeur échoue dans la part de la charge probatoire qui lui incombe et qu'après déduction des temps de pause la demande en paiement du salarié doit être partiellement accueillie, au titre des heures supplémentaires effectuées au-delà de son forfait d'heures supplémentaires (17,33 heures).
La société RFM RESTAURATION sera condamnée à payer à M. [C] [U] les sommes suivantes :
- pour la période du 15 mars 2019 au 30 août 2020 : 14 982,25 euros, outre 1 498,22 euros au titre des congés payés afférents
- pour la période du 17 mai 2021 au 29 février 2022 : 7 150,37 euros, outre 715,04 euros au titre des congés payés afférents
Conformément à l'article L.3121-33 du code du travail invoqué par le salarié et à la convention collective applicable (Hôtels, cafés, restaurants), l'appelant est légitime à revendiquer un repos compensateur à compter de la 41ème heures effectuée. Il lui sera alloué à ce titre la somme de 4 304,50 euros au titre de la première période du 15 mars 2019 au 30 août 2020 et celle de 2 009,68 euros du 17 mai 2021 au 29 février 2022, soit 6 314,18 euros au total.
Le jugement déféré qui a rejeté purement et simplement la demande de M. [C] [U] au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et repos compensateur mérite donc infirmation de ce chef.
II- Sur la requalification de la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur lorsque ce dernier n'exécute pas ses obligations contractuelles. Si les faits le justifient, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans le cas contraire ceux d'une démission.
Dans le premier cas, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ne produit cependant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements de l'employeur étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Au cas particulier, M. [C] [U] fait valoir qu'en raison du non paiement de ses heures supplémentaires accomplies depuis le 17 mai 2021, en dépit de réclamations verbales et d'une mise en demeure par pli recommandé réceptionné le 5 mars 2022 par son destinataire, demeurée sans réponse, il a été contraint de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Il soutient que ce manquement imputable à l'employeur rendait impossible la poursuite de la relation de travail, de sorte qu'elle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Il résulte de sa lettre de prise d'acte de la rupture adressée sous pli recommandé le 11 mars 2022 à la société RFM RESTAURATION qu'il reprochait à son employeur de ne pas avoir jugé utile de répondre à sa mise en demeure du 4 mars précédent et de ne pas lui verser la totalité de son salaire à ce titre.
La société RFM RESTAURATION rappelle que pour que sa prise d'acte produise les effets d'un tel licenciement, le salarié doit préalablement démontrer l'existence d'un ou plusieurs faits imputables à l'employeur d'une gravité suffisante pour être de nature à empêcher la poursuite de la relation contractuelle et que tel n'est pas le cas de faits anciens.
Elle soutient pour sa part qu'aucun manquement contractuel ne lui est imputable et en tout état de cause aucun de nature à rendre impossible la poursuite du contrat et souligne qu'aucune demande n'a été formulée à ce titre par le salarié à l'issue de son premier contrat, avant d'être réembauché, ni pour le second contrat avant la mise en demeure du 4 mars 2022, qui n'était au surplus accompagnée d'aucun décompte, de sorte qu'elle n'a pu, avant la prise d'acte, régulariser la situation et que celle-ci doit être qualifiée de démission (Soc 21 janvier 2015 n°13-16452).
En premier lieu, si l'employeur communique l'avis d'arrêt de travail de son salarié du 28 février au 13 mars 2022 attestant de ce qu'entre la réception de sa mise en demeure de lui rémunérer ses heures supplémentaires, le 5 mars 2022, et l'envoi de sa prise d'acte de la rupture le 11 mars suivant, M. [C] [U] était absent du restaurant, elle ne peut valablement s'en prévaloir pour justifier son absence de réactivité suite à la réclamation de son salarié, dès lors qu'elle aurait pu au moins solliciter auprès de celui-ci un décompte des heures revendiquées afin d'examiner le bien fondé de sa réclamation ou lui adresser une réponse d'attente.
Il a été précédemment démontré que la société RFM RESTAURATION est effectivement redevable d'un rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires réalisées par son salarié, de sorte que ce grief est caractérisé.
Cependant, pour permettre une qualification de la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le manquement imputable à l'employeur doit par sa gravité rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle, or tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
En effet, M. [C] [U] a exécuté son contrat de travail jusqu'à l'envoi de sa lettre du 11 mars 2022 (bien qu'en situation d'arrêt de travail à cette date) sans justifier avoir antérieurement émis la moindre doléance ou revendication au titre d'heures supplémentaires non payées à l'exception de sa mise en demeure réceptionnée par l'employeur six jours plus tôt, alors même qu'il ressort des productions qu'il a réalisé de telles heures dès le 17 mai 2021et jusqu'en mars 2022, et a attendu le 4 mars 2022 pour solliciter de manière officielle une régularisation salariale.
Cette situation n'a par conséquent manifestement pas empêché la collaboration professionnelle durant ces dix mois, alors même qu'il a, en connaissance de cause, postulé pour une nouvelle embauche en mai 2021 après une première relation contractuelle pour laquelle il avait effectué des heures supplémentaires alors non rémunérées, puisqu'il n'en réclame le paiement qu'à la faveur de la présente instance.
Dans ces conditions, la cour considère que le manquement articulé à l'encontre de l'employeur est avéré mais insuffisamment grave pour avoir fait obstacle à la poursuite entre les parties de l'exécution du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture doit en l'espèce produire les effets d'une démission et non d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement de première instance sera par conséquent confirmé en ce qu'il a ainsi statué.
III - Sur la demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L'article L.8221-5 2° du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.
Or, l'appelant échoue à démontrer l'intention frauduleuse de son employeur et la seule mention, sur les bulletins de paie, d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui qui a été réellement effectué ne saurait suffire à caractériser une volonté avérée de dissimulation d'emploi salarié de la part de la société RFM RESTAURATION.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
IV- Sur la demande en restitution d'un indu de salaire
L'employeur reproche aux premiers juges d'avoir écarté sa demande de restitution d'un indu de salaire au motif qu'il n'était justifié par aucune pièce du versement d'une somme de 1 200 € sur quatre mois.
Il soutient qu'alors qu'il payait le salaire de l'intéressé par chèque, son établissement bancaire a, sans ordre de sa part, continué de verser à M. [C] [U] une somme de 1 200,72 euros durant quatre mois pour un total de 4 802,88 euros, qui constitue donc un indu restituable.
L'employeur se prévaut de l'aveu judiciaire de son contradicteur en soutenant que ce dernier a implicitement reconnu cet indu en première instance en invoquant une compensation.
M. [C] [U] ne disconvient pas avoir encaissé lesdites sommes par virement mais soutient que la banque n'a pu sans ordre de son client procéder aux virements litigieux et considère que ces paiements ne répondent pas aux conditions de l'article 1302 du code civil.
En application de l'article 1235 du code civil (précédemment 1302 du même code), tout paiement suppose une dette et ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition.
Le salarié admet avoir reçu ces quatre versements par virement bancaire et ne disconvient pas avoir dans le même temps perçu son salaire par chèque.
Il ressort des productions que :
- le salaire de novembre 2021 d'un montant de 1 200,72 euros, tel qu'il ressort du bulletin de paie, a été acquitté par virement bancaire le 1er décembre 2021
- le salaire de décembre 2021 d'un montant de 1 941,63 euros a été réglé par chèque bancaire alors que le salarié a dans le même temps perçu par virement le 1er janvier 2022 la somme de 1 200,72 euros
- le salaire de janvier 2022 d'un montant de 2 428,05 euros a été réglé par chèque bancaire alors que le salarié a dans le même temps perçu par virement le 1er février 2022 la somme de 1 200,72 euros
- le salaire de février 2022 d'un montant de 2 428,05 euros a été réglé par chèque bancaire alors que le salarié a dans le même temps perçu par virement le 1er mars 2022 la somme de 1 200,72 euros
- le salaire de mars 2022 d'un montant de 779,89 euros a été réglé par chèque bancaire alors que le salarié a dans le même temps perçu par virement le 1er avril 2022 la somme de 1 200,72 euros
Il résulte à suffisance des éléments précités que le virement correspondant précisément au salaire du mois de novembre 2021 du salarié a été réitéré à tort durant les quatre mois qui ont suivi de sorte que la demande de restitution de l'employeur est bien fondée.
Le jugement querellé qui a rejeté cette demande mérite réformation de ce chef et M. [C] [U] sera condamné à restituer à la société RFM RESTAURATION la somme de 4 802,88 euros, indue.
V- Sur les demandes accessoires
La société RFM RESTAURATION est mal fondée en sa demande de dommages-intérêts dès lors que M. [C] [U] obtient partiellement gain de cause à hauteur de cour. Le jugement déféré qui a rejeté cette demande indemnitaire pour défaut de justificatif d'un préjudice doit par conséquent, par substitution de motifs, être confirmé de ce chef.
La société RFM RESTAURATION qui succombe au principal sera déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le jugement déféré confirmé en ce qu'il a rejeté sa prétention à ce titre.
Le jugement sera en revanche infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnité de procédure et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
L'employeur sera condamné à verser à M. [C] [U] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et celle de 2 500 euros au titre de ceux qu'il a été contraint d'exposer en appel.
La société RFM RESTAURATION supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [C] [U] au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents, repos compensateurs et indemnité de procédure, débouté la société RFM RESTAURATION de sa demande en restitution et laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
L'INFIRME de ces seuls chef, statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL RFM RESTAURATION à payer à M. [C] [U] les sommes suivantes :
- 22 132,62 euros au titre des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées
- 2 213,26 euros au titre des congés payés afférents
- 6 314,18 euros au titre des repos compensateurs
CONDAMNE M. [C] [U] à rembourser à la SARL RFM RESTAURATION la somme de 4 802,88 euros indûment versée.
CONDAMNE la SARL RFM RESTAURATION à payer à M. [C] [U] les sommes de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
CONDAMNE la SARL RFM RESTAURATION aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le neuf juillet deux mille vingt quatre et signé par Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller, pour le Président empêché et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE CONSEILLER,