Le copies exécutoires et conformes délivrées à
ASW/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 23/00517 - N° Portalis DBVG-V-B7H-ETZC
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 25 JUIN 2024
Décision déférée à la Cour : jugement du 14 décembre 2022 - RG N°20/00358 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE MONTBELIARD
Code affaire : 63B - Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L'affaire a été examinée en audience publique du 23 avril 2024 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Isabelle TOURNIER de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Bruno KERN de la SELARL EARTH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
ET :
INTIMÉ
Maître [D] [P], né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 6], de nationalité française, Avocat, anciennement Associé de la SCP PILATI-BRAILLARD BAGOT ayant siège social [Adresse 2] et aujourd'hui avocat associé de la SELARL MAURIN-PILATI [Adresse 1]
Représenté par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représenté par Me Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
En 2004, Mme [M] [Y] épouse [T] a lancé un important programme immobilier pour la création de logements dans la commune de [Localité 7].
Les études de conception et d'exécution afférentes aux lots gros-oeuvre et charpente métallique ont été confiées à M. [N] [E] exerçant sous l'enseigne Itebat, assuré auprès de la CAMBTP.
Le chantier a pris beaucoup de retard, son montant s'est élevé à une somme bien supérieure à celle prévue, et les acquéreurs des logements se sont plaints de malfaçons.
Une expertise judiciaire a été ordonnée et confiée à M. [R] [I], qui a établi son rapport le 18 janvier 2010.
Mme [M] [Y] a assigné les différents constructeurs ainsi que leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.
Maître [D] [P] a ainsi eu en charge la défense des intérêts de M. [N] [E] dans la procédure engagée devant le tribunal de grande instance de Montbéliard, qui a donné lieu à un jugement du 6 septembre 2013 le condamnant au paiement de plusieurs montants à l'occasion de sa mission de maîtrise d'oeuvre.
Par arrêt du 30 juin 2015, la cour d'appel de Besançon a confirmé le jugement sur le principe des condamnations de M. [N] [E], et par un arrêt rendu le 19 janvier 2017, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
Reprochant à Maître [D] [P] de ne pas l'avoir défendu à hauteur de cour d'appel, M. [N] [E], par acte du 27 février 2020, l'a fait assigner en responsabilité professionnelle devant le tribunal judiciaire de Montbéliard.
Par jugement rendu le 14 décembre 2022, le tribunal a :
- dit que la responsabilité de Maître [D] [P] est engagée à l'égard de M. [N] [E],
- condamné Maître [D] [P] à verser à M. [N] [E] la somme 14 446,95 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi,
- débouté M. [N] [E] pour le surplus de ses demandes,
- condamné Maître [D] [P] à verser à M. [N] [E] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Maître [D] [P] de sa demande relative à I'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Maître [D] [P] aux entiers dépens de l'instance,
- rappelé l'exécution provisoire de droit.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- qu'alors qu'il s'était constitué, Maître [P] n'avait pas défendu les intérêts de M. [E] devant la cour d'appel, notamment en s'abstenant de déposer des conclusions au soutien de ses intérêts,
- que Maître [P] n'avait donné aucune suite au courrier du 9 octobre 2013 qui lui avait été adressé par l'assureur de M. [E] et par lequel il attirait son attention sur les moyens en défense à soulever dans le cadre de la procédure d'appel,
- que Maître [P] n'avait jamais informé M. [E] de la possibilité d'interjeter appel à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de Montbéliard et des chances de succès ou des risques d'échec,
- que ces manquements n'étaient pas contestés par Maître [P] qui a reconnu un dysfonctionnement dans le cadre de la gestion du dossier,
- que Maître [P] avait donc commis une faute manifeste dans l'exercice de son mandat susceptible de donner lieu à réparation,
- que n'ayant pu soumettre son argumentation à la cour relativement à la question de la solidarité, la perte de chance était caractérisée en son principe, et devait être évaluée à 10 %.
-oOo-
Par déclaration du 30 mars 2023, M. [N] [E] a relevé appel du jugement en ce qu'il :
- a dit que la responsabilité de Maître [D] [P] était engagée à son égard mais a limité la perte de chance à 10 %,
- a condamné Maître [D] [P] à lui verser la somme de 14 446,95 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi,
- l'a débouté du surplus de ses demandes et notamment de ses demandes tendant à voir :
. dire et juger que sa condamnation in solidum à hauteur de 170 026,31 euros résulte directement des fautes commises par Maître [P],
. dire qu'il a perdu une chance de voir réformer le jugement du tribunal de grande instance de Montbéliard sur la condamnation in solidum alors que les conséquences financières qui lui sont imputables étaient parfaitement identifiables et quantifiables,
. dire et juger que son préjudice s'élève à la somme de 144 469,55 euros dès lors qu'il n'aurait pu se voir condamner à une somme excédant 25 556,76 euros,
. juger qu'il a perdu une chance de voir réformer le jugement,
. juger qu'il ne pouvait être condamné in solidum pour une somme supérieure à 25 156,76 euros,
. condamner Maître [P] à le garantir de toute somme qui lui sera réclamée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Besançon pour la partie supérieure à 25 156,76 euros ou le condamner à lui verser une somme de 144 469,55 euros majorée des intérêts payés au titre du prêt effectué par lui ainsi que du prix de la clause de rachat du prêt,
. condamner Maître [P] à lui verser l'ensemble des frais d'avocats versés à la partie adverse ainsi que les frais engagés pour la défense d'Itebat.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 12 septembre 2023, M. [N] [E] demande à la cour :
- de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard du 14 décembre 2022 en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute de Maître [P], un lien de causalité et un préjudice,
- de débouter Maître [D] [P] de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes,
- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard du 14 décembre 2022 en ce qu'il a évalué la perte de chance à hauteur de 10 % et la fixer à 95 %,
Et statuant à nouveau,
- de condamner Maître [P] à lui verser une somme de 137 246,4525 euros,
- de condamner Maître [P] à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Maître [P] aux dépens avec droit pour la SCP Coda de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
-oOo-
Aux termes de ses conclusions transmises le 25 août 2023, Maître [D] [P] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Montbéliard du 14 décembre 2022 en ce qu'il :
. a dit que sa responsabilité est engagée à l'égard de M. [N] [E],
. l'a condamné à verser à M. [N] [E] la somme de 14 446,95 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi,
- a débouté M. [N] [E] pour le surplus de ses demandes,
- l'a condamné à verser à M. [N] [E] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a débouté de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamné aux entiers dépens de l'instance,
Statuant à nouveau
- de constater qu'aucune faute ne peut lui être imputée qui soit en relation, selon un lien de causalité direct et certain avec les préjudices allégués, non justifiés en leur principe et leur quantum, fut-ce sous la forme d'une simple perte de chance,
- de débouter M. [N] [E] de tous chefs de demandes, fins et conclusions à son encontre,
- de condamner M. [N] [E] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [N] [E] aux entiers dépens.
-oOo-
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 23 avril 2024.
Elle a été mise en délibéré au 25 juin 2024.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
I. Sur la responsabilité de Maître [P]
M. [N] [E] fait valoir qu'au stade de l'appel, Maître [D] [P] avait pour instructions de combattre la solidarité à laquelle il avait été condamné avec les entreprises missionnées par le maître d'ouvrage. Il soutient avoir développé, en première instance, les raisons pour lesquelles ses fautes auraient pu être individualisées afin de permettre d'écarter une condamnation in solidum et mentionne que les fautes de Maître [P] ont conduit à le priver d'une chance de présenter une argumentation différente en cause d'appel.
Maître [D] [P] fait valoir que M. [N] [E] n'explique pas quelle nouvelle argumentation plus convaincante il aurait pu développer en cause d'appel. Il explique que le tribunal et la cour d'appel ont parfaitement examiné la question de la solidarité, soutient que M. [E] n'avait aucune chance d'échapper à une condamnation in solidum au profit du maître de l'ouvrage, et indique qu'il n'explique pas à quelle hauteur la part de condamnation susceptible de relever d'une condamnation in solidum aurait pu être limitée. Il ajoute qu'il n'existe aucun lien entre le manquement à l'obligation de diligence et le résultat obtenu.
Réponse de la cour :
La responsabilité du professionnel du droit est une responsabilité de droit commun qui suppose la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre l'une et l'autre.
Selon les articles 411 et 412 du code de procédure civile, l'avocat est investi d'un pouvoir de représentation en justice qui lui impose d'accomplir tous les actes nécessités par l'instance en s'assurant de leur régularité, et d'autre part d'une mission d'assistance en justice emportant pouvoir et devoir de conseiller la partie et d'assurer la défense de ses intérêts sans l'obliger.
En l'espèce, il est constaté que Maître [D] [P] ne remet pas en cause le fait qu'alors qu'il s'était constitué le 17 décembre 2013 pour assurer la représentation de M. [N] [E] devant la cour d'appel de Besançon consécutivement à l'appel formé par l'assureur de celui-ci, il n'a déposé aucun écrit avant la clôture.
Il ne discute pas non plus le reproche qui lui est fait de ne pas avoir informé son mandant sur les voies de recours existantes suite au jugement du tribunal de grande instance de Montbéliard du 6 septembre 2013, alors qu'il était constitué dans la procédure de première instance pour la défense de ses intérêts, ainsi que sur les chances ou les risques de l'appel.
C'est en conséquence par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge, après avoir rappelé qu'en s'abstenant de défendre les intérêts de M. [N] [E] devant la cour d'appel de Besançon, a dit que Maître [D] [P] avait commis une faute manifeste dans l'exercice de son mandat susceptible de donner lieu à réparation, étant observé que dans son courrier du 10 juillet 2015, Maître [P] a écrit n'avoir pas conclu et que dans sa lettre du 11 septembre 2015, il a reconnu un dysfonctionnement dans le cadre de la gestion du dossier.
Ainsi, en n'ayant pas accompli les actes de procédure utiles à la bonne marche du procès d'appel, et en n'ayant pas informé M. [N] [E] des suites éventuelles de la procédure, Maître [D] [P] a engagé sa responsabilité.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé sur ce point.
II. Sur le préjudice
M. [N] [E] soutient que la mission qui avait été fixée à Maître [P] à hauteur d'appel ne se limitait pas à contester l'obligation à la dette mais également à combattre la contribution à la dette. Il fait valoir que la perte de chance de voir réformer le jugement ne se rapporte qu'au préjudice causé par le retard des travaux dans la mesure où le préjudice lié aux avenants a été pris en charge par son assurance. Il précise que son dommage correspond à une perte de chance sur la somme de 144 469,95 euros qui résulte de la condamnation prononcée in solidum à l'encontre des codébiteurs au titre des retards (170 026,31 euros), diminuée de la quote-part imputable à ses propres retards (25 556,76 euros), et indique qu'il aurait pu combattre la solidarité dans la mesure où ses fautes n'ont pas concouru à l'entier dommage. Il soutient qu'il aurait également pu appeler en garantie les autres intervenants fautifs, savoir l'entreprise du lot gros 'uvre, la société Iseni, et le maître d''uvre, la SARL Ailleurs Architecte, renvoyant au rapport d'expertise pour l'établissement de leur responsabilité, et ce afin d'être garanti par ces dernières. Il explique en outre qu'il aurait été nécessaire d'appeler en garantie la MAF et M. [A] [B], respectivement assureur et liquidateur de la SARL Ailleurs Architecte, afin de limiter ses condamnations, fait valoir que s'agissant de la société Iseni, l'appel en garanti dirigée contre elle aurait pu permettre d'inscrire une créance à sa liquidation judiciaire, et ajoute qu'il aurait été judicieux de former des demandes directement à l'encontre de l'assureur de la société Iseni, la CAMBTP, dans la mesure où cette société se trouvait dans la cause de première instance. Il soutient que sa perte de chance ne saurait être inférieure à 95%, et précise avoir réglé les condamnations mises à sa charge.
Maître [D] [P] observe que l'ensemble des condamnations prononcées l'ont été in solidum avec l'assureur de M. [E] et qu'il n'est pas contesté qu'elles ont été réglées par l'assureur hors le poste 'préjudice de retard'. Sur ce point, il fait valoir que M. [E] n'a été condamné in solidum qu'avec la MAAF dans la limite de son plafond de garantie, et M. [A] [B], et soutient que M. [E] a fait payer les condamnations mises à sa charge par la société dont il était le gérant, savoir la SARL Itebat. Il mentionne que la société Iseni n'a jamais été dans la cause, qu'elle n'a pas participé aux opérations d'expertise judiciaire en raison de sa liquidation judiciaire, et indique que la présence de la société Ailleurs Architecte devant la cour d'appel n'aurait rien apporté de plus dans la mesure où une action directe a été intentée contre l'assureur de celle-ci, la Mutuelle des Architectes Français.
Réponse de la cour :
Le préjudice causé par la faute de l'avocat dans le cadre d'une mission d'assistance et de représentation ou dans sa mission de conseil s'analyse en la perte d'une chance de gagner un procès ou d'obtenir une issue plus favorable.
La chance s'entend de l'événement favorable espéré, qui a été anéanti par la faute de l'avocat, et la perte de chance répare la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, ce qui implique d'examiner la chance de réussite d'une action en justice au regard de la probabilité de succès de cette action en reconstituant fictivement le procès manqué par la faute de l'avocat au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats.
Il appartient au demandeur d'apporter la preuve de l'existence de son préjudice qui, pour être indemnisé, doit résulter de manière directe et certaine de la perte de chance alléguée. Ainsi, si la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable, une perte de chance, pour être indemnisée, doit présenter un caractère réel et certain et il appartient au demandeur d'établir la certitude de la chance perdue.
Enfin, la réparation d'une perte de chance réelle et sérieuse doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée en raison de l'incertitude relative à l'issue de tout procès.
Sur la perte de chance et le préjudice
En l'espèce, il résulte du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Montbéliard du 6 septembre 2013 :
- que l'expert judiciaire a fait l'inventaire des retards qui ont affecté le programme de travaux,
- que ces retard ne sont pas contestés par les défendeurs, parmi lesquels M. [N] [E], même s'ils contestent qu'ils leurs soient imputables,
- que M. [N] [E], exerçant sous l'enseigne Itebat, est intervenu pour réaliser les plans d'exécution du lot gros oeuvre réalisé par l'entreprise Iseni,
- qu'il s'est en conséquence trouvé responsable au moins pour partie du retard global du chantier en raison des retards dans la production de plans sur la période d'octobre 2004 à 2006,
- que si les défendeurs ont contesté devoir être tenus solidiairement des conséquences du retard au motif qu'il résultait de l'intervention de chacun, leurs fautes ont cependant concouru au préjudice subi du fait du retard sans qu'il soit possible de déterminer de manière individualisée le préjudice financier résultant de chaque faute individuelle, la part imputable à chacun des intervenants n'étant qu'une proposition de l'expert établie selon un pourcentage de la somme globale en fonction de la gravité des fautes respectives.
La cour d'appel, dans son arrêt du 30 juin 2015, a relevé que l'expert avait détaillé les retards accumulés dont la réalité et l'importance n'étaient pas contestées.
Elle a en outre constaté qu'il ressortait du rapport d'expertise et des pièces produites que le retard initial pris par le gros oeuvre résultait notamment des fautes de M. [E] exerçant sous l'enseigne Itebat, et que les fautes des intervenants ainsi combinées entre elles avaient toutes concouru à la réalisation de l'entier préjudice sans qu'il soit possible de déterminer de manière individualisée la part de chacun.
Sur ce point, il est observé que le rapport d'expertise judiciaire indique que le retard du gros oeuvre a été dû en grande partie à la désorganisation de l'entreprise Iseni et au manque de moyen mis en place, à des notifications beaucoup trop tardives de la société Ailleurs Architecte, ainsi qu'à l'entreprise Itebat, l'expert considérant que les retards de cette phase de gros oeuvre étaient imputables à hauteur de 60 % à la société Iseni, de 30 % à la société Ailleurs Architecte et de 10 % à Itebat.
Aussi, dans son courrier du 9 octobre 2013 donnant mandat à Maître [P] pour interjeter appel, l'assureur de M. [E] exerçant sous l'enseigne Itebat a indiqué qu'il demandait de son côté à son conseil de contester la solidarité retenue par le tribunal et qu'il en informait son sociétaire, et il a précisé qu'il était important, dans le cadre des conclusions à prendre pour la défense des intérêts d'Itebat, de combattre la solidarité en définissant avec précision les fautes retenues par l'expert à l'encontre de celle-ci.
Cependant, il est constaté que M. [E] ne démontre par aucun élément que si Maître [D] [P] avait déposé des conclusions en appel pour critiquer et écarter le caractère solidaire de la responsabilité retenue entre les entreprises citées et lui-même, il avait une chance réelle et plus sérieuse de voir la décision rendue modifiée.
En effet, il n'est justifié par aucune pièce que le dommage causé à Mme [M] [Y] n'était pas la conséquence des fautes de M. [E] conjuguées à celles des autres entreprises identifiées par l'expert judiciaire.
En revanche, l'argument selon lequel M. [E] aurait pu combattre sa quote part de responsabilité et appeler en garantie la société Iseni, la Sàrl Ailleurs Architecte, la Mutuelle des Architectes Français, M. [A] [B] et la CAMBTP de ses condamnations prononcées, aurait pu être utilement soutenu à hauteur d'appel pour contester la contribution à la dette.
La mise en cause de la société Iseni à hauteur d'appel aurait pu garantir à M. [E] la possibilité d'inscrire une créance à sa liquidation, et concernant la Sàrl Ailleurs Architecte et son liquidateur M. [A] [B], Maître [D] [P] ne démontre pas en quoi leur présence à hauteur de cour n'aurait rien apporté de plus au litige, alors que la circonstance que seul l'assureur de la société Ailleurs Architecte, en l'espèce la Mutuelle des Architecte Français, ait été dans l'instance ne remet pas en cause l'intérêt qu'il y a de rechercher la responsabilité de l'assuré dans le cadre d'un appel en garantie.
Ces éléments établissent en conséquence que M. [E], en n'ayant pas été défendu à hauteur de cour d'appel, a été privé de la chance réelle et sérieuse d'être exonéré d'une partie du montant des condamnations prononcées dans le cadre de la contribution à la dette liée aux retards des travaux.
Son préjudice est dès lors établi et sur ce point, il est démontré par les extraits de banque produits aux débats qu'il s'est acquitté des condamnations mises à sa charge.
Sur le taux de perte de chance
Il vient d'être retenu que si M. [E] avait produit des conclusions en appel, il n'aurait pu combattre que sa quote part de contribution à la dette et formuler des appels en garantie.
Cependant, compte tenu de l'aléa judiciaire tenant à la caractérisation de l'implication de chaque intervenant, M. [E] ne démontre pas que les appels en garantie lui auraient permis avec certitude d'être déchargé du paiement des sommes dues dans une proportion notablement accrue par rapport à celle résultant de la condamnation prononcée.
Au regard de ces éléments, le taux de perte de chance évalué à 10 % par le tribunal est en conséquence justifié, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné Maître [D] [P] à verser à M. [N] [E] la somme de 14 446,95 euros au tire de l'indemnisation du préjudice subi.
III. Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement déféré sera confirmé sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.
M. [N] [E], qui succombe en son recours, sera condamné aux dépens d'appel.
Les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montbéliard le 14 décembre 2022 ;
Y AJOUTANT
CONDAMNE M. [N] [E] aux dépens d'appel ;
REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,