Le copies exécutoires et conformes délivrées à
MW/LZ
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 23/01918 - N° Portalis DBVG-V-B7H-EWWC
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 19 JUIN 2024
Décision déférée à la Cour : jugement du 09 novembre 2023 - RG N°22/00270 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE BESANCON
Code affaire : 38Z - Autres demandes en matière de droit bancaire et d'effets de commerce
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.
Greffier : Melle Leila ZAIT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT
S.A. BNP PARIBAS
immatriculée au RCS PARIS sous le N°662 042 449
sise [Adresse 2]
Représentée par Me Dominique PENIN du LLP KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON
ET :
INTIMÉE
APPELANTE SUR APPEL INCIDENT
Madame [E] [P] épouse [F]
assistée de son Curateur, Monsieur [X] [H] désigné par Jugement d'ouverture de la curatelle renforcée du 31 mai 2021
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Victoria PRILLARD, avocat au barreau de BESANCON
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Melle Leila ZAIT, greffier lors du prononcé.
*************
Mme [E] [P], épouse [F], dispose d'un compte courant auprès de la SA BNP Paribas.
Les 12, 13, 14, 15 et 18 mars 2019, cinq virements ont été effectués à partir de ce compte pour un montant total de 24 920 euros.
Le 31 mai 2021, Mme [P] a été placée sous curatelle.
Par exploit du 17 janvier 2022, faisant valoir qu'elle avait été victime d'une escroquerie, Mme [P], assistée de son curateur, M. [X] [H], a fait assigner la société BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Besançon afin d'obtenir à titre principal l'annulation des virements litigieux et le remboursement de leur montant augmenté des frais bancaires afférents, à titre subsidiaire la réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle
La société BNP Paribas a soulevé devant le juge de la mise en état l'irrecevabilité de la demande en annulation des virements litigieux pour défaut d'intérêt à agir, et celle des demandes indemnitaires pour forclusion.
Mme [P] s'est opposée à ces fins de non-recevoir.
Par ordonnance du 9 novembre 2023, le juge de la mise en état a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir en annulation des virements litigieux des 12,13,14, 15 et 18 mars 2019 d'un montant total de 27 920 euros passés sur le compte n°[XXXXXXXXXX01] dont Mme [E] [P] est titulaire au sein de la société BNP Paribas ;
- rejeté la fin de non-recevoir, fondée sur le délai prévu à l'article L.133-24 du code monétaire et financier, au titre des demandes indemnitares de Mme [E] [P] ;
- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance au principal.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu :
- que le virement suppose une convention entre le donneur d'ordre et la banque tenant le compte à débiter ; qu'il était constant que Mme [P] était l'auteur des ordres de paiements litigieux, peu important qu'elle ait accepté de donner son code d'accès à un tiers ; que Mme [P] soutenait que les virements devaient être annulés pour trouble mental sur le fondement des vices du consentement, et que l'intérêt à agir n'était pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, de sorte que l'existence d'un vice du consentement n'était pas une condition de recevabilité de l'action mais du succès de celle-ci ; qu'en demandant l'annulation des virements litigieux en vertu d'une convention passée avec la banque, Mme [P] avait bien intérêt à agir à l'encontre de la banque ;
- que Mme [P] reprochait à la banque, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, d'avoir manqué a son obligation de vigilance alors qu'elle connaissait son état de faiblesse, en autorisant des opérations litigieuses présentant une anomalie apparente ; que l'action n'étant pas fondée sur les articles L. 133-23 et suivants du code monétaire et financier, le délai de forclusion de l'article L. 133-24 n'était pas applicable.
La société BNP Paribas a relevé appel de cette ordonnance le 27 novembre 2023.
Par conclusions transmises le 7 mai 2024, l'appelante demande à la cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée dans son appel ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée ;
Et statuant à nouveau :
Vu les articles 31 et 32 du code de procédure civile,
Vu le régime dérogatoire instauré aux articles L.133-1 à L.133-45 du CMF,
Vu les articles 1352 à 1352-9 du code de procédure civile,
- de dire et juger que BNP Paribas n'a pas intérêt à défendre à la demande en nullité des virements litigieux formée sur le fondement du droit commun, ni celle corrélative de restitution des fonds transférés à défaut d'en avoir été destinataire ;
- en conséquence, de déclarer irrecevables les demandes de nullité et de restitutions corrélatives formées à titre principal par Mme [P] aux termes de son assignation ;
- de dire et juger que l'action de Mme [P] est au surplus forclaose faute pour elle d'avoir contesté les virements litigieux auprès d'elle dans les 13 mois de leur débit ;
- en conséquence, de déclarer irrecevable la demande d'indemnisation formée à titre subsidiaire par Mme [P] aux termes de son assignation ;
En tout état de cause :
- de débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de BNP Paribas à titre d'appel incident ;
- de condamner Mme [P] à verser à BNP Paribas la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code deprocédure civile ;
- de la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 1er avril 2024 , Mme [P] demande à la cour :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 1128 et 1129 du code civil,
Vu les articles 1240 et 1231-1 du code civil,
Vu les articles 2003 et 2008 du code civil,
Vu les articles 1352 à 1352-9 du code civil,
Vu l'article 1178 du code civil,
Vu l'article 1927 du code civil,
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu les articles 414-1 et 414-2 du code civil,
Vu les articles L. 133-24 et L. 314-14 du code monétaire et financier,
Vu les articles L. 133-6 et L. 133-7 du code monétaire et financier,
A titre principal
- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
* rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir en annulation des virements litigieux des 12, 13, 14, 15 et 18 mars 2019, d'un montant total de 27 920 euros, passés sur le compte n°[XXXXXXXXXX01] dont Mme [P] est titulaire au sein de la société BNP Paribas ;
* rejeté la fin de non-recevoir, fondée sur le délai prévu à l'article L.133-24 du code monétaire et financier, au titre des demandes indemnitaires de Mme [P] ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
* rejeté la demande de Mme [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* dit que les dépens suivront le sort de ceux exposés au principal ;
Statuant à nouveau
- de condamner la banque BNP Paribas à payer à Mme [P] épouse [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;
A titre subsidiaire et infiniment subsidiaire
- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
* rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir en annulation des virements litigieux des 12, 13, 14, 15 et 18 mars 2019, d'un montant total de 27 920 euros, passés sur le compte n°[XXXXXXXXXX01] dont Mme [P] est titulaire au sein de la société BNP Paribas ;
- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :
* rejeté la fin de non-recevoir, fondée sur le délai prévu à l'article L.133-24 du code monétaire et financier, au titre des demandes indemnitaires de Mme [P] ;
* rejeté la demande de Mme [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* dit que les dépens suivront le sort de ceux exposés au principal ;
Statuant à nouveau
- de juger l'action de Mme [P] épouse [F] recevable et bien fondée ;
- de rejeter la fin de non-revoir soulevée par la banque BNP Paribas tirée de la forclusion ;
- de condamner la banque BNP Paribas à payer à Mme [P] épouse [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;
En tout état de cause,
- de débouter la banque BNP Paribas de toutes ses demandes, moyens, fins et conclusions contraires ;
- de condamner, en cause d'appel, la banque BNP Paribas à payer à Mme [P] épouse [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions de procédure transmises le 9 mai 2024, Mme [P] demande à la cour :
A titre principal
- d'écarter des débats, pour violation des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile, les conclusions et nouvelles pièces de la banque BNP Paribas du 7 mai 2024 ;
A titre subsidiaire
- de reporter l'ordonnance de clôture ainsi que l'audience de plaidoiries ;
- de débouter la banque BNP Paribas de toutes ses demandes, moyens, fins et conclusions contraires.
La clôture de la procédure a été prononcée le 10 mai 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
Sur la demande tendant à voir écarter des conclusions et pièces
Mme [P] sollicite que les dernières conclusions et les deux pièces supplémentaires versées à leur appui soient écartées des débats pour violation du principe de la contradiction, au motif qu'elles ont été communiquées le 7 mai 2024, soit à une date qui, en considération des jours fériés des 8 et 9 mai 2024, ne lui permettaient pas utilement de répliquer avant la date de clôture fixée au 10 mai 2024.
Il sera constaté que les dernières conclusions de la banque ne comportent la formulation d'aucune demande nouvelle, et que les seuls ajouts par rapport aux précédentes consistent, pour l'un, à une réponse à une argumentation de l'intimée, et, pour les autres, en des citations de décisions judiciaires invoquées à titre de jurisprudence. Les deux pièces produites correspondent quant à elles aux décisions citées.
Dès lors, à supposer même que ces conclusions appellent une réplique, celle-ci pouvait être suffisamment circonscrite pour être formulée et transmise avant la clôture.
La demande tendant à voir les conclusions et pièces écartées des débats sera donc rejetée.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir en nullité des virements
La banque fait valoir qu'elle n'est intervenue dans les virements litigieux qu'à titre de simple intermédiaire, et que la responsabilité qu'elle encourt à ce titre est encadrée par les articles L. 131-1 à L. 131-45 du code monétaire et financier, qui instaurent un régime dérogatoire s'opposant à ce que puisse être invoqué à son encontre un autre régime de responsabilité, y compris celui du droit commun. Elle ajoute que le fait que le virement soit un contrat de mandat ne permet pas de rétablir l'application du droit commun, qu'une éventuelle insanité d'esprit, au demeurant non prouvée, n'aurait pas de conséquence sur la validité du virement dès lors que la banque en était restée ignorante, et que les virements faits sous le contrôle d'une personne malveillante demeurent valable en tout état de cause.
Toutefois, le premier juge à pertinemment rappelé que Mme [P] disposait incontestablement d'un intérêt à agir à l'encontre de la banque, dès lors qu'elle sollicitait l'annulation des virements litigieux intervenus en vertu d'une convention passée avec la banque. Il doit à cet égard être rappelé que l'existence du droit qu'elle invoque et la pertinence des différents régimes de responsabilité dont elle se prévaut ne sont pas des conditions de la recevabilité de son action, mais des conditions de son succès, qui relèvent de l'appréciation du juge du fond auquel elles sont soumises.
La banque dispose quant à elle à l'évidence d'un intérêt à défendre à cette action, dont elle conteste le bien-fondé.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté cette fin de non-recevoir.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion
L'appelante fait valoir que la demande de Mme [P] en restitution des fonds ou en indemnisation étant fondée sur la non-autorisation des virements, et donc sur les dispositions de l'article L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, elle était forclose faute pour Mme [P] d'avoir valablement signalé les virements dans les 13 mois de la date du débit.
Il sera relevé en premier lieu que ce moyen ne concerne les demandes de Mme [P] qu'en tant qu'elles reposent sur les dispositions du code monétaire et financier, lesquelles, contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, figurent bien au rang des régimes de responsabilité invoqués par l'intéressée dans le cadre de l'assignation délivrée le 17 janvier 2022 à la société BNP Paribas.
L'article L. 133-24 alinéa 1 du code monétaire et financier dispose que l'utilisateur des services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III.
Mme [P] s'oppose à la forclusion, en faisant valoir qu'elle avait valablement signalé les virements à sa banque dans le délai de 13 mois.
Contrairement à ce que soutient la société BNP Paribas, le signalement exigé par l'article L. 133-24 précité ne s'entend pas de l'introduction d'une action judiciaire, mais, faute de précision textuelle supplémentaire, doit être considéré comme pouvant s'opérer par tout moyen, à charge pour celui qui s'en prévaut de démontrer la connaissance qu'en a eue la banque.
Les virements litigieux étant intervenus les 12, 13, 14, 15 et 18 mars 2019, le délai de forclusion de 13 mois expirait respectivement les 12, 13, 14, 15 et 18 avril 2020.
Mme [P] établit par les pièces qu'elle verse aux débats avoir déposé plainte au sujet des virements litigieux auprès de la brigade de gendarmerie d'[Localité 5] dès le 10 avril 2019. Il ressort du procès-verbal de synthèse établi par les enquêteurs le 18 juillet 2019 qu'ils ont, dans le cadre de leurs investigations, requis l'agence bancaire BNP Paribas de [Localité 4] afin d'obtenir des informations concernant les virements, et que la banque leur a communiqué l'IBAN du bénéficiaire des virements. Il résulte en outre des déclarations faites par Mme [P] aux enquâteurs qu'elle avait fait opposition auprès de sa banque. L'intimée produit en outre la copie d'un courrier adressé le 26 mars 2019 par la banque BNP Paribas au procureur de la République de Besançon, par lequel elle signale elle-même à ce dernier les virements litigieux, dont elle souligne le caractère inhabituel au regard du fonctionnement actuel des comptes de Mme [P], allant jusqu'à envisager elle-même que l'intéressée 'pourrait être victime d'abus de confiance de son entourage'. L'appelante produit quant à elle un document intitulé 'détail de l'historique des comptes-rendus' dont il ressort l'existence de discussions et d'échanges téléphoniques intervenus entre l'agence bancaire et Mme [P] notamment les 20 mars 2019 et 11 avril 2019, au cours desquels il a manifestement été question des virements litigieux.
Il ressort suffisamment de ces divers documents que les virements concernés ont bien fait l'objet d'un signalement dont la banque a eu connaissance dans les 13 mois de leur débit.
La fin de non-recevoir tirée de la forclusion doit dès lors être écartée, l'ordonnance déférée étant également confirmée de ce chef.
Sur les autres dispositions
La décision entreprise sera confirmée s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.
La société BNP paribas sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Rejette la demande de Mme [E] [P] tendant à voir écarter des débats les conclusions ainsi que les pièces n°8 et n°9 transmises par la SA BNP Paribas le 7 mai 2024 ;
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 novembre 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Besançon ;
Y ajoutant :
Condamne la SA BNP Paribas aux dépens d'appel ;
Condamne la SA BNP Paribas à payer à Mme [E] [P], épouse [F], la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,