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14/06/2024 | FRANCE | N°23/00101

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 14 juin 2024, 23/00101


Le copies exécutoires et conformes délivrées à

CC/LZ











REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



Minute n°

N° de rôle : N° RG 23/00101 - N° Portalis DBVG-V-B7H-ES5Z





COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale



ARRÊT DU 14 JUIN 2024





Décision déférée à la Cour : jugement du 30 décembre 2022 - RG N°21/00069 - COMMISSION D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES RESULTANT D'UNE INFRACTION DE VESOUL

Code

affaire : 64B - Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels





COMPOSITION DE LA COUR :



COMPOSITION DE LA COUR :



M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M...

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

CC/LZ

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 23/00101 - N° Portalis DBVG-V-B7H-ES5Z

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 14 JUIN 2024

Décision déférée à la Cour : jugement du 30 décembre 2022 - RG N°21/00069 - COMMISSION D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES RESULTANT D'UNE INFRACTION DE VESOUL

Code affaire : 64B - Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels

COMPOSITION DE LA COUR :

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Madame Cécile CUENIN, Conseillers.

Greffier : Melle Leila ZAIT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant Mme Cécile Cuenin, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS

SIREN : 377 789 060

sis [Adresse 2] - [Localité 5]

Représentée par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON

ET :

INTIMÉ

Monsieur [M] [T]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 4] - [Localité 3]

Représenté par Me Virginie LEONARD de la SELARL LEONARD VIENNOT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Michel WACHTER, président de chambre et par Leila Zait, greffier lors du prononcé.

*************

EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS

Le 28 juillet 2019, alors qu'ils circulaient sur un scooter, [U] [H] épouse [T] et son époux, [M] [T], ont été victimes de tirs entre malfaiteurs à l'aide d'armes automatiques. [U] [H] est décédée et [M] [T] a été blessé.

Par requête déposée le 22 janvier 2021, monsieur [T] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales (CIVI) de Vesoul afin d'obtenir une expertise médicale, la fixation de son préjudice d'affection à la somme de 40 000 euros et la fixation de son préjudice économique à la somme de 2 350 264 euros.

Un accord est intervenu entre le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGVATA) et monsieur [T] sur le préjudice corporel et le préjudice d'affection de ce dernier. [M] [T] a maintenu sa demande relative au préjudice économique en la réduisant toutefois à la somme de 1 215 846 euros par conclusions du 13 juin 2022. Le FGVATA a proposé dans ses écritures du 29 août 2022 une indemnisation à hauteur de 638 507 euros.

Par jugement du 30 décembre 2022, la CIVI près le tribunal judiciaire de Vesoul a :

- fixé l'indemnisation du préjudice économique subi par [M] [T] du fait du décès de son épouse au montant de 1 215 846 euros, somme qui sera versée par le FGVATA,

- fixé à la somme de 2 000 euros l'indemnité due à monsieur [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- laissé les dépens à la charge du Trésor public.

Pour parvenir à cette décision, la CIVI a rappelé qu'il résulte de l'article 706-3 du code de procédure pénale qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l'ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès de la victime directe, en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci et des revenus que continue à percevoir le conjoint.

Elle a également rappelé que le préjudice économique doit être évalué au jour de la décision qui le fixe et pour en déterminer le montant, seuls doivent être pris en compte les revenus perçus par le conjoint survivant antérieurement au décès et maintenus après celui-ci.

La commission a relevé qu'au moment des faits, [M] [T] était salarié de la société Conflandey Industries et [U] [H] était la présidente de la SAS Fromages de France 2F (la société 2F) dont elle détenait 1 244 actions tandis que son époux en détenait 6.

La CIVI a également constaté que monsieur [T] percevait un montant moyen de salaires annuels à hauteur de 47 889 euros et madame [H] percevait à ce titre la somme de 161 844 euros, en retenant une part d'autoconsommation de madame [H] à hauteur de 40%, en l'absence d'enfants à charge, ce qui n'était pas contesté par les parties.

La CIVI a considéré que la perte des revenus des capitaux mobiliers était certaine et indemnisable. Le FGVATA invoquait le caractère aléatoire de la perception de ces revenus, dépendant à la fois des bénéfices et de la décision de distribution. La CIVI a cependant relevé que la perception de ces revenus n'était pas aléatoire en s'appuyant sur l'examen des avis d'impôts des années 2012 à 2019, leur distribution ayant par ailleurs toujours été décidée par les associés, si ce n'est après le décès de madame [H] concernant l'année 2019 et dans le contexte particulier qui en découlait. La CIVI a jugé qu'il n'est pas démontré que la société 2F serait dans l'incapacité future de réaliser des bénéfices, à plus forte raison eu égard à la constance des bénéfices depuis plusieurs années. En tout état de cause, elle a estimé que la variation des montants distribués ne saurait caractériser une absence de revenus mais obligeait seulement à procéder à un calcul de la perte des revenus en prenant en compte la moyenne des revenus perçus au cours des trois dernières années.

Alors que le FGVATA soulevait que monsieur [T], qui avait l'usufruit des parts sociales, s'est lui-même privé des revenus qui en découlaient en les vendant et que ce faisant la perte de revenus n'était pas la conséquence directe du décès de madame [H], la CIVI a toutefois relevé que cette dernière assumait seule la direction de l'entreprise, que ses ayants droits n'étaient pas en capacité de lui succéder et que la cession des parts était nécessaire à la survie de la société. La perte de ces revenus est donc la conséquence directe du décès de madame [H] et à ce titre la commission les a pris en compte dans le calcul du préjudice économique à hauteur de 678 256 euros.

La CIVI a donc évalué le préjudice économique comme suit :

* période ante retraite :

- revenus annuels du foyer : 840 100 euros (soit le montant moyen des salaires du couple pour 161 844 euros et le montant moyen des revenus des capitaux mobiliers pour 678 256 euros) ;

- à déduire : part des dépenses personnelles de madame [H] pour 40 % : 336 040 euros,

- à déduire : revenus de monsieur [T] : 47 889 euros

soit une perte patrimoniale annuelle globale pour le foyer de 456 171 euros,

- perte patrimoniale globale pour le foyer pour trois années : 1 368 513 euros

* période post retraite :

- revenus annuels du foyer : 80 922 euros

 - à déduire : part des dépenses personnelles de madame [H] pour 40 %, 32 368 euros,

- à déduire : revenus de monsieur [T] : 23 944 euros

- perte patrimoniale annuelle globale pour le foyer : 24 610 euros

- montant capitalisé du préjudice économique suivant prix d'un euro de rente viagère pour une femme âgée de 58 ans au moment du décès, soit 19.947 accepté par le FGVATA : 490 865 euros,

Le préjudice économique de monsieur [T] a été évalué au montant de 1 859 408 euros (1 368 513 euros + 490 865 euros), dont il a été déduit, conformément aux dispositions de l'article 706-9 du code de procédure pénale, le montant des prestations et indemnité reçues, soit 318 605,25 euros au titre du capital-décès et 324 956,15 euros au titre du capital-décès complémentaire, soit une somme nette à revenir de 1 215 846 euros.

Enfin, la CIVI a retenu qu' aucune circonstance ne justifiait l'exécution provisoire du jugement.

-oOo-

Par déclaration du 24 janvier 2023, le FGVATA a relevé appel du jugement en ce qu'il a :

- fixé l'indemnisation du préjudice économique subi par [M] [T] au montant de 1 215 846 euros, somme qui sera versée par le FGVATA,

- fixé à 2 000 euros l'indemnité due à monsieur [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

-oOo-

Le 10 juillet 2023, le procureur général s'en est rapporté.

-oOo-

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 18 janvier 2024, le FGVATA demande à la cour :

- d'infirmer la décision critiquée,

- statuant à nouveau et à titre principal, de :

- fixer le préjudice économique de monsieur [T] à la somme de 638 530,51 euros avant déduction de la rente temporaire du conjoint survivant et des capitaux décès perçus à hauteur de 752 141,56 euros,

- déduire la somme de 752 141,56 euros du préjudice économique et constater qu'il ne persiste aucun solde positif,

- débouter monsieur [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- laisser les dépens à la charge du trésor public,

- à titre infiniment subsidiaire, de :

- juger que le préjudice économique ne saurait excéder la somme de 233 318,75 euros après déduction de la rente temporaire du conjoint survivant et des capitaux décès perçus à hauteur de 752 141,56 euros,

- débouter monsieur [T] de ses demandes en ce qu'elles excèdent la somme de 233 318,75 euros,

- débouter monsieur [T] du surplus de ses demandes et de toutes demandes contraires,

- laisser les dépens à la charge du trésor public.

-oOo-

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 9 février 2024, [M] [T] demande à la cour de :

- confirmer la décision attaquée,

Subsidiairement :

- fixer son préjudice économique à la somme de 1 107 266 euros qui sera versée par le FGVATA,

- condamner le FGVATA à lui payer la somme de 1 107 266 euros,

- débouter le FGVATA de ses prétentions,

- condamner le FGVATA à la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens de l'instance.

-oOo-

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 8 mars 2024.

Elle a été mise en délibéré au 14 juin 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé complet des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

SUR CE, LA COUR,

Seul le poste du préjudice économique de monsieur [T] est dévolu à la cour.

I. Sur l'indemnisation du préjudice économique subi par [M] [T] du fait du décès de son épouse, [U] [H],

Le jugement déféré à fixé ce poste de préjudice à la somme de 1 215 856 euros après déduction des sommes perçues par monsieur [T] au titre du capital décès et du capital décès complémentaire (318 605,25 et 324 956,15 euros) en retenant en particulier la somme de 678 256 euros au titre des revenus des capitaux mobiliers annuels moyens pour la période ante retraite.

Le FGVATA sollicite l'infirmation du jugement sur ce point et demande, à titre principal, à ce que ce poste soit fixé à la somme de 638 530,51 euros avant déduction de la somme de 752 141,56 euros au titre de la rente temporaire du conjoint survivant et des capitaux décès. A titre subsidiaire, le FGVATA demande la fixation de ce poste à la somme de 233 318,75 euros après déduction des sommes précitées.

Au soutien de ses demandes, le FGVATA critique la prise en compte de revenus des capitaux mobiliers. Il soutient que seuls les revenus salariaux de monsieur [T] ont été déduits des revenus du foyer et ce, à hauteur de 47 889 euros, à l'exclusion des revenus issus des capitaux mobiliers alors que les 1 250 actions de la société 2F étaient communes au couple, que ces revenus revêtent un caractère aléatoire et ont été intégrés à tort aux revenus de madame [H].

Le FGVATA relève ensuite que monsieur [T] a, suite au décès, opté pour l'attribution pour moitié en pleine propriété et pour moitié en usufruit avant de vendre l'intégralité des actions pour la somme de 4 300 000 euros, se privant lui-même des revenus qu'il percevait jusque là. L'appelant soutient alors que si monsieur [T] ne perçoit plus de dividendes, cela procède de la vente des actions et que la perte de revenus qui en résulte n'est pas la conséquence directe du décès de madame [T].

Monsieur [T] argue que cette cession était nécessaire à la survie de l'entreprise au motif que son épouse assumait seula la direction de l'entreprise, ce que dément le FGVATA précisant que le résultat de l'entreprise était resté stable après le décès de madame [H]. Le FGVATA fait par ailleurs observer qu'il n'a pas été tenu compte du fait que monsieur [T] bénéficiait désormais d'un capital liquide suite à la cession des actions.

Le FGVATA critique en outre le montant des revenus des capitaux mobiliers retenu en s'appuyant sur la note technique financière du cabinet EQUAD en relevant notamment une erreur du montant retenu au titre de l'année 2018, outre que les montants retenus correspondent à différents placements en sus des revenus mobiliers de la socité 2F. Il précise encore que les années de référence sont trop éloignées du décès de madame [H] et qu'il fallait prendre en compte la somme nette exempte des prélèvements sociaux.

Le FGVATA demande donc à la cour de ne tenir compte que des salaires des époux [T] et de chiffrer le préjudice économique de [M] [T] à : 147 651 euros pour la période ante retraite et 490 856 euros pour la période post retraite avant déduction des sommes déjà allouées en réparation de son préjudice (rente temporaire du conjoint survivant, un capital décès et un capital complémentaire décès accidentel à hauteur au total de la somme de 752 141,56 euros).

A titre infiniment subisidiaire, le FGVATA critique le chiffrage retenu, les revenus mobiliers ne dépassant pas la somme de 455 400 euros en s'appuyant sur la note du cabinet EQUAD. Le FGVATA rappelle que toutes les sommes perçues en réparation du préjudice doivent être déduites, y compris la rente temporaire du conjoint survivant que le premier juge a omis de déduire (108 580,16 euros).

Monsieur [T] réplique en demandant la confirmation du jugement et subsidiairement la condamnation du FGVATA au paiement de la somme de 1 107 266 euros en réparation de son préjudice économique en cas d'imputation de la rente temporaire.

Au soutien de ses prétentions, il affirme que les dividendes sont des revenus qui doivent être pris en compte dans le calcul du préjudice économique. Il rappelle la stabilité et la constance de la perception de ces revenus et précisément du versement des dividendes. Il ne critique pas le caractère commun des revenus mais précise qu'ils étaient essentiellement générés par les actions propres de son épouse. Il conteste la prise en compte des prélèvements sociaux dans le calcul du montant des revenus issus des capitaux mobiliers en soutenant que le calcul du préjudice économique s'effectue en référence au revenu annuel global net imposable du ménage conformément aux avis d'imposition, sans distinction selon la nature des revenus perçus. Il demande alors la prise en compte du montant des revenus avant déduction du prélèvement forfaitaire unique, prélevé par l'administration fiscale.

L'intimé affirme que la perte des revenus issus des capitaux mobiliers est une conséquence directe du décès. Il allègue que la cession des actions de la société 2F découle directement du décès de son épouse, présidente et 'homme clé' de l'entreprise, comme le démontre la baisse de chiffre d'affaire consécutive au décès de madame [H]. La stabilité du chiffre d'affaire suite à la cession s'explique par le fait que la société repreneuse, la société Sirodot, disposait de toutes les compétences requises, contrairement à lui et à ses enfants. Il fait observer qu'en tout état de cause, la nomination d'un nouveau gérant n'aurait pu s'envisager sans cession des parts sociales de la société 2F dans la mesure où les propriétaires indivis des actions ne pouvaient se voir tenus personnellement des actes de gestion d'un tiers qui aurait pu, à lui seul, engager la société.

Monsieur [T] concède avoir perçu le prix de la cession mais conteste que les fruits tirés d'un investissement de cette somme doivent être pris en compte. Il rappelle à cet effet le principe de réparation intégrale et le fait que les nouveaux revenus ne doivent être pris en compte que s'ils sont la conséquence nécessaire et directe du décès de la victime.

La perception du prix n'est pas une conséquence directe du décès alors qu'il était déjà prévu la vente des actions lors du départ en retraite du couple et que le placement ou non de ce capital résulterait de l'unique volonté de monsieur [T]. De même, les fruits du capital auraient quoiqu'il en soit été perçus par le couple. En outre, en l'absence du décès, le couple aurait perçu l'intégralité du capital alors qu'en l'occurence, monsieur [T] a du le partager avec ses enfants.

Il souligne que le prix perçu est inférieur à ce qu'il aurait pu être, eu égard à la baisse de chiffre d'affaire consécutive au décès de madame [H]. En tout état de cause, le calcul du rendement de cet hypothétique investissement est aléatoire.

Sur la déduction éventuelle de la rente temporaire d'un montant de 108 580,16 euros, il soutient que cette rente n'a pas un caractère forfaitaire mais indemnitaire, elle est d'ailleurs versée par une fondation d'entreprise qui protège les salariés en cas de décès, elle est autonome vis-à-vis des indemnités forfaitaires du contrat prévoyance souscrit par madame [H].

La cour rappelle que, selon les principes de la responsabilité civile et le principe de réparation intégrale, en cas de décès d'un époux, le conjoint survivant est fondé à obtenir réparation de son préjudice économique. Ce préjudice consiste en une atteinte patrimoniale dont la réparation suppose le caractère direct et certain de celui-ci.

Il est de jurisprudence constante qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par l'ensemble de la famille proche du défunt doit être évalué en prenant pour élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entrainé le décès de la victime directe, en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint survivant.

En vertu de l'article 706-9 du code de procédure civile, la CIVI doit également tenir compte, dans le montant des sommes allouées, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice.

A cet égard, la cour observe que le juge ne peut prendre en compte les rentes versées aux ayants-droit au titre d'un contrat de prévoyance sans avoir recherché si les sommes revêtaient un caractère forfaitaire ou indemnitaire. Les prestations indemnitaires dépendent du préjudice effectivement subi dans les limites des garanties souscrites tandis que le montant des prestations forfaitaires est prédéfini et peut être calculé en fonction des revenus.

Enfin, pour déterminer le montant du préjudice économique du conjoint survivant, seuls doivent être pris en considération les revenus perçus par celui-ci antérieurement au décès et maintenus après celui-ci en incluant toutefois tout nouveau revenu qui serait la conséquence directe et nécessaire du décès ce qui suppose l'existence d'une relation causale entre les circonstances à l'origine de l'évolution des revenus et le décès.

La cour relève que le montant alloué au titre du préjudice économique pour la période post-retraite n'est pas contesté, le FGVATA demandant à ce que cette fraction du préjudice soit fixée à la somme de 490 856 euros étant relevé que le premier juge a fixé l'indemnisation de ce poste pour cette période à la somme de 490 865 euros.

Ne sont pas davantage critiqués :

- le montant des revenus salariaux pour la période ante retraite

- la part d'autoconsommation de madame [H], fixée à 40% par le premier juge

- l'étendue de la période ante retraite sur trois années

- l'imputation des capitaux décès perçus par monsieur [T] (318 605,25 et 324 956,15 euros) sur le préjudice économique de celui-ci, telle qu'opérée par le premier juge et suivant demande du FGVATA

Seule l'indemnisation du préjudice économique pour la période ante retraite est discutée à hauteur de cour et en particulier la prise en compte des revenus issus des capitaux mobiliers, outre l'imputation de la rente temporaire du conjoint survivant à hauteur de 108 580,16 euros.

La prise en compte des revenus tirés de la vente des actions n'est pas sollicitée, comme le démontrent les calculs soumis à la cour par le FGVATA. Le FGVATA se borne à évoquer le prix de cession au soutien de sa prétention selon laquelle les revenus des actions prétendûment perdus ont été remplacés par les hypothétiques fruits de ce capital disponible.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats, que selon les procès verbaux d'assemblée générale ordinaire annuelle de 2014 à 2020, des dividendes ont été versés chaque année à hauteur respectivement de : 500 000 euros, 500 000 euros, 570 363,10 euros outre un dividende complémentaire de 129 636,90 euros, 400 000 euros, 616 962,24 euros outre un dividende complémentaire de 183 037,76 euros, 450 000 euros, à l'exception de l'année 2020 où, sous la nouvelle présidence de [L] [T], fils de la défunte, aucun dividende n'a été versé en présence d'un résultat d'exercice de 562 318,95 euros affecté en totalité au compte 'autres réserves'.

Selon l'acte de cession de la société 2F, les actions se répartissaient ainsi : 1214 actions pour l'indivision successorale de [U] [H], 30 actions pour [Z] [H], 6 actions pour [M] [T] pour un total de 1 250 actions. 1 220 actions ont été cédées à la société Sirodot pour la somme de 4 300 000 euros et 30 actions à [Z] [H].

Selon acte notarié du 14 octobre 2019 dressé par Maître [N] confirmé par un extrait de l'acte de mariage, les époux [T] étaient mariés sous le régime légal de la communauté d'acquêts depuis 1984 ; monsieur [T] a opté pour l'usufruit de la totalité des biens existants tandis que les deux enfants du couple ont hérité de la moitié des biens en nue-propriété.

Les avis d'impôt (portant sur les années n-1) de 2014 à 2020 font respectivement état de la perception de revenus de capitaux mobiliers à hauteur respectivement de : 702 319 euros, 500 242 euros, 500 110 euros, 718 413 euros dont 700 155 euros issus des revenus des actions et parts (par opposition aux produits d'assurance vie), 401 686 euros dont 400 015 euros issus des revenus des actions et parts, 800  023 euros de revenus de parts et actions et enfin de 450 021 euros de revenus de parts et actions.

Monsieur [T] ne conteste pas avoir perçu une rente temporaire de conjoint à hauteur de 108 580,16 euros.

Selon attestations de Humanis prévoyance, il a perçu la somme de 318 605,25 au titre du capital décès et 324 956,15 euros au titre de la majoration décès accidentelle.

Le caractère aléatoire ou non des dividendes perçus n'est pas déterminant pour les exclure des revenus annuels du foyer de référence. Les revenus tirés des capitaux mobiliers détenus par madame [H], par ailleurs non exclus en jurisprudence, sont donc susceptibles d'être intégrés dans les revenus annuels du foyer pour évaluer le préjudice économique du conjoint survivant, étant relevé en tout état de cause que du vivant de [U] [H], le foyer des époux [T] bénéficiait du versement ininterrompu, régulier et constant de dividendes de la société 2F en vertu de la détention de 1244 actions par madame [H] et 6 actions pour monsieur [T].

La cour relève toutefois que la perte des dividendes, outre qu'elle a été compensée par la perception du prix de vente est une conséquence indirecte du décès de [U] [H].

En effet, celle-ci résulte de la décision de l'indivision [H]-[T] de céder les actions litigieuses, vente survenue un an et demi après le décès, alors que Monsieur [T], bénéficiait toujours de la perception intégrale des dividendes de la société 2F.

Il n'est pas démontré par la partie intimée que la cession n'a été motivée que par le décès de madame [H] sans laquelle la société aurait été vouée à la faillite. Au contraire, il ressort des pièces versées au débat que le bénéfice perçu par la société pour l'exercice 2019, année durant laquelle madame [H] est décédée, s'élève à 562 318,95 euros alors qu'il s'élevait à 488 179 euros l'année précédente, outre qu'il n'est pas contesté que ce résultat se soit maintenu suite à la cession en faveur de la société Sirodot. L'argument selon lequel la reprise de la direction par un héritier de la défunte était impossible est contredit par les éléments du dossier puisque son fils a, selon le procès verbal d'assemblée générale, endossé la qualité de Président de la société.

Il s'ensuit qu'un lien de causalité direct entre le décès de madame [H] et la perte des revenus tirés des capitaux mobiliers n'est pas établi et en conséquence ces revenus ne sauraient être intégrés dans le préjudice économique de monsieur [T].

Ainsi, la perte de revenus de [M] [T] s'établit ainsi :

- 161 844 euros représentant la perte de salaire annuelle moyenne du foyer au cours des 3 années séparant la date du décès de [U] [H] de la date prévisible de sa retraite, soit la somme totale de 485 532 euros,

- à déduire la part d'autoconsommation de madame [H] fixée à 40% soit une déduction de 194 212,80 euros ce qui équivaut à une perte de revenus de 291 319,20 euros,

- à déduire les revenus de monsieur [T] soit 47 889 euros au cours de 3 années soit 143 667 euros ce qui correspond finalement à un préjudice économique pour [M] [T] de 147 652,20 euros.

Par conséquent, le préjudice économique de monsieur [T], avant déduction des capitaux-décès, sera fixé comme suit :

* période ante retraite :147 652,20 euros,

* période post retraite : 490 865 euros.

Soit un total de 638 517,20 euros

Conformément à ce que sollicitent les parties, il convient de déduire de ces sommes les capitaux décès versés à [M] [T] à hauteur de 318 605,25 au titre du capital décès et de 324 956,15 euros au titre de la majoration décès accidentelle soit la somme totale de 643 561,40 euros. Il ne reste donc aucun solde positif en faveur de monsieur [T] à la suite de cette déduction, la question de l'imputation de la rente temporaire perçue par M. [T] devenant dès lors sans objet.

Compte-tenu de ces éléments, le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a fixé l'indemnisation du préjudice économique subi par monsieur [T] du fait du décès de son épouse au montant de 1 215 846 euros et statuant à nouveau, la cour déboute monsieur [T] de sa demande au titre de ce poste de préjudice.

II. Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné le FGVATA au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les entiers dépens seront laissés à la charge du trésor public.

Monsieur [T] sera débouté de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du 30 décembre 2022 rendu par la commission d'indemnisation des victimes d'infraction près le tribunal judiciaire de Vesoul sauf en ce qu'il a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT

FIXE le préjudice économique de [M] [T] suite au décès de son épouse [U] [H] à la somme de 638 517,20 euros avant déduction des capitaux décès perçus à hauteur de 643 561,40 euros.

CONSTATE après déduction des capitaux décès (643 561,40 euros) l'absence de préjudice indemnisable ;

En conséquence :

DEBOUTE [M] [T] de l'ensemble de ses demandes y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE les dépens à la charge du trésor public.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/00101
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;23.00101 ?
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