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04/06/2024 | FRANCE | N°23/02078

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 04 juin 2024, 23/02078


Le copies exécutoires et conformes délivrées à

BM/FA











REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



Minute n°

N° de rôle : N° RG 23/02078 - N° Portalis DBVG-V-B7H-EXAW





COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale



ARRÊT DU 04 JUIN 2024





Décision déférée à la Cour : jugement du 05 décembre 2023 - RG N°22/01418 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE VESOUL

Code affaire : 53B - Prêt - Demande en remboursement du pr

êt





COMPOSITION DE LA COUR :



M. Michel WACHTER, Président de chambre.

Madame Bénédicte MANTEAUX et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des...

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

BM/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 23/02078 - N° Portalis DBVG-V-B7H-EXAW

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 04 JUIN 2024

Décision déférée à la Cour : jugement du 05 décembre 2023 - RG N°22/01418 - JUGE DE LA MISE EN ETAT DE VESOUL

Code affaire : 53B - Prêt - Demande en remboursement du prêt

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

Madame Bénédicte MANTEAUX et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 30 avril 2024 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, Madame Bénédicte MANTEAUX et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LA PORTE D'ALSACE association coopérative inscrite à responsabilité limitée auprès du tribunal d'instance de Mulhouse sous le volume 1, Folio n°66, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège

Sis [Adresse 2]

Représentée par Me Serge PAULUS de la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

Représentée par Me Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

ET :

INTIMÉE

Madame [X] [Y]

de nationalité française, demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Charles CONSTANTIN-VALLET de la SELARL CONSTANTIN-VALLET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Représentée par Me Valentin RICHE, avocat au barreau de MONTBELIARD, avocat postulant

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon offre du 17 janvier 2006 acceptée le 1er février 2006, confirmée par acte authentique du 26 juillet 2006, Mme [X] [Y] a souscrit auprès de l'association Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace (la banque) un prêt immobilier pour un montant de 270 000 francs suisses remboursable en une échéance de capital de 270 000 francs suisse le 28 février 2026 au taux d'intérêt de 2,5 % indexé sur l'indice « Libor trois mois », destiné à financer une vente en 1'état de futur achèvement d'un ensemble immobilier situé à [Localité 3] (77 127) -ZAC de la Pyramide lot D3 pour un prix de 169 000 euros.

Par avenant accepté le 1er septembre 2018, Mme [Y] a accepté la modification du taux d'intérêts du crédit variable au profit d'un taux d'intérêts fixe de 1,2 %.

Mme [Y] a procédé au remboursement total de son prêt par anticipation le 5 juillet 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 octobre 2022, Mme [Y] a vainement mis en demeure la banque de tirer toutes les conséquences de la nullité du contrat de prêt immobilier et de lui restituer l'intégralité des sommes versées en remboursement du prêt.

Selon acte délivré le 10 novembre 2022, Mme [Y] a assigné la banque devant le tribunal judiciaire de Vesoul aux fins de :

$gt; à titre principal :

- déclarer les clauses « Remboursement du crédit » et « coût du crédit » abusives et en conséquence dire qu'elles sont réputées non écrites ;

- prononcer la nullité du contrat litigieux et ordonner en conséquence les restitutions réciproques afin de replacer la demanderesse dans l'état dans lequel elle aurait été sans la conclusion du prêt litigieux,

- condamner la banque à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral ;

$gt; à titre subsidiaire :

- dire la banque responsable pour faute de ses préjudices, et, en conséquence :

- condamner la banque à « lui payer le préjudice financier calculé compte tenu de la formule de calcul établie dans l'assignation outre la somme de 69 049 euros au titre du manquement de la banque à son obligation d'information renforcée sur les risques financiers des contrats litigieux,

- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral ;

$gt; en tout état de cause :

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de mise en demeure avec capitalisation des intérêts,

- condamner la banque à lui payer la somme de 7 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions d'incident transmises le 6 février 2023, la banque a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Vesoul. Aux termes de ses dernières conclusions sur incident transmises le 1er septembre 2023, elle lui demandait de :

- déclarer irrecevable pour cause de prescription l'action visant à déclarer abusives les clauses intitulées « remboursement du crédit » (article 5.3), « coût du crédit » (article 5.2) et « définition de l'index Libor 3 mois » (article 6) et, en conséquence, les demandes de restitution des sommes payées au titre du prêt ;

- juger que les demandes de Mme [Y] relatives à sa responsabilité sont prescrites, et en conséquence, déclarer irrecevables ses demandes ;

- débouter Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes ;

- en tout état de cause, la débouter de sa demande de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au même titre ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 5 décembre 2023, le juge de la mise en état de Vesoul a :

- rejeté la demande de renvoi de l'examen des fins de non recevoir devant la formation de jugement au fond ;

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action visant à reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses du contrat de prêt ;

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat litigieux, en restitution de sommes indûment versées ;

- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité contractuelle à l'encontre de la banque ;

- renvoyé l'affaire à la mise en état du 9 janvier 2024 à 9h30 ;

- condamné la banque à payer à Mme [Y] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- réservé les dépens.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré que :

- le juge de la mise en état avait une compétence exclusive pour trancher ces fins de non recevoir tirées de la prescription alors qu'aucune question au fond en dépendant n'était sollicitée ;

- la jurisprudence sur l'imprescriptibilité de l'action en constatation du caractère abusif d'une clause vise à interpréter les dispositions européennes et nationales relatives aux clauses abusives postérieures à l'entrée en vigueur de la directive 93/1 3/CEE du Conseil du 5 avril 1993 ; cette jurisprudence ne prive pas les parties de leur droit d'accès au juge et est donc d'application immédiate ; elle s'applique au contrat litigieux souscrit par Mme [Y] le 1er février 2006 soit postérieurement au 31 décembre 1994, date d'application de la directive précitée ;

- le point de départ du délai de prescription quinquennale de l'action en restitution de sommes indûment versées après constatation du caractère abusif des clauses d'un contrat doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses, laquelle n'a pas encore été prononcée ; cette demande n'est donc pas prescrite ;

- le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contractuelle de la banque au titre de son manquement à son devoir de mise en garde est fixé au jour où l'emprunteur non averti a pu appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement, soit pour Mme [Y], à la date du remboursement du prêt par anticipation soit le 5 juillet 2019 ; l'assignation ayant été délivrée le 10 novembre 2022, cette demande n'est pas prescrite.

Par déclaration d'appel transmise au greffe le 22 décembre 2023, la banque a interjeté appel de cette ordonnance et par dernières conclusions transmises le 27 mars 2024, elle conclut à son infirmation et, statuant à nouveau, demande à la cour de :

- déclarer que l'action visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif des clauses litigieuses est prescrite ;

- déclarer que l'action tendant à voir déclarer abusives les clauses litigieuses est prescrite ;

- déclarer que les demandes de Mme [Y] relatives à la responsabilité de la banque sont prescrites ;

En conséquence,

- déclarer irrecevables les demandes de Mme [Y] en raison de la prescription ;

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouter Mme [Y] de sa demande de condamnation à lui verser 20 000 euros sur fondement du caractère abusif du recours formé par la banque ;

En tout état de cause :

- débouter Mme [Y] de sa demande tendant à condamner la banque à lui verser 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

Elle fait valoir que :

- le délai de prescription de l'action tendant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la clause abusive a commencé à courir dès 2009, ou au plus tard en 2011, puisque c'est à partir de cette date que Mme [Y] a pu prendre conscience du déséquilibre significatif allégué ;

- retenir que le point de départ de l'action tendant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation de la clause abusive doit être fixé au jour du jugement qui déclare la clause abusive revient à admettre que cette action est, elle aussi, en réalité imprescriptible, solution contraire à la solution retenue par la Cour de Justice de l'Union Européenne (la CJUE) dans ses arrêts du 10 juin 2021 qui reconnaît que l'action restitutoire est prescriptible et au droit français ;

- reconnaître le caractère imprescriptible de l'action déclaratoire, et par voie de conséquence de l'action restitutoire, constituerait une violation de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1er du protocole additionnel ;

- la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation issue de ses arrêts rendus les 30 mars 2022 et 20 avril 2022 sur l'imprescriptibilité de l'action en constatation du caractère abusif d'une clause contractuelle ne doit pas s'appliquer au présent litige, s'agissant d'une jurisprudence rétroactive ; ce n'est qu'en 2019 que la Cour de cassation a retenu que la prescription quinquennale n'était pas applicable à l'action tendant à voir réputée non écrite une clause abusive alors que le contrat de prêt de Mme [Y] a été conclu en 2006 ;

- la Cour de cassation invite les juges à apprécier la situation in concreto pour déterminer si l'application de la nouvelle jurisprudence ne causerait pas des inconvénients injustifiés alors que les parties s'était conformées au droit applicable à la date du contrat ;

- l'intimée avait conscience dès la conclusion du prêt de l'existence d'un risque de change, et ce d'autant plus que Mme [Y] avait reçu les conseils de la société de courtage AB Finances qui avait déjà prévu dans sa simulation que le prêt serait en francs suisses (CHF) ; dès lors, l'action diligentée par l'intimée devait nécessairement être engagée dans un délai de cinq ans à compter de la date de conclusion du prêt ;

- en présence d'une action en responsabilité contre la banque pour manquement à son obligation

d'information relative au risque lié à la souscription d'un prêt en devises, le jour où le risque s'est réalisé doit être fixé au plus tard au jour où l'emprunteur a pu constater l'augmentation des échéances du prêt, en capital et/ou en intérêt, en raison de l'augmentation du franc suisse ; or, même en présence d'un prêt in fine pour lequel les échéances ne portent que sur les intérêts et les cotisations d'assurance, les emprunteurs étaient en mesure de constater l'impact de la fluctuation du taux de change à chaque prélèvement depuis la hausse du CHF dès 2009.

Mme [Y] a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 5 mars 2024 pour demander à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, débouter la banque de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- il est désormais de jurisprudence constante que l'action en constatation du caractère abusif d'une clause ne saurait être soumise à un quelconque délai de prescription ; par ailleurs, la Cour de cassation juge que l'action en restitution consécutive à l'anéantissement rétroactif du prêt se prescrivait à compter de la décision constatant le caractère abusif des clauses du contrat (1re Civ, 12 juillet 2023, n°22-17.030) ; en conséquence, et dès lors que le caractère abusif des clauses du contrat litigieux n'a pas encore été constaté, la demande en nullité du prêt et la demande en restitution des sommes en résultant ne sauraient être prescrites ;

- la jurisprudence nouvelle de la CJUE et de la Cour de cassation est effectivement rétractive : la Cour de cassation n'a pas entendu limiter les effets dans le temps de ses arrêts et ne fait que se conformer au droit européen préexistant à la conclusion du contrat de prêt litigieux, lequel impose que le consommateur ne soit pas lié par une clause abusive ; l'application de cette jurisprudence sur les clauses abusives ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de propriété et particulièrement à son droit de créance ;

- le débat tenant à la prescription de l'action restitutoire a désormais été explicitement tranché par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2023 que le Crédit Mutuel ne saurait ignorer puisque l'arrêt porte sur l'un de ses prêts libellés en franc suisse qu'il a commercialisé ; dans cet arrêt, la Cour de cassation a dit pour droit que l'action en restitution consécutive à l'anéantissement rétroactif du prêt se prescrivait à compter de la décision constatant le caractère

abusif des clauses du contrat (1re Civ. 12 juillet 2023, n°22-17.030) ;

- le point de départ du délai de prescription de l'action en restitution ne peut pas être antérieur à la naissance du droit aux restitutions ;

- l'application des principes d'équivalence et d'effectivité imposent la fixation d'un point de départ du délai de prescription concomitant ou postérieur à la constatation du caractère abusif des clauses litigieuses ;

- concernant l'action en responsabilité, le délai de prescription commence à courir au jour où le consommateur a réalisé qu'il subissait un préjudice, donc, en l'espèce, à compter de l'année 2019, au cours de laquelle elle a souhaité solder son prêt, de sorte que son action en responsabilité n'est pas davantage prescrite

- l'appel de la banque est abusif et participe d'une stratégie judiciaire visant à dissuader le consommateur dans son action puisque les décisions rendues par la CJUE et la Cour de cassation dans ce domaine étaient déjà connues de la banque au moment où elle a interjeté son appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 avril 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 30 avril 2024 suivant et mise en délibéré au 4 juin 2024.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Bien que la banque invoque en premier lieu l'absence de prescription de l'action en restitution fondée sur les clauses abusives, avant l'absence de prescription de l'action en déclaration de clauses abusives elle-même, la logique impose que cette dernière soit examinée en premier lieu, dès lors qu'en cas de prescription de cette dernière action, l'examen de la prescription de l'action en restitution deviendrait nécessairement sans objet.

- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en constatation du caractère abusif de clauses du contrat :

Pour poursuivre l'infirmation de la décision déférée, la banque conteste que puissent être appliqués, rétroactivement au cas d'espèce, des arrêts récents de la Cour de cassation consacrant l'imprescriptibilité de l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites, sous peine de porter atteinte à la sécurité juridique, alors qu'elle s'était conformée au droit applicable au moment de l'octroi du prêt.

Toutefois, le premier juge a pertinemment retenu qu'à la différence de la norme législative, la jurisprudence était par principe d'application immédiate et rétroactive, la cour ajoutant que, dans le cadre des arrêts ayant, à la suite de la CJUE, consacré l'imprescriptibilité des actions en déclaration du caractère non écrit des clauses abusives, la Cour de cassation n'a aucunement reporté l'application de cette jurisprudence, comme elle le fait lorsque la solution qu'elle retient est en rupture avec une position antérieure et incompatible avec l'impératif de sécurité juridique.

En tout état de cause, il sera rappelé que l'imprescriptibilité se déduit nécessairement du fait que la sanction du caractère abusif d'une clause contractuelle n'est pas sa nullité, mais son caractère non écrit, qui opère de plein droit. Or, cette imprescriptibilité ne constitue en rien un principe jurisprudentiel nouveau résultant de décisions récentes de la Cour de cassation, mais a, au contraire donné lieu à des décisions qui, pour certaines, sont antérieures à la souscription du prêt litigieux, que ce soit par la Cour de cassation (3° civ. 1er avril 1987, n° 85-15010) ou par la CJCE (21 novembre 2002, C-473/00), de sorte qu'il ne saurait être considéré qu'il existe en la matière une atteinte à la sécurité juridique du fait d'un bouleversement de la jurisprudence.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir opposée par la banque à l'action tendant à faire déclarer les clauses abusives non écrites.

- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en restitution résultant de ce constat :

Il n'est pas contesté que l'action en restitution fondée sur les clauses abusives se prescrit selon le délai quinquennal de droit commun, les parties étant cependant d'avis divergents sur le point de départ de ce délai, qui, selon les termes de l'article 2224 du code civil, se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Par un arrêt du 12 juillet 2023 (1re Civ. 12 juillet 2023, n° 22-17030), rendu au visa de la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation a retenu que le point de départ du délai de prescription quinquennal, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action en restitution de sommes indûment versées au titre des clauses abusives d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.

La même observation que précédemment doit être faite s'agissant de l'application rétroactive de cette jurisprudence, étant observé que la Cour de cassation n'a pas reporté l'application de la solution jurisprudentielle qu'elle retient.

C'est vainement que la banque critique la pertinence de la solution retenue par la haute cour, laquelle est parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, et répond à la nécessité d'assurer l'effectivité de la protection du consommateur poursuivie par le droit européen, au regard de sa situation d'infériorité par rapport au professionnel. En effet, le fait de retenir un point de départ de prescription de l'action en répétition antérieur à la consécration judiciaire du caractère abusif de la clause serait de nature à porter atteinte à l'effectivité du droit imprescriptible du consommateur de saisir le juge aux fins de voir déclarer non écrite une clause contractuelle abusive.

Sur ce point également, l'ordonnance entreprise sera confirmée, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a encore déclaré les clauses litigieuses abusives.

- Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de la banque :

L'article 2224 du code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde est le jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement ( 1re Civ. 5 janvier 2022, n°20-18.893) et, plus précisément, concernant les prêts en devises, d'avoir la connaissance effective des effets négatifs de la variation du taux de change sur ses obligations financières (1re Civ, 28 juin 2023, n° 21-24.720).

La chambre commerciale de la haute juridiction a considéré qu'en cas de manquement du banquier à son obligation de mise en garde à l'occasion d'un prêt in fine, le préjudice de l'emprunteur consiste en une perte de chance d'éviter la réalisation du risque de non-remboursement du prêt (Com., 13 février 2019, n° 17-14.785) qui n'apparaît qu'au terme de l'opération (Com. 6 mars 2019, n ° 17-22.668).

Dans le cas d'espèce, c'est donc à bon droit que le juge de première instance a considéré, s'agissant d'un prêt in fine n'ayant pas fait l'objet d'incidents de paiement, que c'est au moment du remboursement par anticipation à la date du 5 juillet 2019 que Mme [Y] a eu connaissance du manquement de la banque à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde.

La cour confirme encore sur ce point l'ordonnance entreprise.

- Sur la demande de Mme [Y] de dommages et intérêts pour procédure abusive :

L'article 559 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'appel principal abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.

Le seul fait que des décisions, même émanant des juridictions supérieures, aient déjà été rendues sur ces questions ne saurait suffire à caractériser un abus de droit de l'appelant.

La cour rejette cette demande de Mme [Y].

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :

Confirme, dans les limites de l'appel, l'ordonnance rendue le 5 décembre 2023 entre les parties par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Vesoul ;

Y ajoutant :

Déboute Mme [X] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;

Condamne l'association Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace aux dépens d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute l'association Caisse de Crédit Mutuel de la Porte d'Alsace de sa demande et la condamne à payer à Mme [X] [Y] la somme de 5 000 euros.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/02078
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-04;23.02078 ?
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