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30/04/2024 | FRANCE | N°22/00086

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 30 avril 2024, 22/00086


ARRÊT N°

BUL/CE/SMG



COUR D'APPEL DE BESANÇON



ARRÊT DU 30 AVRIL 2024



CHAMBRE SOCIALE







Audience publique

du 25 avril 2023

N° de rôle : N° RG 22/00086 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EO4P



S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BESANCON

en date du 09 décembre 2021

Code affaire : 80M

Demande de résiliation ou de résolution judiciaire du contat de travail formée par un salarié



APPELANT



Mo

nsieur [W] [F], demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Fabrice BREZARD, avocat au barreau de BESANCON, présent





INTIMES



Me [I] [Y] Es qualité de Mandataire liquidateur de la SARL EL NASRH...

ARRÊT N°

BUL/CE/SMG

COUR D'APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 30 AVRIL 2024

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 25 avril 2023

N° de rôle : N° RG 22/00086 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EO4P

S/appel d'une décision

du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BESANCON

en date du 09 décembre 2021

Code affaire : 80M

Demande de résiliation ou de résolution judiciaire du contat de travail formée par un salarié

APPELANT

Monsieur [W] [F], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Fabrice BREZARD, avocat au barreau de BESANCON, présent

INTIMES

Me [I] [Y] Es qualité de Mandataire liquidateur de la SARL EL NASRHA, demeurant [Adresse 1]

n'ayant pas constitué avocat

UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 5], sise [Adresse 4]

représentée par Me Christine MAYER BLONDEAU, avocat au barreau de BESANCON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 25 Avril 2023 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

en présence de Mme Wassila MOKHTATIF, Greffière stagiaire

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 11 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l'arrêt a été prorogé au 26 septembre 2023, au 24 octobre 2023, au 28 novembre 2023, au 19 décembre 2023, au 30 janvier 2024, au 22 février 2024, au 26 mars 2024 puis au 30 avril 2024.

**************

FAITS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [W] [F] a été engagé en qualité d'aide boucher par la société EL NASRHA à compter du 4 mai 2017, sans contrat de travail écrit.

Au mois d'octobre 2019, la société EL NASRHA a mis un terme à sa relation de travail avec M. [W] [F], sans procédure de licenciement.

Le 19 novembre 2019, M. [W] [F] a déposé, en tant qu'associé, les statuts d'une société par actions simplifiée, ayant pour objet l'exploitation d'une activité de boucherie/traiteur, la société ARGANA.

Suivant requête du 10 décembre 2019, M. [W] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Besançon aux fins de voir au principal prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et obtenir la réparation de ses préjudices et le paiement de rappels de salaires et primes.

Par jugement du tribunal de commerce du 27 janvier 2021, la société EL NASRHA a été placée en liquidation judiciaire.

Le 10 février 2021, Maître [I] [Y], liquidateur judiciaire de la société EL NASRHA, a notifié à M. [W] [F] son licenciement pour motif économique.

Par jugement du conseil de prud'hommes de Besançon du 9 décembre 2021 a :

- débouté M. [W] [F] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail'

- fixé la date de la rupture au 1er octobre 2019'

- débouté M. [W] [F] du surplus de ses demandes'

- condamné M. [W] [F] aux dépens'

Par déclaration du 16 janvier 2022, M. [W] [F] a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions du 15 avril 2022, demande à la cour de':

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

statuant à nouveau,

- dire sa demande de résiliation judiciaire bien fondée, laquelle s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la date du 10 février 2021'

- fixer en conséquence ses créances sur la liquidation de la SARL EL NASRHA aux sommes suivantes :

* 17 808 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages-intérêts du fait de la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse'

* 1813,82 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement'

* 3 957,44 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice légale de préavis'

* 395,74 euros bruts à titre de congés payés afférents'

- dire qu'il a exercé son travail en qualité de boucher à temps plein sans qu'à aucun moment son salaire conventionnel minimum ne lui soit payé ni ses heures supplémentaires'

- fixer en conséquences ses créances salariales sur la liquidation judiciaire de la SARL EL NASRHA aux sommes suivantes :

De mai 2017 à mai 2018':

* 15 611,50 euros bruts à titre de rappel salaire conventionnel de mai 2017 à mai 2018'

* 1 561,15 euros bruts à titre de congés payés afférents'

* 3 854,11 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires mai 2017 à mai 2018'

* 385,41 euros bruts de congés payés afférents

De juin 2018 à septembre 2019':

* 19 531,84 euros bruts à titre de rappel salaire conventionnel de juin 2018 à octobre 2019'

* 1953,18 euros bruts à titre de congés payés afférents'

* 5 095,24 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires de juin 2018 à octobre 2019'

* 509,52 euros bruts de congés payés afférents'

D'octobre 2019 à décembre 2019':

- 5 936.16 euros bruts à titre de rappel salaire conventionnel'

- 593.61 euros bruts à titre de congés payés afférents'

- 899.16 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires'

- 89.91 euros bruts de congés payés afférents'

De janvier 2020 à janvier 2021 inclus':

* 21 827 euros bruts à titre de rappel salaire conventionnel'

* 2 182,70 euros bruts à titre de congés payés afférents'

* 3 896,36 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires'

* 389,63 euros bruts de congés payés incidents'

* 285 euros bruts et 28,50 euros de congés payés afférents euros brut à titre de rappel de prime conventionnelle annuelle pour l'année 2018'

* 285 euros bruts à titre de rappel de prime conventionnelle annuelle pour l'année 2019 et 28,50 congés payés afférents'

- fixer sa créance indemnitaire forfaitaire pour travail dissimulé sur la liquidation de la SARL EL NASRHA à la somme de'11 872 euros nets'

- débouter le CGEA de l'intégralité de ses demandes'

Suivant ordonnance d'incident du 5 juillet 2022, le magistrat en charge de la mise en état a':

- ordonné la communication par M. [W] [F] de ses bulletins de paie des mois de mai 2017, de novembre 2017, de mars 2018, de septembre à décembre 2018 et d'août 2019

- rejeté la demande de l'AGS tendant à la communication par M. [W] [F] de ses avis d'imposition de 2017 à 2021

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de la procédure d'appel'

Par ultimes écritures du 24 février 2023, l'association UNEDIC délégation AGS - CGEA de [Localité 5] (ci-après l'AGS), demande à la cour de':

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

En conséquence,

- dire que M. [W] [F] a fait l'objet d'un licenciement verbal'

- dire qu'il n'y pas lieu de requalifier le contrat de travail en contrat de travail à temps plein'

- débouter M. [W] [F] de l'intégralité de ses demandes'

- dire que le CGEA de [Localité 5] n'a pas à garantir les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Subsidiairement,

- dire et juger que le CGEA de [Localité 5], ès qualités de gestionnaire de l'AGS, ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-8 du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-19, L 3253-20, L 3253-21, L 3253-17 et D 3253-5 dudit code

- dire que le CGEA ne devra s'exécuter, toutes créances effectuées pour le compte du salarié confondues, qu'à titre subsidiaire en 1'absence de fonds disponibles et sur présentation d'un relevé présenté par le mandataire judiciaire'

- dire que la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes sommes et créances avancées pour le compte du salarié confondues, a un des trois plafonds définis a l'article D 3253-5 du code du travail et en l'espèce au plafond de 82 272 €'

- statuer ce que de droit sur les dépens qui, en toute hypothèse, ne pourront être mis à la charge du CGEA de [Localité 5]

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

En dépit de la signification de la déclaration d'appel par acte du 7 mars 2022 délivré à domicile, et des conclusions de l'appelant par acte du 27 avril 2022 remis à domicile et des conclusions de l'AGS délivrée par actes des 18 juillet 2022 et 1er mars 2023 à domicile, Maître [I] [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL EL NASHRA n'a pas constitué avocat, de sorte que le présent arrêt sera rendu par défaut.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

A l'appui de sa voie de recours, M. [W] [F] sollicite de la cour qu'elle prononce la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société EL NASRHA à la date du 10 février 2021, soit celle de son licenciement économique par le liquidateur judiciaire de la société, arguant de ce que son employeur a gravement manqué à ses obligations contractuelles en ne le rémunérant pas sur la base d'un temps complet, en s'abstenant de lui payer ses heures supplémentaires, en ne respectant pas les minimums conventionnels en terme de rémunération et en cessant de lui verser son salaire à partir d'octobre 2019. Il estime que ces manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

L'AGS considère pour sa part que la rupture du contrat de travail est intervenue le 1er octobre 2019 à l'occasion d'un licenciement verbal et que la demande de résiliation judiciaire a pu valablement être considérée comme dénuée d'objet par les premiers juges.

A titre subsidiaire, elle estime que la demande de résiliation judiciaire n'est pas fondée et que le salarié n'apporte pas d'éléments de nature à démontrer des manquements de la part de son employeur suffisamment graves pour justifier une rupture aux torts exclusifs de ce dernier.

Le juge saisi d'une demande de résiliation judiciaire d'un contrat de travail dispose d'un pouvoir souverain pour apprécier si les manquements établis à l'encontre de l'employeur par le salarié qui s'en prévaut sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat et justifier une telle mesure.

Cependant, ainsi que le souligne l'AGS, il ressort des pièces communiquées par le salarié lui-même que ce dernier a en réalité fait l'objet d'un licenciement verbal par son employeur antérieurement à la saisine de la juridiction prud'homale aux fins de résiliation du contrat.

En effet, M. [P] [U], autre salarié de la société LE NASRHA, expose que depuis octobre 2019 'le gérant a viré M. [L] sans motif, M. [L] a essayé plusieurs fois de reprendre son poste de travail mais le gérant a refusé'.

M. [W] [L] produit en outre deux courriers adressés sous plis recommandés à son employeur les 4 et 8 décembre 2019, aux termes desquels il relate que depuis le 1er octobre 2019 celui-ci ne lui a pas réglé son salaire, qu'il s'est présenté à son poste le 3 décembre et que son employeur par téléphone lui a intimé l'ordre de quitter les lieux et a fait intervenir la police. Il précise qu'il s'est à nouveau présenté à son poste le 5 décembre et qu'après l'avoir vu à distance, à la faveur de la caméra située dans la boutique, il l'a appelé par téléphone et lui a dit qu'il était 'viré'.

Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la rupture du contrat de travail de M. [W] [L] était intervenue à l'initiative de l'employeur le 1er octobre 2019 sous la forme d'un licenciement verbal, nécessairement sans cause réelle et sérieuse (Soc. 12 novembre 2002 n°00-45940, Soc. 10 janvier 2017 n°15-13007).

A cet égard, la notification ultérieure par le liquidateur judiciaire d'un licenciement économique est sans incidence et n'est pas de nature à régulariser le licenciement verbal intervenu en amont, lequel est, par nature, irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il suit de là que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par saisine de la juridiction prud'homale suivant requête du 10 décembre 2019, postérieure à la rupture dudit contrat, est effectivement sans objet et le jugement querellé doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

II - Sur les conséquences pécuniaires de la résiliation du contrat

Conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées.

En l'espèce, M. [W] [F] sollicite l'allocation de 'dommages-intérêts du fait de la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse' ainsi qu'une indemnité légale de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents.

Alors même que l'AGS a conclu à l'existence d'un licenciement verbal à la date du 1er octobre 2019 et que le jugement querellé a fait droit à cette demande, le salarié n'a formé aucune demande pécuniaire subsidiaire afin d'être indemnisé d'un tel licenciement, ses prétentions étant expressément formalisées comme étant les conséquences de la résiliation judiciaire sollicitée.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de le débouter de ses demandes pécuniaires formées à ce titre, dès lors que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est écartée.

III - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

M. [W] [F] affirme avoir travaillé au-delà d'un temps plein pour le compte de la société EL NASRHA depuis le début de la relation de travail, arguant de la fausseté de l'indication de la durée de travail indiquée sur ses bulletins de paie, et fait valoir que son contrat de travail n'ayant jamais été formalisé par un écrit, il est présumé être un contrat à durée indéterminée à temps plein. Il indique produire des attestations de clients qui affirment qu'il tenait le magasin à temps complet, avec son collègue, sur l'intégralité des horaires d'ouverture, soit 40 heures par semaine.

M. [W] [F] considère par ailleurs avoir été rémunéré à un taux horaire inférieur aux minima conventionnels.

Il soutient enfin avoir effectué des heures supplémentaires.

III-1 La nature du contrat de travail

Aux termes de l'article L. 3123-1 du code du travail, est considéré comme salarié à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure :

1° à la durée légale du travail ou, lorsque cette durée est inférieure à la durée légale, à la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou à la durée du travail applicable dans l'établissement ;

2° à la durée mensuelle résultant de l'application, durant cette période, de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement ;

3° à la durée de travail annuelle résultant de l'application durant cette période de la durée légale du travail, soit 1 607 heures, ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l'entreprise ou de la durée du travail applicable dans l'établissement.

Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit et doit comporter, en vertu de l'article L 3123-6 du même code, les mentions relatives à :

- la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois;

- les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

- les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

- les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat .

De telles dispositions sont d'ordre public et en l'absence d'indication dans le contrat à temps partiel de la durée exacte du travail convenue ou de sa répartition sur la semaine, le contrat est présumé avoir été conclu à temps complet (Soc. 21 mars 2012 n°10-23 650) sauf si l'employeur démontre que le salarié était soumis à un horaire parfaitement défini et qu'il n'était dès lors pas dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il travaillait et dans l'obligation de se tenir à la disposition de son employeur. (Cass, soc 30 juin 2010 n° 09-40 042).

Au cas particulier, aucun contrat écrit n'a été signé par M. [W] [F]. Le contrat de travail étant verbal, il va de soi qu'aucune durée hebdomadaire n'est prévue pas plus que la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, de même que les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié.

A cet égard, si l'AGS rappelle à juste titre que la présomption invoquée par l'appelant est une présomption simple, force est de constater qu'elle ne communique aux débats aucune pièce portant sur la période de mai 2017 à septembre 2019 de nature à combattre cette présomption en démontrant que le salarié était soumis à un horaire parfaitement défini, qu'il ne lui était donc pas impossible de prévoir à quel rythme il travaillait et qu'il n'était pas dans l'obligation de se tenir à la disposition de son employeur.

La seule observation selon laquelle le salarié n'aurait jamais émis de protestation sur le paiement de ses salaires antérieurement à décembre 2019 ou encore que la boucherie employait, outre M. [P] [U], qui atteste en la cause, un troisième salarié est inopérante à cet effet.

L'intimée échouant à renverser cette présomption, il doit être retenu que le contrat de l'intéressé est présumé à temps complet et que c'est à tort que les premiers juges, tirant les conséquences de l'absence de production par le salarié de ses bulletins de salaire, ont débouté ce dernier de sa demande de requalification du contrat.

III-2 La demande de reclassification

M. [W] [F] prétend qu'il est légitime à se prévaloir a minima de la qualification de boucher préparateur qualifié, niveau II échelon B, selon la Convention collective de la boucherie charcuterie et boucherie hippophagique, alors qu'à l'examen des trois bulletins de paie communiqués pour les années 2017 et 2018 il apparaît que sa classification retenue était 'aide boucher' niveau I échelon A, de même que de janvier à juin 2019 puis qu'il apparaît dans le bulletin de septembre 2019 comme 'aide boucher' niveau II échelon A.

Toutefois, il est de jurisprudence constante que la qualification d'un salarié doit être appréciée en considération des fonctions réellement remplies dans l'entreprise et il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'exercice réel de fonctions correspondant à la qualification supérieure revendiquée (Soc. 24 mai 2018 n°16-20122).

Selon la convention applicable, le boucher préparateur assure toutes les tâches d'exécution courantes nécessaires à la transformation des carcasses de leur état initial de gros morceaux de coupe jusqu'à leur présentation en morceaux de détail en vue de la mise en vente.

Or, M. [W] [F] ne communique aucune pièce permettant à la cour de connaître précisément quelles étaient les tâches confiées par son employeur, les attestations de clients de même que celle de M. [P] [U], qui évoque la préparation des commandes, la découpe de viande, la préparation des vitrines et le nettoyage, étant insuffisamment précises à cet égard et n'excluant pas le bien fondé de l'emploi retenu. Il ne justifie par ailleurs d'aucun diplômes ou formation qualifiante afin d'étayer sa prétention.

Sa demande de classification ne peut qu'être rejetée.

Si l'appelant prétend encore qu'il aurait même été rémunéré à un taux horaire inférieur au minimum légal, l'AGS fait valoir à juste titreque le taux horaire de 10,576 euros n'a pas été appliqué à compter de février 2017 comme il le prétend dès lors que l'avenant n°52 du 18 janvier 2017 n'a été étendu que par arrêté du 28 novembre 2017 publié au journal officiel le 8 décembre 2017, de sorte qu'il ne ressort d'aucun des bulletins de paie communiqués une rémunération inférieure au minimum conventionnel.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ces prétentions.

III- 3 La fixation de créance au titre du rappel de salaire

En premier lieu, si l'appelant est fondé à se prévaloir d'une créance de salaire ensuite de la requalification de son contrat à temps partiel en un contrat de travail à temps complet, sa demande doit être en revanche circonscrite à la période du 4 mai 2017, date de son embauche, au 30 septembre 2019, dès lors qu'il a été verbalement licencié le 1er octobre 2019.

Si M. [W] [F] ne communique pas l'intégralité de ses bulletins de salaire, il ressort de tous ceux qu'il produit qu'il était rémunéré à hauteur de 43,43 heures mensuelles, soit 422,90 euros jusqu'en décembre 2017 inclus, 458,26 euros de janvier 2018 à août 2019 et 473,09 euros en septembre 2019.

Sa créance de salaire sur la base du taux horaire applicable et après déduction du salaire brut effectivement perçu s'établit comme suit :

- du 4 au 31 mai 2017 : 1289,29 - 368,33 = 920,96 euros

- du 1er juin au 31 décembre 2017 : (7 X 1490,29)-(7 X 422,90) = 7 401,79 euros

- du 1er janvier 2018 au 30 août 2019 : (20 X 1604) - (20 X 458,26) = 22 914,80 euros

- du 1er au 30 septembre 2019 : 1655,99 - 473,09 = 1 182,90 euros

Il s'ensuit que la créance de rappel de salaire de M. [W] [F] du 4 mai 2017 au 30 septembre 2019 doit être fixée à 32 420,45 euros, outre celle de 3 242,04 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement querellé qui a rejeté cette demande sera infirmé de ce chef.

III-4 La fixation de créance au titre des heures supplémentaires

M. [W] [F] prétend avoir effectué 5 heures supplémentaires par semaine sur toute la durée de la relation contractuelle et sollicite la fixation de sa créance correspondante au passif de la liquidation judiciaire de son employeur.

Selon l'article L.3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Il est de jurisprudence constante que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures effectuées, l'employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toute mesure d'instruction qu'il estime utile.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient donc au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Or, M. [W] [F] s'abstient de présenter à l'appui de sa demande la moindre pièce portant sur les heures prétendument effectuées en sus de la durée légale de travail, l'attestation de M. [P] [U], son collègue, qui est lui-même concerné par un litige identique et revendique la réalisation d'heures supplémentaires non rémunérées, aux termes de laquelle l'appelant aurait effectué un temps complet à raison de 40 heures par semaine est à l'évidence insuffisante pour satisfaire à ce premier stade de la charge probatoire. Il en est de même des attestations très imprécises de clients qu'il verse aux débats, ceux-ci n'évoquant même à aucun moment l'existence d'heures supplémentaires.

La demande du salarié formée à ce titre doit être rejetée et le jugement déféré confirmé de ce chef.

III-5 La fixation de créances au titre de la prime annuelle 2018 et 2019

M. [W] [F] sollicite la fixation de deux créances de 285 euros, outre 28,50 euros au titre des congés payés afférents, correspondant aux primes annuelles 2018 et 2019.

L'AGS lui objecte qu'il ne peut valablement prétendre à une prime annuelle 2019 alors que son contrat de travail a été rompu en octobre de cette année et soutient que la prime de 2018, à raison de 1,2% du salaire annuel brut, soit 1 833 euros selon le bulletin de paie de décembre 2018, ne saurait excéder 22 euros.

En vertu de l'article 31bis de la Convention collective nationale de la boucherie, boucherie-charcuterie, boucherie hippophagique, triperie, commerces de volailles et gibiers du 12 décembre 1978, actualisée par l'avenant n° 114 du 10 juillet 2006, dans sa version applicable au présent litige, 'il est instauré une prime de fin d'année d'un montant minimum de 1,2 % de la rémunération brute annuelle. Cette prime est versée chaque année en décembre. Elle est calculée sur les rémunérations brutes des 12 derniers mois précédant le versement de la prime'.

Dans ces conditions, et à défaut pour l'employeur de justifier du paiement d'une telle prime, il doit être fait droit à la demande de l'appelant à hauteur des sommes suivantes, la prime de 2019 étant retenue au prorata du temps passé dans l'entreprise jusqu'à la rupture du contrat :

- 2018 : (19 248 X 1,2) : 100 = 230,98 euros, outre 23,09 euros au titre des congés payés afférents

- 2019 : (14 591,97 X 1,2) : 100 = 175,10 euros, outre 17,51 euros au titre des congés payés afférents

Le jugement déféré qui a débouté le salarié de cette demande mérite réformation de ce chef.

IV-2 La fixation de créance a titre de l'indemnité pour travail dissimulé

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, 'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche

2° soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie

3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'

En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 du même code ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, en application de l'article L.8223-1.

En l'espèce, il est manifeste que le nombre d'heures de travail mentionné par l'employeur sur les bulletins de paie de M. [W] [F], communiqués aux débats, est sensiblement inférieur à celles effectivement effectuées au sein de la boutique du [Adresse 2], comme le confirment non seulement son collègue, qui indique qu'il effectuait un temps complet mais encore de nombreux clients habitués de la boucherie.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de fixer la créance de M. [W] [F] à ce titre au passif de la liquidation à la somme de 9 935,96 euros.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

V - Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il condamne le salarié aux dépens.

L'issue du litige commande de condamner Maître [I] [Y], ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de l'AGS qui ne sont en réalité que le rappel de l'application des textes applicables en la matière, étant observé que la demande relative à la garantie des sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile est sans objet.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt rendu par défaut, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il rejette les demandes de requalification du contrat de travail en contrat à temps complet, de fixation des créances de salaires et congés payés afférents, de primes 2018 et 2019 et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et en ce qu'il condamne le salarié aux dépens.

L'INFIRME de ces chefs, statuant à nouveau et y ajoutant,

REQUALIFIE le contrat de travail de M. [W] [F] en contrat de travail à temps complet.

FIXE les créances de M. [W] [F] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL EL NASHRA aux sommes suivantes :

- 32 420,45 euros au titre du rappel de salaire du 4 mai 2017 au 30 septembre 2019, outre celle de 3 242,04 euros au titre des congés payés afférents

- 230,98 euros au titre de la prime annuelle 2018, outre 23,09 euros au titre des congés payés afférents

- 175,10 euros au titre de la prime annuelle 2019, outre 17,51 euros au titre des congés payés afférents-

- 9 935,96 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé

DEBOUTE M. [W] [F] du surplus de ses demandes.

CONDAMNE Maître [I] [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL EL NASHRA, aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trente avril deux mille vingt quatre et signé Mme Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller, pour le Président de chambre empêché, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE CONSEILLER,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00086
Date de la décision : 30/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-30;22.00086 ?
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