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23/04/2024 | FRANCE | N°21/01655

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 23 avril 2024, 21/01655


Le copies exécutoires et conformes délivrées à

FD/FA











REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 21/01655 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENP5





COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale



ARRÊT DU 23 AVRIL 2024





Décision déférée à la Cour : jugement du 09 juin 2021 - RG N°2019004036 - TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON

Code affaire : 50B - Demande en paiement du prix ou tendant à faire s

anctionner le non-paiement du prix





COMPOSITION DE LA COUR :



M. Michel WACHTER, Président de chambre.



M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers.



Greffier : Mme ...

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

FD/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 21/01655 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENP5

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 23 AVRIL 2024

Décision déférée à la Cour : jugement du 09 juin 2021 - RG N°2019004036 - TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON

Code affaire : 50B - Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 13 février 2024 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Mme Florence DOMENEGO, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS

Monsieur [W] [H]

né le 11 Décembre 1969 à [Localité 7], de nationalité française, architecte, demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Céline COMTE de la SELARL BPS, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

Monsieur [N] [L]

né le 26 Mars 1967 à [Localité 8] (MAROC), de nationalité française, dirigeant de société, demeurant [Adresse 6]

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Céline COMTE de la SELARL BPS, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

S.A.R.L. IMMO DOUBS

Sise [Adresse 4]

Inscrite au RCS de Besançon sous le numéro 539 385 856

Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Céline COMTE de la SELARL BPS, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

ET :

INTIMÉES

S.A.R.L. SOGEPEC

Sise [Adresse 1]

Inscrite au RCS de Besançon sous le numéro 732 820 931

Représentée par Me Christine MAYER BLONDEAU de la SCP MAYER-BLONDEAU GIACOMONI DICHAMP MARTINVAL, avocat au barreau de BESANCON

S.A. AXA FRANCE IARD Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 5]

Inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro 722 057 460

Représentée par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Nicolas HERZOG de la SELEURL H2O Avocats, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTERVENANT

Maître [P] [V]

de nationalité française, mandataire judiciaire de la société Immo Doubs, demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Céline COMTE de la SELARL BPS, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

************

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant lettre de mission en date du 22 juin 2022, la SARL Immo Doubs, exercant une activité de marchand de biens depuis janvier 2012, a confié sa comptabilité à la SAS SOGEPEC.

La SARL Immo Doubs a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période du 13 janvier 2012 au 31 mars 2015 par l'administration fiscale, laquelle a constaté plusieurs anomalies, dont la double comptabilisation de l'acquisition d'un bien immobilier pour un montant de 528 000 euros et la distribution sur les comptes courants de MM. [W] [H] et [N] [L], ses gérants, de la somme de 264 000 euros chacun sans avoir assuré les impôts et taxes afférents.

En suite de ces irrégularités, l'administration fiscale a rejeté la comptabilité pour l'ensemble des exercices vérifiés, a procédé à une réintégration des charges fictives générant ainsi des droits en matière de TVA et d'impôt sur les sociétés, et a notifié les 26 et 28 juillet 2016 une proposition de rectification à la SARL Immo Doubs et à ses deux gérants d'un montant de 389 730 euros pour la société, de 271 222 euros pour M. [H] et de 255 486 euros pour M. [L].

Après recours contentieux des deux gérants, les sommes dues par ces derniers ont été réduites à 185 743 euros pour M. [H] et à 174 341 euros pour M. [L] selon nouveaux avis notifiés le 26 octobre 2017, décisions confirmées par le tribunal administratif de Besançon dans ses jugements du 26 septembre 2019 et par la cour d'appel administrative de Nancy dans ses arrêts du 8 avril 2021.

Estimant que ces rectifications fiscales étaient la conséquence directe et incontestable des fautes commises par la SARL SOGEPEC, la SARL Immo Doubs, M. [W] [H] et M. [N] [L] ont saisi le 22 novembre 2019 le tribunal de commerce de Besançon pour engager sa responsabilité et obtenir l'indemnisation des préjudices subis.

Par jugement en date du 9 juin 2021, le tribunal de commerce a :

- débouté la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H] de leurs demandes en ce qu'ils ne rapportaient pas la preuve que la SAS SOGEPEC avait commis une faute professionnelle susceptible d'engager sa responsabilité ;

- débouté la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H] de leurs demandes en ce qu'ils ne justifiaient pas avoir subi un préjudice actuel, direct et certain ;

- déclaré la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H] irrecevables en leur demande de sursis à statuer qui n'avait pas été présentée in limine litis ;

- débouté la SAS SOGEPEC de sa demande de garantie formulée à l'encontre de la SA AXA France IARD ;

- condamné la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H] à payer solidairement à chacune des sociétés SOGEPEC et AXA France IARD la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu :

- que l'omission de déclaration de TVA pour un montant de 286 956 euros ne relevait pas d'une faute de l'expert comptable mais d'un défaut de coopération de la société Immo Doubs qui n'avait pas fourni en temps et en heure les éléments permettant l'accomplissement de la mission comptable ;

- que le redressement fiscal dont avaient fait l'objet les gérants résultait de leur décision du 1er avril 2014 d'inscrire au crédit de leurs comptes courants d'associé une somme de 264 000 euros chacun, à laquelle l'expert comptable n'avait pas été associé ;

- que si la SAS SOGEPEC avait bien passé les écritures comptables, le simple fait de les avoir passées ne constituait pas une faute ;

- que si l'expert comptable avait bien un devoir de conseil, il se devait de retranscrire dans les comptes les décisions prises par les associés et ce, conformément à la première résolution de l'assemblée générale ;

- que s'agissant du préjudice invoqué, les majorations appliquées par l'administration fiscale étaient sans lien avec la faute imputée à la société SOGEPEC, compte tenu de l'alerte qu'elle avait faite le 23 septembre 2014 sur la déclaration de TVA à établir impérativement ;

- que le montant des impôts était de toute façon dû par MM. [H] et [L], de telle sorte qu'ils ne pouvaient en demander réparation.

Par déclaration du 8 septembre 2021, la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H] ont relevé appel de cette décision.

Par jugement du 14 décembre 2022, la SARL Immo Doubs a été placée en redressement judiciaire, lequel a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 13 décembre 2023.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par RPVA le 25 janvier 2024, M. [L], M. [H] et la SARL Immo Doubs, prise en la personne de son liquidateur, la SELARL [V] Associés, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à la SELARL [V] Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Immo Doubs, la somme de 465 906,70 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à la SELARL [V] Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Immo Doubs la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à M. [H] la somme de 243 475,10 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à M. [H] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à M. [L] la somme de 212 921 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler à M. [L] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral subi ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler la somme de 5 000 euros à la SELARL [V] Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Immo Doubs, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC à régler la somme de 5 000 euros chacun à M. [L] et M. [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société AXA France IARD et SOGEPEC aux entiers dépens.

A l'appui, les appelants font principalement valoir que la SAS SOGEPEC a commis des manquements dans ses obligations contractuelles devant engager sa responsabilité à l'égard de la SARL Immo Doubs et de ses deux gérants ; qu'elle a en effet procédé à des écritures erronées, en comptabilisant à deux reprises la même vente de bien immobilier et en inscrivant un emprunt qu'elle n'avait jamais souscrit, ainsi qu'en omettant des déclarations de TVA ; qu'elle a procédé par ailleurs à une inscription en compte courant d'associés pour solder l'emprunt fictif et a au surplus fait disparaître une dette de TVA par une annulation fictive ; qu'elle a manqué aux obligations élémentaires de ses missions et failli dans son devoir de conseil ; qu'une telle inexécution a occasionné un préjudice financier et moral important à la société elle-même mais également à ses deux associés compte-tenu des grandes difficultés financières rencontrées postérieurement.

Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 29 décembre 2023, la SAS SOGEPEC, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement de première instance ayant débouté la SARL Immo Doubs et M. [L] et M. [H] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'ils ne rapportent pas la preuve que la SAS SOGEPEC aurait commis une faute professionnelle susceptible d'engager sa responsabilité ;

- confirmer le jugement de première instance ayant débouté la SARL Immo Doubs et M. [L] et M. [H] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'ils ne justifiaient pas avoir subi un préjudice actuel, direct et certain ;

- débouter M. [L] et M. [H] et Maître [P] [V], ès qualités de mandataire judiciaire de la société Immo Doubs, de l'intégralité de leurs demandes formulées à son encontre ;

- en tout état de cause, condamner la société AXA France IARD à la garantir de toute condamnation pécuniaire en principal, intérêts, frais et dépens qui pourrait être prononcée à son encontre ;

- condamner solidairement laSARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H], ou tout succombant, à lui payer une somme complémentaire de 5 000 euros en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement la SARL Immo Doubs, M. [L] et M. [H], ou tout succombant, aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de Maître Christine Mayer-Blondeau, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La SAS SOGEPEC soutient que la double comptabilisation qu'elle a effectuée par erreur n'a occasionné aucun préjudice à la SARL Immo Doubs, dès lors que la rectification fiscale opérée ne concerne que la TVA et l'impôt sur les sociétés au paiement desquels elle aurait dû être normalement tenue ; qu'une telle rectification ne constitue pas un préjudice indemnisable ; qu'elle n'a commis aucun comportement fautif à l'égard des deux associés, leur préjudice n'étant constitué que des inscriptions au crédit sur leur compte-courant d'associés lesquelles ont été réalisées au regard du procès-verbal d'assemblée générale autorisant cette distribution, à laquelle elle n'avait pas participé et qu'il lui appartenait de retranscrire dans la comptabilité sans s'immiscer dans les actes de gestion ; que les demandes d'indemnisation, reposant au surplus sur des préjudices ni certains ni actuels, ne sont en conséquence pas fondées.

Dans ses dernières conclusions transmise par RPVA le 29 janvier 2024, la SA AXA France IARD demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- débouter les parties de toutes demandes formulées à son encontre inférieures à la franchise contractuelle d'un montant maximal de 2 500 euros qui restera à la charge de la SAS SOGEPEC ;

- condamner la ou les parties succombantes à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la ou les parties succombantes aux entiers dépens.

La SA AXA France conteste toute faute commise par la SAS SOGEPEC dans l'exécution de sa mission, comme tout préjudice subi par la SARL Immo Doubs et ses gérants, et soutient au contraire que les appelants ont manqué à leurs propres obligations de coopération, en ne fournissant pas au cabinet comptable, notamment s'agissant les déclarations de TVA, les éléments lui permettant d'accomplir correctement sa mission et ont pris seuls la décision de voir porter au crédit de leurs comptes courants d'associés la somme de 264 000 euros chacun. Très subsidiairement, elle rappelle la franchise contractuelle à laquelle est assujettie son assurée et qui est opposable à la victime du sinistre.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur la responsabilité de la SAS SOGEPEC à l'égard de la SARL Immo Doubs :

Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Au cas présent, les appelants font grief aux premiers juge d'avoir écarté toute responsabilité de la SAS SOGEPEC à l'égard de la SARL Immo Doubs, alors même que cette dernière a manqué à ses obligations contractuelles d'inscription des écritures comptables et de déclaration de TVA et que par ces écritures fictives et erronées, elle est seule à l'origine du rejet de la comptabilité et de la rectification fiscale subséquente qui leur a occasionné un préjudice certain et direct.

Pour en justifier, les appelants se prévalent de la proposition de rectification adressée par l'administration fiscale le 28 juillet 2016 qui a relevé, aux termes des vérifications menées :

- la double comptabilisation du prix d'acquisition dans les stocks d'un immeuble au cours de l'exercice clos en 2013 ;

- le caractère erroné des comptes 'production en cours' et 'emprunt' et l'existence de charges fictives déduites au cours des exercices clos en 2014 et en 2015 ;

- l'annulation fictive de la dette de TVA collectée par un crédit de la dette en stock au cours de l'exercice clos en 2015 ;

- la présence au passif d'un emprunt fictif annulé et crédité aux associés au cours de l'exercice clos en 2015 ;

- la non-transmission du détail des stocks ;

et qui a conclu que 'la comptabilité tenue par le cabinet SOGEPEC ne pouvait être considérée comme régulière et probante sur la période vérifiée', 'compte-tenu des opérations comptables mentionnées ci-dessus et des manquements constatés dans la tenue de la comptabilité et des documents obligatoires'.

Si AXA France conteste tout manquement de la SAS SOGEPEC à ses obligations contractuelles, la SAS SOGEPEC reconnaît elle-même dans ses conclusions avoir procédé à la double comptabilisation du prix de vente d'un immeuble dans le bilan clos en 2013 et avoir ainsi commis une erreur comptable lors de l'exécution des missions contractuelles qui lui étaient confiées par la lettre de mission du 22 juin 2012 et qui lui impartissaient de procéder à la tenue des écritures conformément au référentiel comptable applicable au secteur d'activité et d'en vérifier la régularité en la forme.

Tout autant, si AXA France et la SAS SOGEPEC ne contestent pas l'absence de déclarations de TVA pour les exercices clos en 2013 et 2014, alors même que la lettre de mission en confiait l'établissement au cabinet comptable, ce dernier ne justifie pas des raisons objectives ayant pu le conduire, alors même que des ventes autres que celle ayant conduit à la double comptabilisation ont été opérées sur ces deux exercices, à l'absence d'établissement de tels documents obligatoires.

Pour s'exonérer de sa responsabilité, la SAS SOGEPEC se retranche derrière le courrier qu'elle a adressé à la SARL Immo Doubs le 23 septembre 2014, après la clôture des deux exercices litigieux. Or, ce document mentionne uniquement 'il vous reste de la TVA à régulariser' qui doit 'intervenir sur la déclaration du 21 octobre 2014", démarche que les appelants justifient avoir effectuée dans les délais impartis en produisant l'attestation dressée par la SAS SOGEPEC le 27 octobre 2014 (pièce 45).

La SAS SOGEPEC ne s'explique au surplus aucunement sur l'absence de déclaration au fur et à mesure des encaissements survenus, alors que comme le rappelle la proposition de rectification, la TVA collectée aurait dû être déclarée lors de chaque versement des sommes correspondant aux différentes échéances prévues par le contrat en fonction de l'avancement des travaux, par application des dispositions de l'article 257-1 du CGI et de l'article 269 2-a bis du CGI. Il en est de même pour la TVA sur marge, pour laquelle aucune déclaration n'a également été faite sur les exercices clos en 2013 et 2014, sans que la SAS SOGEPEC ne justifie des circonstances ayant pu la conduire à ne pas accomplir les diligences correspondantes.

La SAS SOGEPEC ne démontre pas plus avoir alerté lors deux exercices litigieux la SARL Immo Doubs sur les conséquences fiscales d'un désordre dans la comptabilité et des déclarations tardives, alors même qu'elle était tenue à un devoir de conseil, au-delà de celui de s'assurer de la régularité des opérations qu'elle inscrivait en comptabilité. Elle ne justifie pas plus s'être heurtée à une absence de coopération de la part de la SARL Immo Doubs et de ses deux gérants sur la même période.

Enfin, M. [T], expert-comptable sollicité par l'appelante, a dans son rapport du 23 octobre 2023 mis en exergue l'absence de réalisation par la SAS SOGEPEC de ses missions au regard des règles de déontologie et des règles professionnelles auxquelles sont tenus les experts-comptables, notamment en procédant à des inscriptions comptables sans aucune pièce justificative et en parfaite connaissance de la fausseté, ou à tout le moins, de l'imprécision des opérations ainsi passées, qu'elle ne pouvait vérifier, constats non remis en cause par la propre consultation qu'a fait opérer AXA France auprès du cabinet GM Consultant.

Les manquements contractuels de la SAS SOGEPEC à l'égard de la SARL Immo Doubs sont en conséquence indéniablement caractérisés et justifient que sa responsabilité soit recherchée, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.

Si les intimés contestent l'existence d'un quelconque dommage, soutenant que le préjudice invoqué par la SARL Immo Doubs n'est en réalité que l'impôt auquel elle était légalement tenue, cette dernière se prévaut cependant d'un préjudice moral issu de ces erreurs et défaut de diligences, des tracasseries administratives subies et des répercussions sur sa situation financière, qui l'ont conduit à cesser toute activité et à bénéficier d'une procédure collective. La SARL peut en conséquence en solliciter la réparation compte-tenu de son caractère certain et en lien direct avec les manquements ci-dessus retenus.

Le préjudice moral sera réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros.

Quant au préjudice financier invoqué, la SARL Immo Doubs sollicite la somme de 465 906,70 euros, sans s'expliquer plus avant dans ses conclusions sur le détail d'une telle somme.

L'avis de mise en recouvrement du 3 mars 2017 témoigne que la rectification imposée à la SARL IMMO DOUBS, sur laquelle la société n'avait présenté aucun recours, s'élevait à cette date à la somme de 266 186 euros au titre du rappel de TVA, de la somme de 106 474 euros au titre des majorations de retard et de la somme de 17 070 euros au titre des intérêts de retard.

Comme le soulèvent à raison la SAS SOGEPEC et AXA France, le rappel de TVA relève de l'impôt auquel la SARL Immo Doubs aurait été régulièrement tenue si les déclarations de TVA avaient été correctement effectuées et que le bien immobilier n'avait pas été improprement comptabilisé deux fois, entraînant de fait une diminution du résultat imposable par majoration du poste des charges et de l'imposition subséquente due.

Les appelants ne sont en conséquence pas recevables à en solliciter le dédommagement, la rectification fiscale ne constituant pas un préjudice indemnisable (Cass civ 1ère- 4 novembre 2003 n° 00-21.044). Il en est de même pour les intérêts de retard, dès lors que ces derniers ne font que compenser l'avantage ayant consisté dans le bénéfice d'une trésorerie dont la société n'aurait pas disposé si elle avait en temps normal réglé l'impôt dû.

Seules constituent un préjudice indemnisable les majorations de 40 % appliquées, soit la somme de 107599 euros, dès lors que cette pénalité n'a été imposée qu'en raison des fautes commises par le cabinet comptable.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé et la SAS SOGEPEC sera condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral et de la somme de 107 599 euros au titre du préjudice financier en faveur de SARL Immo Doubs, prise en la personne de son liquidateur judiciaire.

- Sur la responsabilité extracontractuelle de la SAS SOGEPEC :

Contrairement à ce que soutient la SAS SOGEPEC, sa responsabilité ne peut être recherchée par les deux gérants que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle compte-tenu de l'effet relatif des contrats, dès lors que la lettre de mission du 22 juin 2012 ne liait que la SARL Immo Doubs au cabinet d'expertise comptable.

Aux termes de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, doit être réparé à charge pour le demandeur de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a occasionné un dommage. (Cass Ass plé- 13 janvier 2020 n° 17-19.963)

Au cas présent, les appelants font grief aux premiers juges d'avoir écarté toute responsabilité de la SAS SOGEPEC à l'égard de M. [L] et de M. [H], alors même que cette dernière a manqué à ses obligations contractuelles d'inscription des écritures comptables et de déclaration de TVA et que par ces écritures fictives et erronées, elle est seule à l'origine du rejet de la comptabilité et de la rectification fiscale subséquente qui leur a occasionné un préjudice certain et direct.

Pour en justifier, les appelants se prévalent des deux propositions de rectification adressées à M. [L] et M. [H] le 26 juillet 2016 et qui ont relevé, aux termes des vérifications menées :

- les importantes anomalies comptables constatées lors de la vérification de comptabilité de la SARL Immo Doubs ;

- l'inscription erronée de la somme de 528 000 euros dans le compte 164000 'emprunt auprès des établissements de crédit' en 2012, sans aucun débit de remboursement au cours des exercices clos en 2013 et 201 ;

- le débit le 1er avril 2014 sur le compte 164000 'emprunt' par une écriture d'opérations diverses de la somme de 528 000 euros, avec crédit du compte courant de chacun des associés, laquelle s'analyse comme 'une distribution aux associés à la fois de la dette de TVA collectée qui a été sortie fictivement du passif du bilan et du produit non comptabilisé en raison de la majoration des coûts de revient passés en achats de marchandises dans les comptes de résultat'et ont conclu que 'le manquement (délibéré) était caractérisé par la présence d'opérations comptables anormales qui consistaient dans un premier temps en la constatation d'un emprunt fictif qui a permis à la société de majorer ses stocks en les comptabilisant deux fois et dans un deuxième temps de transmettre cette somme à ses associés en soldant le compte'emprunt''.

Les développements ci-dessus mettent en exergue que seule la SAS SOGEPEC est à l'origine de la double comptabilisation de la vente du bien immobilier le 16 février 2012 et de l'inscription de l'emprunt fictif sur le compte 164000 'emprunt' invoqué par l'administration fiscale, lesquels constituent un manquement de ce cabinet comptable aux obligations qu'il avait contractées dans le cadre de la lettre de mission du 22 juin 2012.

Quant à la distribution de la somme de 264 000 euros sur le compte courant de chacun des associés, si la SAS SOGEPEC reconnaît avoir passé une telle écriture, cette dernière soutient cependant avoir agi selon les directives de la SARL Immo Doubs, laquelle souhaitait échapper à l'augmentation de l'impôt qui en aurait résulté et se prévaut, pour en justifier, du procès-verbal d'assemblée générale du 1er avril 2014 lequel mentionne en première résolution 'l'assemblée des associés constate la reprise par les associés de la dette de la société envers le crédit agricole de Franche-Comté, la reprise de cette dette sera proportionnelle aux parts sociales de chaque associé'.

Le courriel transmis par la SAS SOGEPEC le 10 mai 2016 à M. [L] ( pièce 5), alors même que la SARL Immo Doubs était en procédure de vérification par l'administration fiscale de sa comptabilité, permet de douter de l'authenticité de la date comme de l'existence même de cette assemblée générale, ledit courriel précisant bien 'l'AG doit être datée du 1er avril 2014" et non 'du 1er avril 2015", dans le cadre d'une reconstruction manifestement faite a posteriori de documents sociaux préalablement inexistants. En témoigne le propre courriel de la SAS SOGEPEC du 15 septembre 2016 ( pièce 45), préparant l'argumentaire de la SARL Immo Doubs à tenir devant l'administration fiscale et mentionnant une assemblée générale non plus en date du 1er avril 2014, mais en fait du 1er janvier 2014.

Tout autant, si la SAS SOGEPEC soutient avoir voulu pour sa part rectifier l'erreur commise dans la double comptabilisation en annulant la ligne comptable correspondante, elle ne produit cependant aucun courrier par lequel elle aurait pu elle-même attirer l'attention de sa cliente sur une telle difficulté et lui soumettre, dans le cadre de l'obligation de conseil à laquelle elle était tenue, les solutions envisageables dans l'intérêt de la société.

M. [T], expert-comptable, précise par ailleurs dans son rapport du 23 octobre 2023 'qu'en tout état de cause, la double comptabilisation ne pouvait être régularisée en créditant le compte courant de chacun des associés', 'qu'une telle écriture est fictive et que les comptes courants d'associés sont donc faux et ne peuvent à l'évidence faire l'objet d'aucun remboursement au profit de leurs titulaires à hauteur de tels montants'. L'analyse faite par le cabinet GM Consultant ne remet pas en cause une telle conclusion, ce dernier s'étant contenté de relever que la SAS SOGEPEC 'n'avait d'autres choix que d'exécuter comptablement les décisions prises en assemblée générale, n'ayant pas à s'immiscer dans les actes de gestion', alors même que les circonstances dans lesquelles ce procès-verbal a été matérialisé écartent une rédaction de ce dernier à la date de passation de l'écriture comptable.

De tels manquements de la SAS SOGEPEC dans ses missions contractuelles ont indéniablement causé un dommage à M. [L] et M. [H], dont ils peuvent demander l'indemnisation au visa de la jurisprudence susvisée, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.

Si la SAS SOGEPEC et AXA France contestent l'existence d'un préjudice certain, actuel et direct de M. [L] et M. [H], ces derniers justifient cependant avoir été assujettis à une rectification fiscale au titre d'une distribution sur leur compte-courant d'associés dont ils n'ont pas bénéficié, dès lors que les deux écritures comptables provenaient d'une comptabilisation erronée d'une vente d'immeuble non-réalisée.

Les rectifications fiscales sont cependant désormais définitives, comme en témoignent les décisions du Conseil d'Etat du 25 octobre 2021 actant de la confirmation par la cour d'appel administrative de Nancy le 8 avril 2021 des décisions de rejet du tribunal administratif de Besançon des demandes de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels M. [L] et M. [H] ont été assujettis au titre de l'année 2014.

Leur préjudice financier est donc direct, certain et actuel.

Si M. [H] et M. [L] sollicitent respectivement à titre d'indemnisation la somme de 243 475,10 euros et de 212 921 euros, ils ne produisent cependant aucune pièce démontrant un tel préjudice. Ce dernier ressort au contraire en l'état des pièces communiquées et au regard du dégrèvement partiel accordé en suite de leur recours contentieux le 26 octobre 2017, comme s'élevant à la somme de 185 743 euros, pénalités incluses, s'agissant de M. [H], et à la somme de 174 341 euros, pénalités incluses, s'agissant de M. [L], montants au paiement desquels sera condamnée la SAS SOGEPEC dès lors qu'elles constituent l'entier préjudice des appelants sans enrichissement sans cause de leur part.

Leur préjudice moral sera fixé à la somme de 5 000 euros chacun, compte-tenu des importantes répercussions sur leur vie professionnelle et personnelle.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce sens et la SAS SOGEPEC sera condamnée au paiement de telles sommes en faveur de M. [L] et M. [H].

- Sur la garantie de la SA AXA France IARD :

La SA AXA France IARD ne conteste pas la garantie due à la SAS SOGEPEC en vertu du contrat d'assurance de responsabilité professionnelle que celle-ci avait souscrit auprès d'elle le 1er janvier 2015, renouvelé le 27 mars 2017, mais revendique l'application de la franchise à hauteur de 2 500 euros, montant maximal contractuellement prévu.

L'assureur sera donc condamné, in solidum avec son assuré, au paiement des sommes allouées aux appelants, sous déduction du montant de la franchise, laquelle est, en matière d'assurance en responsabilité civile, opposable à la victime (Cass civ 1ère- 16 décembre 2003 n° 00-11.845).

Par ailleurs, la société Axa France sera condamnée à garantir son assurée des condamnations prononcées à son encontre, sous déduction de la franchise contractuelle.

- Sur les autres demandes :

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Parties perdantes, la SAS SOGEPEC et la SA AXA France IARD seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel et déboutées de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS SOGEPEC et la SA AXA France IARD seront condamnées in solidum à payer à M. [L] la somme de 5 000 euros, à M. [H] la somme de 5 000 euros et à la SARL Immo Doubs, prise en la personne de son liquidateur, la somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

- Infirme dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal de commerce de Besançon du 9 juin 2021 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Dit que la SAS SOGEPEC a commis des manquements dans ses obligations contractuelles ayant occasionné un préjudice moral et un préjudice financier à la SARL Immo Doubs à M. [N] [L] et M. [W] [H] ;

- Condamne in solidum la SAS SOGEPEC et la SA AXA France IARD à payer :

- à la SARL Immo Doubs, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la SELARL [V] Associés, la somme de 107 599 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à M. [W] [H] la somme de 185 743 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à M. [N] [L] la somme de 174 341 euros au titre de son préjudice financier et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

sous réserve, s'agissant des sommes dues par la SA AXA France IARD, de la déduction de la franchise contractuelle de 2 500 euros ;

- Condamne la SA AXA France IARD à garantir la SAS SOGEPEC des condamnations prononcées à son encontre, sous déduction de la franchise contractuelle de 2 500 euros ;

- Condamne in solidum la SAS SOGEPEC et la SA AXA France IARD aux dépens de première instance et d'appel, avec autorisation donnée à Mme Mayer-Blondeau, avocate, de les recouvrer selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la SAS SOGEPEC et la SA AXA France IARD à payer à M. [W] [H] la somme de 5 000 euros, à M. [N] [L] la somme de 5 000 euros et à la SARL Immo Doubs, prise en la personne de son liquidateur, la SELARL [V] Associés, la somme de 5 000 euros et les déboute de leur demande présentée sur le même fondement.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01655
Date de la décision : 23/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-23;21.01655 ?
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