ARRÊT N°
FD/FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 22 JUIN 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Contradictoire
Audience publique
du 27 Avril 2023
N° de rôle : N° RG 22/01002 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EQX6
S/appel d'une décision
du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LONS-LE-SAUNIER
en date du 08 juin 2022 [RG N° 21/00167]
Code affaire : 56C
Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution
Association JURALLIANCE C/ S.A. CARRIER-CULOZ anciennement dénommée COMPAGNIE INDUSTRIELLE D'APPLICATIONS THERMIQUES ( C.I.A.T.)
PARTIES EN CAUSE :
Association JURALLIANCE Pris en son établissement ESAT AGRICOLE LES GLYCINES, sis [Adresse 1]
Sise [Adresse 3]
Représentée par Me Alexandre MAILLOT de la SELARL MAILLOT - VIGNERON, avocat au barreau de JURA
APPELANTE
ET :
S.A. CARRIER CULOZ, anciennement dénommée COMPAGNIE INDUSTRIELLE D'APPLICATIONS THERMIQUES (C.I.A.T.)
Sise [Adresse 2]
RCS de Bourg en Bresse sous le numéro 545 620 114
Représentée par Me Maude LELIEVRE, avocat au barreau de JURA, avocat postulant,
Représentée par Me Gilles PIOT-MOUNY de la SELARL PIOT-MOUNY, ROY & MACHADO, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame Florence DOMENEGO, conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
Madame Florence DEMENEGO, conseiller, a rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur Michel WACHTER, Président et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 27 avril 2023 a été mise en délibéré au 22 juin 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Faits et prétentions des parties :
L'association Juralliance, administrant l'ESAT agricole Les Glycines, a commandé en 2007 auprès de la SA Compagnie industrielle d'applications thermiques (ci-après dénommée la société CIAT) la fourniture d'un pack de pompes à chaleur de type DYNACIAT LG 735 comprenant trois compresseurs pour le chauffage de serres.
A la suite de la casse de deux compresseurs, une chaudière au fioul a été installée et les travaux de remise en état ont été sous-traités à la société CIAT et réceptionnés le 7 février 2014 sans réserve, avec contrat de service confié à cette même société.
En mars 2016, un nouveau dysfonctionnement étant apparu sur un compresseur, une expertise amiable a été organisée à l'initiative de l'assureur de l'ESAT en présence des deux parties et à défaut d'accord entre elles, une expertise judiciaire a été ordonnée à la demande de l'association le 4 janvier 2018 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier.
L'expert a déposé son rapport définitif le 2 mai 2019.
Saisi aux fins d'indemnisation de ses préjudices par l'association Juralliance, le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier a, dans son jugement du 6 janvier 2021, déclaré recevable la demande de nullité soulevée par la société CIAT, a annulé les parties du rapport d'expertise judiciaire définitif en date du 2 mai 2019 afférentes à l'évaluation du préjudice financier résultant du surcoût des consommations énergétiques nécessaires au chauffage des serres et à la détermination de la cause du défaut de fonctionnement des compresseurs et a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes, à l'exception de celle relative aux frais irrépétibles de la société CIAT.
Le 3 mars 2021, l'association Juralliance a saisi le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier aux fins de voir ordonner une nouvelle expertise pour évaluer le préjudice financier résultant du surcoût des consommations énergétiques nécessaires au chauffage des serres et à la détermination de la cause du défaut de fonctionnement des compresseurs.
Par jugement en date du 8 juin 2022, le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier a :
- déclaré irrecevable la demande d'expertise avant dire droit formée par l'association Juralliance ;
- condamné l'association Juralliance à payer à la société CIAT la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamné l'association Juralliance à payer à la société ClAT la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Juralliance aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que l'association, qui ne procédait que par 'constater' et 'dire et juger' ne formulait aucune prétention au fond ; que si le tribunal, juge du fond, venait à ordonner la mesure d'instruction sollicitée, sa saisine serait nécessairement vidée ; qu'à défaut pour l'association Juralliance de formuler une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile, sa demande d'expertise avant dire droit était irrecevable ; que l'association Juralliance, pourtant utilement conseillée, avait agi avec une légèreté blâmable qui justifiait qu'elle soit condamnée à payer à la société CIAT la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts.
Par déclaration en date du 20 juin 2022, l'association Juralliance a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions transmises le 3 novembre 2022, l'appelante demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
- juger que le jugement du tribunal judiciaire du 6 janvier 2021 ne s'est pas prononcé sur le fond du dossier ;
- ordonner en conséquence, sur le fondement de l'article 144 du code de procédure civile, une nouvelle expertise avec mission de préciser pour chaque désordre s'il constitue une non-conformité ou une malfaçon, d'indiquer la cause des désordres constatés ainsi que les travaux de réfection nécessaires et en chiffrer le coût ;
- au surplus, débouter la SA CARRIER CULOZ, anciennement dénommée CIAT, de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner la SA CARRIER CULOZ à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens, lesquels seront directement recouvrés par la SELARL MAILLOT
& VIGNERON en application de l'article 699 du code de procédure civile.
A l'appui, l'association Juralliance fait principalement valoir que la juridiction de première instance a indiqué faussement qu'elle n'avait formulé aucune prétention au fond à l'encontre de la société CIAT ; que les dysfonctionnements de la pompe à chaleur sont avérés, cette dernière étant totalement hors service selon les conclusions de l'expert judiciaire et donc impropre à sa destination ; que la responsabilité de la société CIAT peut s'en trouver recherchée 'ultérieurement sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil ou sur d'autres fondements juridiques' ; qu'une nouvelle expertise doit cependant être réalisée avant dire droit, compte-tenu de la nullité de certaines conclusions de l'expertise judiciaire précédemment menée ; que sa demande en conséquence avant dire droit est parfaitement recevable et bien fondée.
Dans ses dernières conclusions transmises le 25 octobre 2022, la SA CARRIER CULOZ, intervenant aux droits de la société CIAT, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 8 juin 2022 ;
- condamner l'association Juralliance à lui payer une indemnité de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner l'association Juralliance à lui payer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'association Juralliance aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui, la SA CARRIEZ CULOZ soutient que la question de la validité du rapport d'expertise de M. [B] a été largement débattue devant le tribunal de Lons-le -Saunier devant lequel, saisi du fond du dossier, l'association Juralliance aurait pu demander une contre-expertise dans le cadre de l'article 144 du code de procédure civile, ce qu'elle n'a pas fait ; que le jugement du 6 janvier 2021 annulant le rapport d'expertise de M. [B] a été signifié à l'association Juralliance qui n'en a pas relevé appel et que c'est donc bien de volonté délibérée que l'association Juralliance a laissé s'épuiser les voies de recours qui lui étaient ouvertes et a abusivement engagé la présente action.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 avril 2023.
Motifs de la décision :
- Sur la demande d'expertise :
Aux termes de l'article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution d'un litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible.
Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer, en application de l'article 144 du code de procédure civile.
Au cas présent, l'association Juralliance fait grief aux premiers juges de l'avoir déboutée de sa demande au motif qu'elle n'avait pas formulé une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile et que sa demande était de ce fait irrecevable.
Comme l'ont cependant relevé à raison les premiers juges, la mesure d'instruction sollicitée auprès d'un juge du fond ne peut s'articuler qu'au regard d'une demande en justice initiale, clairement énoncée, dont elle viendrait faciliter l'administration de la preuve et dont elle n'est de ce fait que l'accessoire.
Or, en l'état, contrairement à ce que soutient l'association, cette dernière n'a aucunement formulé expressément dans les motifs et le dispositif de son acte introductif d'instance un chef de demande précis aux fins de voir reconnaître la responsabilité de la société CIAT dans la survenance du dommage et d' obtenir sa condamnation à sa réparation.
Une telle demande ne peut en effet se déduire des seuls chefs ' constater que le jugement du 6 janvier 2021 a prononcé la nullité de ce rapport concernant les parties relatives à l'évaluation du préjudice financier résultant du surcoût des consommations énergétiques nécessaires au chauffage des serres et à la détermination de la cause du défaut de fonctionnement des compresseurs' et ' constater que ce jugement ne s'est donc pas prononcé sur le fond du dossier' mentionnés dans le dispositif, étant observé au surplus qu'aucun fondement juridique n'est indiqué, même par simple visa d'articles, seules les dispositions de l'article 144 du code de procédure civile étant invoquées.
Une telle demande ne peut pas plus s'exciper du chef ' débouter la SA CIAT de l'intégralité de ses demandes', comme le soutient curieusement l'appelante, une telle formulation ne correspondant qu'à une défense au fond formulée en réponse à l'argumentaire développée par la partie adverse.
A hauteur de cour, l'appelante modifie ses demandes et sollicite désormais de voir 'juger que le jugement du 6 janvier 2021 ne s'est donc pas prononcé sur le fond du dossier', avant d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise.
Ce faisant, l'appelante a bien matérialisé une prétention au fond au sens de l'article 4 du code de procédure civile, en respect des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile, de telle sorte que sa demande d'expertise est recevable.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
- Sur le bien fondé des demandes de l'association Juralliance :
Si l'association a bien saisi le tribunal de grande instance de Lons-Le-Saunier le 7 août 2019 d'une action en responsabilité fondée à titre principal sur les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil, et subsidiairement, sur celles des articles 1641 et suivants du code civil, le tribunal a cependant, dans son jugement du 6 janvier 2021, d'une part, prononcé la nullité du rapport dans ses parties afférentes à l'évaluation du préjudice financier et à la détermination de la cause du défaut de fonctionnement des compresseurs et d'autre part, débouté l'association Juralliance de l'ensemble de ses demandes au motif 'qu'elle ne parvenait pas à démontrer qu'elle était fondée à rechercher la responsabilité de la société CIAT ou à l'appeler en garantie pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices'.
Une telle décision, régulièrement signifiée le 25 mars 2021, n'a fait l'objet d'aucun appel de telle sorte qu'elle est désormais définitive.
Il s'en déduit que contrairement à ce que soutient l'appelante, cette juridiction a d'ores et déjà statué sur la responsabilité de la société CIAT de telle sorte que toute nouvelle action, engagée sur les mêmes fondements, se heurterait à l'autorité de la chose jugée, comme le soulève à raison l'intimée.
L'association Juralliance sera en conséquence déboutée de sa demande principale tendant à voir 'juger que le jugement du 6 janvier 2021 ne s'est pas prononcé sur le fond du dossier', sans qu'il ne soit nécessaire d'ordonner avant dire droit l' expertise sollicitée par l'appelante à défaut pour une telle mesure d'instruction d'être utile à la solution du litige soumis à la cour.
- Sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive
L'association Juralliance fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour légèreté blâmable et conteste toute faute de sa part tant en première instance qu'à hauteur d'appel.
Si l'accès au juge demeure un droit protégé par l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, les présents développements mettent en exergue l'abus qu'en a fait l'association alors même qu'elle avait déjà saisi le juge du fond de ses prétentions et avait obtenu une décision qu'elle aurait pu contester en appel en sollicitant à titre subsidiaire l'organisation d'une nouvelle expertise.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont condamné l'association à dédommager la SA CARRIER CULOZ, intervenant aux droits de la société CIAT, à hauteur de 1 500 euros.
L'intimée sera cependant déboutée de sa demande nouvelle formulée sur le même fondement à hauteur d' appel. La somme allouée en première instance a en effet vocation à l'indemniser de son entier préjudice, à défaut pour la SA CARRIER CULOZ de justifier de son aggravation en dehors des frais de procédure engagés, lesquels sont indemnisés sur un autre fondement.
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi, :
- Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier en date du 8 juin 2022 sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande d'expertise avant dire droit formée par l'association Juralliance ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
- Déclare recevable la demande d'expertise avant dire droit formée par l'association Juralliance ;
- Déboute l'association Juralliance de sa demande tendant à voir juger que le jugement du 6 janvier 2021 ne s'est pas prononcé sur le fond du dossier ;
- Dit n'y avoir lieu en conséquence à ordonner avant dire droit la mesure d'expertise sollicitée ;
- Déboute la SA CARRIER CULOZ de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée à hauteur d'appel ;
- Condamne l'association Juralliance aux dépens d'appel lesquels seront directement recouvrés par la SELARL MAILLOT & VIGNERON en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
- et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association Juralliance à payer à la SA CARRIER CULOZ la somme de 3 000 euros et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,