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20/06/2023 | FRANCE | N°21/01711

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 20 juin 2023, 21/01711


ARRÊT N°



CS/FA





COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 20 JUIN 2023



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE







Contradictoire

Audience publique du 18 avril 2023

N° de rôle : N° RG 21/01711 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENS7



S/appel d'une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON en date du 27 juillet 2021 [RG N° 19/02222]

Code affaire : 92Z - Autres demandes en matière de droits de douane





S

.A.R.L. LOWIEE TRADE SL (SARL) C/ DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS





PARTIES EN CAUSE :





S.A.R.L. LOWIEE TRADE SL (SARL)

Sise [Adresse 5] / ESPAGNE

CIF B861 1...

ARRÊT N°

CS/FA

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 20 JUIN 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 18 avril 2023

N° de rôle : N° RG 21/01711 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENS7

S/appel d'une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON en date du 27 juillet 2021 [RG N° 19/02222]

Code affaire : 92Z - Autres demandes en matière de droits de douane

S.A.R.L. LOWIEE TRADE SL (SARL) C/ DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS

PARTIES EN CAUSE :

S.A.R.L. LOWIEE TRADE SL (SARL)

Sise [Adresse 5] / ESPAGNE

CIF B861 163 300

Représentée par Me Sandrine ARNAUD de la SELARL ARNAUD - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Franck BOULIN de la SELASU FRB AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

APPELANTE

ET :

DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS,

Sise [Adresse 1]

Représenté par Me Sophie-Caroline DUHOUX-CARDOT de la SCP DUHOUX-CARDOT, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représenté par Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, conseillers.

GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX, conseiller et Monsieur Cédric SAUNIER, magistrat rédacteur.

L'affaire, plaidée à l'audience du 18 avril 2023 a été mise en délibéré au 20 juin 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Faits, procédure et prétentions des parties

L'administration des douanes a procédé, le 14 février 2019 sur l'aire autoroutière du Poulet de Bresse située sur la commune de [Localité 2], au contrôle d'un ensemble routier composé d'un tracteur immatriculé en lituanie JDH098 et d'une remorque bachée immatriculée en estonie 483YKD comportant cent-quatorze cartons de « Strip Blend » pour un poids de 17,1 tonnes expédiés depuis Madrid en Espagne par la société de droit espagnol Lowiee Trade SL à destination d'une usine de manufacture de tabac de la société Hugo Trans LDA située en Estonie, pour le compte de son client britannique Aqua Pro LTD.

Suite au contrôle, une procédure du chef de contrebande a été établie au visa des articles 419, 215 et 215 ter du code des douanes et l'ensemble de la marchandise a fait l'objet d'une consignation.

Le 19 septembre 2019, l'administration des douanes a, après expertise et à l'issue des échanges intervenus avec la société Lowiee Trade SL, procédé à la clôture de la procédure établie sur le fondement du code des douanes par procès-verbal n° 8 et a établi un avis définitif de taxation n° 19035C00036 visant un montant de 1 716 601 euros fondé sur les articles 275 A et 275 E bis du code général des impôts ainsi qu'un procès-verbal de notification d'infraction fiscale portant la même référence et opérant saisie des marchandises.

Par acte délivré à personne le 8 octobre 2019, la société Lowiee Trade SL a fait assigner la direction régionale des douanes et des droits indirects de Besançon devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de cette ville aux fins d'annulation de l'avis de taxation définitive émis le 19 septembre 2019 et de la voir condamner à l'indemniser à hauteur de 324 115 euros au titre de la marchandise perdue, de 1 300 000 euros au titre du préjudice commercial et de perte de chiffre d'affaires, de 1 600 000 euros au titre du préjudice moral d'atteinte à son image vis-àvis de la clientèle et de ses concurrents et de 500 000 euros au titre de son préjudice moral à légard des autorités administratives, outre frais irrépétibles et dépens.

Par jugement rendu le 27 juillet 2021, le tribunal a débouté la société Lowiee Trade SL de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :

- que les demandes formées par la société Lowiee Trade SL tendant à l'annulation des procédures douanières et fiscales sont devenues sans objet dès lors que l'administration des douanes a explicitement abandonné toute taxation et indiqué qu'aucune infraction ni dette fiscale ne subsiste au regard d'une modification récente de la règlementation applicable ;

- que les pièces versées aux débats par la demanderesse n'établissent pas la réalité des préjudices allégués, en ce que la marchandise indiquée comme étant perdue n'est pas endommagée et est tenue à la disposition de la société Lowiee Trade SL, tandis que cette dernière ne démontre ni une perte de chiffre d'affaires et de marge, ni une perte d'image auprès de sa clientèle, ni un préjudice moral vis-à-vis des administrations étatiques et régionales.

Par déclaration du 20 septembre 2021, la société Lowiee Trade SL a interjeté appel de l'ensemble des chefs de ce jugement et, selon ses dernières conclusions transmises le 18 mars 2023, elle conclut à 'sa réformation' et demande à la cour statuant à nouveau :

- d'annuler l'ensemble des procédures douanières ou fiscales introduites depuis le 14 février 2019 ensuite de la saisie de sa marchandise ;

- de condamner l'administration des douanes à lui payer la somme de 83 790 euros au titre du préjudice de perte de la marchandise, laquelle n'est plus commercialisable, la somme de 1 080 142,80 euros au titre du préjudice de perte du chiffre d'affaires ainsi que la somme de 500 000 euros au titre de son préjudice moral de perte de clientèle et d'image ;

- subsidiairement, d'ordonner 'avant dire droit' une expertise relative à la liquidation de son préjudice ;

- en tout état de cause, de condamner l'administration des douanes à lui payer une somme égale à 1 % par mois de la somme de 83 790 euros à compter de la retenue des marchandises et jusqu'à la remise ou l'offre de remise sur le fondement de l'article 402 du code des douanes, ainsi que la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première et de 'seconde instance'.

Elle fait valoir :

Concernant le comportement fautif de l'administration des douanes :

- que l'administration a commis une première erreur en saisissant les marchandises, à savoir du tabac en feuilles écoté, c'est à dire débarrassées de leur nervure centrale, et non de tabac haché, dont la nature non manufacturée autorisait pourtant la libre circulation, alors qu'elle même s'était conformée à la réglementation en souscrivant une déclaration d'échange de biens (DEB) tandis qu'une lettre de voiture CMR (cargo movement requirement) a été présentée aux agents des douanes lors du contrôle alors qu'aucun autre document n'a été demandé au chauffeur ;

- qu'elle a commis une seconde erreur en débutant la procédure sur le fondement du code général des impôts et du livre des procédures fiscales avant de conclure à l'existence d'un délit douanier ;

- que par ailleurs l'administration n'a pas observé le principe du contradictoire en ne l'avisant pas de la confiscation des marchandises alors qu'elle en est la propriétaire connue, en infraction à l'article 374, 2, du code des douanes, tout en ne convoquant que le chauffeur aux fins d'audition et non elle-même et en ne l'informant pas des analyses effectuées en laboratoire ;

- qu'enfin, elle a abandonné en cours de première instance les poursuites au motif que 'le tabac présenté sous un aspect brut n'est plus considéré comme du tabac manufacturé', alors qu'elle même soutient ce point depuis le début de la procédure sans qu'aucune modification de la réglementation ne soit intervenue contrairement aux affirmations de l'administration ;

Concernant l'annulation des procédures établies par l'administration des douanes :

- que si, après avoir enfreint les procédures fiscales et douanières prévoyant le droit de se défendre et l'application du principe du contradictoire, l'administration a finalement reconnu que le tabac saisi le 14 février 2019 était bien du tabac brut, elle prétend à tort d'une part que le tabac présenté sous un aspect brut n'est plus considéré comme du tabac manufacturé au sens de la directive 2001/64/UE alors que ce produit n'a jamais été classé ainsi, d'autre part que l'arrêté ministériel du 3 juillet 2020 aurait retranché le tabac brut de la liste des produits soumis à titre de mouvements ;

- que les feuilles de tabac préalablement écotées sont classées par la directive européenne 2011/64/UE comme un produit non manufacturé, brut et infumable en l'état, non soumis à droit d'accise et pouvant être transporté librement, contrairement aux feuilles hachées selon l'appelation retenue lors du contrôle ;

- que les analyses de produits effectuées en laboratoire n'étaient pas autorisées en pareille hypothèse et ont été diligentées en violation des règles procédurales et de manipulation applicables en la matière en ce que les tests doivent être interrompus dès que la nature du produit est aisément identifiable et que le tabac a été irrégulièrement compacté dans le papier à cigarette ;

- qu'il en résulte que ces marchandises ne doivent être accompagnées que des seules CMR et DEB ;

- que les agents ayant procédé au contrôle ont par ailleurs fait une application erronée du code des douanes et ne l'ont pas officiellement informée de la procédure jusqu'au 8 août 2019, l'ensemble des éléments ne lui ayant été adressés que le 19 septembre suivant ;

- que l'administration a violé l'article L. 213 du livre des procédures fiscales aux termes duquel, en matière de contributions indirectes, les procès-verbaux sont nuls s'ils n'ont pas été rédigés par les seuls agents ayant pris une part personnelle et directe à la constatation des faits qui constituent l'infraction, dans la mesure où si le procès-verbal initial du 14 février 2019 est signé de MM. [W] [H], [A] [D] et [X] [I], celui d'audition du chauffeur établi le même jour est rédigé et signé de M. [A] [D] mais aussi de MM. [Y] [L] et [R] [G] ;

Concernant son préjudice :

- que sa marchandise, supportant des traces de moisissures, a été irrémédiablement perdue en raison de son défaut de conservation dans des conditions adaptées, alors même que son destinataire a nécessairement pris d'autres dispositions pour se fournir ;

- qu'elle subit une perte d'image dans un secteur très concurrentiel ;

- qu'elle subit enfin une perte d'exploitation liée à l'interdiction de fait de traverser le territoire français entre les mois de février 2019 et de novembre 2020, son chiffre d'affaires ayant chuté de moitié entre les années 2018 et 2019, dans la mesure où il lui était demandé de souscrire une déclaration administrative électronique (DAE) impossible pour faire circuler du tabac brut 'en suspension de droit d'accises' ce qui est juridiquement absurde puisque le tabac brut n'est pas soumis à un tel droit ;

- qu'en outre, elle est fondée à solliciter une indemnisation indépendamment de toute faute en application de l'article 402 du code des douanes ;

Concernant le préjudice lié à la perte du tabac saisi :

- que contrairement à ce qui a été retenu par le juge de première instance, la marchandise n'est pas tenue à sa disposition comme le démontre le courrier versé aux débats par lequel l'administration douanière a précisé qu'elle était 'prête à restituer la marchandise saisie selon les modalités qui seront fixées par l'autorité judiciaire compte tenu du caractère pendant de l'instance', modalités qui n'ont pas été fixées ;

- qu'à l'issue du délai de la procédure, le tabac est inutilisable pour l'industrie ;

- qu'après plusieurs échanges, une date a été fixée le 21 mars 2023 pour la reprise de possession de la marchandise qui permettra d'en constater l'état de conservation.

La direction régionale des douanes et droits indirects de Besançon a répliqué en premier et dernier lieu par conclusions transmises le 17 mars 2023 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de 'juger' que les pièces numérotées 39 et 40, 47, 48, 50 et 51 communiquées en espagnol par la société Lowiee Trade SL et non traduites sont irrecevables et de les écarter des débats, de débouter ladite société de l'intégralité de ses demandes et de condamner la société Lowiee Trade SL à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

Elle expose :

Concernant les procédures douanières et fiscales :

- qu'il résulte de la procédure douanière que les agents ont constaté le 14 février 2019 la présence 'de feuilles hachées semblant correspondre à des feuilles hachées de tabac', de sorte qu'en l'absence de justificatif d'introduction régulière de ces marchandises sur le territoire français, ils ont établi une procédure du chef de l'infraction d'importation sans déclaration de biens soumis à justificatifs prévue par l'article 419 du code des douanes et ont consigné la marchandise sur le fondement de l'article 322 bis du même code, ladite consignation ayant été prolongée jusqu'au 7 mars 2019 sur autorisation du procureur de la République de [Localité 3] ;

- que le test de fumage effectué par le service commun des laboratoires de [Localité 4] s'est révélé positif, ce qui signifie que le tabac était fumable en l'état, de sorte qu'il est considéré comme du tabac manufacturé dont la détention est soumise à la présentation de justificatifs d'origine, par application de l'article 215 du code des douanes ;

- qu'à l'issue de plusieurs échanges, l'appelante ne lui a transmis une facture relative à la marchandise que le 27 mai 2019 et une demande de mainlevée de la consignation que le 21 juin suivant ;

- qu'au regard des justificatifs transmis, elle a le 12 juillet 2019 informé les conseils de l'appelante de l'absence de suite concernant la procédure douanière, mais a engagé selon procès-verbal de constatation établi le 8 août 2019 une procédure fondée sur l'article L. 213 du livre des procédures fiscales en procédant à la saisie des marchandises au motif d'une infraction aux contributions indirectes en ce que le défaut de production du DAE rend les droits associés exigibles ;

- que le nouveau test effectué après un nouveau prélèvement par le laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) de [Localité 6], sur demande de l'appelante, a conclu au fait que les cigarettes préparées ont été fumées ;

- que cependant, suite à la modification en cours de procédure en première instance de l'arrêté du 11 décembre 2001 portant application de l'article 215 du code des douanes par l'arrêté du 3 juillet 2020 dont il résulte qu'à compter de cette date la régularité de la détention du tabac sous un aspect brut ne doit être appréciée qu'au regard de ce dernier article à l'exclusion du code général des impôts et du livre des procédures fiscales, elle a abandonné la taxation ;

Concernant la demande tendant à l'annulation des poursuites :

- qu'elle est dénuée d'objet en raison de l'abandon de celles-ci ;

Concernant la demande indemnitaire, qu'elle n'a commis aucune faute dans la mesure où :

- les procédures douanière et fiscale ont été engagées régulièrement et successivement, étant précisé qu'aucune mesure de confiscation des marchandises, laquelle ne peut intervenir que sur décision du tribunal correctionnel, n'a eu lieu ;

- la procédure de consignation puis de saisie des marchandises, à l'exclusion de toute mesure de confiscation, s'est déroulée régulièrement dans le respect de l'article 322, bis, du code des douanes, étant rappelé qu'aucun justificatif relatif au statut de la marchandise n'a été produit jusqu'au 27 mai 2019, de sorte que le délai écoulé entre le contrôle et cette date ne lui est pas imputable ;

- les prélèvements d'échantillons puis les tests ont été réalisés en application de l'article 67, quinquies, B, du code des douanes ainsi que de l'article 7 du décret n°2016-1443 du 26 octobre 2016 relatif aux modalités de prélèvements d'échantillons réalisés par les agents des douanes et selon les procédures juridiques et techniques applicables, alors que les deux tests réalisés par deux laboratoires différents, dont le second à la demande de la société, ont abouti à la même conclusion à savoir que le tabac transporté relève de la catégorie fiscale 'autre tabac à fumer' prévue à l'article 275, E, bis, de l'annexe II du code général des impôts et devait donc circuler sous couvert d'un titre de mouvement prévu à l'article 302, M, du code précité de sorte qu'en son absence les droits d'accises étaient exigibles ;

- le principe du contradictoire a été respecté tout au long de la procédure, ainsi qu'ils résulte des nombreux échanges intervenus et alors même que ce moyen ne peut être valablement invoqué dans la mesure où aucune poursuite n'a finalement été exercée ;

- elle n'a commis aucune violation de l'article L. 213 du livre des procédures fiscales dans la mesure où cette disposition n'était pas applicable au procès-verbal de constat du 14 février 2019 rédigé sur le fondement du code des douanes ;

Concernant l'absence de préjudice :

- que le constat d'huissier de justice réalisé le 22 mars 2022 démontre que la marchandise était stockée dans des conditions similaires à celles de son transport et ne présentait aucune trace de dégradation, de sorte que la perte irrémédiable de celle-ci n'est pas établie ;

- que les documents comptables rédigés en langue espagnole et non traduits sont irrecevables en application de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, étant observé que seule une perte de chance de réaliser un bénéfice est susceptible d'être indemnisée ;

- que la société n'établit pas le fait qu'elle aurait été empêchée de faire circuler ses lots de tabac par la France et qu'elle aurait de ce fait perdu une partie de sa clientèle, alors même qu'elle-même n'est pas responsable du refus de la société de se conformer à la réglementation, de sorte qu'elle ne caractérise ni le préjudice moral, ni la perte d'image, ni la perte de chiffre d'affaires qu'elle invoque ;

- que l'article 402 du code des douanes est inapplicable dans la mesure où la saisie a été réalisée sur le fondement du livre des procédures fiscales et non du code des douanes ;

Concernant la demande d'expertise :

- que celle-ci est sans objet en l'absence de caractérisation d'une faute lui étant imputable.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 5 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a débouté la société Lowiee Trade SL de sa demande d'expertise au motif de son caractère prématuré dans l'attente de la décision relative au caractère fautif ou non du comportement de l'administration et au lien de causalité entre une telle faute et l'état de la marchandise saisie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 18 avril suivant et mise en délibéré au 20 juin 2023.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

Motifs de la décision

- sur la demande formée par l'administration des douanes tendant à l'irrecevabilité des pièces numérotées 39 et 40, 47, 48, 50 et 51 communiquées par la société Lowiee Trade SL et à les écarter des débats :

L'article 111 de l'ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice impose la rédaction en langue française des actes de procédure.

Il en résulte que si toute décision de justice doit être rédigée en langue française, la prise en compte par le juge d'un document rédigé en langue étrangère relève de l'appréciation de sa force probante en vertu de son pouvoir souverain, sous réserve le cas échéant d'en préciser la signification en français dans sa décision.

Dès lors, la demande tendant à l'irrecevabilité et à écarter les pièces numérotées 39 et 40, 47, 48, 50 et 51 produites par la société Lowiee Trade SL, intégralement rédigées en langue espagnole, sera rejetée.

- Sur la demande tendant à l'annulation des procédures douanière et fiscale formée par la société Lowiee Trade SL :

La cour observe que le juge de première instance, après avoir, par de justes motifs qu'elle adopte, considéré que la demande tendant à l'annulation des procédures douanière et fiscale formée par la société Lowiee Trade SL est devenue sans objet, a cependant omis de statuer sur ce point dans le dispositif du jugement.

Celui-ci sera donc complété en ce sens.

- Sur les demandes indemnitaires formées par la société Lowiee Trade SL :

Concernant les fautes invoquées par la société Lowiee Trade SL :

Aux termes de l'article 401 du code des douanes, l'administration des douanes est responsable du fait de ses employés, dans l'exercice et pour raison de leurs fonctions seulement, sauf son recours contre eux ou leurs cautions.

La mise en oeuvre de cette responsabilité suppose la preuve d'un comportement fautif, d'un préjudice réel et certain et d'un lien de causalité direct entre la faute et le fait générateur et les dommages allégués, lequel ne peut être déduit notamment du simple abandon des poursuites.

En l'espèce, alors qu'il n'est pas contesté que seule la CMR a été présentée lors du contrôle par M. [Z] [O], chauffeur, il résulte du procès-verbal n° 3 de son audition réalisée le 14 février 2019 qu'il n'a pas été en mesure de fournir aux agents des douanes tout autre élément précis relatif à son chargement.

Il appartenait dès lors à l'administration de rechercher la qualification exacte des marchandises transportées au regard de la réglementation douanière, en usant des prérogatives de puissance publique lui étant confiées à cette fin par la loi et dans le respect des procédures applicables.

Etant observé que seule une mesure de consignation des marchandises est intervenue dans le cadre de la procédure douanière, contrairement aux affirmation de la société Lowiee Trade SL, la cour relève que l'article L. 213 du livre des procédures fiscales dont la violation est invoquée par cette dernière n'était pas applicable au procès-verbal de constat établi le 14 février 2019 rédigé sur le fondement du code des douanes.

Par ailleurs, le caractère contradictoire de la procédure résulte tant de l'audition du chauffeur gardien des marchandises que des échanges intervenus dès le 8 mars 2019 entre la société Lowiee Trade SL et l'administration fiscale.

Il en résulte que la société Lowiee Trade SL, indépendamment de ses contestations relatives à la nature des marchandises, à leur statut et à l'interprétation de la réglementation, n'établit aucune violation des dispositions fiscales et douanières encadrant sa mission dans le cadre des deux procédures successivement engagées.

La cour relève au surplus que les deux examens techniques successivement effectués, dont le second par le laboratoire national de métrologie et d'essais de [Localité 6] ne relevant pas de l'administration des douanes et dont le mode opératoire ne peut donc lui être reproché en tout état de cause, ont été réalisés dans des conditions non sérieusement remises en cause par la société Lowiee Trade SL.

Ces deux examens ont conclu au fait que l'échantillon de tabac peut être fumé, de sorte que la nécessité de ceux-ci, contestée par l'appelante, est néanmoins démontrée en ce que leur issue ne corrobore pas la position de cette dernière concernant la nature de la marchandise, indépendamment de la problématique liée à l'évolution de la réglementation.

Dès lors, la mise en oeuvre par l'administration des dispositions légales relatives à la consignation des marchandises, prolongée sur autorisation du procureur de la République de [Localité 3] le 21 février 2019, puis à leur saisie en application du livre des procédures fiscales, ainsi qu'aux prélèvements et analyses techniques visant à établir la nature de celles-ci ne revêt aucun comportement fautif alors même qu'il ne saurait être exigé de l'administration des douanes qu'elle puisse, dès le moment du contrôle, déterminer l'issue de la procédure, que l'abandon des poursuites ne constitue pas une faute et que la société Lowiee Trade SL n'établit pas qu'elle pouvait raisonnablement exclure toute infraction dès le 14 février 2019.

Concernant les préjudices invoqués par la société Lowiee Trade SL :

Pour donner lieu à indemnisation, le préjudice doit, indépendamment de son lien de causalité direct avec une faute imputable au responsable, revêtir un caractère certain.

L'appelante se limite à affirmer le caractère inutilisable de la marchandise, non démontré par les seuls constats d'huissier de justice réalisés le 21 mars 2022 lesquels consistent en des photographies et des consignations d'affirmations énoncées par les représentants de la société Lowiee Trade SL.

La cour relève en outre que cette dernière n'atteste ni de l'état exact des marchandises au jour du contrôle de nature à permettre un examen comparatif, ni de conditions de stockage différentes de celles du transport dans une simple remorque bâchée, tandis qu'il résulte de l'examen des pièces de procédure que l'appelante n'a communiqué à l'administration des douanes la facture relative à la marchandise - démontrant son origine communautaire - que le 27 mai 2019 et n'a formée une demande de mainlevée de la mesure de consignation que le 21 juin suivant, de sorte que le délai écoulé entre le jour du contrôle et le 21 juin 2019 n'est en tout état de cause pas imputable à l'administration.

Alors même que l'existence de la marchandise n'est pas contestée, la perte irrémédiable de celle-ci par impropriété à la vente n'est donc pas établie.

Concernant la perte de chiffre d'affaires, la société Lowiee Trade SL affirme sans l'établir qu'elle se trouvait, suite au contrôle et pendant de nombreux mois, dans l'incapacité de traverser le territoire national, étant observé qu'elle n'envisage aucun mode de transport alternatif tel que les voies aériennes et maritimes.

Alors même que seule la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires constitue un préjudice susceptible d'indemnisation, la cour observe que les pièces numérotées 39 et 40, 47, 48, 50 et 51, intégralement rédigées en langue espagnole et sans traduction même partielle, sont dépourvues de toute force probante.

A défaut d'établir que la consignation des marchandises a directement et immédiatement empêché la vente en France des produits commercialisés par l'appelante, de sorte que ses parts de marché auraient été affectées et qu'elle aurait été contrainte à un attentisme commercial dans l'attente de la levée des risques douanier et fiscal, le préjudice de perte de chiffre d'affaires n'est pas établi.

La société Lowiee Trade SL invoque enfin des préjudices moral ainsi que de perte de clientèle et d'image, sur le fondement de considérations générales relatives à son secteur d'activité et à la supposée réaction de ses clients ainsi que des administrations étatiques et régionales suite à la procédure, sans pour autant produire des pièces de nature à caractériser leur existence.

Les préjudices moral ainsi que de perte de clientèle et d'image ne sont donc pas établis.

Le jugement dont appel sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société Lowiee Trade SL de sa demande indemnitaire.

- Sur la demande formée par la société Lowiee Trade SL à hauteur de 1 % de la valeur des marchandises :

En application de l'article 402 du code des douanes, lorsqu'une saisie opérée en vertu de l'article 323-2 du même code, relatif à la retenue douanière, n'est pas fondée, le propriétaire des marchandises a droit à un intérêt d'indemnité, à raison de 1 % par mois de la valeur des objets saisis, depuis l'époque de la retenue jusqu'à celle de la remise ou de l'offre qui lui en a été faite.

Il résulte des pièces de procédure produites aux débats que n'a été mise en oeuvre, sur le fondement du code des douanes, qu'une seule mesure de consignation, diligentée par ailleurs sur le fondement de l'article 322 bis du code précité.

La saisie des marchandises n'a été effective qu'en vertu du procès-verbal n° 2 portant la référence 19035C00036 établi le 19 septembre 2019 à 15 heures 20 sur le fondement, non pas du code des douanes, mais des articles L. 212A, L. 213 et R. 226-2 du livre des procédures fiscales.

L'article 402 du code des douanes n'est donc pas applicable au cas d'espèce.

Au surplus, le caractère infondé de la mesure de saisie n'est pas établi en considération des motifs ci-avant exposés.

Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Lowiee Trade SL de sa demande formée à ce titre.

- Sur la demande subsidiaire d'expertise :

En considération de la confirmation du rejet de la demande indemnitaire formée par la société Lowiee Trade SL, sa demande tendant à voir ordonner une expertise judiciaire aux fins de déterminer si le tabac est utilisable ou non pour l'industrie au regard de ses conditions de conservation est sans objet.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

Déboute la direction régionale des douanes et droits indirects de Besançon de sa demande tendant à l'irrecevabilité des pièces numérotées 39 et 40, 47, 48, 50 et 51 communiquées par la société de droit espagnol Lowiee Trade SL et à les voir écarter des débats ;

Complète le jugement rendu entre les parties le 27 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Besançon en ce que la demande tendant à l'annulation des procédures douanière et fiscale formée par la société de droit espagnol Lowiee Trade SL est devenue sans objet ;

Confirme, dans les limites de l'appel, ledit jugement ainsi complété ;

Déboute la société de droit espagnol Lowiee Trade SL de sa demande subsidiaire d'expertise ;

La condamne aux dépens d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la société de droit espagnol Lowiee Trade SL de sa demande et la condamne à payer à la direction régionale des douanes et droits indirects de Besançon la somme de 1 500 euros.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01711
Date de la décision : 20/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-20;21.01711 ?
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