ARRET N° 23/
FD/XD
COUR D'APPEL DE BESANCON
ARRET DU 26 MAI 2023
CHAMBRE SOCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 21 Avril 2023
N° de rôle : N° RG 22/00458 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EPVE
S/appel d'une décision
du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTBÉLIARD
en date du 10 février 2022
code affaire : 80P
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
APPELANTE
S.A.S. PSA AUTOMOBILES SA, sise [Adresse 2]
représentée par Me Hervé GUY, avocat au barreau de MONTBELIARD
INTIME
Monsieur [L] [M], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jean-charles DAREY, avocat au barreau de BELFORT
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile l'affaire a été débattue le 21 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame DOMENEGO Florence, conseiller, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Christophe ESTEVE, président de chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, conseiller
Mme Florence DOMENEGO, conseiller
qui en ont délibéré,
Mme Cécile MARTIN, greffier lors des débats
M Xavier DEVAUX, directeur de greffe, lors de la mise à disposition
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 26 Mai 2023 par mise à disposition au greffe.
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Statuant sur l'appel interjeté le 11 mars 2022 par la SA PSA AUTOMOBILES du jugement rendu le 10 février 2022 par le conseil de prud'hommes de Montbéliard qui, dans le cadre du litige l'opposant à M. [L] [M], a :
- dit que le licenciement de M. [L] [M] était dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamné la SA PSA AUTOMOBILES à payer à M. [L] [M] les sommes suivantes :
- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- dit que la SA PSA AUTOMOBILES devra transmettre à M. [L] [M], dans un délai d'un mois à compter de la présente décision, de nouveaux éléments de fin de contrat rectifiés (certificat de travail, attestation PÔLE EMPLOI, reçu pour solde de tout compte), sous peine d'être condamné, passé ce délai, à une astreinte de 20 euros par jour de retard ;
- débouté les parties de leurs autres demandes
- condamné la SA PSA AUTOMOBILES aux dépens ;
Vu les dernières conclusions transmises le 8 juin 2022, aux termes desquelles la SA PSA AUTOMBILES, appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
- débouter M. [L] [M] de l'ensemble de ses demandes
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
- subsidiairement, statuer à nouveau sur le montant des dommages-intérêts alloués à M. [M] sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 du Code du travail et les réduire à la seule proportion du préjudice souffert
- en toute hypothèse, débouter M. [M] de sa demande formée au titre de son préjudice moral
- réduire le montant des dommages-intérêts à plus juste proportion
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
Vu les dernières conclusions transmises le 2 septembre 2022, aux termes desquelles M. [L] [M], intimé, demande à la cour de :
- confirmer le jugement dans l'ensemble de ses dispositions
- condamner la SA PSA AUTOMOBILES à lui régler la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 9 mars 2023 ;
SUR CE
EXPOSE DU LITIGE :
Selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 3 octobre 1997, la société PEUGEOT a engagé M. [L] [M] en qualité d'agent professionnel de fabrication APF1 au coefficient 170.
Le 5 septembre 2017, Mme [B] [S] a dénoncé à sa direction les agissements déplacés de M. [L] [M] à son encontre.
Le 7 septembre 2017, la SA PEUGEOT AUTOMOBILES a notifié à M. [L] [M] une mise à pied à titre conservatoire et a convoqué ce dernier à un entretien préalable, avant de le licencier pour cause réelle et sérieuse le 27 septembre 2017, lui reprochant son comportement et les propos à connotation sexuelle et sexiste tenus à l'égard de cette salariée.
Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [L] [M] a saisi le 22 janvier 2018 le conseil de prud'hommes de Montbéliard aux fins de voir dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement et d'obtenir diverses indemnisations, saisine qui a donné lieu au jugement entrepris.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I - Sur la rupture du contrat de travail :
Aux termes de l' article L 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit avoir une cause réelle et sérieuse.
Si la charge de la preuve n'incombe pas particulièrement à une des parties, il appartient cependant à l'employeur d'alléguer les faits sur lesquels il fonde le licenciement en fournissant les éléments propres à caractériser le caractère sérieux et réel des motifs invoqués.
Si un doute subsiste, il doit profiter au salarié en application de l'article L 1235-1 du code du travail.
En l'espèce, la lettre de licenciement, aux termes de laquelle la cour se réfère pour un plus ample exposé de sa teneur et qui fixe les limites du litige, reproche à M. [M] :
- d'avoir eu des comportements répétés et des propos intolérables à l'encontre de Mme [B] [S], intérimaire
- de lui avoir ainsi proposé à de nombreuses reprises des relations sexuelles malgré ses demandes de cesser ce genre de sollicitations
- d'avoir eu à son égard un geste physiquement déplacé
- de l'avoir conduite à en saisir la direction le 5 septembre 2017, dès lors que ces différents agissements avaient pour conséquence de créer à son encontre une situation hostile et offensante
- d'avoir ainsi adopté un comportement en inadéquation avec les valeurs de l'entreprise prônant la diversité, la cohésion sociale et l'égalité hommes-femmes.
Pour en justifier, l'employeur produit l'attestation de Mme [B] [S] (pièce 5), relatant les propositions à connotation sexuelle dont elle aurait régulièrement fait l'objet depuis le mois de juillet 2017 et l'incident du 5 septembre 2017, au cours duquel, lors d'une pause, M. [M] serait venu lui 'toucher le côté de sa poitrine'. Il communique également l'attestation de M. [N] [A], intérimaire au service montage, (pièce 6) , indiquant que Mme [S] s'était plainte auprès de lui que 'M. [M] était collant' et qu'il l'avait vu 'tapoter ses gants dans le bas du dos de [B] [S] autour du 7 septembre 2017" et l'attestation de Mme [W] [R] témoignant des propos de nature sexuelle de type 'tu as une forte poitrine - je te ferais bien une branlette espagnole - ton pantalon te serre bien les fesses, tu portes des strings '' que ce dernier lui aurait tenus à son arrivée en août 2016, avant qu'elle le mette en garde d'en informer sa hiérarchie. ( pièce 7)
De telles attestations ont été réunies au cours de l'enquête interne que l'employeur a diligentée aprèsdénonciation par Mme [S] des faits à M. [Y], son supérieur hiérarchique, et dont il a justifié auprès des gendarmes enquêtant sur le dépôt de plainte effectué par Mme [S] le 6 septembre 2017.
Si M. [M] conteste tout comportement de nature sexuelle ou sexiste commis à l'encontre de Mme [S], comme de manière plus générale à l'encontre de Mme [R] et de la personne ayant pu déclarer lors de l'enquête interne, sous le sceau de l'anonymat, 'ne pas vouloir se trouver seule avec lui', M. [F] [Y] a cependant confirmé lors de son audition par les gendarmes que s'il n'avait rien vu, Mme [S] s'était plainte auprès de lui le 5 septembre 2017 que M. [M] 'lui faisait des propositions et essayait de la toucher', ce qui l'avait conduit, après avoir vérifié qu'ils travaillaient sur la ligne 'vraiment pas loin l'un de l'autre', à les séparer et à affecter M. [M] sur une toute autre ligne sous la responsabilité de M. [F] [V].
En conséquence, quand bien même la déposition de Mme [S] désigne M. [L] '[P]' et mentionne un horaire de prise de poste à 5 heures du matin, incompatible avec une pause à 17 heures, de telles erreurs ressortent comme purement matérielles et n'affectent sans aucune méprise possible l'identité de l'auteur et les circonstances de lieu et de temps des faits, ce qu'a relevé M. [Y] dans son procès-verbal d'audition complémentaire du 23 septembre 2017.
Par ailleurs, si M. [M] soutient ne s'être entretenu 'qu'une seule fois au sein de l'usine' avec la salariée intérimaire depuis son embauche, alors que Mme [S] a revendiqué devant les gendarmes 'avoir sympathisé' avec lui à son arrivée dans le service, ce salarié a cependant admis devant les gendarmes avoir eu le 4 septembre 2017 ' une conversation plus tôt au sujet de ses problèmes personnels', et 'd'être retourné la voir durant une micro panne pour s'enquérir de sa situation' et alors qu'il se retournait pour repartir, avoir eu une 'faiblesse aux genoux', 'avoir trébuché' et 'alors qu'il chutait, se trouvant face à elle, avoir eu le malheur de poser sa main, poing fermé, à hauteur de son épaule - pli de l'aisselle', confirmant ainsi a minima l'existence d'un contact physique entre les deux salariés, à tout le moins non-souhaité par Mme [S].
M. [M] ne disconvient pas également avoir été propriétaire sur la période concernée d'un camion aménagé, auquel tant Mme [M] que Mme [R] ont pu faire référence dans leurs dépositions comme lieu préconisé par l'intimé pour se livrer aux activités sexuelles recherchées.
Les propos de Mme [S], quand bien même cette dernière a présenté des approximations dans la description des faits et qu'elle connaissait des conditions de vie précaires ou instables comme soulevé par l'intimé, ne présentent en conséquence pas 'l'inconsistance et l'incohérence' retenues par les premiers juges.
Reste cependant qu'aucun témoin n'a assisté à l'agression dont Mme [S] s'est dite victime le 5 septembre 2017 ; que les collègues de M. [M] auditionnés par les gendarmes n'ont pas corroboré l'existence d'un comportement déviant de ce salarié et que les éléments médicaux transmis par l'intimé témoignent des difficultés de santé qu'il rencontre du fait des gonalgies développées et qui ont conduit à un aménagement de son poste de travail à compter du 1er septembre 2017 .
Il ne peut dès lors être excipé de la seule audition de M. [D], responsable des ressources humaines, faisant état que 'plusieurs femmes lui avaient confirmé une attitude et des propos très orientés vers le sexe', la réalité de l'agression physique et du harcèlement sexuel dont aurait fait l'objet Mme [S] le 5 septembre 2017 et depuis son arrivée dans le service.
Un doute sur le comportement adopté par M. [M] à l'égard de Mme [S] demeure, lequel doit lui bénéficier comme l'ont retenu à raison les premiers juges, faisant ainsi écho au classement sans suite décidé dans le cadre de la procédure pénale pour 'infraction insuffisamment caractérisée'.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [M].
II - Sur l'indemnisation des préjudices subis :
- pour l'absence de cause réelle et sérieuse :
Le licenciement ayant été prononcé le 27 septembre 2017, soit après la date de publication de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, les nouvelles dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail doivent s'appliquer, lesquelles prévoient que lorsque le salarié présente une ancienneté de 20 ans, l'indemnité due en cas d'absence de cause réelle et sérieuse doit être fixée entre 3 mois et 15,5 mois.
En l'état, les premiers juges ont alloué la somme de 30 000 euros, soit 13,77 mois de salaires sur la référence d'un salaire moyen annuel de 2 178,26 euros.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, une telle indemnisation ressort comme adaptée au préjudice subi par le salarié, lequel présentait une ancienneté sans passé disciplinaire importante et a mis plusieurs mois à retrouver une activité professionnelle stable, dans des conditions cependant proches de celles préalablement connues auprès de PSA AUTOMOBILES comme en témoignent les avis d'imposition produits.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
- pour le préjudice moral :
En l'espèce, l'employeur fait grief aux premiers juges d'avoir d'avoir alloué à M. [M] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi.
Si M. [M] se prévaut certes d'un certificat médical de son médecin traitant en date du 7 septembre 2017 faisant état d'un 'choc psychologique', ce dernier ne démontre cependant pas, alors qu'une telle charge de la preuve lui incombe, 'les agissement ayant délibérément pour objet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant et offensant' qu'il impute dans ses conclusions à son employeur.
Il ne justifie pas plus des circonstances vexatoires dans lesquelles le licenciement aurait été prononcé.
Ce dernier est en effet intervenu sans la publicité infamante invoquée par le salarié, M. [M] étant en arrêt maladie lors de la notification de la rupture du contrat de travail et ayant au surplus bénéficié d'une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec l'octroi de l'ensemble des indemnités auxquelles il pouvait prétendre.
Ces circonstances vexatoires ne sauraient pas plus résulter de l'enquête à laquelle s'est livré préalablement l'employeur et qui impliquait l'audition de plusieurs collègues de travail, dès lors que de telles démarches, qui emportaient un minimum de publicité, s'imposaient à la SA PSA AUTOMOBILES en application des dispositions des articles L 1153-5 et L 1153-6 du code du travail, quand bien même M. [M] n'était pas le supérieur hiérarchique de Mme [S].
C'est donc à tort que les premiers juges ont alloué à M. [M] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, en l'absence de toute faute commise par l'employeur.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef.
III - Sur les autres demandes :
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à remettre, dans le délai d'un mois, de nouveaux documents de fin de contrat rectifiés (certificat de travail, attestation Pôle Emploi et reçu pour solde de tout compte) sauf s'agissant de l'astreinte, injustifiée en l'état.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
La SA PSA AUTOMOBILES supportera les dépens et sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA PSA AUTOMOBILES sera condamnée à payer à M. [M] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi, :
- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Montbéliard en date du 10 février 2022 sauf en ce qu'il a condamné la SA PSA AUTOMOBILES à payer à M. [L] [M] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et a assorti d'une astreinte la remise des documents de fin de contrat rectifiés
Statuant à nouveau des chefs de jugement infirmés et y ajoutant :
- Déboute M. [L] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
- Dit n'y avoir lieu à assortir d'une astreinte la remise des documents de fin de contrat rectifiés au regard du présent arrêt
- Condamne la SA PSA AUTOMOBILES aux dépens d'appel
- Et vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SA PSA AUTOMOBILES à payer à M. [L] [M] la somme de 1 500 euros et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt six mai deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, président de chambre, et Xavier DEVAUX, directeur de greffe.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT DE CHAMBRE,