ARRÊT N°
BM/LZ
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 16 MAI 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Audience publique du 23 Mars 2023
N° RG 22/00502 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EPXV
S/appel d'une décision du tribunal judiciaire de LONS-LE-SAUNIER en date du 02 mars 2022 [RG N° 20/00681]
Code affaire : 61B - Demande en réparation des dommages causés par un produit ou une prestation de services défectueux
[T] [V] C/ S.A. BERIC, S.A.S. SOC ETS BENSOUSSAN COMPTOIR D'ORIENT
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [T] [V]
né le 03 Février 1919 à [Localité 3]
de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Yannick GAY, avocat au barreau de JURA
APPELANT
ET :
S.A. BERIC
RCS de LONS LE SAUNIER n° B 350 251 211,
sise [Adresse 4]
Représentée par Me Stéphane BILLAUDEL de la SELARL FAVOULET - BILLAUDEL - DODANE, avocat au barreau de JURA
S.A.S. SOC ETS BENSOUSSAN COMPTOIR D'ORIENT
RCS de Lyon n° 313 424 640
sise [Adresse 1]
Représentée par Me Aurélie DEGOURNAY de la SELAS AGIS, avocat au barreau de JURA
INTIMÉES
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame B. MANTEAUX, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Monsieur F. JAY, Greffier.
Lors du délibéré :
Madame B. MANTEAUX, conseiller, a rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur M. WACHTER, Président et Monsieur J.F. LEVEQUE, conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 23 mars 2023 a été mise en délibéré au 16 mai 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Exposé des faits et de la procédure
Le 18 août 2018, Monsieur [T] [V] a acheté auprès la SA Beric exerçant sous l'enseigne Intermarché de Dole Epenottes une barquette d'olives noires comportant une étiquette mentionnant que celles-ci étaient dénoyautées.
Suite à cet achat, M. [V] s'est plaint à la société Beric, en rapportant la barquette au magasin, de s'être cassé deux prothèses amovibles de son appareil dentaire en mangeant l'une de ces olives qui s'est avérée non dénoyautée. La présence d'olives non dénoyautées dans une barquette portant une étiquette « olives dénoyautées » a été constatée par la direction du magasin qui a supprimé de la vente l'ensemble des barquettes affectées de ce problème ; son fournisseur contacté, la SAS Soc ETS Bensoussan Comptoir d'Orient (ci-après désignée société Bensoussan), a reconnu une erreur d'étiquetage sur tout un lot de seaux d'olives.
Saisi par assignation délivrée par M. [V] à la société Beric en date du 1er septembre 2020 aux fins d'indemniser son préjudice, et par une assignation aux fins d'appel en garantie délivrée le 19 novembre 2020 par la société Beric à la société Bensoussan, procédures ayant fait l'objet d'une jonction, le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier a, par jugement rendu le 2 mars 2022, débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer à la SA Beric et à la société Bensoussan, chacune, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que, bien que la preuve du défaut d'étiquetage sur la barquette achetée par M. [V] et de la présence de noyaux dans les olives de cette barquette ait été rapporté, celui-ci échouait à prouver que le noyau avait bien été la cause de l'endommagement de son appareil dentaire, en raison de l'absence de date de consultation de l'orthodontiste et au vu du nombre de prothèses endommagées (10) selon son devis alors que seules deux prothèses étaient visées initialement.
Par déclaration parvenue au greffe le 22 mars 2022, M. [V] a régulièrement interjeté appel de ce jugement
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 23 mars 2023 et mise en délibéré au 16 mai 2023.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Selon conclusions transmises le 22 juin 2022, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de :
- « constater » que les manquements par la société Beric à ses obligations d'informations, de délivrance conforme et la délivrance d'un produit défectueux lui ont occasionné des préjudices directs et certains ;
- « dire et juger » que la société Beric a l'obligation d'indemniser les préjudices subis par son consommateur,
- « prendre acte » de l'intervention de la société Bensoussan et « statuer » ce que de droit sur l'appel en garantie formulé à son encontre par la société Beric ;
$gt; à titre principal :
- condamner in solidum la société Beric et la société Bensoussan à lui payer les sommes de :
2 725,50 euros au titre du remplacement de ses prothèses dentaires (3 220 euros - 494,50 euros pris en charge au titre des remboursements sociaux),
42 120 euros selon décompte à parfaire soit 30 euros par jour sans prothèse à compter du 18 août 2018 et ce, jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir, au titre de la réparation des préjudices esthétiques, de la gêne fonctionnelle, du préjudice social et, de manière générale, sur la dimension morale du préjudice qu'il a enduré et du caractère abusif de la résistance qui lui a été opposée ;
$gt; à titre subsidiaire :
- ordonner une expertise médicale en désignant tout expert qu'il plairait à la cour de nommer en lui impartissant la mission de l'expertiser pour établir et chiffrer les réalités des préjudices découlant du sinistre de la cause consécutif aux fautes de la société Beric et la société Bensoussan ;
$gt; en tout état de cause :
- condamner in solidum la société Beric et la société Bensoussan à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Beric aux entiers dépens.
Il fait valoir que la preuve du lien de causalité peut reposer sur des indices précis, graves et concordants et qu'en l'espèce, ces indices sont présents au regard de la concomitance entre la consommation du produit défectueux, la consultation du dentiste et la reconnaissance de responsabilité tant de la société Beric que de la société Bensoussan.
Il indique que le défaut de résolution de ce litige depuis 2018, malgré les propositions de résolution amiable et ce, du fait de la carence de la société Beric, et l'impossibilité pour lui d'avancer la somme de 2 725, 50 euros pour refaire son appareil dentaire, l'ont contraint à devoir manger de la nourriture non solide, à se présenter dans certains lieux sans dentition, ce qui a atteint son moral.
La société Beric a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 27 juillet 2022 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
$gt; à titre principal :
- déclarer M. [V] irrecevable, à tout le moins non fondé, en ses demandes dirigées contre elle, seule la responsabilité du producteur, la société Bensoussan, pouvant être retenue sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux ;
$gt; à titre subsidiaire :
- condamner la société Bensoussan à la garantir pour toute condamnation éventuellement prononcée à son encontre au bénéfice de M. [V] au titre des défauts affectant la barquette d'olives vendue ;
$gt; en tout état de cause :
- le débouter de l'intégralité de ses demandes ;
- le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens.
Elle soutient que la défectuosité du produit de la société Bensoussan est avérée et reconnue par cette dernière et qu'elle-même n'étant qu'un intermédiaire distributeur du produit, n'a pas commis de faute ; or, par application du régime spécial de responsabilité de la garantie des produits défectueux, la connaissance par la victime de l'identité du producteur du dit produit défectueux exclut qu'elle puisse rechercher conjointement la responsabilité du simple vendeur sauf à démontrer une faute de ce dernier étrangère à la défectuosité intrinsèque du produit défectueux.
Sur la demande subsidiaire au titre de la chaîne des contrats, elle expose qu'elle-même n'a pas modifié le produit de la société Bensoussan avant sa vente, le défaut affectant la barquette d'olives existant déjà lorsqu'elle en a fait l'acquisition ; elle demande donc à être garantie par la société Bensoussan qui ne conteste pas sa responsabilité.
Elle conteste le lien causal entre la présence du noyau et le bris de l'appareil dentaire dont on ne sait dans quel état il se trouvait avant ce repas et le fait qu'une autre cause peut être intervenue. Subsidiairement, elle demande également que le préjudice soit limité au coût du remplacement des prothèses soit 2 725,50 euros en indiquant que l'inertie de M. [V] qui n'a pas procédé à la remise en état immédiate de ses prothèses est l'unique cause de son préjudice.
Elle s'oppose à la demande d'expertise formulée à hauteur de cour aux motifs d'une part qu'une mesure d'instruction ne peut suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve et que cette expertise n'éclairera pas la juridiction sur le lien de causalité entre l'olive litigieuse et les préjudices de M. [V].
La société Bensoussan a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 22 septembre 2022 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamner tout succombant à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- l'obligation de délivrance dont M. [V] se prévaut ne lui est pas opposable puisqu'elle n'est pas partie au contrat de vente liant la société Beric et M. [V] ;
- elle s'en rapporte à justice quant à la prospérité de l'appel en garantie formé par la société Beric à son encontre ;
- la société Beric a mis M. [V] en mesure de prendre langue avec elle voire avec son assureur, ce, aux fins de solution amiable du litige qu'il élève aux termes de son acte introductif d'instance, et qu'il s'est pourtant abstenu pendant de nombreux mois, de prendre attache avec elle ou son assureur, laissant potentiellement sa santé dentaire se détériorer ;
- M. [V] ne justifie d'aucun lien de causalité entre le préjudice qu'il affirme subir, et la prétendue défectuosité de la barquette d'olives qu'il a acquise auprès de la société Beric ;
- en tout état de cause, M. [V] ne justifie pas utilement du préjudice qu'il allègue.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Par application des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil, le producteur est responsable des atteintes à la personne causées par un défaut de son produit.
L'article 1245-6 du code civil dispose que si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents.
En l'espèce, le producteur du produit a été identifié, de sorte que la responsabilité de la société Beric, en sa qualité de distributeur, ne peut être recherchée sur le fondement de la garantie des produits défectueux. Par ailleurs, M. [V] ne fait état d'aucune faute de la société Beric distincte du défaut de sécurité du produit liée à l'erreur d'étiquetage et ne prouve pas l'existence d'un défaut de conformité ou d'un vice caché distincts de la présence de noyaux dans la barquette.
Dès lors, les demandes formées par M. [V] contre le distributeur, la société Beric, quels que soient leurs fondements juridiques, doivent être déclarées irrecevables.
Il appartient à la victime, par application de l'article 1245-8 du code civil de prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité : la preuve peut se faire par tous moyens et notamment par présomptions ou indices précis, graves et concordants. (1re Civ. 21 oct. 2020, n°19-18.689)
Les intimées s'accordent à reconnaître le défaut de la barquette vendue à M. [V] résultant d'une erreur d'étiquetage et le fait qu'immédiatement après sa consommation, ce dernier est venu se plaindre du défaut auprès de la société Beric, dans le magasin où il avait acheté le produit litigieux.
Le défaut est également établi par les pièces versées aux débats (preuve de l'achat, mention apposée sur le ticket d'achat d'une préposée de la société Beric lors de la réclamation, mail en date du 24 août 2018 émanant du dirigeant de la société Bensoussan reconnaissant une erreur d'étiquetage sur tout un lot).
M. [V] verse en outre aux débats un courrier du Docteur [G], chirurgien dentiste, indiquant, qu'il a été consulté par M. [V] le lundi 4 septembre 2018 à la suite de l'accident survenu le 20 août et qu'il a pu constater que le crochet de la dent 23 était cassé, que la résine du palais de l'appareil haut était cassée et la résine au niveau de la dent 46 présentait une fissure importante; il précise que les deux appareils sont donc à refaire.
Au vu de la proximité des faits entre la plainte à la société Beric, la reconnaissance du défaut et celle du constat par le dentiste et son devis, les indices sont suffisamment précis, graves et concordants pour établir que le bris de l'appareil dentaire de M. [V] résulte du fait qu'il ait mordu dans une olive qu'il croyait dénoyautée.
La cour, infirmant le jugement, dit la société Bensoussan responsable du préjudice subi par M. [V] relatif au bris de son appareil dentaire et la condamne à lui verser la somme de 2 725,50 euros au titre du préjudice matériel en résultant.
M. [V] sollicite l'indemnisation de son préjudice esthétique, de son préjudice de gêne fonctionnelle, du préjudice social et du préjudice moral enduré et du caractère abusif de la résistance qui lui a été opposée par les intimées.
Or, il n'apporte aucun élément sur les autres préjudices qu'il invoque ; il n'établit pas qu'il n'avait pas les moyens financiers, directement ou par son assureur ou sa mutuelle, d'obtenir l'avance du coût de remplacement de son appareil dentaire ; en dehors d'un courrier de son assureur en 2019 et d'un autre de son avocat en 2020, il ne justifie pas des démarches qu'il aurait vainement tentées pour obtenir l'indemnisation de son préjudice ; la seule carence de la société Beric, qui conteste à juste titre sa responsabilité, à une convocation devant un conciliateur de justice en août 2020 ne suffit pas à établir la résistance abusive des intimées.
La cour confirme le jugement qui a rejeté l'indemnisation de ses autres préjudices.
Il y a lieu de condamner la société Bensoussan aux dépens et au versement à M. [V] de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel et de condamner M. [V] à verser à la société Beric la somme de 1 000 euros au même titre.
Dispositif : Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :
Infirme le jugement rendu entre les parties le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier sauf en qu'il a débouté M. [T] [V] de ses demandes d'indemnisation au titre de ses préjudices esthétique, de gêne fonctionnelle, social et moral ;
Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare M. [T] [V] irrecevable en ses demandes dirigées contre la SA Beric ;
Déclare la SAS Soc Ets Bensoussan Comptoir d'Orient responsable du préjudice matériel de M. [T] [V] relatif au bris de son appareil dentaire ;
Condamne la SAS Soc Ets Bensoussan Comptoir d'Orient à verser à M. [T] [V] la somme de 2 725,50 euros au titre du remplacement de ses prothèses dentaires ;
Condamne la SAS Soc Ets Bensoussan Comptoir d'Orient aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais tant de première instance que d'appel, déboute la SAS Soc Ets Bensoussan Comptoir d'Orient de ses demandes, condamne cette dernière à verser la somme de 2 500 euros à M. [T] [V] et condamne ce dernier à verser à la SA Beric la somme de 1 000 euros.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Leila Zait, greffier.
Le greffier, Le président de chambre,