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02/05/2023 | FRANCE | N°21/00989

France | France, Cour d'appel de Besançon, 1ère chambre, 02 mai 2023, 21/00989


ARRÊT N°



CS/LZ



COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 02 MAI 2023



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE





Audience publique du 28 février 2023

N° RG 21/00989 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EMGK



S/appel d'une décision du tribunal judiciaire de Besançon en date du 20 avril 2021 [RG N° 18/01621]

Code affaire : 63B - Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice





[G] [V] C/ [N] [H], [K] [E]






PARTIES EN CAUSE :





Madame [G] [V]

née le [Date naissance 4] 1959 à [Localité 10]

de nationalité française

demeurant [Adresse 8]



Représentée par Me Laurent MORDEFR...

ARRÊT N°

CS/LZ

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 02 MAI 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Audience publique du 28 février 2023

N° RG 21/00989 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EMGK

S/appel d'une décision du tribunal judiciaire de Besançon en date du 20 avril 2021 [RG N° 18/01621]

Code affaire : 63B - Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice

[G] [V] C/ [N] [H], [K] [E]

PARTIES EN CAUSE :

Madame [G] [V]

née le [Date naissance 4] 1959 à [Localité 10]

de nationalité française

demeurant [Adresse 8]

Représentée par Me Laurent MORDEFROY de la SELARL ROBERT & MORDEFROY, avocat au barreau de [V]

APPELANTE

ET :

Maître [N] [H]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 11]

de nationalité française

demeurant [Adresse 7]

Représenté par Me Vanessa MARTINVAL de la SCP MAYER-BLONDEAU GIACOMONI DICHAMP MARTINVAL, avocat au barreau de [V]

Monsieur [K], [P] [E]

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 9]

Demeurant [Adresse 6]

Représenté par Me Camille BEN DAOUD de la SELARL HBB AVOCAT, avocat au barreau de [V]

INTIMÉS

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, Conseillers.

GREFFIER : Madame Leila Zait, Greffier

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre

ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, Conseillers.

L'affaire, plaidée à l'audience du 28 février 2023 a été mise en délibéré au 02 mai 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Faits, procédure et prétentions des parties

Mariés le [Date naissance 3] 1978, Mme [G] [V] et M. [K] [E] s'accordent sur le fait d'avoir signé, en présence de leurs avocats respectifs et de Maître [N] [H], notaire :

- une première convention le 12 novembre 2013 par laquelle, en considération de leur accord sur le principe de leur divorce, est prévu le versement d'une prestation compensatoire par Mme [V] à son époux permettant à ce dernier 'de disposer d'une somme globale de 150 000 euros droits de monsieur dans la communauté inclus' ainsi que le principe d'une récompense due par la communauté à l'épouse au titre de l'emploi de fonds propres lors de l'acquisition du bien immobilier commun situé [Adresse 5] en cours de cession ;

- une seconde convention le 28 février 2014 par laquelle ils ont fixé les modalités de répartition du produit de la vente de cet actif sur la base de l'acte précédent, à savoir 195 000 euros à Mme [V] et 150 000 euros à M. [E] et donné mandat à Me [H] de libérer les fonds correspondant après prélèvement concernant le second 'de la somme de 110 188 euros à verser à la Caisse d'Epargne'.

Leur divorce a été prononcé par jugement rendu le 5 décembre 2016 par le juge aux affaires familiales de [V] par lequel M. [E] a, sur demande de Mme [V], été débouté de sa demande de prestation compensatoire formée à hauteur de la somme de 89 128 euros conformément aux actes passés entre époux antérieurement au divorce.

Par acte signifié à domicile le 18 juillet 2018, Mme [V] a assigné Me [H] devant le tribunal de grande instance de [V] en sollicitant, outre frais irrépétibles et dépens, sa condamnation à lui payer la somme indemnitaire de 89 128 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 18 mars 2017.

Invoquant un préjudice équivalent au montant d'une créance détenue sur M. [E] suite à la somme qu'il a perçue à tort dans la mesure où ses droits dans le partage de la communauté auraient dû être de 60 872 euros et non pas de 150 000 euros après déduction de la somme litigieuse de 89 128 euros, somme qu'il n'est pas en capacité de lui rembourser, elle reprochait au notaire les fautes suivantes :

- leur avoir fait signer le 12 novembre 2013, soit avant l'introduction de l'instance en divorce,

un acte nul en vertu de l'article 265-2 du code civil puisque portant sur une prestation compensatoire et sur le partage de leur patrimoine commun ;

- avoir réparti le prix de vente de leur bien immobilier commun en application de cette première convention et non pas selon les véritables droits de chacun ;

- avoir libéré les fonds issus de la vente du bien commun des époux alors que ces fonds auraient dû être séquestrés dans l'attente de la décision du juge aux affaires familiales.

Par acte signifié à personne le 12 septembre 2019 et dont l'instance subséquente a été jointe à la première procédure, Me [H] a fait assigner en garantie M. [E].

Sollicitant le rejet des demandes formées à son encontre, il contestait en première instance tant les fautes lui étant reprochées que le préjudice invoqué par Mme [V], faisant valoir :

- qu'il s'est limité à recueillir l'accord des parties assistées de leurs avocats, par lequel les époux avaient convenu que M. [E] perçoive la somme de 150 000 euros lui permettant de racheter un bien immobilier, alors que sans cet engagement il n'aurait pas accepté de vendre le bien commun et de signer un procès-verbal d'acceptation du principe de la rupture du mariage ;

- que seule la faute commise par Mme [V] qui n'a pas respecté son engagement en revenant sur l'accord des époux est à l'origine du préjudice qu'elle allègue ;

- qu'elle a soulevé de mauvaise foi le moyen tiré de la nullité de l'acte du 12 novembre 2013 puisqu'elle a concouru à son élaboration ;

- qu'elle pourra faire valoir sa créance dans le cadre de la liquidation de la communauté dans la mesure où les sommes débloquées par ses soins au titre de la vente du bien commun constituaient de simples avances de communauté ;

- que le préjudice allégué ne peut en tout état de cause consister qu'en une perte de chance ;

- que s'il était condamné à régler la somme réclamée par Mme [V], il serait créancier de M. [E] par subrogation dans les droits de cette dernière.

M. [E] sollicitait du tribunal le rejet des demandes présentées par Me [H] et sa condamnation au titre des frais irrépétibles et des dépens, subsidiairement et à titre reconventionnel sa condamnation à le relever et garantir de toutes sommes mises à sa charge en faisant valoir :

- que le notaire a commis une faute en dictant l'acte sous seing privé du 12 novembre 2013 et ne précise pas le fondement juridique de sa demande de garantie ;

- que lui même n'a commis aucune faute en recevant la somme de 89 128 euros résultant d'un accord entre époux sans que le notaire ne leur délivre aucune information sur ses implications en dehors de toute procédure de divorce ni mise en garde sur les risques d'un changement de position de l'un d'entre-eux ;

- qu'il n'existe ni indû ni enrichissement puisque la somme de 150 000 euros payée en vertu d'un accord entre époux n'a pas à revenir même partiellement au notaire, outre le fait qu'il serait dans l'incapacité de rembourser la somme réclamée compte tenu de sa situation financière.

Par jugement rendu le 20 avril 2021, le tribunal judiciaire de [V] :

- a condamné Me [H] à payer à Mme [V] la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts et a débouté cette dernière du surplus de sa demande principale ;

- a débouté Me [H] de ses demandes formées à l'encontre de M. [E] ;

- a condamné Me [H], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [V] la somme de 1 500 euros et à M. [E] la somme de 1 500 euros ;

- l'a débouté de ses demandes présentées sur ce même fondement ;

- l'a condamné aux dépens avec distraction ;

- a ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance, rappelant qu'en application de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, le notaire engage sa responsabilité quasi-délictuelle pour faute dans le cadre des actes qu'il rédige et des opérations qu'il accomplit dans la mesure où ses obligations ne tendent qu'à assurer l'efficacité d'un acte instrumenté par lui et ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur, a considéré :

- qu'en application de l'article 265-2 du code civil, les conventions pour la liquidation et le partage de la communauté sont interdites en dehors d'une instance en divorce tant que la communauté n'est pas dissoute, ce qui s'entend aussi de toute transaction sur les droits futurs des époux à une prestation compensatoire ;

- que la rédaction, et même la simple dictée qui n'est pas contestée en l'espèce, d'un acte juridique nul ou impossible comme étant contraire à une disposition légale que le professionnel du droit ne peut ignorer, constitue de sa part une faute qui l'oblige à réparation ;

- que le préjudice subi par Mme [V] ne peut être égal à sa créance contre M. [E] telle que résultant du jugement de divorce déboutant ce dernier de sa demande de prestation compensatoire et dont il n'a pas interjeté appel, mais uniquement à la perte d'une chance de ne pas avoir fait naître cette créance et d'éviter les difficultés de sa reconnaissance en justice ou de son recouvrement forcé, évaluée à la somme de 6 000 euros ;

- que la subrogation ne peut pas être le fondement juridique de l'appel en garantie exercé à l'encontre de M. [E], alors même que Me [H] n'allègue ni ne démontre que celui-ci aurait commis une faute consistant à signer un acte interdit et à percevoir des sommes en vertu de celui-ci ;

- qu'aucune condamnation n'étant prononcée à l'encontre de M. [E], il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande de garantie dirigée contre Me [H].

Par déclaration du 4 juin 2021, Mme [V], intimant le seul Me [H], a interjeté appel de ce jugement en ce que la condamnation de ce dernier à son profit a été limitée à la somme de 6 000 euros avec rejet de sa demande pour le surplus et, selon ses dernières conclusions transmises le 18 décembre 2022, elle conclut à son infirmation des chefs susvisés et demande à la cour statuant à nouveau :

- de condamner Me [H] à lui payer la somme de 89 128 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2017 ;

- de rejeter tout autre demande plus ample ou contraire ;

- de le condamner, ou tout autre succombant, au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de le condamner, ou tout autre succombant, aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de son conseil.

Elle fait valoir :

- que le juge de première instance a, à bon droit, retenu la faute commise par le notaire au visa de l'article 265-2 du code civil au motif de la nullité absolue de l'acte du 12 novembre 2013 en précisant :

. que celui-ci, auquel elle n'avait elle-même aucun intérêt, a manifestement été pensé par le notaire de M. [E] pour permettre à ce dernier d'obtenir un prêt relais en vue de son acquisition immobilière ;

. que la référence tant au divorce par consentement et à l'acte d'avocat qu'à l'introduction d'une procédure de divorce par assignation ou par requête conjointe est sans emport ;

. que la nullité de l'acte litigieux est de plein droit, de sorte qu'il n'est pas susceptible de confirmation alors même que l'article 1181 du code civil, issu de la réforme de 2016, n'est pas applicable au cas d'espèce ;

. que le jugement de divorce rendu le 5 décembre 2016 tire les conséquences de cette nullité de plein droit en écartant l'application de la convention après avoir rappelé que les époux ne peuvent valablement transiger sur leur droit futur à une prestation compensatoire alors qu'aucune instance en divorce n'est engagée ;

. que Me [H] a commis une seconde faute en ce qu'il a opéré, par l'acte du 28 février 2014, répartition du produit de la vente de l'immeuble commun ne correspondant pas aux droits des époux déterminés par le projet de liquidation de la communauté rédigé préalablement par ses soins en raison de la prestation compensatoire contenue dans un acte illégalement établi avant le début de l'instance en divorce introduite le 15 octobre 2014, de sorte qu'il aurait dû refuser d'opérer le versement avant que le juge aux affaires familiales ne statue ;

- concernant le préjudice :

. qu'il est contraditoire d'affirmer qu'elle est titulaire d'une créance de 89 128 euros à l'encontre de M. [E] tout en considérant que le notaire ne lui aurait fait perdre qu'une simple chance de faire naître cette créance ;

. que si Me [H] n'avait pas été fautif, la répartition dudit prix de vente aurait été réalisée conformément aux droits de chacun des époux et qu'elle aurait été désintéressée, de sorte qu'il n'existe aucun aléa et que cette faute l'a privée de recevoir la somme de 89 128 euros et non pas d'une chance d'obtenir cette somme ;

. qu'à défaut de signature de l'acte litigieux, le partage du prix de vente aurait été réalisé conformément aux droits de chacun des époux et aucune créance nécessitant l'engagement de procédures de chiffrage et de recouvrement n'aurait existé, la jurisprudence estimant que doit être réparé le dommage directement causé par la faute du notaire ayant failli à son devoir d'assurer l'efficacité juridique de l'acte par lui reçu, quand bien même la victime disposerait d'une action contre un tiers propre à assurer la réparation du préjudice ;

. que le montant de 89 128 euros résulte explicitement des actes établis par le notaire lesquels limitent à ce montant la dette existant entre les ex-époux, étant observé que s'agissant uniquement de biens meubles, il n'existe aucune obligation de saisir le juge aux affaires familiales pour faire liquider la communauté ou de régulariser un acte de liquidation partage ;

. que la somme querellée ne constitue pas une avance de communauté perçue par M. [E] dans le cadre de la répartition de fonds entre époux mais la prestation compensatoire illégale alors même que la communauté n'était plus débitrice d'aucune somme à l'égard de M. [E] ;

. que sans la convention du 12 novembre 2013, aucune distribution du prix ne serait intervenue, mais que celui-ci aurait été séquestré dans l'attente d'un accord des époux ou d'un jugement ;

- qu'il ne lui appartient pas de démontrer l'insolvabilité de M. [E], son préjudice revêtant un caractère certain ;

- qu'elle ne sollicite pas le paiement de la part du notaire en lieu et place de M. [E], mais l'indemnisation du dommage qu'elle a subi du fait de la faute commise à son égard ;

- concernant le lien de causalité, que si Me [H] s'était abstenu de rédiger la convention interdite et de procéder à la libération des fonds, elle aurait à ce jour reçu la somme à laquelle elle pouvait légitimement prétendre en vertu de ses droits dans la communauté, peu important qu'un autre professionnel du droit ait commis ou non une faute.

Me [H] a formé appel incident par conclusions transmises le 29 novembre 2021 en sollicitant l'infirmation du jugement critiqué 'en toutes ses dispositions'. Il a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 4 novembre 2022 pour demander à la cour, statuant à nouveau :

A titre principal,

- de débouter Mme [V] et M. [E] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions;

- de condamner, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [V] et M. [E] à lui payer, chacun, les sommes de 3 000 euros au titre de la première instance et de 3 000 euros à hauteur de cour ;

- de condamner Mme [V], ou tout succombant, aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de son conseil ;

A titre subsidiaire,

- de condamner M. [E] à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de Mme [V], y compris au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

- de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Il fait valoir :

- que Mme [V] n'apporte pas la preuve de la réunion des conditions de mise en oeuvre de sa responsabilité quasi-délictuelle ;

- que sans l'accord signé le 12 novembre 2013 en présence des conseils des deux époux et dont la signature 'n'est pas rare' avant l'introduction d'une instance en divorce, M. [E] n'aurait pas accepté de vendre le bien commun et de signer le procès-verbal d'acceptation du principe du divorce, tel qu'il résulte du jugement de divorce ;

- que dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel les époux doivent avoir effectué la liquidation de leur régime matrimonial avant l'introduction de la demande ;

- que la validité de la convention du 12 novembre 2013 n'a été remise en cause que par le fait que Mme [V] est passée outre l'accord régularisé devant le notaire en engageant un divorce contentieux alors que la voie amiable était privilégiée, étant précisé que dans le cas contraire le juge aurait homologué l'accord des époux comprenant le versement à M. [E] de la somme de 89 128 euros à titre de prestation compensatoire lequel aurait figuré dans leurs conclusions ;

- que l'imprévisibilité de Mme [V] a constitué une cause étrangère, tandis qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ;

- concernant la convention du 12 novembre 2013 :

. que la nullité des conventions conclues entre les parties avant l'introduction de l'instance en divorce, bien que constituant une nullité de plein droit sur laquelle le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation contrairement à la nullité facultative, doit être constatée par le juge dans la mesure où elle n'est pas expressément prévue par l'article 265-2 du code civil mais a un fondement jurisprudentiel ;

. que cependant le juge aux affaires familiales, dont c'est la compétence exclusive, n'a pas été saisi d'une demande visant à la constatation de cette nullité ;

. que par ailleurs cette nullité est relative en ce qu'elle a pour objet la protection d'un intérêt privé, de sorte que si Mme [V] était de bonne foi elle aurait pu la couvrir par la confirmation ;

. que dès lors le juge de première instance ne pouvait retenir la responsabilité de son auteur en se limitant à relever le caractère interdit de la convention, sans que sa nullité ne soit préalablement constatée ;

- concernant la convention du 28 février 2014 :

. qu'elle n'a pas pour objet la liquidation et le partage du régime matrimonial au sens de l'article 265-2 du code civil, mais la répartition du prix de vente de l'immeuble commun de manière inégalitaire entre les époux ;

. que celle-ci est donc valable ;

- concernant le préjudice invoqué par Mme [V] :

. que celle-ci n'établit pas ses caractères direct, actuel et certain en ce qu'elle disposera d'un droit contre M. [E] au titre de la récompense due à la communauté et ne peut se prévaloir d'une créance de restitution vis-à-vis de son ex-époux tant que la liquidation de la communauté n'est pas réalisée ;

. qu'il n'a lui-même, en qualité de notaire, pas perçu de fonds, dont il ne saurait donc être comptable ;

. que Mme [V] ne fournit pas la preuve de l'insolvabilité de son ex-époux, alors même que celui-ci est propriétaire d'un bien immobilier d'une valeur supérieure à sa créance ;

- que le principe jurisprudentiel selon lequel la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire et qu'est donc certain le dommage subi par une personne par l'effet de la faute d'un tel professionnel même si la victime dispose d'une action en réparation contre un tiers, n'est applicable que si cette voie de droit résulte de la situation dommageable née de cette faute, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et non pas si elle était ouverte préalablement à tout manquement imputable au notaire ;

- qu'il appartient à Mme [V] d'agir à l'encontre de M. [E] et d'assumer les risques liés à son choix de ne pas inscrire d'hypothèque provisoire sur l'immeuble appartenant à ce dernier;

- que l'affirmation de Mme [V] selon laquelle elle aurait perçu, en l'absence de la convention litigieuse, l'intégralité de ses droits chiffrés à la somme de 284 128 euros, est inexacte car elle ne prend pas en compte le fait que la cession du bien immobilier commun à la somme de 345 000 euros était, concernant M. [E], conditionnée par l'accord litigieux ;

- qu'au surplus, lui-même n'étant débiteur d'aucune obligation de somme d'argent vis-à-vis de Mme [V] au sens de l'article 1231-6 du code civil, cette dernière doit être déboutée de sa demande de condamnation à lui régler les intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2017 ;

- concernant la demande de garantie formée à l'encontre de M. [E], le notaire fait enfin valoir:

. que la somme de 89 128 euros indûment perçue par M. [E] au titre d'une prestation

compensatoire refusée par le juge crée une créance de restitution vis-à-vis de son épouse en application des articles 1302 et suivants du code civil à la seule charge de celui-ci et indépendamment de tout comportement fautif de sa part ;

. en tout état de cause, que s'il était condamné à payer la somme de 89 128 euros à la requérante, il aurait ainsi payé la dette de M. [E] de sorte qu'il est fondé à invoquer la subrogation légale prévue par l'article 1346 du code précité.

M. [E], assigné par acte du 25 novembre 2021 délivré à la requête de Me [H], a répliqué en premier et dernier lieu par conclusions transmises le 22 février 2022 pour demander à la cour :

- à titre principal, de confirmer le jugement critiqué, de débouter le notaire de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de le condamner à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel ;

- à titre subsidiaire et reconventionnel, de 'condamner' Me [H] à le relever et garantir de toutes sommes qui seraient mises à sa charge en principal, frais et accessoires ;

- en tout état de cause, de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel.

Il expose :

- qu'il n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité, à l'inverse du notaire ;

- qu'aucune somme ne peut lui être réclamée sur le fondement de la répétition de l'indû, dans la mesure où il n'a pas perçu la somme de 89 128 euros de manière indue, mais en exécution d'une convention établie par le notaire le 12 novembre 2013 et régularisée avec son épouse ;

- que par ailleurs, la subrogation légale ne peut en l'espèce fonder une action en garantie ;

- que l'action formée par Mme [V] est une action en responsabilité pour faute, de sorte que les sommes que le notaire serait amené à verser seraient de nature indemnitaire et non au titre d'une prétendue dette pesant sur lui, alors même qu'il n'est pas débiteur d'une somme de 89 128 euros dès lors que ce montant serait tiré des termes de la convention du 12 novembre 2013, laquelle est nulle ;

- que s'il devait être condamné au titre d'une obligation de restitution, il est fondé à solliciter la garantie de Me [H] dès lors que le versement n'a été permis que par la faute de ce dernier qui a manqué de plus à son obligation contractuelle de conseil, et qu'une telle restitution lui causerait un préjudice certain au regard de la faiblesse de ses ressources et de son son absence d'épargne.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 28 février suivant suivant et mise en délibéré au 2 mai 2023.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

Motifs de la décision

- Sur la demande indemnitaire formée par Mme [V] à l'encontre de Me [H],

En application des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur version applicable à la date de la signature des conventions litigieuses par M. [E] et Mme [V], devenus les articles 1240 et 1241 du même code, la responsabilité délictuelle d'une personne est engagée dès lors que celle-ci a commis une faute, par son fait ou par sa négligence ou son imprudence, causant de manière directe et certaine un dommage à autrui.

En vertu de ces dispositions, le notaire engage sa responsabilité à raison des fautes qu'il commet dans le cadre de la rédaction des actes et des opérations qu'il accomplit.

Aux termes de l'article 265-2 du code civil, les époux peuvent, pendant l'instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial.

Il en résulte que les conventions pour la liquidation et le partage de la communauté sont interdites avant l'introduction de l'instance en divorce et sont nulles de nullité absolue en considération du principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales. Il est constant que les parties ont cependant la possibilité de renouveler leur accord ou de maintenir leur commune volonté lorsque la cause de nullité a cessé.

Comme retenu à bon droit par le juge de première instance, Me [H], en sa qualité de professionnel du droit ne pouvant, par sa fonction, ignorer les règles du droit positif découlant directement de la prohibition induite par l'article 265-2 du code civil, a commis une faute en dictant le 12 novembre 2013 à M. [E] et Mme [V] une convention interdite portant sur les effets du divorce avant même l'introduction de la procédure tel que relevé par le jugement irrévocable rendu le 5 décembre 2016 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de [V].

Bien que ceux-ci soient eux-même soumis à un régime de responsabilité en leur qualité de professionnels du droit, la présence des avocats des susnommés au cours de cette opération est sans incidence sur la faute imputable au notaire.

Par ailleurs, le fait que Me [H] estime qu'il n'est 'pas rare' que de telles conventions soient conclues dans des conditions similaires est sans incidence, étant rappelé que l'illicéité de la convention du 12 novembre 2013 est d'origine exclusivement légale indépendamment du refus ultérieur de Mme [V] d'en poursuivre l'exécution, la bonne ou mauvaise foi de celle-ci étant indifférente à la faute commise par le notaire.

Enfin, l'absence d'autorité de chose jugée du jugement de divorce rendu le 5 décembre 2016 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de [V] sur le prononcé de la nullité de la convention susvisée ne conditionne pas en soi l'issue de l'action indemnitaire formée par Mme [V] en application du régime de responsabilité applicable aux notaires sous réserve de la preuve des conditions requises la loi.

Aux termes des exacts motifs du jugement critiqué que la cour adopte, cette faute, qui a conditionné un partage inégalitaire du produit de la vente du bien immobilier commun des époux par la mise en oeuvre de la convention prohibée selon des modalités définies par un second accord établi entre les époux dans des conditions similaires au premier, a directement causé un préjudice à Mme [V], lequel est donc direct, actuel et certain indépendamment de la créance détenue par celle-ci à l'encontre de M. [E] ou même de la communauté et de l'insolvabilité de son ex-époux, alors même que le fait que Me [H] n'ait lui même pas perçu de fonds est sans incidence sur l'existence de ce préjudice.

Celui-ci ne peut être chiffré au montant de la créance d'un montant de 89 128 euros qu'elle invoque à l'encontre de M. [E], en considération de l'aléa lié au fait, non contesté, que la cession du bien immobilier concerné a été réalisée dans les conditions permises par la conclusion de la convention interdite le 12 novembre 2013, lesquelles auraient été différentes en l'absence d'accord préalable des époux.

Ainsi, comme retenu par le jugement déféré, le préjudice subi par Mme [V] est équivalent à la perte de chance de ne pas avoir fait naître ladite créance dont le recouvrement lui incombe désormais, le défaut de perception de fonds par le notaire étant indifférent en considération de la nature strictement indemnitaire de la demande qui ne relève pas d'une créance de restitution.

Dès lors et à défaut de production de tout élément sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation du chiffrage du préjudice tel qu'opéré par une juste appréciation des faits par le juge de première instance, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a fixé celui-ci à la somme de 6 000 euros et a condamné Me [H] à payer cette somme à Mme [V] en déboutant cette dernière du surplus de sa demande.

En application de l'article 1231-7, alinéa 2, du code civil aux termes duquel, en cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance, alors même qu'aucun motif de dérogation à cette disposition n'est sérieusement invoqué, cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021.

- Sur la demande de garantie formée par Me [H] à l'encontre de M. [E],

Par d'exacts motifs non sérieusement remis en cause en appel et que la cour adopte, étant observé au surplus que M. [E] n'est pas soumis aux mêmes obligations et au même régime de responsabilité que le notaire professionnel du droit, le juge de première instance a débouté Me [H] de sa demande de garantie formée à l'encontre de M. [E].

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 20 avril 2021 par le tribunal judiciaire de [V] ;

Y ajoutant, vu l'évolution du litige :

Condamne M. [N] [H] à payer à Mme [G] [V] les intérêts au taux légal sur la somme de 6 000 euros à compter du 20 avril 2021 et jusqu'au règlement de cette indemnité ;

Le condamne aux dépens d'appel ;

Accorde aux avocats de la cause qui l'ont sollicité, le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute Mme [G] [V] et M. [K] [E] de leurs demandes, condamne Mme [G] [V] à payer à M. [N] [H] la somme de 1 500 euros et déboute M. [N] [H] de sa demande formée à l'encontre de M. [K] [E].

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Leila Zait, greffier.

Le greffier, Le président de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00989
Date de la décision : 02/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-02;21.00989 ?
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