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25/04/2023 | FRANCE | N°22/00832

France | France, Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 25 avril 2023, 22/00832


ARRÊT N°

CE/SMG



COUR D'APPEL DE BESANÇON



ARRÊT DU 25 AVRIL 2023



CHAMBRE SOCIALE







Audience publique

du 10 janvier 2023

N° de rôle : N° RG 22/00832 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EQNC



S/appel d'une décision

du Pole social du TJ de VESOUL

en date du 04 avril 2022

Code affaire : 89E

A.T.M.P. : demande d'un employeur contestant une décision d'une caisse



APPELANTE



Association [3], sise [Adresse 4]



représentée

par Me Cédric PUTANIER, avocat au barreau de LYON, présent





INTIMEE



CPAM DE BELFORT (POUR LA CPAM DE HAUTE SAONE), demeurant [Adresse 1]



représentée par Mme [G] [S], audienciére, présente, selon pou...

ARRÊT N°

CE/SMG

COUR D'APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 25 AVRIL 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 10 janvier 2023

N° de rôle : N° RG 22/00832 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EQNC

S/appel d'une décision

du Pole social du TJ de VESOUL

en date du 04 avril 2022

Code affaire : 89E

A.T.M.P. : demande d'un employeur contestant une décision d'une caisse

APPELANTE

Association [3], sise [Adresse 4]

représentée par Me Cédric PUTANIER, avocat au barreau de LYON, présent

INTIMEE

CPAM DE BELFORT (POUR LA CPAM DE HAUTE SAONE), demeurant [Adresse 1]

représentée par Mme [G] [S], audienciére, présente, selon pouvoir spécial signé par M. [F], directeur de la CPAM de la Haute-Saône le 5 janvier 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 10 Janvier 2023 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Monsieur Franck TAISNE DE MULLET, Président,

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats

Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 4 Avril 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l'arrêt a été prorogé au 25 avril 2023.

**************

Statuant sur l'appel interjeté le 17 mai 2022 par l'association [3] (AHBFC) d'un jugement rendu le 4 avril 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Vesoul, qui dans le cadre du litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Saône représentée par celle du Territoire de Belfort a :

- déclaré régulière la procédure de reconnaissance d'accident du travail de Mme [X] [N] diligentée par la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Saône du 29 octobre 2020 au 24 décembre 2020,

- débouté l'association [3] de ses demandes,

- confirmé la décision du 21 janvier 2021 de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Saône de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident de Mme [X] [N] survenu le 19 janvier 2020,

- confirmé la décision implicite de la commission de recours amiable,

- déclaré opposable à l'association [3] la décision du 21 janvier 2021 de la caisse de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de Mme [X] [N] survenu le 19 janvier 2020,

- condamné l'association [3] aux dépens,

Vu les conclusions visées par le greffe le 9 janvier 2023 aux termes desquelles l'association [3], appelante, demande à la cour de :

- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,

- déclarer que le contrat de travail de Mme [N] était suspendu en raison d'un arrêt de travail,

- déclarer que la CPAM ne rapporte pas la preuve d'un lien direct et certain entre le travail et le

suicide de Mme [N],

- déclarer que la procédure suivie par la CPAM est irrégulière,

en conséquence,

- prononcer, dans les rapports entre la société [3]

COMTE et la CPAM, l'inopposabilité de la décision de prise en charge par la CPAM, au titre de la

législation professionnelle, du suicide de Mme [P],

Vu les conclusions visées par le greffe le 2 décembre 2022 aux termes desquelles la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Saône, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris,

La cour faisant expressément référence, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, aux conclusions susvisées soutenues à l'audience,

SUR CE

EXPOSE DU LITIGE

Aide soignante à l'association [3] depuis le 15 septembre 2015, Mme [X] [N] s'est suicidée à son domicile le 19 janvier 2020.

A la suite d'une lettre du 8 octobre 2020 aux termes de laquelle elle sollicitait une enquête en vue de déterminer le lien éventuel entre le geste de sa fille et le travail de celle-ci, Mme [L] [U], mère de [X] [N], a établi le 22 octobre 2020 une déclaration d'accident du travail auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône.

Par courrier du 29 octobre 2020, la caisse a informé l'employeur de la déclaration d'accident du travail établie par la mère de Mme [N] et de l'enquête en cours, en lui précisant les dates d'ouverture et de clôture de la période de consultation du dossier (du 5 au 18 janvier 2021) ainsi que la date au plus tard à laquelle elle rendrait sa décision (le 25 janvier 2021).

A la suite de son enquête, la caisse a par courrier du 21 janvier 2021 notifié à l'employeur sa décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident de Mme [X] [N] survenu le 19 janvier 2020.

Le 22 mars 2021, l'association [3] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, qui n'a pas statué dans le délai de deux mois imparti.

C'est dans ces conditions que le 13 juillet 2021 l'association [3] a saisi le tribunal judiciaire de Vesoul de la procédure qui a donné lieu au jugement entrepris.

MOTIFS

Sur l'existence de l'accident du travail :

Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

La présomption d'imputabilité de l'accident au travail est inapplicable lorsque l'accident n'est pas survenu au lieu et au temps du travail.

Mais selon une jurisprudence constante, l'accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail (2è Civ. 22 février 2007 n° 05-13.771).

Dans ses rapports avec l'employeur, c'est à la caisse de rapporter cette preuve.

Au cas présent, il ressort de l'enquête administrative diligentée par la caisse que :

- durant l'été 2019, Mme [X] [N] a sollicité par courrier une rupture conventionnelle de son contrat de travail en raison de difficultés avec ses collègues, demande à laquelle l'employeur a opposé un refus ;

- par courrier du 12 septembre 2019, la salariée a alors demandé à changer d'affectation compte tenu des difficultés rencontrées au sein de l'équipe Dali (unité des soins sans consentement) ;

- il a été fait droit à cette demande et Mme [X] [N] a bénéficié d'une nouvelle affectation (la quatrième), à compter du 30 septembre 2019, au service d'addictologie du CPG de [Localité 2] (CPG3) ;

- le 16 décembre 2019, elle a demandé à quitter son poste 30 minutes plus tôt, en raison d'une douleur dorsale et d'une remarque vexatoire d'une collègue lui rétorquant qu'elle n'avait qu'à rentrer chez elle. Prévenue, la cadre supérieure de santé lui a demandé de rentrer chez elle et lui a fixé un rendez-vous le lendemain pour un entretien formel ;

- le jour même, Mme [X] [N] a bénéficié d'un arrêt de travail jusqu'au 31 décembre 2019 et n'a donc pu se présenter à l'entretien fixé le 17 décembre ;

- elle a été en congés payés du 2 au 5 janvier 2020 et a repris le travail le 6 janvier 2020 ;

- le même jour, elle a quitté son poste pour repartir chez elle en disant qu'elle n'était pas bien. La cadre supérieure de santé, Mme [D], a pris l'initiative de lui téléphoner. Dans le cadre de cet échange téléphonique, Mme [X] [N] lui a dit vouloir démissionner. Suite à cet entretien et à la demande de la cadre, Mme [X] [N] lui a transmis un courriel relatant les différentes situations professionnelles auxquelles elle avait été dernièrement confrontée. Elle a été placée en arrêt maladie du 6 janvier jusqu'à son décès le 19 janvier 2020.

Comme le relève avec pertinence la caisse, Mme [X] [N] fait état dans son courriel précité du 6 janvier 2020 de difficultés relationnelles avec ses collègues et de conditions de travail dégradées, liées à l'hostilité que ces derniers manifestent à son endroit, qui se traduisent notamment par :

- des consignes contradictoires (relatives à la gestion du chariot de médicaments) ;

- le reproche exprimé sur un ton sec de laisser seule une collègue, alors qu'elle était descendue contrôler les repas et qu'elle-même se retrouve régulièrement seule dans le service ;

- le reproche exprimé sur un ton sec d'être venue travailler en dépit de douleurs cervicales ;

- l'absence récurrente de réponse à ses questionnements professionnels ;

- des échanges vexatoires et des prises à partie ;

- un manque de confiance (il est signifié à l'intéressée que l'équipe au complet a un problème avec elle).

La relation de ces faits par la salariée est corroborée par le témoignage d'une étudiante infirmière, Mme [B] [Z], consigné dans un courriel du 6 novembre 2020.

C'est vainement que l'employeur soutient, à tort, que ce témoignage fait uniquement état de faits qui se seraient déroulés plus d'un an avant le suicide de la salariée, alors que Mme [Z] déclare, en novembre 2020, être étudiante infirmière en 3ème année et avoir rencontré Mme [X] [N] lors de son premier stage de 2ème année « dans le service d'addictologie au CPG de [Localité 2] », service que la salariée n'a rejoint que le 30 septembre 2019, de sorte que le témoin relate des faits qui se sont nécessairement déroulés au cours des trois derniers mois précédant le suicide.

En outre, dans le mot qu'elle a laissé pour expliquer son geste, Mme [X] [N] commence par exprimer son refus d'être conduite à l'AHBFC si elle « s'est loupée » et faire état de problème au boulot de harcèlement dont elle a prévenu « cadre et cadre supérieure », précisant avoir fait « 1 mail à Mme [D] », avant d'évoquer des difficultés personnelles : « Gros pb d'argent. Je suis une mauvaise mère. Mon mec se fout de ma gueule. J'aime mes enfants [plus] que tout. Je n'ai plus la force je souffre trop ».

Selon le questionnaire rempli par M. [C], directeur des ressources humaines, les difficultés relationnelles de Mme [X] [N] avec ses collègues étaient connues de longue date par l'employeur, au regard :

a) des axes d'amélioration fixés chaque année dans le cadre de ses entretiens individuels :

- entretien du 10 juin 2016 : « améliorer ses relations avec ses collègues »

- entretien du 23 mars 2017 : « se positionne mais parfois n'utilise pas toujours les « bons » mots pour s'exprimer (avec collègues), travailler sur la formulation, rester plus zen. Proposition de formation bientraitance « communication non violente » pour « formuler autrement » »

- entretien du 12 avril 2018 : « le travail en équipe »

- entretien du 26 mars 2019 : « travail en équipe : positionnement parfois compliqué avec certains collègues » ;

b) des changements d'affectation accordés les 22 septembre 2016, 19 juin 2017 et 16 septembre 2019.

Sans qu'il soit nécessaire pour la cour de caractériser l'existence d'un harcèlement moral, il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'équilibre psychologique de Mme [X] [N] a été gravement compromis à la suite d'une dégradation continue et persistante de ses relations de travail avec son entourage professionnel et spécialement le personnel infirmier.

Si selon sa collègue et amie Mme [I], Mme [X] [N] consultait un psychiatre, auquel elle avait fait part de sa crainte d'être bipolaire, rien ne permet de présumer qu'elle était suivie pour un trouble de cette nature.

Au contraire, Mme [Z] témoigne du fait que Mme [X] [N] lui avait dit avoir des traitements pour le stress et l'angoisse.

L'employeur se prévaut également des facteurs extra-professionnels à l'origine du suicide, en particulier des importants problèmes d'argent rencontrés par Mme [X] [N].

A cet égard, le directeur des ressources humaines mentionne dans son questionnaire l'existence d'une saisie reçue le 21 juin 2018 pour un montant de 2 269,08 euros et d'un avis à tiers détenteur reçu le 23 octobre 2017, en précisant que les saisies sur salaire ont débuté en juin 2018, tous les mois, jusqu'à épuisement des créances restant dues lors de son solde de tout compte en janvier 2020.

Si, dans le mot laissé pour expliquer son geste, la salariée a fait allusion, dans un second temps, à cette circonstance économique ainsi qu'à ses difficultés personnelles, elle y a d'abord exprimé un vécu de harcèlement au travail, qui l'a conduite à vouloir quitter son emploi et a entraîné son placement en arrêt maladie.

Considérant l'ensemble des développements qui précèdent, la preuve d'un lien certain et direct entre l'accident et le travail est suffisamment rapportée, étant rappelé que son caractère exclusif n'est pas requis.

Ce lien direct entre le suicide et le travail ne faisant ainsi aucun doute, l'avis du médecin conseil n'était pas nécessaire pour établir son existence.

C'est dès lors à bon droit que par décision du 21 janvier 2021 la caisse a pris en charge au titre de la législation professionnelle le suicide de Mme [X] [N] survenu le 19 janvier 2020.

Par ces motifs, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la régularité de la procédure d'instruction suivie par la caisse :

L'employeur soutient encore que la procédure suivie par la caisse apparaît irrégulière dans la mesure où le dossier constitué par celle-ci et mis à sa disposition ne contenait pas l'avis du médecin conseil se prononçant sur l'imputabilité du décès au travail, et pour cause, la caisse reconnaissant ne jamais l'avoir sollicité.

Il fait valoir qu'en application de la charte des « AT/MP » cet avis aurait dû être sollicité et qu'à défaut, la décision de prise en charge doit lui être déclarée inopposable, la caisse n'ayant pas respecté le principe du contradictoire, peu important que l'employeur n'ait pas exercé son droit de consultation (2è Civ. 11 octobre 2018 n° 17-18.901).

Mais il doit être rappelé, conformément à une jurisprudence constante, qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'impose à la caisse, à réception d'une déclaration d'accident du travail ou de réserves émises par l'employeur, de recueillir l'avis de son médecin-conseil (2è Civ. 18 février 2010 n° 08-21.960, 2è Civ. 16 décembre 2010 n° 09-16.994).

Certes, l'employeur communique un extrait de la charte des accidents du travail et maladies professionnelles mise à jour en décembre 2015 aux termes de laquelle, dans les situations où la présomption d'imputabilité ne s'applique pas, le médecin conseil doit répondre à la question suivante : « Existe-t-il des éléments médicaux en faveur d'une relation entre le décès et l'activité professionnelle ' ».

Cependant, outre le fait que cette charte n'a aucune valeur normative, l'abstention de la caisse primaire qui n'a pas sollicité l'avis de son médecin conseil ne saurait entraîner l'inopposabilité de sa décision à l'employeur pour non-respect du principe du contradictoire, dès lors qu'il résulte des articles R. 441-8 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction issue du décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 que l'avis du médecin conseil ne figure pas parmi les documents que doit comprendre le dossier constitué par la caisse.

Le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a déclaré opposable à l'association [3] la décision du 21 janvier 2021 de la caisse de prendre en charge au titre de la législation professionnelle le suicide de Mme [X] [N] survenu le 19 janvier 2020.

Sur les dépens :

L'association [3], qui succombe, supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne l'association [3] aux dépens d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt-cinq avril deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00832
Date de la décision : 25/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-25;22.00832 ?
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