ARRÊT N°
MW/LZ
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 25 AVRIL 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique du 21 Février 2023
N° RG 21/00875 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EL72
S/appel d'une décision du tribunal judiciaire de BESANCON en date du 16 mars 2021 [RG N° 18/02056]
Code affaire : 28Z Autres demandes en matière de succession
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD) C/ [N] [C], [T] [L], [Z] [C], [U] [C], [W] [C]
PARTIES EN CAUSE :
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)
venant aux droits de la BANQUE PATRIMOINE ET IMMOBILIER (BPI)
RCS de PARIS n° 379 502 644
sise [Adresse 1]
Représentée par Me Christophe HENRY de la SELARL DURLOT HENRY, avocat au barreau de BESANCON
APPELANTE
ET :
Monsieur [N] [C]
né le 22 Janvier 1963 à [Localité 8] ((25))
de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Laure FROSSARD de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
Madame [T] [L]
née le 11 Mars 1965 à [Localité 9]
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Laure FROSSARD de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
Monsieur [Z] [C]
né le 07 Novembre 1998 à [Localité 4] ((25))
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Laure FROSSARD de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
Monsieur [U] [C]
né le 29 Juillet 2000 à [Localité 4] ((25))
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Laure FROSSARD de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
Mademoiselle [W] [C]
née le 06 Mars 2002 à [Localité 4] ((25))
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Laure FROSSARD de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
Magistrats rapporteurs : Monsieur Michel Wachter, Président, et Monsieur Cédric Saunier, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties.
Greffier : Madame Leila Zait, Greffier.
Lors du délibéré :
Monsieur Michel Wachter, président, et Monsieur Cédric Saunier, Conseiller, ont rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile à Monsieur Jean-François Leveque, conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 21 février 2023 a été mise en délibéré au 25 avril 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
**************
La SA Banque Patrimoine et Immobilier, aux droits de laquelle se trouve désormais la SA Crédit Immobilier de France Développement (CIFD) a consenti à M. [N] [C] et son épouse, née [T] [L], deux prêts n° 2079098 N 001 et 2079092 G 001 selon offres sous seing privé établies le 24 janvier 2006, acceptées respectivement les 6 février et 9 mars 2006 et ultérieurement reçues en la forme authentique les 13 avril et 29 juin 2006 par Maître [K], notaire à [Localité 3], portant sur les sommes de 91 373 euros et 379 000 euros, afin de financer deux appartements en l'état futur d'achèvement destinés à la location dans des immeubles situés à [Localité 5] et [Localité 6] acquis par l'intermédiaire de la société Apollonia.
Une instruction judiciaire pour escroquerie a été ouverte à Marseille à l'encontre de la société Apollonia.
Par acte de donation-partage du 20 mai 2009, les époux [C] ont fait donation à leurs trois enfants de la nue-propriété d'un bien immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 8], cadastré section [Cadastre 7].
Par arrêt du 22 novembre 2016, la cour d'appel de Besançon, saisie d'une demande de la banque en paiement du solde des prêts, a notamment condamné solidairement les époux [C] à payer à la SA Banque Patrimoine et Immobilier, en deniers ou quittances, les sommes de :
- 96 611,03 euros au titre du prêt n° 2079098 N 001 avec les intérêts au taux contractuel de 3,849 % l'an sur 90 305,05 euros à compter du 15 juin 2009 et au taux légal sur le surplus à compter du 28 avril 2009 ;
- 403 272,25 euros au titre du prêt n° 2079092 G 001 avec les intérêts au taux contractuel de 3,849 % l'an sur 376 969,19 euros à compter du 15 mai 2009 et au taux légal sur le surplus à compter du 28 avril 2009.
Par exploits du 21 septembre 2018, la SA CIFD a fait assigner les époux [C], en leurs noms personnels ainsi qu'en leurs qualités de représentants légaux de leur fille mineure [W] [C], et leurs deux enfants majeurs [Z] [C] et [U] [C], devant le tribunal de grande instance de Besançon, afin que lui soit déclaré inopposable, sur le fondement de l'article 1341-2 du code civil, l'acte de donation-partage du 20 mai 2009, et qu'elle soit déclarée fondée à réaliser sur l'immeuble concerné par cet acte toute mesure d'exécution pour obtenir paiement de la créance issue de l'arrêt du 22 novembre 2016. La demanderesse a exposé avoir découvert, à l'occasion de l'exécution de cet arrêt, et en voulant prendre une inscription hypothécaire sur l'immeuble des époux [C], qu'en fraude de son droit de gage général sur les biens de ses débiteurs, ceux-ci avaient consenti à leurs enfants une donation-partage sur leur bien. Elle a ajouté que sa créance était définitive, que les époux [C] étaient insolvables, et que l'acte qui les avait appauvris lui était préjudiciable, puisqu'il l'empêchait de recouvrer sa créance.
Mme [W] [C] étant devenue majeure en cours de procédure, la société CIFD l'a faite assigner en intervention forcée à titre personnel.
Par ordonnance du 9 janvier 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les consorts [C] dans l'attente d'une décision pénale.
Les consorts [C] ont sollicité un sursis à statuer dans l'attente d'une décision dans le cadre de la procédure pénale en cours à Marseille, subsidiairement ont conclu à l'irrecevabilité de l'action paulienne comme étant prescrite, encore plus subsidiairement à son rejet, en l'absence de fraude aux droits du créancier. Ils ont exposé que le sursis à statuer s'imposait dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, que les intérêts de la banque n'étaient pas en péril puisque des procédures de saisie immobilière étaient en cours en parallèle, que l'action paulienne était prescrite dès lors que l'acte de donation-partage avait été publié le 25 mai 2009. Ils ont ajouté que la donation avait été consentie à une date à laquelle une maladie engageant son pronostic vital avait été diagnostiquée chez M. [C], afin de bénéficier d'avantages fiscaux, qu'ils ne s'étaient pas retrouvés dans une situation d'insolvabilité suite à cet acte, et qu'ils n'avaient pas l'intention de frauder les droits de leur créancier, mais uniquement celle, légitime, de transmettre leur patrimoine à leurs enfants.
Par jugement rendu le 16 mars 2021, le tribunal judiciaire a :
- débouté M. [N] [C] et Mme [T] [L], M. [Z] [C], M. [U] [C] et Mme [W] [C] de leur demande de sursis à statuer ;
- déclaré la SA Crédit Immobilier de France Développement irrecevable en ses demandes principales ;
- débouté SA Crédit Immobilier de France Développement d'une part, M. [N] [C] et Mme [T] [L], M. [Z] [C], M. [U] [C] et Mme [W] [C] d'autre part, de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné SA Crédit Immobilier de France Développement aux dépens, avec recouvrement direct au profit des avocats qui le demandent.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que la demande de sursis à statuer constituait une exception de procédure, et qu'en application de l'article 775, devenu 794 du code de procédure civile, la décision du juge de la mise en état ayant rejeté une demande similaire avait autorité de chose jugée, dès lors qu'il n'était pas invoqué de circonstance nouvelle qui lui était postérieure ;
- que l'acte argué de fraude avait été publié au bureau des hypothèques le 25 mai 2009, que la vocation essentielle de cette publication était précisément de permettre à tout intéressé d'avoir connaissance de la mutation des droits immobiliers ; que l'assignation n'ayant été délivrée que le 21 septembre 2018, la demande était prescrite par application de l'article 2224 du code civil.
La société CIFDa relevé appel de cette décision le 18 mai 2021, en déférant à la cour les chefs relatifs à l'irrecevailité de sa demande ainsi que ceux relatifs aux frais irrépétibles et aux dépens.
Par conclusions transmises le 19 janvier 2023, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles 2224, 2233 et 1341-2 du code civil,
Vu les articles 122, 480, 700 et 794 du code de procédure civile,
- d'infirmer le jugement déféér en ce qu'il a :
* déclaré la SA Crédit Immobilier de France Développement irrecevable en ses demandes principales ;
* débouté la SA Crédit Immobilier de France Développement de ses demandes au titre de l'article 700 ;
* condamné la SA Crédit Immobilier de France Développement aux dépens, avec recouvrement direct au profit des avocats qui le demandent ;
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* débouté M. [N] [C], Mme [T] [L], M. [Z], M. [U] et Mme [W] [C] de leur demande de sursis à statuer ;
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- de rejeter la demande de sursis à statuer de M. [N] [C], Mme [T] [L], M. [Z], M. [U] et Mme [W] [C] ;
- de déclarer la banque recevable en son action paulienne ;
- de déclarer inopposable à la banque l'acte de donation-partage du 25 mai 2009 par les époux [C]-[L] à leurs enfants Messieurs et Madame [Z], [U] et [W] [C] portant sur le bien immobilier suivant : [Localité 8], [Adresse 2] cadastré : section AY, [Cadastre 7] lieudit [Adresse 2], nature sol, pour une contenance de 07a 81ca ;
En tout état de cause :
- de débouter les consorts [C]-[L] de leurs demandes, fins et conclusions ;
- de condamner les consorts [C]-[L] à 5 000 euros au titre de l'article 700 CPC ainsi qu'aux entiers dépens avec la faculté pour la SELARL Durlot-Henry de bénéficier des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 27 janvier 2023, les consorts [C] demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il é débouté M. [N] [C] et Mme [T] [L], M. [Z] [C], M. [U] [C] et Mme [W] [C] de leur demande de sursis à statuer ;
Statuant à nouveau :
Vu les articles 3 du code de procédure civile, 4 du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,
- de surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive à rendre sur la procédure pénale actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de Marseille ;
A titre subsidiaire :
Vu l'article 2234 du code civil et l'article 122 du code de procédure civile,
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la SA Crédit Immobilier de France Développement irrecevable en ses demandes principales ;
En conséquence
- de débouter le Crédit Immobilier de France Développement de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont irrecevables car prescrites ;
A titre encore plus subsidiaire
- de débouter le Crédit Immobilier de France Développement de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont mal fondées ;
- de condamner le Crédit Immobilier de France Développement à payer à M. [N] [C], Mme [T] [L], M. [Z] [C], M. [U] [C] Mme [W] [C] une somme de 600 euros chacun ;
- de condamner le Crédit Immobilier de France Développement aux entiers dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 31 janvier 2023.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
Si la demande de sursis à statuer est recevable nonobstant l'ordonnance du juge de la mise en état, dès lors que le sursis peut être être ordonné en tout état de cause dans le souci d'une bonne administration de la justice, elle devra cependant être rejetée dans la mesure où l'issue de la présente instance n'est aucunement conditionnée par celle qui sera donnée à la procédure pénale ouverte dans le cadre de l'affaire dite Apollonia. Le jugement déféré qui, dans son dispositif, a rejeté la demande de sursis à statuer bien que, dans ses motifs, il l'ait plutôt considérée comme irrecevable, sera donc confirmé.
L'exercice de l'action paulienne par un créancier est soumis à la prescription de l'article 2224 du code civil, selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Les parties sont en désaccord sur le point de départ de cette prescription.
Comme l'a à juste titre retenu le premier juge, le créancier exerçant l'action paulienne est réputé avoir connaissance de l'acte de son débiteur dès la date de sa publication au service chargé de la publicité foncière. Dans le souci d'assurer la sécurité juridique, celle-ci a en effet pour objet de porter à la connaissance de tous l'acte publié, de sorte que cette connaissance doit être considérée comme acquise dès la date de la publication.
Il importe peu à cet égard que le créancier n'ait, comme il est soutenu en l'espèce, matériellement découvert l'existence de l'acte qu'à l'occasion de l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2016, dès lors que, affirmant disposer d'une créance de remboursement de deux prêts antérieurement à l'acte de donation-partage, il lui appartenait de faire toutes démarches utiles à l'identification du patrimoine de ses débiteurs, et de veiller à sa conservation en vue de garantir le recouvrement de sa créance, ce qui était d'autant moins hors de portée de l'appelante qu'elle est une société financière disposant des services et outils nécessaires.
La société CIFD se réfère en outre à une jurisrudence non transposable en l'espèce, comme intéressant une situation où la fraude des débiteurs avait empêché le créancier d'exercer son action paulienne, ce qui n'est aucunement le cas des consorts [C], dont l'acte a dûment été publié, et qui n'ont effectué aucune manoeuvre de nature à en cacher l'existence à l'appelante. Celle-ci ne démontre absolument pas en quoi le fait que l'acte de donation-partage ait porté sur un bien immobilier différent de ceux financés par les prêts qu'elle avait elle-même octroyés serait en lui-même constitutif d'une fraude destinée à lui en cacher l'existence.
En l'occurrence, l'acte de donation-partage argué de fraude a été régulièrement publié au service de publicité foncière le 25 mai 2009, de sorte que la société CIFD disposait à compter de cette date d'un délai de cinq ans pour engager son action paulienne. En ne délivrant assignation à cette fin que le 21 septembre 2018, l'appelante a agi alors que la prescription était acquise.
La confirmation s'impose de ce chef.
La décision entreprise sera encore confirmée s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, et à payer à chacun des intimés la somme de 600 euros en application de l'artile 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Besançon ;
Y ajoutant :
Condamne la SA Crédit Immobilier de France Développement aux dépens d'appel ;
Condamne la SA Crédit Immobilier de France Développement à payer à M. [N] [C], Mme [T] [C], née [L], M. [Z] [C], M. [U] [C] et Mme [W] [C] la somme de 600 euros chacun en application d el'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Monsieur Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Madame Leila Zait, greffier.
Le greffier, Le président,