ARRÊT N°
FD/ FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 20 AVRIL 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Contradictoire
Audience publique
du 16 Février 2023
N° de rôle : N° RG 22/00060 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EO22
S/appel d'une décision
du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LONS-LE-SAUNIER
en date du 10 novembre 2021 [RG N° 19/00902]
Code affaire : 64B
Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels
[M] [J] épouse [O], [Z] [O] C/ [G] [X], S.A. PACIFICA
PARTIES EN CAUSE :
Madame [M] [J] épouse [O]
née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/6235-6234 du 07/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Besançon)
Monsieur [Z] [O]
né le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 25056/2021/6235 du 07/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Besançon)
APPELANTS
ET :
Monsieur [G] [X]
né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 9], de nationalité française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Jean-Marie LETONDOR de la SCP LETONDOR - GOY LETONDOR MAIROT, avocat au barreau de JURA
S.A. PACIFICA, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 352 358 865
Sise [Adresse 7]
Représentée par Me Jean-marie LETONDOR de la SCP LETONDOR - GOY LETONDOR MAIROT, avocat au barreau de JURA
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame Florence DOMENEGO, conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
Madame Florence DEMENEGO, conseiller, a rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur Michel WACHTER, Président et Monsieur Jean-François LEVEQUE, Conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 16 février 2023 a été mise en délibéré au 20 avril 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
* * * * * * * * *
Faits et prétentions des parties :
Le [Date décès 5] 2012 à 20 heures 25, le véhicule immatriculé [Immatriculation 8] conduit par M. [G] [X], assuré auprès de la SA PACIFICA, a percuté mortellement M. [P] [J], alors que celui-ci était allongé sur la chaussée.
Se prévalant d'un préjudice d'affection, Mme [M] [J] épouse [O] et M. [Z] [O] ont saisi le 22 octobre 2019 le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier, devenu tribunal judiciaire, lequel a, dans son jugement du 10 novembre 2021 :
- débouté les époux [O] de leur demande d'indemnisation ;
- débouté la SA PACIFICA de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné solidairement les époux [O] aux entiers dépens, avec autorisation donnée à la SCP LETONDOR-GOY LETONDOR -MAIROT de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu que la victime avait commis une faute inexcusable à l'origine exclusive de l'accident et que cette faute, qui ne justifiait pas de s'interroger sur les intentions de la victime au moment des faits, s'opposait à l'indemnisation des victimes par ricochet.
Par déclaration en date du 12 janvier 2022, Mme [M] [J] épouse [O] et M. [Z] [O] ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions transmises le 5 avril 2022, M. et Mme [O] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau ;
- juger qu'aucun élément ne permet de démontrer que la personne vulnérable a volontairement recherché le dommage ;
- juger en conséquence que M. [G] [X] et la SA PACIFICA doivent répondre du préjudice d'affection subi par les demandeurs ;
- condamner en conséquence, in solidum, M. [G] [X] et la SA PACIFICA à payer à chacun des demandeurs la somme de 8 000 euros au titre de leur préjudice d'affection ;
- les condamner in solidum aux entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Dans leurs dernières conclusions transmises le 4 juillet 2022, M. [G] [X] et la SA PACIFICA demandent à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;
- débouter M. et Mme [O] de leur demande d'indemnisation ;
- juger que M. [P] [J] a commis une faute inexcusable de nature à exclure son droit à indemnisation ;
- subsidiairement, juger que M. et Mme [O] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice d'affection ;
- débouter en conséquence M. et Mme [O] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner solidairement M. et Mme [O] à payer à la SA PACIFICA la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement M. et Mme [O] aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 février 2023.
Motifs de la décision :
Aux termes de l'article 6 de la loi n° 85-677 du 5 juin 1985, le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d'un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l'indemnisation de ces dommages.
Sont ainsi exclues de toute indemnisation des dommages résultant des atteintes à leur personne les victimes dont la faute inexcusable est la cause exclusive de l'accident, en application de l'article 3 de cette même loi.
Une telle exclusion ne s'applique cependant pas lorsque les victimes sont âgées de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans, ou lorsqu'elles sont titulaires d'un titre leur reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité de plus de 80 %, sauf si elles ont volontairement recherché le dommage subi.
En l'espèce, l'accident est survenu alors même que M. [P] [J], alcoolisé, était allongé sur la chaussée au milieu de la voie de circulation d'une route bidirectionnelle et dans une zône plongée dans l'obscurité en raison d'une défaillance de l'éclairage public.
Si les appelants font grief aux premiers juges d'avoir déduit de ces circonstances l'existence d'une faute inexcusable pour rejeter l'indemnisation de leur préjudice par ricochet, ces derniers rappellent cependant à raison que M. [J] était bénéficiaire depuis le 22 janvier 2010 d'une reconnaissance de handicap à hauteur de 80 % par la MDPH du Jura (pièce 11) de telle sorte que la faute inexcusable, à la considérer caractérisée, ne lui est pas opposable et que seule doit être démontrée par le conducteur la recherche volontaire par la victime du dommage ( Cass 2ème civ- 31 mai 2000 n° 98-16.707).
Or, au cas présent, quand bien même la victime s'est mise délibérément dans une situation où elle était particulièrement exposée au danger, aucun élément ne vient cependant établir que M. [J] aurait sciemment et en connaissance de cause recherché à être heurté ou mortellement blessé par un véhicule.
Les éléments recueillis au cours de l'enquête pénale ne mettent ainsi en exergue aucun risque suicidaire.
Par ailleurs, le maire a témoigné que cette victime était régulièrement vue en état d'ébriété avancé sur la commune, allongée sur le trottoir ou sur la route suite à des chutes, et que le jour des faits, elle était particulièrement alcoolisée, ce qu'ont confirmé M. [C], dernière personne à l'avoir vue peu avant l'accident, et les expertise toxicologiques pratiquées, lesquelles ont constaté un taux de 3,65 g d'alcool par litre de sang.
C'est donc à tort que les premiers juges ont déclaré opposable à la victime sa faute inexcusable, alors même qu'il n'était pas établi que cette dernière, du fait de sa situation de handicap de plus de 80 %, avait sciemment recherché le dommage.
Si les appelants peuvent de ce fait prétendre à une indemnisation au titre de leur préjudice d'affection, l'intimée relève cependant à raison que M. [O], beau-frère de M. [J], ne justifie ni de sa date d'union avec Mme [M] [J], ni des liens affectifs particuliers qu'il aurait développés avec son beau-frère.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [O] de ce chef de demande.
Quant à Mme [O], son audition devant les gendarmes le 22 octobre 2012 met en exergue que son frère, dont le prénom n'est pas correctement mentionné dans ses conclusions ([P] au lieu de [P]) vivait seul à son domicile, se rendait seul chaque matin à la boulangerie ou au magasin Petit Casino pour y faire ses courses et fréquentait M. [C], camarade de boisson, avec lequel il partageait de très nombreux moments, comme l'a confirmé le maire. M. [J] était par ailleurs placé sous mesure de curatelle depuis 2001, laquelle venait d'être aggravée par décision du 18 septembre 2012 en mesure de tutelle aux biens et à la personne et était exercée par l'UDAF du Jura.
Aucun élément ne vient étayer les allégations de Mme [O] selon lesquelles elle aurait pris en charge matériellement son frère et l'aurait emmené en vacances avec elle. Il n'est pas plus démontré les angoisses, pleurs et visites quotidiennes au cimetière qu'elle revendique dans son courrier du 29 janvier 2014, tout comme ne sont pas plus explicitées les raisons d'une saisine aussi tardive de la juridiction, laquelle ressort au contraire comme particulièrement contradictoire avec l'ampleur du préjudice invoqué.
En conséquence, il y a lieu d'indemniser le préjudice d'affection de Mme [O] à la somme de 2 000 euros.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé et M. [X] et la SA PACIFICA seront condamnés à lui payer cette somme et à supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,
- Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier en date du 10 novembre 2021, sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [O] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'affection ;
Statuant des chefs infirmés à nouveau et y ajoutant :
- Condamne solidairement M. [G] [X] et la SA PACIFICA à payer à Mme [M] [J] épouse [O] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'affection ;
- Condamne in solidum M. [G] [X] et la SA PACIFICA aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les règles propres à l'aide juridictionnelle.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,