ARRÊT N°
JFL/FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 18 AVRIL 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique du 14 février 2023
N° de rôle : N° RG 21/01750 - N° Portalis DBVG-V-B7F-ENVB
S/appel d'une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON en date du 25 mai 2021 [RG N° 19/00072]
Code affaire : 60A Demande en réparation des dommages causés par des véhicules terrestres à moteur
S.A. BPCE ASSURANCES C/ S.A. AXA FRANCE IARD, S.A. KEOLIS [Localité 5] MOBILITES
PARTIES EN CAUSE :
S.A. BPCE ASSURANCES Au capital de 61 996 212 €, immatriculée au RCS de PARIS sous le n° B 350 663 860.
Sise [Adresse 3]
Représentée par Me Ariel LORACH de la SCP LORACH AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de BESANCON
APPELANTE
ET :
S.A. AXA FRANCE IARD, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de nanterre sous le numéro B722 057 460
sise [Adresse 1]
Représentée par Me Sandrine ARNAUD de la SELARL ARNAUD - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représentée par Me Jean-François JULLIEN de la SELARL LEGI RHONE ALPES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
S.A. KEOLIS [Localité 5] MOBILITES, immatriculée au registe du commerce et des sociétés de Besançon sous le numéro B824 500 789
Sise [Adresse 2]
Représentée par Me Sandrine ARNAUD de la SELARL ARNAUD - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représentée par Me Jean-François JULLIEN de la SELARL LEGI RHONE ALPES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMÉES
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, Conseillers.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre
ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE, magistrat rédacteur et Cédric SAUNIER, conseiller.
L'affaire, plaidée à l'audience du 14 février 2023 a été mise en délibéré au 18 avril 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Exposé du litige
Le 14 janvier 2012 à 7 heures 50, l'automobile conduite par Mme [Z] [I], avec pour passager son compagnon M. [V] [U], remontait l'[Adresse 4] quand elle a quitté sa voie de circulation, faisant un tête à queue, pour aller heurter un bus qui descendait sur la voie adverse. La voiture a immédiatement pris feu, causant la mort des deux occupants.
Après classement de l'enquête de police, les parents et le frère de [Z] [I] ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction, mais l'enquête a été clôturée par un non-lieu, confirmé par la chambre de l'instruction le 25 novembre 2015, aux motifs que s'il était établi que la perte de contrôle de la voiture avait pour seule cause connue le verglas, celui-ci était cependant apparu d'une façon trop soudaine et trop localisé pour que le défaut de salage préalable de la chaussée par les services publics puisse être tenu pour fautif.
Les consorts [I] ont également saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande de condamnation de la ville à les indemniser, qui a été rejetée par jugement du 15 janvier 2019, pour des motifs similaires à ceux de la chambre de l'instruction sur l'analyse des faits.
La SA BPCE, assureur du véhicule conduit par [Z] [I], a indemnisé les proches de celle-ci pour un montant de 62 050 euros et ceux de [V] [U] pour un montant de 65 125 euros, soit au total 127 175 euros. S'étant ensuite vainement tournée vers la SA Axa France IARD (la société Axa), assureur de la SA Keolis [Localité 5] Mobilité (la société Keolis), exploitante du bus, pour obtenir la contribution de celle-ci à l'indemnisation à raison de l'implication du bus dans l'accident au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter, elle a assigné ces deux sociétés par actes des 17 et 18 décembre 2018 devant le tribunal judiciaire de Besançon qui, par jugement du 25 mai 2021 rendu après expertise judiciaire, a :
- condamné in solidum la société Axa et la société Keolis à payer à la société BPCE la somme de 63 587,50 euros ;
- les a déboutées de leurs demandes pour frais irrépétibles et condamnées du même chef à payer la somme 1 500 euros la société BPCE, ainsi qu'à payer les dépens, avec distraction au profit de Me Jean-Paul Lorach ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu que le bus était impliqué dans l'accident ; que le passager de [Z] [I], victime non conducteur, n'avait pas commis de faute inexcusable de nature à faire obstacle à son droit à indemnisation, de sorte que ses ayants droits pouvaient prétendre à une indemnisation intégrale de leurs préjudices ; que la conductrice de la voiture ne pouvait avoir commis de faute qui soit la cause exclusive du dommage dès lors que celui-ci avait pour cause principale le verglas ; qu'en outre n'étaient fautifs ni le fait d'avoir équipé de pneus hiver le seul train avant de la voiture, un tel montage étant autorisé par la réglementation, ni sa vitesse, évaluée à 50 km/par l'expert et considérée comme normale par le chauffeur du bus ; qu'en cas de pluralité de véhicules impliqués et en l'absence de faute des conducteurs, la contribution à l'indemnisation se divise à parts égales ; que la société BPCE, régulièrement subrogée dans les droits des victimes qu'elle avait indemnisées, était recevable à agir ; qu'en conséquence l'exploitant du bus et son assureur devaient lui payer la somme de 63 587,50 euros, soit la moitié de la somme réclamée.
La société BPCE a interjeté appel de cette décision contre le deux autres parties par déclaration parvenue au greffe le 23 septembre 2021. L'appel porte sur la condamnation des intimées à lui payer la somme de 63 587,50 euros.
Par conclusions transmises le 10 mai 2022 visant les articles 1382 devenu 1240 et 1251 du code civil, et les articles 1 à 4 de la loi du 5 juillet 1985, l'appelante demande à la cour de :
- infirmer le jugement ;
- débouter les intimées de leurs demandes ;
- les condamner in solidum à lui payer la somme de 127 175 euros ;
- les condamner in solidum à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens, dont distraction au profit de la SCP Lorach avocats associés.
L'appelante soutient qu'en l'absence de toute faute de la conductrice comme du passager, leurs ayants droit pouvaient prétendre à la réparation intégrale de leur préjudice en application des articles 3 et 4 de la loi précitée, de sorte que le premier juge ne pouvait laisser la moitié de la charge indemnitaire à l'assureur de la conductrice.
Les intimées, par conclusions communes transmises le 25 février 2022 portant appel incident et visant la loi du 5 juillet 1985 et l'article L. 121-12 du code des assurances, demandent à la cour de :
- réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf celle relative à l'exécution provisoire ;
- débouter la société BPCE de toute demande ;
- subsidiairement limiter son recours au titre du passager à la somme de 32 562,50 euros ;
- condamner la société BPCE à payer à la société Axa la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens, dont distraction au profit de Me Sandrine Arnaud, avocat.
Les intimées soutiennent qu'à la différence du conducteur du bus, qui n'avait commis aucune faute, la conductrice de la voiture avait commis des fautes propres à exclure tout droit à indemnisation en menant son véhicule à une vitesse excessive au sens de l'article R. 413-17 du code ce la route, en utilisant un véhicule aux pneumatiques inadaptés, en ce que seul le train avant était équipé de pneus hiver, ce qui a contribué à la perte de contrôle ; que subsidiairement, si la faute de la conductrice n'était pas retenue, les règle de recours en présence de deux conducteurs impliqués non fautifs conduit à une répartition de la charge à parts égales.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction a été clôturée le 24 janvier 2023. L'affaire a été appelée à l'audience du 14 février 2023 et mise en délibéré au 18 avril suivant.
Motifs de la décision
Sur les droits à réparation
La cour fait siens les exacts motifs, au demeurant non contestés, par lesquels le premier juge a retenu que le passager n'avait commis aucune faute et qu'en conséquence ses ayants droit pouvaient prétendre à une indemnisation intégrale de leurs préjudices, ce qui toutefois n'implique pas que cette indemnisation intégrale soit supportée par le seul assureur de la conductrice
La faute de la conductrice, en application de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, est de nature à limiter ou exclure l'indemnisation de ses ayants droit, même si elle n'est pas inexcusable et cause exclusive du dommage, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, cette condition étant propre aux victimes non conducteur. Les sociétés Keolis et Axa, qui invoquent cette faute, ont la charge de la prouver.
La vitesse excessive, première des deux fautes reprochées, n'est pas établie par l'expertise judiciaire qui conclut au contraire à une vitesse estimée à 50 km/h, en cohérence avec l'avis du conducteur du bus selon qui la voiture circulait à une allure normale. Cette vitesse ne dépassait pas la limite réglementaire, qui était de 50 km/h.
Rien n'établit que la conductrice ait commis une faute en s'abstenant de réduire sa vitesse en deçà des 50 km/h autorisés pour l'adapter à l'état glissant de la chaussée. En effet, si l'unique témoignage discordant de Mme [S] indique que toutes les routes étaient blanches et glissantes depuis 5 heures 30, le chauffeur du bus a au contraire déclaré à la police avoir traversé la ville pour se rendre de son domicile au dépôt, puis conduit le bus du dépôt jusqu'au pont [Localité 6] à partir duquel l'[Adresse 4] descend vers le Doubs, sans remarquer aucune rue glissante jusqu'à ce qu'il aborde ce pont, à partir duquel seulement la chaussée était blanchie. Aucun des chauffeurs des 48 bus qui étaient passés au même endroit, entre le début du service à 5 heures 30 et l'accident survenu à 7 heures 50, n'avait signalé la présence de verglas [Adresse 4]. L'agent de la société Keolis chargé de reconnaître le réseau et de détecter les risques avant l'entrée en service des bus n'avait rien signalé non plus, de même que l'agent du service municipal de voirie qui avait effectué une ronde dans la nuit. [Z] [I] ne pouvait mieux qu'eux anticiper l'apparition de verglas [Adresse 4], et, venant du bas de l'avenue, et non du haut comme le chauffeur, n'avait pu observer comme lui que la chaussée était blanchie au pont [Localité 6].
Le risque de verglas ne pouvait d'avantage lui être révélé par les prévisions météorologiques disponibles avant son trajet, lesquelles n'annonçaient pas ce risque.
Il n'est donc pas établi que [Z] [I] avait commis une faute en s'engageant dans la montée de l'[Adresse 4] à une vitesse excessive au regard des connaissances qu'elle pouvait avoir de l'état de la chaussée.
Seconde faute reprochée, la présence de pneus spécifiques aux conditions hivernales sur les seules roues avant, qui avait pu majorer la perte de contrôle selon l'expert, ne caractérise aucune faute commise par [Z] [I], qui pouvait utiliser un véhicule traction avant ainsi équipé, que ce soit au regard de la réglementation routière, qui n'imposait pas une monte hivernale sur les quatre roues dans une zone telle que la commune de [Localité 5], ou au regard des prévisions météorologiques, ou encore de l'examen de la chaussée auquel pouvait le livrer la conductrice avant de prendre le volant, qui ne lui permettaient pas d'anticiper la présence de verglas sur son itinéraire, ainsi que relevé précédemment au titre du choix de la vitesse.
La seule cause de l'accident identifiable avec certitude est en effet l'apparition soudaine, localisée et par conséquent imprévisible d'une couche de verglas dont, ainsi que l'a exactement retenu le premier juge pour en déduire que les ayants droit de la conductrice non fautive avaient droit comme ceux du passager à la réparation intégrale de leur préjudice, à l'instar du juge d'instruction et du tribunal administratif qui, pour le même motif, ont respectivement ordonné le non-lieu à poursuites pénales et écarté la responsabilité administrative de la commune.
En conséquence, les intimées n'ayant pas démontré la faute de la conductrice, l'indemnisation des ayants droit de celle-ci sera entière, comme retenu par le premier juge.
Sur la charge de l'indemnisation
La responsabilité des accidents de la circulation routière régie par la loi du 5 juillet 1985 étant fondée sur l'implication du véhicule et non sur la faute du conducteur, il est indifférent que le conducteur du bus n'ait commis aucune faute.
En présence de deux véhicules impliqués dans l'accident et en l'absence de fautes, la charge de l'indemnisation est supportée à parts égales entre les deux responsables, soit moitié pour la société Keolis ou son assureur, et moitié pour l'assureur de la conductrice décédée.
Il en résulte que la société Keolis, exploitante du bus impliqué, n'est tenue qu'à la moitié des indemnisations et qu'en conséquence l'assureur de Mme [I], subrogé dans les droits des victimes qu'il a indemnisées, ne peut lui réclamer que la moitié des indemnités versées, soit 63 587,50 euros. La condamnation des sociétés Keolis et Axa à payer cette somme à la BPCE sera en conséquence confirmée.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, et contradictoirement,
Confirme le jugement rendu entre les parties le 25 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Besançon ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA BPCE Assurances aux dépens d'appel.
Accorde aux avocats qui l'ont demandé le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
La greffière Le président de chambre