ARRÊT N° 23/
BUL/SMG
COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 28 MARS 2023
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 17 janvier 2023
N° de rôle : N° RG 21/01888 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EN6F
S/appel d'une décision
du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTBELIARD
en date du 09 septembre 2021
Code affaire : 80P
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
APPELANTE
S.A.S. LITTERA [Localité 4], sise [Adresse 1]
représentée par Me Pierre-Etienne MAILLARD, avocat au barreau de BELFORT, présent
INTIMEE
Madame [X] [E], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-Charles DAREY, avocat au barreau de BELFORT, absent et susbtitué par Me EL MOUDRY, avocat au barreau de BELFORT, présente
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 17 Janvier 2023 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l'arrêt sera rendu le 21 Mars 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l'arrêt a été prorogé au 28 mars 2023.
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FAITS ET PROCEDURE
Mme [X] [E] a été engagée par la société LITTERA par contrat à durée déterminée du 7 septembre au 31 décembre 2015 en qualité " d'employée polyvalente" puis à la faveur d'un avenant du 31 décembre 2015, par contrat à durée indéterminée aux mêmes fonctions mais sous la qualification d'employée niveau IV.
La relation de travail était régie par la convention collective de la librairie.
Le 4 décembre 2018, la société LITTERA a embauché une nouvelle salariée, Mme [T] [J], diplômée des métiers du livre.
Le 8 décembre 2018, Mme [X] [E] a été convoquée à un entretien au cours duquel lui a été proposé une rupture conventionnelle ou un licenciement avec un délai de réflexion de 48 heures et il lui a été demandé de restituer les clés du magasin.
Le 11 décembre 2018, Madame [E] a été placée en arrêt maladie par son médecin traitant, arrêt prolongé jusqu'au 14 janvier 2019.
Concomitamment à l'envoi, le 31 janvier 2019 d'un courrier adressé à sa direction dénonçant à nouveau un avertissement intervenu le 4 novembre 2017, la proposition de rupture conventionnelle ou licenciement pour cause réelle et sérieuse et son changement de poste de travail et d'horaire depuis le 15 janvier 2019, Mme [X] [E] a, par courrier recommandé daté du 29 janvier 2019, été convoquée à un entretien préalable à licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le 31 janvier 2019, Mme [X] [E] s'est vu prescrire un arrêt de travail jusqu`au 8 avril 2019 par son médecin traitant.
Son employeur lui a notifié le 12 février 2019 son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Par requête du 28 octobre 2019, Mme [X] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Montbéliard afin de voir au principal constater la nullité de son licenciement pour insuffisance professionnelle et obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement du 9 septembre 2021, ce conseil, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, a :
- annulé la sanction d'avertissement du 4 novembre 2017
- constaté que le licenciement est lié à une situation de harcèlement moral
- condamné la société LITTERA à verser à Mme [X] [E] la somme de 5 018,31 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral
- dit que le licenciement de Mme [X] [E] est entaché de nullité
- débouté la société LITTERA de sa demande de reconnaissance de licenciement pour insuffisance professionnelle
- condamné la société LITTERA à verser à Mme [X] [E] les sommes de :
* 10 036,62 euros nets au titre de la nullité du licenciement
* 1 500 euros nets à titre de reliquat de prime de fin d'année 2017 et 2018
- ordonné à la société LITTERA de délivrer à Mme [X] [E] les nouveaux documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, solde de tout compte)
- débouté Mme [X] [E] de sa demande d'astreinte
- condamné la société LITTERA à verser à Mme [X] [E] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société LITTERA aux entiers dépens
Pour trancher ainsi le litige, les premiers juges ont estimé que, pris dans leur ensemble, les éléments apportés par la salariée laissent présumer d'une situation de harcèlement moral sans que l'employeur ne démontre que chaque fait repose sur une décision objective exclusive de tout harcèlement.
Ils ont en outre considéré que la salariée justifiait d'une continuité dans l'évolution des chiffres du rayon 'jeunesse' dont elle était responsable en 2017 et 2018 de sorte qu'elle était légitime à solliciter une prime de fin d'année à ces échéances.
Par déclaration du 19 octobre 2021, la société LITTERA a relevé appel de cette décision et selon dernières conclusions du 11 juillet 2022, demande à la cour de :
-infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il annule l'avertissement du 4 novembre 2017
- débouter Mme [X] [E] de ses entières demandes
- condamner Mme [X] [E] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens
Par conclusions du 14 avril 2022, Mme [X] [E] demande à la cour de :
- infirmer partiellement le jugement déféré
- condamner la société LITTERA à lui régler la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au harcèlement moral
A titre subsidiaire
- dire que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle ni sérieuse
- condamner en conséquence la société LITTERA à lui régler la somme de 6 691,08 euros à titre de dommages-intérêts à ce titre
- ordonner à l'employeur de lui délivrer de nouveaux documents de fin de contrat, et ce sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du "jugement" à intervenir
- confirmer la décision déférée pour le surplus
- condamner la société LITTERA à lui régler une indemnité de procédure de 3 000 euros
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il est relevé que dès lors que l'appelante n'a pas expressément critiqué, dans sa déclaration d'appel, le jugement déféré en ce qu'il a annulé l'avertissement décerné à la salariée le 4 novembre 2017 la cour n'en est pas saisie et il n'y a pas lieu à confirmation sur ce point.
I- Sur le harcèlement moral
Il résulte des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 précise à sa suite qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au cas présent, Mme [X] [E] fait valoir que le comportement de son employeur et certaines décisions prises à son égard, qui ont généré une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, sont constitutifs d'un harcèlement moral qui a conduit au licenciement.
L'employeur estime à l'inverse que sa salariée ne justifie pas d'un octroi discriminatoire des primes de fin d'année, que la proposition d'une rupture conventionnelle est parfaitement licite et non constitutive d'un fait de harcèlement, que l'affectation à un autre rayon ou l'attribution d'autres tâches ne contrevient nullement à son contrat d'employée polyvalente et constitue une décision objective motivée par la gestion calamiteuse du rayon jeunesse, que les modifications d'horaires étaient justifiées par la nouvelle répartition dans les services et que la mise à l'écart de même que les brimades alléguées ne reposent sur aucun élément objectif.
Il convient d'examiner successivement les faits présentés par l'appelante à l'encontre de la société LITTERA.
I-1 L'octroi discriminatoire de primes
L'intimée fait valoir qu'alors que l'objectif trimestriel de juillet-août-septembre 2017 a été atteint au premier pallier, elle aurait dû percevoir, comme l'ensemble des employés une prime de 200 euros sur le salaire d'octobre, qu'elle n'a pas obtenue.
Elle expose qu'en décembre 2017, les collègues du rayon papeterie ont perçu une prime de 1 000 euros alors qu'il n'a été versé que 800 euros à ses collègues du rayon librairie et qu'elle n'a étrangement obtenu que 500 euros, ce alors même que le rayon papeterie est moins performant, de sorte que l'argument de l'employeur tenant aux qualités professionnelles et à l'activité n'est pas pertinent.
Elle ajoute qu'après son départ, tous les salariés ont touché à nouveau une prime de 1 000 euros à Noël 2019.
De même elle explique qu'alors qu'elle avait toujours perçu une prime de Noël, elle n'en a étonnamment perçu aucune en 2018, alors que la valeur de son travail n'a pas changé et que sa 'remplaçante' pourtant arrivée le 4 décembre 2018 en a perçu une de 200 euros.
Elle estime qu'en dépit du fait que ces primes ne sont pas contractualisées, leur versement démontre un traitement différencié et injuste selon les employés et rappelle que le principe fondamental de l'égalité de rémunération (article L.2271-1 et suivants du code du travail) appliqué au système des primes bénévoles, implique que la différence de traitement par le versement de cette prime exceptionnelle, pour être licite, doit reposer sur des règles préalablement définies, contrôlables et sur des critères objectifs et pertinents tels que l'ancienneté, l'expérience ou le diplôme (cassation sociale 18 janvier 2000 n° 98- 44.745) et qu'à défaut, le versement d'une prime à un ou plusieurs salariés et non aux autres reposant sur des critères purement subjectifs, est illégal et constitue une forme de discrimination et de dépréciation du salarié.
L'intimée n'apporte à l'appui de ce premier fait aucun élément objectif comparatif de nature à laisser entrevoir une mesure singulière la concernant, alors qu'il est justifié à son bénéfice de la notification de quatre primes de bilan et de Noël (pièce 3).
I-2 La modification unilatérale de son contrat
Mme [X] [E] fait valoir que son employeur lui a imposé une modification unilatérale de son contrat de travail par un changement de fonctions, dans la mesure où alors que son poste était défini comme étant 'responsable jeunesse', elle a été confinée dans la réserve dès janvier 2019, occupée à la réception des retours pour la librairie sans contact avec les clients et représentants, ainsi qu'à faire le ménage du rayon papeterie.
Elle analyse cette suppression de ses responsabilités et cette mise à l'écart avec affectation en réserve et à des tâches subalternes sans justification objective et alors que les ventes du rayon jeunesse sont en progression, comme un dénigrement et une humiliation de la part de son employeur.
Elle verse à l'appui de ce fait un courriel dans lequel elle informe un fournisseur transmettre son message à la collègue qui a repris à sa suite le rayon jeunesse en janvier 2019 ainsi qu'un courrier du 31 janvier 2019 dans lequel elle somme son employeur de justifier les motifs de ce changement d'affectation à des tâches subalternes.
I-3 La modification de son planning sans indication d'affectation à un rayon et suppression sans explication de son jour de repos du jeudi
L'intimée expose qu'alors que son jour de repos était le jeudi depuis le 30 janvier 2017, son employeur lui a subitement supprimé à compter du 15 janvier 2019 alors qu'il s'agit d'un jour 'calme' en terme de fréquentation et que l'établissement compte 3 libraires et 3 papetiers, de sorte qu'aucune justification ne saurait l'expliquer, si ce n'est une volonté de la contraindre de réorganiser sa vie personnelle.
Au soutien de ce fait elle communique des photographies de planning illisible, mais la production adverse permet de confirmer qu'elle travaille le jeudi à compter de mi janvier 2019.
I-4 Les brimades et invectives
Mme [X] [E] prétend que lors d'un premier entretien avec M. [I], PDG de l'entreprise, du 21 octobre 2017 en présence de sa collègue [O], et faisant suite à une demande d'explication au sujet du travail dominical de décembre, elles ont toutes deux été vilipendées par leur hiérarchie ('pinailleuses, ne veut pas travailler avec des gens comme elles').
Elle indique qu'elle a ensuite été convoquée dans le bureau de Mme [H] [G] le 8 décembre 2018 en présence de M. [M] [I], lesquels l'ont informée qu'ils souhaitaient se séparer d'elle en lui proposant, sous réserve d'un temps de réflexion de 48 heures avec restitution des clés, de choisir entre une rupture conventionnelle ou un licenciement et qu'elle pourrait s''amuser' à le contester aux prud'hommes.
Elle se prévaut à ce titre de son courrier précité du 31 janvier 2019 dans lequel elle évoque ce dernier entretien au cours duquel sa hiérarchie a tenté de lui imposer une rupture conventionnelle mais également d'un courrier du 10 décembre 2018, aux termes duquel elle fait part à la direction de son ressenti à la suite de cet entretien, qualifié de traumatisant en ce qu'une rupture de son contrat lui a été proposée de façon brutale sans évocation de motifs, qu'un délai de réflexion de 48 heures lui a été imposé avec remise des clés et du badge et sommation de ne pas reprendre son poste l'a rendue malade tout le week-end et a justifié son arrêt maladie.
I-5 La dégradation de son état de santé à la suite de ces agissements
Mme [X] [E] soutient que les agissements de son employeur ont provoqué une dégradation de son état de santé et produit au soutien de ce postulat deux formulaires Cerfa d'avis d'arrêt de travail des 11 décembre 2018 et 31 janvier 2019, dont le second porte la mention 'état pathologique aigu'.
Les faits ci-dessus examinés, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral au préjudice de Mme [X] [E], de sorte qu'il convient d'examiner dans un second temps les justifications apportées par l'employeur afin d'apprécier si elles parviennent à renverser la présomption bénéficiant à la salariée.
La société LITTERA estime pour sa part que les faits présentés par Mme [X] [E] ne laissent pas entrevoir l'existence de tels agissements, qu'elle conteste.
- Sur le changement d'affectation
La société LITTERA expose tout d'abord qu'il ne constitue pas une modification de son contrat de travail mais s'inscrit dans l'exécution de celui-ci dès lors que la salariée a été engagée comme 'employée polyvalente', et ensuite que son affectation à d'autres tâches 'plus polyvalentes et requérant moins d'initiatives' était parfaitement justifiée par la 'gestion calamiteuse' par Mme [X] [E] du rayon 'jeunesse'.
A l'effet de détruire la présomption susvisée, l'employeur développe plusieurs griefs à l'encontre de sa salarié justifiant selon lui de façon objective et étrangère à tout harcèlement son affectation à d'autres tâches à compter de janvier 2019, lesquels se décomposent comme suit :
1. En premier lieu, l'employeur reproche à l'intimée une gestion des commandes du rayon jeunesse générant une inflation des stocks.
Il est admis qu'une librairie doit appliquer une méthodologie afin de procéder à une gestion pertinente des stocks, procédant d'un habile équilibre entre le choix d'une variété de références pour intéresser la clientèle et la nécessité de mesurer le nombre d'exemplaires commandés afin d'éviter un accroissement des stocks et des retours massifs d'invendus.
Si l'employeur justifie avoir appelé l'attention de tous ses employés par des courriels des 28 avril et 28 juillet 2017 et 2 juillet 2018 sur la nécessité de diminuer les volumes de commandes notamment pour les livres de Noël 'jeunesse' en leur rappelant que le réassort est rapide et qu'il y a lieu de privilégier des petites quantités, elle communique des éléments chiffrés correspondant à des retours qui ne concernent pas exclusivement le service occupé par l'intimée (pièce 8) mais toute la librairie.
La société LITTERA reproche essentiellement à l'intimée la commande de 40 exemplaires de la collection dite 'La Couleur des Emotions' en octobre 2018 mais omet de prendre en compte que cette collection rencontre un vif succès auprès de la clientèle 'jeunesse', puisqu'il en avait été vendu 27 en 2017 et 36 en 2018 au sein de la librairie, comme en témoigne la pièce 16 qu'elle communique elle-même, et qu'elle est placée en 3ème position des ventes dans un article de la presse spécialisée du 29 novembre 2018 (pièce 46). En outre l'intimée avait été informée lors de la commande que la maison d'édition changerait de distributeur au 1er janvier 2019 (pièce 29) laissant présager un réassort moins aisé dans les mois suivants.
Dans ces conditions, il est difficilement compréhensible qu'une telle décision soit reprochée à Mme [X] [E] alors qu'elle procède d'une anticipation louable et n'apparaît pas disproportionnée au regard des ventes précédentes.
Il résulte de l'examen des pièces, que le reproche portant sur la commande de 30 exemplaires de l'ouvrage 'Pop-up' n'est pas davantage justifié, alors que l'appelante reconnaît spontanément que 16 exemplaires ont été vendus en novembre et décembre 2017, soit les deux mois suivant la commande.
De même, la commande de 36 exemplaires d'un titre en licence 'Astérix' avant Noël, n'apparaît pas injustifiée alors qu'il est notoire qu'il s'agit d'une licence figurant parmi les meilleures ventes, en dépit du fait que 24 exemplaires ont effectivement été retournés comme en justifie l'appelante, une telle décision présentant nécessairement un risque.
Enfin, l'appelante échoue à démontrer qu'un taux de 28% de retours pour le rayon 'jeunesse' est totalement incohérent avec le monde du livre, alors qu'il est en moyenne de 25% dans les librairies françaises au 4ème trimestre 2018 et régulièrement à ce même niveau dans les années précédentes (pièces 30 et 31), un article de 'Livre Hebdo' auquel la société LITTERA est abonné confirmant d'ailleurs une flambée des retours au premier trimestre 2018 à 26% (pièce 45).
Si la société LITTERA fait observer que ce taux de retour de 28% dépasse largement celui de 11% relevé pour l'année 2017, elle omet de préciser que la fin de l'année 2016 a bénéficié de la sortie du dernier opus de 'Harry Potter', qui a tenu lieu de locomotive au rayon 'jeunesse'.
Finalement, il ressort des productions que le rayon jeunesse auquel était prioritairement affectée Mme [X] [E], à tout le moins jusqu'en décembre 2018, dégage une marge en progression à la différence d'autres rayons.
2. Si la société LITTERA reproche encore à Mme [X] [E] de ne pas être suffisamment présente dans les rayons alors que le rayon 'jeunesse' est un rayon essentiel pour le magasin pour représenter le 2ème chiffre d'affaires en librairie, et que l'accueil et le conseil y sont fondamentaux, l'intimée réfute vivement cette affirmation péremptoire et soutient qu'elle s'efforçait au contraire d'y être le plus souvent possible mais que d'autres tâches la retenaient ailleurs, telles que la réception de marchandises, les retours, les rendez-vous fournisseurs ou les renseignements clients.
S'il est avéré que l'attention est appelée, dans les courriers de notifications de primes adressés à la salariée, sur l'importance de l'accueil, du conseil et du service client, la formulation de ces rappels apparaît davantage comme un rappel d'usage sans connotation de reproche ou de rappel à l'ordre.
En réalité, l'appelante ne communique aucune pièce propre à caractériser ce fait imputé à sa salariée.
3. Si la société LITTERA fait encore valoir un manque d'investissement et de motivation à l'origine d'une erreur de réception constatée le 14 novembre 2018, date à laquelle Mme [X] [E] aurait saisi sur le bon de préparation Inter Forum la réception de 11 livres au lieu de 1, générant ainsi un écart de près de 120 euros.
A cet égard, si l'intimée ne conteste pas avoir commis cette erreur, en l'imputant à un état de fatigue et au contexte délétère précédemment évoqué par elle, elle souligne pertinemment son caractère anecdotique, dès lors qu'il s'agit de la seule erreur mise en avant par son employeur sur les trois années de présence dans son établissement.
En revanche, aucun élément objectif ne caractérise le manque d'investissement et de motivation imputé à la salariée.
4. Il est en outre reproché à la salariée d'avoir jeté à la poubelle des documents importants sans directives en ce sens de sa hiérarchie.
Si la société LITTERA évoque à titre d'exemple, une difficulté survenue en novembre 2018 à l'occasion d'une commande groupée du Lycée [3] suite au retour d'un chèque impayé pour un montant de 57,51 euros et explique que le litige n'a pu être résolu faute de pouvoir retrouver les coordonnées du lycée et du professeur qui étaient à l'origine de la commande, dès lors que le dossier avait été jeté, Mme [X] [E] lui objecte que rien ne démontre qu'elle soit responsable de cette difficulté puisque ces commandes groupées ne concernent pas uniquement le rayon jeunesse, de sorte qu'elle a pu réceptionner en partie leur marchandise et ensuite gérer leur bon de commande sans aucun litige ni débat.
En effet, l'appelante ne produit aucun élément objectif imputant ce fait de façon certaine à Mme [X] [E].
S'il lui est aussi reproché de jeter régulièrement le magazine 'Livres Hebdo' auquel est abonnée la librairie, l'intéressée explique qu'il est d'usage que les salariés n'en conservent que les numéros importants (rentrée littéraire et Noël), les anciens étant ensuite jetés car il en est réceptionné quatre par mois.
Pour autant qu'elle soit justifiée, une telle pratique aurait pu donner lieu à une consigne voire à un rappel à l'ordre afin qu'il y soit mis un terme, ce dont ne justifie pas l'employeur.
5. Si la société LITTERA déplore encore que sa salariée ait pris l'initiative de changer certains emplacements stratégiques au sein du magasin, sans avoir requis l'accord préalable de sa direction, en l'occurrence le 'Top Ventes Librairies', qui représente plus de 20% de l'activité selon l'appelante, et le changement complet de l'organisation et de la signalétique du rayon 'Tourisme', l'intimée qualifie ce reproche d'incompréhensible, affirmant qu'elle n'a absolument pas modifié l'emplacement 'Top Ventes Librairies' et que son initiative concertée avec d'autres collègues, s'agissant du rayon 'Tourisme', a simplement consisté, au courant de l'été 2018, à fusionner le rayon 'Europe' et 'Monde' en un rayon 'Etranger' et à modifier la signalétique dans un souci de meilleure visibilité pour le client.
La société LITTERA ne communique aucun élément sur ce point et ne prétend d'ailleurs pas que les changements évoqués auraient perturbé la clientèle ou eu une quelconque incidence sur les ventes.
6. Si l'appelante estime en outre que Mme [X] [E] rechigne régulièrement à répondre au téléphone, n'hésitant pas à le décrocher purement et simplement ou à le mettre en silencieux pour ne pas être dérangée, cette dernière le conteste et convient simplement mettre parfois son téléphone en mode silencieux, lorsqu'elle est en rendez-vous avec un client afin de ne pas être dérangée.
Par ailleurs, elle fait observer à juste titre que dès lors que cinq à six salariés sont en permanence au sein du magasin, l'employeur ne peut sérieusement lui imputer à elle seule le fait que quelques clients n'aient pu joindre téléphoniquement l'établissement, à telle enseigne au demeurant que le courriel adressé le 5 avril 2017 par Mme [H] [G], directrice, a été expédié sur les boîtes structurelles des rayons 'librairie' et 'papeterie' sans individualiser le rappel à l'ordre, qui s'adresse à l'ensemble du personnel, tout en rappelant néanmoins que le client présent au magasin est toujours prioritaire.
7. Enfin, l'employeur déplore l'attitude négative de sa salariée, notamment à l'égard de ses collègues mais également des clients et transporteurs, ainsi qu'un ton autoritaire et sarcastique nuisant à l'ambiance de travail, ce que réfute catégoriquement l'intimée, qui souligne avec pertinence que ce reproche apparaît largement subjectif.
Elle fait encore observer que ce grief fait écho à deux réclamations salariales formulées par elle en octobre 2017 au sujet du travail dominical imposé par la direction et en novembre 2018 au sujet de la récupération d'un jour férié correspondant à un jour de repos, estimant que son employeur n'a pas accepté ces revendications, pourtant juridiquement légitimes, ainsi qu'il en a finalement convenu.
Si l'appelante produit à cet égard un échange électronique sans signature personnalisée avec la médiathèque de [Localité 4] (pièce 26), dont il résulte des débats qu'il émane bien de l'intimée, que la société LITTERA qualifie à juste titre de maladroit, en ce qu'il est un peu abrupt, cette maladresse ponctuelle pouvait aisément faire l'objet d'un rappel à l'ordre de la part de la direction, qui a d'ailleurs fait le choix, plus de sept mois plus tard de le sanctionner par l'avertissement annulé par les premiers juges en raison de la prescription des faits invoqués.
Les griefs supposés constituer le motif du changement d'affectation de l'intimée et son retrait de l'animation du rayon 'jeunesse' apparaissent ainsi soit dépourvus de toute réalité soit manifestement insuffisants pour justifier une modification si radicale de ses fonctions au sein de l'établissement.
S'il est par ailleurs exact que tant le contrat de travail à durée déterminée initial que le contrat à durée indéterminée du 31 décembre 2015 mentionnent que l'intéressée est recrutée en qualité d'employée polyvalente et s'engage notamment à assurer :
- L'accueil tant physique que téléphonique des clients ;
- La vente des produits d'un ou plusieurs rayons et les services du magasin ;
- Les encaissements courants et complexes ;
- La tenue de la caisse dont elle est garante ;
- La participation à la promotion, à la mise en avant et au rangement des produits en rayon ;
- La préparation des listes scolaires'
et que Mme [X] [E] y était expressément informée que cette définition de fonctions n'avait en rien un caractère exhaustif et qu'elle s'engageait en conséquence à exercer l'ensemble des attributions complémentaires à ses fonctions (telles que définies), ainsi que, de manière générale, toute tâche qui serait rendue nécessaire par l'activité de la société, ou qui lui serait imposée par la direction, il n'en demeure pas moins que la suppression brutale, sans rappels à l'ordre préalables, de son affectation pour des tâches que l'employeur lui-même qualifie de subalternes, constitue au regard des développements qui précèdent une mesure dépréciante pour la salariée.
- Sur le changement de jour de repos hebdomadaire
L'employeur ne le conteste pas mais explique que du fait du retrait de la salariée de l'animation du rayon 'jeunesse' en raison de son insuffisance professionnelle, cette réorganisation du service a justifié une telle modification afin d'assurer un effectif suffisant dans le magasin chaque jour. Elle explique qu'en contrepartie la salariée a obtenu de ne pas travailler le mercredi après-midi et le vendredi matin (pièce 27).
Outre que l'employeur ne justifie pas que cette modification était nécessaire à une bonne répartition des effectifs sur la semaine, alors même que l'intimée n'était plus affectée à un rayon particulier, la scission de son jour de repos initial (jeudi) en deux demi-journées apparaît incontestablement constituer une mesure moins favorable pour Mme [X] [E], sans motif objectif avéré.
- Sur les brimades et invectives
La cour relève tout d'abord que si Mme [X] [E] se prévaut d'une attestation émanant de Mme [U] [S], ancienne employée, qui évoque le caractère 'glacial' de Mme [H] [G] et la mauvaise ambiance instillée par cette directrice au sein de l'établissement, celle-ci ne confirme à aucun moment avoir été témoin des brimades et invectives dont l'intimée aurait été la cible. De même l'intimée s'abstient de produire le témoignage de sa collègue [O], citée comme ayant assisté au premier entretien du 21 octobre 2017.
En réponse, la société LITTERA fait valoir que les entretiens n'ont absolument pas été virulents, à telle enseigne que l'intimée ne justifie d'aucune des brimades ou invectives alléguées, et soutient que l'entretien du 8 décembre 2018 n'avait pour vocation que de lui proposer une rupture conventionnelle.
Pour autant, l'employeur ne disconvient pas qu'à l'issue de ce dernier entretien, il a invité sa salariée à ne pas reprendre son poste durant un délai de réflexion de 48 heures et à remettre sur le champ les clés du magasin sans s'expliquer de façon convaincante sur ce procédé ni justifier qu'il reposerait sur un motif objectif étranger à tout harcèlement.
Au surplus, la concomitance entre cet entretien et l'arrêt de travail pour 'état pathologique aigu' de Mme [X] [E] laisse supposer que la teneur de cet entretien et de ses suites immédiates ont eu sur l'état de santé de la salariée un retentissement qui a nécessité un arrêt de travail.
- Sur le non versement des primes
Mme [X] [E] expose avoir perçu une prime 2017 limitée à 500 euros là où ses collègues de la papeterie ont perçu 1 000 euros et avoir été la seule à ne percevoir aucune prime en 2018 alors que ses collègues ont perçu 1 000 euros et sa "remplaçante" qui venait d'arriver 200 euros.
L'employeur rétorque que la salariée échoue à démontrer la matérialité de ce fait qu'elle qualifie d'inégalité de traitement, soutient au contraire que l'objectif n'ayant pas été atteint la prime d'objectif n'a été versée à aucun salarié et rappelle en tant que de besoin que la prime de Noël est discrétionnaire, comme l'attestent les justificatifs de notification de primes à l'attention de l'intimée.
Au delà de l'absence de toute stipulation portant sur l'octroi d'une prime dont le montant serait a fortiori pré-défini dans le contrat de travail de l'intéressée, Mme [X] [E] s'abstient en effet de produire la moindre pièce justifiant que ses collègues auraient effectivement perçu une prime d'objectif et de Noël sensiblement différente de la sienne en 2017 et 2018 ainsi que des montants qu'elle allègue, de sorte que la cour ne peut relever aucune application différenciée voire discriminatoire notamment de la prime de fin d'année, laquelle présente au cas particulier un caractère discrétionnaire.
S'il est admis que le caractère discrétionnaire d'une rémunération ne permet pas à l'employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable encore faut-il que le salarié soumette au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement avec les salariés auxquels il se compare (Soc. 12 novembre 2020 n°18-24958). Or tel n'est pas le cas en l'espèce.
- Sur la dégradation des conditions de travail et de l'état de santé
L'employeur objecte sur ce point que l'avis d'arrêt de travail visant un état pathologique aigu n'évoque aucun syndrome réactionnel de sorte qu'aucun lien n'est établi avec le comportement qui lui est imputé.
Cependant il est produit par l'intimée deux formulaires Cerfa d'avis d'arrêt de travail des 11 décembre 2018 et 31 janvier 2019, dont le second porte la mention 'état pathologique aigu', lesquels font immédiatement suite à un entretien avec sa hiérarchie, son invitation à réfléchir à une rupture conventionnelle avec délai de réflexion, dispense de reprendre son poste et remise des clés de l'établissement.
Par ailleurs il a été démontré précédemment que les décisions prises par l'employeur à l'égard de la salariée ont incontestablement dégradé ses conditions de travail.
Il résulte en conséquence des développements qui précèdent que, pour certains des griefs articulés à l'encontre de l'employeur et notamment les faits principaux que sont la modification du jour de repos hebdomadaire et l'affectation à des tâches subalternes et de moindre attractivité, ce dernier ne produit aucun élément propre à justifier que les actes qui lui sont imputés étaient objectivement justifiés et étrangers à tout harcèlement.
A cet égard, c'est par une juste appréciation des faits de la cause que les premiers juges ont retenu l'existence d'un harcèlement moral imputable à la société LITTERA.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
II - Sur la nullité du licenciement pour insuffisance professionnelle
Il n'est pas contesté qu'un salarié victime de harcèlement moral est recevable à solliciter une indemnisation des préjudices distincts constitués d'une part par les conséquences matérielles du licenciement entaché de nullité et d'autre part par le préjudice moral subi du fait du comportement harcelant.
Sur le premier point il est avéré que le licenciement pour insuffisance professionnelle, dont les griefs ont été précédemment qualifiés de non établis ou d'insuffisants pour justifier un changement de service, donc a fortiori un congédiement, est entaché de nullité du fait du harcèlement moral subi.
Au regard des faits de la cause et des dispositions des articles L.1152-2 et L.1235-3-1 du code du travail, les premiers juges ont valablement pu retenir par des motifs adoptés qu'une somme de 10 036,62 euros devait être allouée à la salariée pour licenciement nul.
Pour le surplus, compte tenu de la durée sur laquelle les faits incriminés ont été observés avant le licenciement de la salariée pour insuffisance professionnelle, ces faits répétés constitutifs de harcèlement moral qui ont généré une souffrance au travail réelle doivent conduire à indemniser le préjudice moral qui en est résulté.
Sur ce point le jugement déféré qui a alloué à Mme [X] [E] une somme de 5 018,31 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de ce harcèlement mérite confirmation.
III - Sur le versement d'une prime de fin d'année pour 2017 et 2018
Il a été rappelé que Mme [X] [E] estime qu'en ayant perçu une prime 2017 limitée à 500 euros là où ses collègues de la papeterie ont perçu 1 000 euros et ayant été la seule à ne percevoir aucune prime en 2018 alors que ses collègues ont perçu 1 000 euros et sa "remplaçante" qui venait d'arriver 200 euros, elle est légitime à solliciter un reliquat respectif de 500 et 1 000 euros au titre des années 2017 et 2018.
L'employeur souligne qu'aucune inégalité de traitement n'est démontrée par la salariée à ce titre et rappelle que cette prime est discrétionnaire.
Au delà de l'absence de toute stipulation portant sur l'octroi d'une prime dont le montant serait a fortiori pré-défini dans le contrat de travail de l'intéressée, elle s'abstient de produire la moindre pièce justifiant que ses collègues auraient effectivement perçu une prime en 2017 et 2018 ainsi que des montants qu'elle allègue, de sorte que la cour ne peut relever aucune application différenciée voire discriminatoire de la prime de fin d'année, laquelle présente un caractère discrétionnaire.
C'est par conséquent par une appréciation erronée des faits de la cause que les premiers juges ont alloué à Mme [X] [E] un reliquat de prime de fin d'année de 1 500 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et l'intimée déboutée de sa demande à ce titre.
IV - Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné à l'employeur de délivrer de nouveaux documents de fin de contrat à sa salariée et rejeté la demande de celle-ci tendant à voir assortir cette mesure d'une astreinte.
Il sera également confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
La société LITTERA sera condamnée à verser à Mme [X] [E] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fait droit à la demande en paiement de primes formée par Mme [X] [E].
L'infirme de ce seul chef, statuant à nouveau et y ajoutant.
Déboute Mme [X] [E] de sa demande au titre des primes 2017 et 2018.
Déboute la SAS LITTERA de sa demande en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne à verser à Mme [X] [E] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Condamne la SAS LITTERA aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt huit mars deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,